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En quoi le « raisonnement clinique » peut-il rendre visible les compétences d’expertises de l’infirmière libérale ? Sandra BERROYEZ nous partage son expérience issue du terrain (Partie 1/2).

Article publié  pour ManagerSante.com, par Sandra BERROYEZ, infirmière coordinatrice libérale exerçant en cabinet depuis 2006.

Elle est également titulaire d’un DU « éthique et accompagnement psychologique de la personne âgée » à l’Université Claude Bernard Lyon 1 et d’un DU en « e-Santé » obtenu à la Faculté Catholique de Lille.

Dans un environnement de soins de santé en constante évolution, confronté aux défis d’une démographie vieillissante et à l’émergence de nouvelles maladies de plus en plus complexe avec de plus en plus de comorbidités, de nouveaux traitements sans oublier la coté sociale et le manque de médecins. je vous introduis à travers cet article intitulé « Rendre visible les compétences de l’infirmière libérale : le raisonnement clinique ». En tant qu’infirmière libérale spécialisée dans les soins à domicile, je me dédie avec passion et expertise, acquises au gré de mes rencontres avec les patients. Cet écrit se propose d’explorer l’importance cruciale d’un jugement clinique affûté, complété par une approche soignante teintée de compassion et d’humanité. Ce mélange d’expertise et d’empathie forme le socle de mon approche,

Je désire, au fil de cet article, éclairer comment nous, infirmières à domicile, transcendons la simple réalisation de soins techniques pour nous ériger en véritables piliers de soutien, en confidents et conseillers au cœur du domicile des patients. Mon implication Mon engagement va au-delà de la prestation de soins ; elle inclut une écoute profonde, une évaluation détaillée et une intervention attentionnée, personnalisée selon les besoins uniques et les parcours de vie de chacun,

Cet article célèbre notre rôle indispensable dans le maintien de la dignité, de la santé et de l’autonomie et de la plus petite capacité si elle existe même si le patient a des dépendances et/ou incapacités et/ou déficiences et/ou un désavantage (Dépendances de OMS 1980 par philip wood) des personnes à leur domicile, soulignant notre apport essentiel à un système de santé qui chérit l’individualité et le respect de chaque parcours.

Je vous convie à explorer mon monde, à saisir l’essence de ma vocation et à reconnaître l’importance vitale de notre rôle dans l’écosystème des soins à domicile.

Le raisonnement clinique : de quoi parle-t-on ?

J’entends par raisonnement clinique en intégrant le domaine infirmier, « un processus intellectuel méthodologique permettant une analyse des données cliniques issues d’une situation de soins afin d’identifier les problématiques potentielles ou réelles de santé d’un patient et/ou de poser un diagnostic dans le domaine infirmier, et favoriser une prise en charge de qualité par des actions adaptées. Il s’appuie sur l’examen clinique, dont l’observation fait partie, la qualité des données cliniques recueillies et catégorisées, grâce à un relationnel adapté, et la mobilisation des connaissances théoriques. (loic martin 25/09/2019 : Le raisonnement clinique infirmier : guide méthodologique) »

Le geste est une composante du processus cognitif et permet de révéler « les intentions ou représentations de celui qui parle et qu’il n’exprime pas dans le langage » (Leplat, 2013). Cette composante correspond à une partie non visible de l’activité et c’est elle qui permet d’attribuer une signification à l’action. Les gestes professionnels « ne se réduisent pas aux actions qui les manifestent, ils signifient » (Alin, 2007).

L'intérêt de l’usage du raisonnement clinique dans la pratique de l'infirmière libérale

Dans un contexte de vieillissement de la population, l’infirmière à domicile rencontre quotidiennement une multitude de situations cliniques, complexité de soins, accroissement des maladies chroniques, polypathologies,  manque de médecin, la réduction des durées de séjour dans les centres hospitalier, ruptures de soins, problèmes sociaux, incurie,  manque de connaissance…Cette diversité est un stimulus majeur qui nécessite de bonnes connaissances et de bonnes habilités sur le raisonnement clinique afin d’assurer le meilleur accompagnement dans la prise en charge holistique du patient. Le soignant utilise, son savoir qu’il a acquis de sa formation et/ou continue et de son expérience personnelle et professionnelle, qu’il mobilise pour répondre aux différents besoins face à une situation de santé.

