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Peut-on séparer laïcité et hospitalité ? Le Professeur Éric Delassus interroge les présupposés.

N°76 Avril 2024

Nouvel Article écrit par Eric, DELASSUS, (Professeur agrégé Lycée Marguerite de Navarre de Bourges et  Docteur en philosophie, Chercheur à la Chaire Bien être et Travail à Kedge Business School).

Il est co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses.

Il est également co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Octobre 2021 chez LEH Edition, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins

Conférence donnée le 24/11/2023 dans le cadre du colloque Hospitalité et laïcité : Mieux accueillir la différence dans un climat hospitalier organisé à l’IMS de Pessac par l’ERENA en partenariat avec l’IMS Académie, centre de formation continue du CHU de Bordeaux.

Comment questionner laïcité et hospitalité ?

Il y a plusieurs manières de poser la question du rapport entre laïcité et hospitalité et qui ne sont pas toutes dépourvues de présupposés qui méritent d’être interrogés.

  • La première pourrait être de se demander ce que pourrait être une laïcité hospitalière, ce qui laisserait sous-entendre qu’il pourrait y avoir une laïcité inhospitalière et qui conduirait à aborder la question de la laïcité sous l’angle de ce que Catherine Kintzler1 appelle une laïcité adjectivée. Approche qui pose problème dans la mesure où elle présuppose que le principe de laïcité n’est pas autosuffisant et nécessite que lui soit adjoint d’autres principes pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle.
  • La seconde pourrait consister à se demander ce que pourrait être une hospitalité laïque, ce qui sous-entendrait que certaine forme d’hospitalité non-laïque pourraient exister. Mais que faudrait-il entendre par là ? S’agirait-il d’une hospitalité qui ne s’appliquerait qu’aux seuls membres d’une religion, qui ne vaudraient que pour ceux qui partagent les mêmes croyances ou les mêmes opinions en excluant tous les autres ? La question se pose alors de savoir si une telle hospitalité exclusive serait encore véritablement de l’hospitalité ? Question qui nous invite à nous demander s’il n’y a pas finalement un fond de laïcité dans toute forme d’hospitalité. Car s’il peut exister des formes d’hospitalité propres à certaines confessions et qui ne se réduisent pas à accorder l’asile uniquement à ceux qui partagent la même foi, mais aussi à accueillir les croyants d’autres religions comme les non-croyants, on peut se demander si elles ne deviennent pas réellement hospitalières qu’en s’imposant à elle-même une obligation s’appuyant sur un principe qui ne serait pas totalement étranger à l’idée de laïcité.
  • La troisième approche possible, et c’est celle que je choisis, consiste plutôt à se demander si laïcité et hospitalité ne sont pas consubstantielles l’une à l’autre. La laïcité n’est-elle pas une condition de l’hospitalité ? Une véritable hospitalité ne suppose-t-elle pas le respect d’exigences qui seraient de même nature que celles qu’implique le principe de laïcité ?

Mais préalablement à toute argumentation, il convient en premier lieu de préciser le sens des termes qui vont être au cœur de notre réflexion. Tout d’abord, il faut souligner que laïcité et hospitalité ne sont pas deux notions de même nature. La première est un principe, tandis que l’autre est une vertu.

La laïcité

La laïcité est essentiellement un principe politique fondant notre république tandis que l’hospitalité est une vertu, c’est-à-dire une disposition éthique. Elle est la vertu de celui qui accueille, mais peut-être aussi, nous y reviendrons, de celui qui est accueilli, car il ne faut pas oublier qu’en français l’hôte désigne aussi bien celui qui reçoit que celui qui est reçu. Cela étant dit, il y a aussi une dimension politique, voire juridique, de l’hospitalité puisqu’elle peut faire l’objet d’un droit. C’est ainsi que Kant y fait référence dans son Projet de paix perpétuelle, lorsqu’il affirme qu’elle consiste dans le droit, droit que Kant qualifie de cosmopolitique, pour l’étranger qui arrive dans un pays qui n’est pas le sien de ne pas être traité en ennemi. C’est d’ailleurs ici l’occasion de souligner qu’en français les mots hostilité et hospitalité ont la même racine. Ce qui a conduit Jacques Derrida à forger le mot d’hostipitalité pour souligner l’ambivalence ou l’ambiguïté de la racine étymologique de mot « hôte ».

