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En quoi l’altruisme peut-il être valorisé dans le monde du travail ? Géraldine LEMOINE explore son impact individuel, organisationnel et sociétal.

Article rédigé par notre  experte, Géraldine LEMOINE, Sociologue (Master 2 Développement social à Sciences-Po), conseil et animatrice de formations et d’ateliers conjuguant communication collaborative, développement de la créativité et prévention du stress, auteur et co-auteur d’un ouvrage publié aux éditions Odile Jacob intitulé « Toxic Handlers : les générateurs de bienveillance en entreprise ».

N°4, Février 2024

Les générateurs de bienveillance, tels que décrits dans l’ouvrage éponyme, paru en 2019, et en particulier ceux baptisés « porteurs de compassion », développent et mettent en œuvre à l’égard d’autrui, des postures et comportements qui valorisent, l’expression des émotions et des sentiments, l’empathie par rapport à la souffrance, une forme de douceur dans la relation, l’écoute active, l’engagement dans l’action pour lutter contre la souffrance, le sens donné aux événements vécus.

Tous ces éléments caractérisent bien aussi les comportements altruistes, tels qu’ils ont été définis par plusieurs approches complémentaires notamment en psychologie et psychologie sociale.

Alors souhaitons-nous que 2024 nous engage dans l’altruisme…

L’altruisme, une valeur et un comportement

Daniel Batson, psychologue américain et ancien professeur à l’université du Kansas, s’est intéressé précisément aux caractéristiques et aux fondements de l’altruisme, en s’opposant à la vision dominante de la psychologie occidentale, qui est celle de l’égoïsme universel. Daniel Batson a mené plus de 35 expériences pour établir l’existence de l’altruisme fondé sur l’empathie et a pu définir la sollicitude empathique comme un état d’esprit tourné vers autrui, né d’une aptitude à évaluer le bien-être de l’autre et à percevoir ses besoins. Il décrit ainsi la motivation altruiste comme « un état de la motivation tendue vers ce but ultime d’accroître le bien-être d’autrui ».

D’autres chercheurs en psychologie sociale ont démontré également que des valeurs altruistes existaient bien chez certaines personnes et qu’elles généraient ainsi également des comportements altruistes ou « prosociaux ».

Valeurs et comportements se combinent-ils ainsi pour bâtir l’altruisme véritable.

L’altruisme, inné ou acquis ?

Le docteur Jacques Lecomte, à travers sa synthèse de nombreux travaux et expériences, a conclu que l’entraide et le soutien étaient plutôt des comportements innés.

Dans son livre « L’âge de l’empathie[1] », Frans de Waal, éthologue réputé, démontre même que l’instinct de compassion n’est pas l’apanage de l’homme : de nombreux animaux sont prêts à prendre soin les uns des autres, à s’entraider et, dans certains cas, à se mobiliser pour sauver la vie de leurs congénères.

Ces éléments sont toutefois à nuancer par d’autres réalités, également pré-existantes à l’éducation parentale : les jeunes enfants, comme les adultes, préfèrent aider ceux qui sont « comme eux », ceux qui leur ressemblent.

C’est là sans doute que le bât blesse : l’altruisme est inné et également la certitude que ceux qui nous ressemblent sont « meilleurs » que les autres… plus sécurisants et plus « aimables ».

Alors comment développer cet altruisme inné et le laisser s’exprimer pour ceux qui nous sont proches, et plus largement pour les autres, sans tomber dans l’angélisme ?

Des comportements parentaux pour développer l’empathie

Jacques Lecomte synthétise les postures et comportements parentaux bénéfiques au développement de l’altruisme chez l’enfant : manifester de l’affection, du soutien – en associant de façon équilibré, chaleur et contrôle, agir soi-même de manière altruiste et pouvoir servir ainsi de modèle, sensibiliser l’enfant à l’impact de ses actions sur autrui, en lui montrant comment ses comportements induisent bien être ou détresse chez l’autre – en évitant l’affirmation du pouvoir parental (donner des ordres, menacer, punir) ou le retrait d’amour (refuser de parler à l’enfant, l’isoler), fournir à l’enfant des occasions d’être utile aux autres : écrire des courriers à des enfants hospitalisés, se rendre dans des maisons de retraite pour faire la lecture aux personnes âgées…