Le changement perpétuel de notre mode de vie ainsi que les progrès scientifiques, place l’infirmière libérale au cœur d’un système sanitaire en perpétuel mouvement et en interaction réciproque avec son contexte historique changeant (social, économique, découvertes scientifiques, culturel, comportement, climatique etc.) la confrontant à chaque instant à de nouvelles épreuves et obstacles. D’après T. Psiuk, « Les soins infirmiers représentent une réalité complexe située au point de convergence des sciences médicales, des sciences humaines et des sciences de l’éducation ».

Avant le 1er janvier 2020, nous avions la possibilité de facturer des prises en charge globales avec la démarche de soins infirmier (DSI) maintenant nous avons franchi un nouveau cap avec le Bilan de soins infirmiers (BSI avenant 6 5.7, prise en charge des soins a domiciles des patients dépendants). Il s’agit d’investir pleinement les soins infirmiers pour personnes dépendantes afin de valoriser notre rôle propre ou rôle autonome (article R4311-5), sans oublier les accompagnements éducatifs et/ou relationnels. (dépendance selon OMS et HAS est l’impossibilité partielle au totale pour une personne d’effectuer sans aide les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychiques ou sociale)

La dimension indépendante est identifiée depuis 1983, Lynda Juall CARPENIT0 décrit 3 dimensions : la dimension dépendante : l’infirmière exerce des interventions prescrites par le médecin, donc sous la responsabilité directe de celui-ci (c’est le problème médical), la dimension interdépendante : l’infirmière collabore à la prescription, au traitement par des actions décidées par elle-même, et qui recouvrent essentiellement le domaine de la prévention et de la surveillance (c’est le problème clinique de soins ) (identifié en France avec le décret de compétence n°2002-194 du 11fevrier 2002 et la dimension indépendante : les actions réalisées par l’infirmière sont sous l’entière responsabilité de de celle-ci, en toute légalité (représenté par le diagnostic infirmier).

UN nouveau degré de compétence reconnu à l’infirmière ouvrit la porte devant au modèle bifocal (1984 L.J. Carpineto) qui place le raisonnement clinique en son centre

Les interventions infirmières se décident après avoir identifié les problèmes du patient grâce à notre raisonnement clinique rigoureux et formalisé sous forme de diagnostics infirmiers. « Les interventions de collaboration sont les soins qui sont prescrits par le médecin ou un autre professionnel, que l’infirmière libérale se charge d’appliquer et de coordonner ». Ces problèmes requièrent à l’infirmier libérale une attitude réflexive afin de les cerner et d’agir efficacement d’une manière autonome (en cas de situations d’urgences) ou sur prescription. Face à chaque situation clinique et en se basant sur ses connaissances variées de différentes sciences (médicale, sociale, psychologie…), l’infirmière « portera un jugement clinique qui lui permettra soit d’intervenir dans le champ de sa propre compétence soit de décider s’il est plus pertinent d’appeler un professionnel spécialisé »

Le cadre législatif (art R4311-1 ; art R R311-2 ; art R 4311-3 actuel accorde à l’infirmier libérale un champ clinique large avec une monté des compétences avec le modèle tri-focal dans lequel il peut prendre des initiatives et des décisions nécessaires dans la surveillance et dans l’accompagnement du patient.

A domicile, nous pouvons nous occuper de personnes présentant des problèmes réels (problèmes médicaux, les réactions humaines physiologiques et psychologiques liés à la pathologie, aux traitements, aux contextes intrinsèques et extrinsèques) mais surtout nous avons un champ d’action indispensable sur les risques potentiels (regroupement des risque liés à la pathologie et aux traitements et ceux liés au contexte intrinsèque, au contexte extrinsèque sans oublier les problèmes possibles (problèmes de santé qui peuvent très probablement se produire, mais les facteurs favorisants ne sont pas suffisants pour les considérer comme un problème potentiel).

Les problèmes réels sont des prises en charge ponctuelle, à un moment T, il s’agit surtout de la pathologie alors que les problèmes potentiels et les problèmes possibles sont à l’origine de la prise en charge des patients chroniques. Par exemple : si une personne a une perte d’appétit, nous allons nous inquiéter de savoir si elle s’alimente correctement, s’il y a une perte de poids, s’il y a une perte de l’élan vital, angoisse, douleurs, si fatigue, risque de chute, voit du monde, est isolée, a une activité….

