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Comment le manager en santé peut-il passer d’une « gestion » au « pilotage stratégique » de « crise » ? Le Dr Jan-Cedric HANSEN et Romain MARTIN, FF Cadre Supérieur de Santé, nous éclairent sur les concepts clés applicables en milieu hospitalier.

Article rédigé pour ManagerSante.com par le Docteur Jan-Cedric HANSEN, Praticien Hospitalier au CHAG de Pacy-sur-Eure, membre de la commission SSE de la SFMU, membre du CA de StratAdviser  en collaboration avec Romain MARTIN, Faisant fonction de Cadre Supérieur de Santé à la direction des soins du Centre Hospitalier Universitaire de Caen.

 

En 2024, le « manager en santé » est régulièrement confronté à une multitude de situations qualifiées de « crises ». Il doit les « gérer » au quotidien et, dans le même temps, imaginer des « crises » d’exception et se préparer à les « gérer », elles-aussi, au cas où elles surviendraient.

Mais ceci étant dit, de quoi parle-t-on vraiment ? Que recoupe réellement le verbe « gérer » ? À quoi une « crise » fait-elle réellement référence ? L’usage généralisé de ces deux termes est-il approprié ? Ou bien, induit-il des contre-sens ou des malentendus ? Mais au fait, qu’est-ce qu’un « manager en santé » ?

Le « manager en santé »

Le « manager en santé » peut être un directeur général, un directeur adjoint, un directeur des soins, un cadre supérieur, un cadre administratif, un cadre de pôle, un cadre de proximité, un président de CME ou un médecin coordonnateur, un chef de pôle clinique ou médico-technique, un chef de service ou d’unité fonctionnelle …. 

La fonction du « manager » est de « manager », un verbe emprunté à l’anglais « to manage » signifiant entraîner, conduire, s’occuper de, diriger, une entreprise ou un établissement, en assumer les responsabilités techniques et financières.

Dans le monde de la santé, on attend des « managers » qu’ils manifestent la capacité à concevoir et à mettre en œuvre le projet médical ou médico-soignant de l’établissement tout en déterminant les objectifs des services dont ils ont la charge sans oublier les critères qualitatifs et quantitatifs du séjour des patients et de leur projet de soins. 

Dans le même temps, on attend des « managers en santé » d’assurer l’animation et l’encadrement des équipes, d’analyser de manière itérative les besoins du service pour pouvoir programmer les activités hebdomadaires et journalières. On attend aussi qu’ils veillent à ce que les effectifs soient constamment en adéquation avec les besoins des services malgré les contraintes liées à la gestion des ressources humaines (temps de travail légal, périodes de repos et congés réglementaires,  absentéisme, …). Et, on attend de plus, par voie de conséquence, qu’ils apportent un appui technique ou psychologique au personnel placé sous leur responsabilité.

On attend aussi de ces mêmes « managers en santé » de contrôler et favoriser l’amélioration continue de la qualité des activités de soins du service, de garantir la sécurité des patients, de veiller au respect des protocoles d’hygiène et de sécurité, au confort des patients et au respect de l’éthique tout en s’assurant du bon fonctionnement des installations et du matériel, y compris le suivi des prestations de maintenance.

Enfin, il est entendu que dans l’exercice de leurs missions, les « managers en santé » mettent en œuvre la gestion prévisionnelle des métiers et des compétences ainsi que la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.

En d’autres termes, les « managers en santé » sont des êtres pluri compétents, au carrefour de plusieurs disciplines managériales, qui doivent parfaitement maitriser les verbes « commander », « décider » et « arbitrer ». « Commander » leur permet de dicter la conduite des membres des équipes, de diriger leur activité en vertu de l’autorité fonctionnelle qu’ils détiennent. Le verbe « décider » leur permet, après délibération, collégiale ou non, d’opter pour une conclusion définitive, de déterminer une issue, de conduire un projet à terme. Il est important de noter que le verbe « décider » exclu l’intuition puisqu’il implique une délibération qui traduit un processus complexe impliquant d’examiner, de peser tous les éléments d’une question pour arriver à une conclusion idéalement acceptée et partagée, constituant, dès lors, une décision collégiale. Cependant, cette décision collégiale n’est pas toujours accessible et c’est là que le verbe « arbitrer » prend tout son sens et son utilité. « Arbitrer » leur permet de juger, de concilier, un point contesté ou de déterminer le choix entre plusieurs référentiels ou plusieurs solutions qui s’offrent à eux. 