La laïcité est tout d’abord un principe politique qui consiste en une séparation nette entre le politique et le religieux, entre l’administration des affaires publiques et la vie spirituelle. Elle implique donc de la part de la puissance publique une totale neutralité en matière de croyance ou de non-croyance, le but étant de rendre possible la vie commune entre des citoyens ne partageant pas les mêmes convictions religieuses, entre les croyants de différentes confessions, mais aussi entre les croyants et les non-croyants qu’ils soient agnostiques ou athées. Elle permet aussi l’accueil de ceux qui, bien que n’étant pas citoyens, peuvent résider et vivre dans notre pays tout en restant fidèle à leur conviction en matière de spiritualité. Si l’hospitalité est une vertu, Parce qu’elle est également un droit, elle est aussi, parce qu’il n’existe pas de droit qui n’ait pour corrélat un devoir, une obligation, celle d’accorder l’asile au voyageur, à l’étranger, à celui qui vient d’ailleurs et que l’on ne connaît pas, mais à qui l’on doit l’accueil. Cette hospitalité repose – et je cite à nouveau Emmanuel Kant dans son Projet de paix perpétuelle – dans « le droit qu’a tout étranger de ne pas être traité en ennemi dans le pays où il arrive2 ». La laïcité peut alors être considérée comme au fondement d’une telle hospitalité dont Kant écrit qu’elle consiste dans le droit de « s’offrir à faire partie de la société, lequel appartient à tous les hommes, en vertu de celui de la possession commune de la surface de la terre3 ». Ce devoir d’accorder l’asile à l’étranger peut être également envisagé comme un impératif inconditionnel, une obligation morale à laquelle il serait interdit de déroger sans aller à l’encontre de ce qui fait notre humanité.

L'hospitalité

Comme l’écrit Anne Dufourmantelle dans un article intitulé « L’hospitalité, une valeur universelle ? »

La loi d’une inconditionnelle hospitalité apparaît dans toutes les sociétés primitives, depuis les tablettes mésopotamiennes, sans doute parce qu’elle est l’une des lois fondamentales de toute civilisation, avec celle de l’interdit de l’inceste. Cette loi immémoriale nous rappelle la condition première, exilique de l’humanité. La règle d’hospitalité inconditionnelle constitue peut-être ce rappel très concret, très impératif et immédiat du fait que celui qui reçoit peut à son tour, du jour au lendemain, être jeté sur la route et avoir besoin d’asile4.

Certes, l’hospitalité que permet la laïcité n’est pas totalement inconditionnelle, dans la mesure où elle oblige celui qui est reçu à respecter un principe que doivent aussi respecter tous les citoyens de la république et qui consiste à placer la loi commune au-dessus de toute autre loi, même celle que l’on suppose être d’origine divine. Nul ne peut dans un État laïc s’autoriser à désobéir à la loi au nom de ses convictions religieuses. Néanmoins, cette condition est singulière dans la mesure où elle n’est pas une condition imposée à l’hôte qui est reçu par celui qui reçoit, mais une condition qui s’impose à l’un comme à l’autre. Elle n’est pas une condition mise à l’hospitalité par celui qui accueille, elle est la condition de l’hospitalité elle-même. Elle est ce qui permet d’éviter toute hostilité de part et d’autre. L’hostilité est l’inverse de l’hospitalité, mais il ne faut pas oublier que le terme qui la désigne en français est formé sur la même racine que « hôte » et « hospitalité ». Cette condition ne signifie pas que chacun doit faire taire totalement ses convictions, cela signifie simplement qu’il ne peut au nom de celles-ci se soustraire au droit commun.