Nous allons également nous enquérir de son mode de vie pour recueillir des éléments par rapport à sa situation et à sa vie en général. Toute cette observation se réalise pendant l’acte prescrit.

Le raisonnement clinique à partir du recueil de données est plus pertinents, est affiné, grâce notamment à l’appropriation d’un modèle conceptuel infirmier, à la sensibilisation aux différentes théories de soins infirmiers et à l’approfondissement de concepts en sciences humaines (telles adaptation, vieillissement, chronicité, deuil, douleur, souffrance, concept de soi…). Ce processus systémique, dynamique, flexible et continu permet de construire l’analyse réflexive et de soutenir le raisonnement clinique.

Comment le raisonnement clinique s’applique-t-il dans la pratique de l’infirmière libérale ?

L’infirmière libérale occupe une position unique dans le paysage des soins de santé, caractérisée par une combinaison spéciale de compétences qui la distingue, tout en partageant une base commune de connaissances et de pratiques avec ses collègues du milieu hospitalier. Cette singularité découle de plusieurs facteurs liés à son environnement de travail, à la nature de ses interventions, et à la relation particulière qu’elle tisse avec ses patients.

  • Identité commune par les compétences :

L’infirmière libérale, tout comme l’infirmière hospitalière, possède un solide socle de connaissances médicales, techniques, et humaines. Elles sont toutes deux formées pour évaluer l’état de santé des patients, identifier les besoins de soins, planifier et mettre en œuvre des interventions appropriées, et évaluer l’efficacité des soins prodigués. Cette base commune assure une qualité et une continuité des soins dans tous les contextes de pratique infirmière. Berger Levrault avec nos compétences infirmières : compétence 1 UE 3.1 S1

  • Différenciation par l’environnement et l’autonomie :

Contrairement à l’infirmière hospitalière, l’infirmière libérale opère majoritairement dans l’espace privé du patient, ce qui requiert une capacité d’adaptation à des environnements variés et parfois imprévisibles. Elle exerce un degré d’autonomie plus élevé, prenant des décisions cliniques et organisant les soins sans la présence immédiate d’une équipe multidisciplinaire. Cette autonomie nécessite une maîtrise approfondie de son champ de compétence et la capacité à agir de manière indépendante. La complexité du raisonnement clinique dans la pratique infirmière libérale met en lumière l’importance cruciale de cette compétence, qui va bien au-delà de la simple application de soins standardisé. Le raisonnement clinique est, en effet un pilier central de l’exercice professionnel, permettant aux infirmières libérales d’offrir des soins personnalisés et adaptes à chaque situation particulière

  • Différenciation par la relation patient-soignant :

L’infirmière libérale développe souvent une relation de proximité et de continuité avec ses patients, grâce à des visites régulières à domicile. Cette proximité favorise une compréhension plus nuancée des besoins du patient, non seulement sur le plan médical mais aussi social et émotionnel, permettant une prise en charge plus holistique.

  • Différenciation par la gestion des soins à domicile :

Dans le contexte de l’infirmière à domicile, le raisonnement clinique se doit d’être particulièrement attentif à des éléments spécifiques comme, l’évaluation approfondie de l’environnement du patient. Cela inclut l’identification des facteurs de risques liés au domicile qui pourrait affecter la santé ou la sécurité du patient, tel que l’adaptation du domicile aux besoins d’une personnes dépendante une mobilité réduite ou des troubles cognitifs. La prise en compte de la dynamique familiale et des réseaux de soutiens existants est également cruciale.