L’apprentissage de l’empathie tout au long de la vie

Serge Tisseron, psychiatre, psychanalyste et Docteur en psychologie, présente quant à lui trois niveaux d’empathie et insiste sur le concept d’empathie mature, capacité à acquérir en combinant judicieusement l’empathie affective naturelle et l’empathie cognitive à développer tout au long de la vie. L’empathie affective nous permet de nous concentrer naturellement sur l’émotion de l’autre. L’empathie cognitive nous permet de comprendre le point de vue de l’autre en prenant en compte ses différences – conditions de vie, particularités culturelles…Ce qui est essentiel, c’est la capacité de les articuler l’une à l’autre, de passer sans cesse de l’une à l’autre pour construire l’ « empathie mature ».

L’empathie au travail

Les ouvrages de trois sociologues cités dans l’ouvrage consacré aux générateurs de bienveillance, viennent également expliquer comment les patrons atypiques de Norbert Alter et les encadrants différents de Frederick Mispelblom Beyer et Catherine Glee sont porteurs de cette empathie mature qu’ils valorisent au quotidien dans leurs organisations.

A travers les entretiens menés dans notre ouvrage, nous avons également compris comment les générateurs de bienveillance présents dans l’organisation peuvent faciliter la résilience de celle-ci lorsqu’elle traverse une crise. Ainsi, l’altruisme initié dans ce cadre s’avère-t-il utile et bénéfique. Il conduit à l’écoute des souffrances d’autrui et surtout à l’action vis-à-vis de la résolution de celles-ci.

Des effets sont mesurés régulièrement – sans doute pas encore de façon suffisamment scientifique et exhaustive, sur des approches en entreprise qui génèrent de l’empathie et de l’altruisme : mentionnons dans ce cadre le co-développement.

Selon ses promoteurs, Adrien Payette et Claude Champagne le co-développement professionnel est « une approche de développement pour des personnes qui croient pouvoir apprendre les unes des autres afin d’améliorer leur pratique. La réflexion effectuée, individuellement et en groupe, est favorisée par un exercice structuré de consultation qui porte sur des problématiques vécues actuellement par les participants.

Ceux-ci adoptent tour à tour les postures du client, en demande de réflexion sur une problématique professionnelle identifiée, et du consultant, à l’écoute de cette problématique. Le processus engagé est très structuré en terme de temps et de modalité de présentation, d’écoute, d’échanges et de restitution (écoute active de part et d’autre ; pas d’échanges « à bâton rompu » comme au café du commerce ; pas d’aparté). Il permet, en peu de temps, de se « co-développer » avec ses pairs ou des collègues d’autres métiers.

L’altruisme sincère, des bienfaits pour la santé

Les recherches en psychologie consacrées aux comportements prosociaux, comme les comportements altruistes ou empathiques, même si elles sont de plus en plus nombreuses, sont encore peu médiatisées…On leur préfère l’analyse des comportements déviants, voire lorsqu’il s’agit de parler de bienveillance revient-on sur le sujet en parlant d’univers de « bisounours » décalé de la réalité. Il ne s’agit pas de minimiser l’impact des organisations ou des comportements délétères et pour autant de s’intéresser à l’altruisme en action.

Jacques Lecomte dans son ouvrage La Bonté humaine, présente notamment le rôle de l’ocytocine, hormone essentielle dans les relations humaines, dont les taux augmentent dans le cadre de  relations interpersonnelles agréables en particulier à travers la générosité volontaire. Or l’ocytocine régule tout un système dédié au lien et à l’attachement : elle diminue l’anxiété, donne un sentiment de sécurité et favorise la confiance et le rapprochement entre deux personnes.

Dans son livre « Plaidoyer pour l’altruisme« , Matthieu Ricard présente quant à lui une des expériences de Martin Seligman, l’un des pionniers de la psychologie positive : « M. Seligman(…) a proposé à un groupe d’étudiants de passer une journée à se distraire et à un autre groupe de participer à une activité bénévole(aider des personnes âgées, distribuer une soupe populaire, etc) en donnant à chacun la même somme d’argent, puis de lui faire un compte rendu pour le cours suivant. Les résultats ont été concluants : la satisfaction procurée par les plaisirs personnels (manger au restaurant, aller au cinéma, déguster une glace, faire du shopping, etc.) était largement moindre que celle qu’avaient produite les activités altruistes ».