Le principe de laïcité

Dans une république laïque comme la nôtre, l’État n’a pas de religion et la religion n’intervient pas dans la gestion des affaires publiques. Cela entraîne de la part de la puissance publique un certain nombre d’obligations et principalement celle pour ses agents de ne pas manifester ostensiblement ou de manière prosélyte leurs convictions religieuses dans le cadre de l’exercice de leur fonction. La religion reste une affaire privée et ne doit pas interférer dans les domaines d’exercice de la puissance publique. Cela dit, il ne faut pas en conclure que la religion doit s’effacer totalement de l’espace public. Comme le fait remarquer Catherine Kintzler dans son livre Penser la laïcité, il ne faut pas confondre les deux significations du terme public. Si, en effet, il est en cohérence avec le principe de laïcité qu’un agent de l’État ne manifeste pas dans l’exercice de ses fonctions ses croyances et, par exemple, ne porte sur lui aucun signe religieux visible, cela n’interdit pas d’arborer ces signes, par exemple, dans la rue, c’est-à-dire dans l’espace public. Car ce qui se passe dans la rue ne relève pas en totalité de la puissance publique, mais relève tout simplement de la vie sociale. Et ce que certains oublient trop souvent, c’est que dans notre pays, ce n’est pas la société qui est soumis au principe de laïcité, mais l’État. Ce qui signifie que ce dernier doit être neutre pour garantir la liberté de conscience et que les autorités religieuses et les représentants des cultes n’ont aucun pouvoir politique, aucun droit ou privilège liés à leur fonction. Cela implique également que les communautés n’ont pas d’existence juridique, la laïcité considère que l’État n’a affaire qu’à des citoyens considérés comme des individus libres en conscience de pratiquer la religion de leur choix ou de n’en avoir aucune. Comme l’écrit Patrick Weil dans son livre La laïcité en France5 : la laïcité, c’est le droit « d’exister comme citoyen sans identification à la religion ».

Cela ne signifie pas pour autant que la laïcité rejette les communautés et suppose une négation totale de leur existence. Ce qu’elle rejette, c’est le communautarisme, c’est-à-dire une organisation de la société sur la base des communautés et dans laquelle les citoyens se définiraient en premier lieu comme membre d’une communauté. Le principe de laïcité fonde le droit de n’appartenir à aucune communauté, de se dégager de sa communauté d’origine et d’avoir n’importe quelle conviction, tant que cela ne met pas en péril la paix civile. Rien ne m’empêche d’adopter une croyance même si je suis le seul à y adhérer. Comme le fait remarquer Catherine Kintzler avant de garantir le « vivre-ensemble », la laïcité garantit d’abord le droit de vivre séparé. J’irai même jusqu’à dire qu’elle garantit le droit de vivre séparé pour mieux vivre ensemble. En effet, vivre séparé ne signifie pas ici vivre totalement coupé du corps politique et de la société, bien au contraire. Ce que garantit le principe de laïcité ; c’est justement la possibilité de faire intégralement partie du corps politique et du corps social, même pour celui qui adhère à des croyances que personne ne partage. Et c’est certainement là que se situe le lien entre laïcité et hospitalité, car la république laïque parce qu’elle est laïque est en capacité d’accueillir en son sein toute personne quelles que soient ses croyances, à la condition qu’ils n’accomplissent pas au nom de celles-ci des actes qui pourraient mettre en péril la sécurité des citoyens et la paix civile, à la condition qu’il respecte le droit commun.