Pour réaliser une évaluation juste et complète, plusieurs ressources doivent être mobilisées. L’expérience personnelle de l’infirmière, enrichie par les cas précédemment rencontrés, les échelles d’évaluations, la surveillance clinique, les formations, le dossier de soins infirmiers libéral (est obligatoire, depuis le 25 novembre 2016, le décret de compétences des infirmiers s’est enrichi d’un code de déontologie publié au Journal Officiel. Un code que tout infirmier s’engage à signer et donc à respecter ! Et dans ce code de déontologie il est écrit noir sur blanc dans l’article R. 4312-35. : « L’infirmier établit pour chaque patient un dossier de soins infirmiers contenant les éléments pertinents et actualisés relatifs à la prise en charge et au suivi. L’infirmier veille, quel que soit son mode d’exercice, à la protection du dossier de soins infirmiers contre toute indiscrétion ». Et son utilisation quotidienne est hautement recommandée pour être en conformité avec les lois. Constitue une basse de connaissance indispensable. La démarche psychoéducative adapté à chaque patient particulièrement pour ceux en perte d‘autonomie permet de soutenir efficacement le patient et sa famille

Au sein de cette dynamique de soins à domicile, le rôle essentiel de l’IDEL s’étend également al la prévention de l’aggravation de la symptomatologie proactif non seulement dans la gestion des soins quotidien mais aussi dans l’anticipation et la prévention des complications potentielles. Cette capacité à intervenir en amont est cruciale pour éviter l’escalade des symptômes qui pourrait conduire à des situations d’urgence (AFGSU), des hospitalisations évitables, ou une détérioration rapide de l’état de santé.

Dans le cadre du raisonnement clinique applique par l’IDEL, une dimension essentielle de son expertise est sa capacité à discerner ce que d’autres professionnels de santé ne pourraient pas voir. En étant présente dans l’environnement de la vie quotidienne du patient, l’infirmière libérale a un accès privilégié à des observations et des informations que le contexte hospitalier ou les consultations ne permettent pas toujours de révéler. (Benner développe le concept de compétence infirmière à travers cinq niveaux de développement, allant du novice à l’expert, et souligne comment l’expérience permet à l’infirmière d’acquérir une expertise qui transcende les connaissances académiques. Cette expertise se manifeste particulièrement dans la capacité à percevoir les signes et symptômes critiques dans le cadre de la vie quotidienne des patients, souvent invisibles)

Cette aptitude a identifié les signes subtils, les modifications dans le comportement ou dans l’environnement qui pourrait indiquer un changement dans l’état de santé ou dans la capacité du patient est cruciale : Par exemple, elle peut repérer des obstacles physiques dans le domicile qui augmente le risque de chute, des signes de négligences dans la prise de médicaments, des signes de dénutritions, des signes d’hypotension orthostatique, des signes neurologique, des infections urinaires ou encore des indices de détériorations de l’état mental… qui pourrait passer inaperçus lors d’un examen clinique plus formel.

La prise en charge à domicile présente des défis spécifiques, comme l’adaptation des soins au cadre de vie et la nécessité d’évaluer et de gérer des risques environnementaux qui n’existent pas dans le milieu hospitalier. L’infirmière libérale doit également coordonner les soins avec d’autres professionnels de santé à domicile, et jouer un rôle clé dans l’éducation des patients et de leurs familles pour assurer une gestion autonome des conditions de santé. (Ecriture du raisonnement clinique en transmissions ciblées –CESIFORM Lille 2022)

  • Différenciation par la prévention et le suivi à long terme :

L’infirmière libérale joue un rôle essentiel dans la prévention des complications et la réadmission hospitalière grâce à un suivi régulier et à long terme. Elle est souvent en première ligne pour détecter les changements dans l’état de santé du patient, permettant une intervention précoce qui peut éviter l’aggravation des conditions. L’infirmière expertise dans les champs de la clinique est centrée sur les réactions humaines d’adaptation des patients face à leur maladie ou confrontés à un processus de vie difficile et pose un ou des diagnostics infirmiers (Manuel diagnostics infirmiers). Elle aborde les patients et leur entourage dans leur dimension bio-psycho-sociale.

En résumé :

Bien que partageant une identité professionnelle commune par leurs compétences fondamentales, l’infirmière libérale se distingue par l’autonomie de sa pratique, la spécificité de son environnement de travail, la profondeur de sa relation avec le patient, et son rôle central dans la gestion intégrée des soins à domicile. Ces différences soulignent l’importance de la complémentarité entre les divers rôles infirmiers pour répondre aux besoins de santé complexes et variés de la population. (Formation et diplôme).

Lire la suite de cet article, le mois prochain.

Pour aller plus loin :

ManagerSante.com

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