L’altruisme pour éclairer la société dans son ensemble

Jacques Lecomte décline dans son livre La bonté humaine,  le terme d’ « optiréaliste », autour de sa vision du genre humain : « (…) chaque être humain a en lui des potentialités vers le bien et le mal, vers l’amour et la haine, vers l’altruisme et l’égoïsme. (…) L’individu ayant une propension fondamentale à la bonté, mais pouvant également se tourner vers la violence (…),il convient de faciliter les situations susceptibles de faire émerger le meilleur de chacun(…). »

Dans son ouvrage Plaidoyer pour l’altruisme, Matthieu Ricard rassemble recherches en psychologie, philosophie et neurosciences pour démontrer « le pouvoir de transformation positive qu’une véritable attitude altruiste peut avoir sur nos vies et, partant, sur la société toute entière. »

Il présente notamment l’éducation coopérative, particulièrement développée au Canada, favorisant l’altruisme et engageant les enfants dans une solidarité positive et efficace sur le plan de l’enseignement et du partage des connaissances. 

Les promoteurs de l’économie circulaire et de l’économie positive quant à eux, s’appuient sur la nécessité de cesser d’exploiter les ressources naturelles de la planète comme si elles étaient sans fin et d’intégrer à l’activité économique la notion d’intérêt des générations à venir. Les initiatives largement diffusées comme la Fresque du Climat – de la biodiversité, du numérique…- viennent ainsi mettre en lumière les interactions entre activités humaines individuelles et collectives et dégradation de la planète et du climat.

En conclusion :

L’altruisme est ainsi une thématique qui se diffuse dans différents pans de la société, en en expliquant les bénéfices attendus. A chacun d’entre nous d’en mesurer l’impact individuel, organisationnel et sociétal et de prendre la mesure de sa nécessaire mise en œuvre.

Pour aller plus loin

  • Daniel BATSON, Altruism in Humans, Oxford University Press, 2011.
  • L’âge de l’empathie, Frans de Waal, Paris, Acte Sud, 2011.
  • Payette Adrien et Champagne Claude, Le groupe de co-développement professionnel, Quebec, Presses de l’Université du Quebec, 1997
  • Plaidoyer pour l’altruisme[2]« , Matthieu Ricard Paris, NiL Editions, 2013
  • [1] Paris, Acte Sud, 2011.

 

Nous remercions vivement Géraldine LEMOINE, Sociologue (Master 2 Développement social à Sciences-Po), conseil et animatrice de formations et d’ateliers conjuguant communication collaborative, développement de la créativité et prévention du stress, auteur , pour partager son expertise sur notre plateforme média digitale d’influence et de référence ManagerSante.com

Biographie de l'auteure : 

Géraldine LEMOINE, Sociologue (Master 2 Développement social à Sciences-Po), conseil et animatrice de formations et d’ateliers conjuguant communication collaborative, développement de la créativité et prévention du stress, auteur et co-auteur d’un ouvrage publié aux éditions Odile Jacob intitulé « Toxic Handlers : les générateurs de bienveillance en entreprise ».
Géraldine Lemoine propose, à travers ses ouvrages, de clarifier des thématiques holistiques qui lui sont chères : liens corps/esprit, individu/groupe, psycho/socio…
Praticienne certifiée en shiatsu, formée à la communication non violente, à la méditation de pleine conscience et aux outils de la créativité, elle écrit également depuis toujours des nouvelles et des textes à chanter…Sait-on jamais !

[L’AUTEURE PRESENTE SON OUVRAGE DANS CETTE VIDEO]

Source :

Source : Xerfi Canal a reçu Géraldine Lemoine, interviewée par Mounia Van de Casteele.

 

ECOUTEZ également dans ce podcast Géraldine LEMOINE, interviewée par l’animatrice Isabelle Fiévet-Rossignol sur DIALOGUE SUJET PSY le 14/09/2019.

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