Il est important de rappeler cela, car il y a aujourd’hui une certaine mécompréhension de ce qu’est vraiment la laïcité qui peut conduire à heurter deux écueils qui pourraient nous conduire à dénaturer ce principe. Ces deux écueils sont soulignés par Catherine Kintzler et pourraient être résumés ainsi :

  • D’un côté, il y a ceux qui comme le fait remarquer Patrick Weil dans l’ouvrage précédemment cité, voient dans la laïcité « un catéchisme répétitif vide de sens, voire comme un régime d’interdits discriminatoires. C’est-à-dire rien de ce qu’elle est ». Ceux-là prétendent, soit que la laïcité a besoin d’évoluer et nécessite des accommodements eu égard à l’évolution de la société, soit lui préfère un régime de tolérance qui la viderait de toute sa richesse. La laïcité est certainement moins tolérante sur certains points que certaines formes de communautarisme, mais elle permet à des altérités, des singularités de se retrouver dans un monde commun plutôt que de vivre juxtaposés les unes aux autres.
  • De l’autre côté, il y a ce que j’appellerai l’ultra-laïcisme, c’est-à-dire une position qui sous prétexte de défendre la laïcité passe outre ce qui lui donne tout son sens. Cette position est celle de ceux qui, confondant puissance publique et espace public, le privé et l’intime, voudraient que la laïcité ne concerne pas que l’État, mais s’étende à la société tout entière en interdisant l’expression et la manifestation de ses croyances ou non-croyances dans l’espace public, ce qui irait à l’encontre de la liberté d’expression qui est corrélative à la liberté de conscience, deux libertés que garantit la laïcité. Affirmer que la religion est une affaire privée ne signifie pas qu’elle doit rester confinée dans l’intimité de la conscience et être totalement chassée de l’espace public. C’est cet ultra-laïcisme qui fait que la laïcité est souvent perçue comme l’adversaire de la religion. Peut-être d’ailleurs, parce qu’il est parfois, pour ne pas dire souvent, le fait de ceux qui instrumentalisent la laïcité pour en faire une arme contre la religion, voire contre une religion en particulier.

Pour permettre à chacun de croire ou de ne pas croire et d’exercer son droit à une pratique en accord avec ses convictions, il n’est pas nécessaire d’aménager ou d’adjectiver la laïcité, de même que pour s’opposer à des pratiques religieuses qui contreviendraient au droit commun et au principe de laïcité, il n’est pas nécessaire de l’étendre au-delà des limites qui sont les siennes sans le dénaturer.

C’est pour cette raison qu’il me semble que les deux positions précédemment citées sont difficilement compatibles avec la notion d’hospitalité qui suppose l’accueil de l’altérité et de la singularité de chacun non pas à côté de soi, mais chez soi. Elle suppose aussi que je ne demande pas à l’autre qui est accueilli de s’effacer totalement, mais de rester lui-même chez l’autre qui l’accueille. L’hospitalité renvoie finalement à un type de rapport fort complexe à l’altérité. C’est en ce sens qu’il me semble qu’elle est une vertu de l’hôte dans les deux sens de ce terme, vertu de celui qui reçoit et de celui qui est reçu. Car il y a une certaine ambiguïté de l’altérité. Nous connaissons tous la formule consacrée lorsque l’on reçoit ou que l’on est reçu « faites comme chez vous », « fais comme chez toi ». Or, l’expérience nous apprend vite qu’en réalité, la première règle de l’hospitalité et de ne pas faire « comme chez soi », ni pour l’hôte qui reçoit, ni pour l’hôte qui est reçu. Lorsque je reçois, je fais certains efforts pour l’autre que je ne fais pas habituellement, la maison est mieux rangée, je suis plus attentif à la manière dont je m’habille, je mets comme on dit « les petits plats dans les grands », mais pas trop non plus pour ne pas gêner mon hôte. Je ne suis donc plus chez moi comme à l’habitude, je suis aussi en un certain sens chez lui. Comme le fait remarquer Jacques Derrida, il s’opère dans l’hospitalité « un renversement selon lequel le maître de céans, le maître chez soi, l’hôte (host) ne puisse accomplir sa mission d’hôte, donc l’hospitalité, qu’en devenant invité par l’autre chez lui, en étant accueilli par qui il accueille, en recevant l’hospitalité qu’il donne6 ».

De même, lorsque je suis reçu, je m’efforce d’être discret et de me conformer à ce que je perçois comme étant les habitudes de l’autre qui m’accorde l’hospitalité. Cependant, je ne deviens pas pour autant transparent, je ne disparais pas devant celui qui m’accueille, ce qui serait une indélicatesse de ma part également. L’hospitalité est la vertu de celui qui accueille l’étranger en lui accordant chez lui la meilleure place pour qu’il ne se sente plus tout à fait étranger tout en restant lui-même, mais c’est peut-être aussi la vertu de celui qui sait être accueilli et qui sait rester lui-même sans s’imposer à celui qui l’accueille. Savoir accueillir et savoir accueillir l’accueil qui nous est fait, sont certainement les deux facettes de l’hospitalité. L’hospitalité suppose donc que chacun accueille l’autre, tant celui qui reçoit que celui qui est reçu.

Vu sous cet angle, la laïcité est certainement un principe d’hospitalité dans la mesure où l’étranger peut être accueilli au sein de la république tout en restant lui-même à la seule condition qu’il respecte le droit commun. C’est-à-dire qu’il respecte des lois qui ne sont pas faites pour empêcher l’expression des différences, mais plutôt pour permettre à ces différences de s’exprimer dans le cadre d’une vie commune. La laïcité permet de créer un espace commun à l’intérieur duquel les différences peuvent non seulement coexister, mais se rencontrer et dialoguer. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre la laïcité et la tolérance, terme finalement assez peu heureux puisqu’il sous-entend dans certaines de ses acceptions que je supporte l’autre comme un mal nécessaire, un peu comme le malade tolère un traitement dont il se passerait bien. La laïcité va au-delà de la tolérance puisqu’elle oblige chacun à accepter l’autre dans sa différence et à se sentir lié à lui dans une fraternité qui va au-delà de la fraternité religieuse, puisque je suis lié à l’autre indépendamment de toute appartenance à une communauté autre que la communauté humaine.

Tout cela se décline dans les établissements publics de santé par un certain nombre de règles qui sont en vigueur et qui garantissent l’égal accès aux soins de tous. Ainsi, la charte de la personne hospitalisée précise que :

Aucune personne ne doit être l’objet d’une quelconque discrimination que ce soit en raison de son état de santé, de son handicap, de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de ses opinions politiques, de sa religion, de sa race ou de ses caractéristiques génétiques.

Également, si le principe de laïcité s’applique aux personnels soignants des établissements publics, il ne s’applique pas aux patients de la même manière, ces derniers n’ont pas une obligation de neutralité comparable à celle des soignants :

L’établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueillies. Dans les établissements de santé publics, toute personne doit pouvoir être mise en mesure de participer à l’exercice de son culte (recueillement, présence d’un ministre du culte de sa religion, nourriture, liberté d’action et d’expression, rites funéraires…). Toutefois, l’expression des convictions religieuses ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d’hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches.

Tout prosélytisme est interdit, qu’il soit le fait d’une personne hospitalisée, d’un visiteur, d’un membre du personnel ou d’un bénévole7.

Ici encore, nous pouvons souligner que c’est le principe de laïcité qui crée les conditions d’une hospitalité indifférenciée de tous les patients et qui permet le respect de la différence et de la singularité de chacun.

En conclusion :

C’est donc en respectant le principe de laïcité à la lettre que l’hôpital peut être pleinement hospitalier. Hospitalité et laïcité n’ont donc pas besoin de dispositifs spécifiques pour s’accorder l’une à l’autre dans la mesure où la laïcité est au principe même de l’hospitalité. Elle reconnaît à toute personne membre de la communauté humaine le droit d’être accueilli, quelles que soient les circonstances, mais principalement lorsqu’elle souffre et qu’elle est en difficulté. Il n’est donc pas nécessaire d’adjectiver la laïcité pour la rendre plus hospitalière, elle l’est par définition, à condition qu’elle ne se transforme pas en une idéologie laïciste qui en dénature totalement le contenu.

Aussi, si la laïcité est un principe essentiellement politique, elle n’est pas moins en mesure de déboucher sur une éthique, c’est-à-dire sur une certaine manière d’être et de se comporter face à l’altérité. Avoir face à autrui une attitude s’inspirant de la laïcité consiste à prendre en considération les deux dimensions qui caractérisent. L’autre, l’étranger désigne celui qui est à la fois semblable et différent et il est impossible d’occulter l’une de ces dimensions. Si je ne le considère que comme mon semblable, je nie ce qui fait sa singularité et ce qui constitue, à proprement parler son altérité. À l’inverse, si je ne le considère que comme différent, je rejette toute possibilité d’entrer en relation avec lui puisque que je ne reconnais pas ce que je possède en commun avec lui, c’est-à-dire ce qui fait notre humanité. Aussi, la laïcité, dans la mesure où elle consiste à établir communauté politique d’individus différents, en dépassant ces différences tout en les respectant et en leur permettant de s’exprimer dans leur singularité peut également être au principe d’une éthique de l’altérité, de la singularité et de l’hospitalité puisqu’en son nom chacun peut être accueilli dans la communauté humaine sans devoir abandonner ce qui le différencie des autres auxquels il n’en est pas moins lié.

Pour aller plus loin :

1 Catherine Kintzler, Penser la laïcité, Paris : Minerve, 2014.

2 Kant, Projet de paix perpétuelle, « Troisième article définitif d’un traité de paix perpétuelle ».

3  Ibid.

4 Anne Dufourmantelle, « L’hospitalité, une valeur universelle ? », dans Insistance 2012/2 (n° 8), pages 57 à 62, Éditions Érès.

5  Patrick Weil, De la laïcité en France, Grasset, 2021.

6 Jacques Derrida, Hospitalité, Volume 1, (séminaire 1995 – 1996), Seuil.

7 Charte de la laïcité dans les services publics.

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Nous remercions vivement notre spécialiste, Eric, DELASSUS, Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges) et  Docteur en philosophie,  de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Philosophie & Management, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com 

Biographie de l'auteur :

Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j’enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j’assure également un enseignement de culture de la communication auprès d’étudiants préparant un BTS Communication.
J’ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d’initiation à la psychologie auprès d’une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale.
J’interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L’IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges.
Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine de Tours.
Je suis membre du groupe d’aide à la décision éthique du CHR de Bourges.
Je participe également à des séminaires concernant les questions d’éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l’entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.
Sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob, il a publié plusieurs ouvrages :
– le 25 Septembre 2018 intitulé ” Ce que peut un corps”, aux Editions l’Harmattan.
– un ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses.
Il est également co-auteur d’un dernier ouvrage, sous la Direction de Jean-Luc STANISLAS, publié le 04 Octobre 2021 chez LEH Edition,  intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins.

DECOUVREZ LE NOUVEL OUVRAGE PHILOSOPHIQUE

du Professeur Eric DELASSUS qui vient de paraître en Avril 2019

Résumé : Et si le bonheur n’était pas vraiment fait pour nous ? Si nous ne l’avions inventé que comme un idéal nécessaire et inaccessible ? Nécessaire, car il est l’horizon en fonction duquel nous nous orientons dans l’existence, mais inaccessible car, comme tout horizon, il s’éloigne d’autant qu’on s’en approche. Telle est la thèse défendue dans ce livre qui n’est en rien pessimiste. Le bonheur y est présenté comme un horizon inaccessible, mais sa poursuite est appréhendée comme la source de toutes nos joies. Parce que l’être humain est désir, il se satisfait plus de la joie que du bonheur. La joie exprime la force de la vie, tandis que le bonheur perçu comme accord avec soi a quelque chose à voir avec la mort. Cette philosophie de la joie et du bonheur est présentée tout au long d’un parcours qui, sans se vouloir exhaustif, convoque différents penseurs qui se sont interrogés sur la condition humaine et la possibilité pour l’être humain d’accéder à la vie heureuse.  (lire un EXTRAIT de son ouvrage)

 

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