« Gérer »

Le verbe « gérer » exprime un processus récurrent, dévolu à une personne, physique ou morale, d’assurer, en tant que responsable, le fonctionnement d’un établissement ou d’un service, dont elle assume la direction, l’impulsion, le contrôle. Ce faisant, celui qui « gère » se trouve dans l’obligation de donner, de fournir ou de distribuer des instructions et des moyens humains et matériels (donc financiers) pour mener à bien sa « gestion ». Dans un contexte où, le substantif « gestion » traduit « l’action de gérer les/ses affaires » ou bien « la manière dont on les gère » tandis que le substantif « gestionnaire » désigne la personne chargée de cette « gestion ». 

Ce verbe et ses deux substantifs entrent bien dans le périmètre de compétence des « managers en santé » tels qu’ils viennent d’être rappelés dans le paragraphe précédent.

De par sa définition et son étymologie, le verbe « gérer », du latin gerere, est intimement lié au verbe « administrer » qui possède un sens dérivé signifiant « faire absorber un remède à un malade ». Ce dernier point explique peut-être pourquoi on prête à la « gestion » la vertu de pouvoir résoudre une « crise ».

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« Crise »

La « crise » est un terme qui appartient au domaine de la tragédie grecque (κρίσις) où il désigne le moment de la « décision » ou de la « bascule » de la situation dans laquelle est, ou sont plongés le, ou les protagonistes. C’est aussi un terme de médecine qui désigne le moment du changement « décisif » – autrement dit de la « bascule » – de l’évolution d’une maladie à partir duquel elle connaitra son aggravation ou son amélioration. Dans ces deux acceptations, la « crise » est un moment de « bascule » qui annonce un accomplissement imminent. 

Dans son sens moderne, la crise n’est pas un moment mais un état d’incertitude et de désordre[1]. Cette « crise » au sens moderne s’inscrit dans un continuum « tension critique – crise – catastrophe ».

La « tension critique » est un état auquel accède un établissement placé dans une situation au cours de laquelle des écarts et incidents s’intensifient. Cette situation de « tension critique » peut entrainer une déformation du « cadre » organisationnel ou fonctionnel de l’établissement et appelle une réponse spécifique pour en amender les effets. Malheureusement, trop souvent, la gouvernance de l’établissement pérennise, en raison de la pseudo-stabilité ressentie/intuitée – pourtant stochastique – de la « tension critique ». Un sentiment de « maîtrise incantatoire » s’installe, entraînant, à terme, le report des mesures préventives, correctrices ou curatives.

La « crise » au sens moderne se caractérise par un état de déformation du cadre fonctionnel de l’établissement associée à une préservation des limites intellectuelles, sociales, structurelles, territoriales, institutionnelles, administratives, …. À ce stade, une évolution de la situation par une résolution “ad integrum” c’est-à-dire à un retour à un état organisationnel et fonctionnel à l’identique à l’état antérieur est possible, contrairement à la catastrophe.

La « catastrophe » se caractérise par la rupture du cadre fonctionnel de l’établissement concerné donc par la disparition des limites intellectuelles, sociales, structurelles, territoriales, institutionnelles, administratives, … entre l’interne et l’externe. De surcroît, les ressources disponibles dudit établissement perdent brutalement leur adéquation avec ses besoins. Du fait de cette rupture du cadre, l’établissement ne peut sortir d’une situation de catastrophe que par une recomposition “de novo” de lui-même, en fonction de son milieu, de son environnement et de son contexte, on parle alors de consolidation. 

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« Gestion de crise »

Pour le « manager en santé », la « gestion de crise » se réfère au guide d’aide à la préparation et à la gestion des tensions hospitalières et des situations sanitaires exceptionnelles au sein des établissements de santé (plan Blanc des établissements sanitaires (ES) et plan Bleu des établissements médico-sociaux (ESSMS))[2]

La lecture des recommandations de l’HAS relatives à la prise en charge des situations sanitaires exceptionnelles (SSE) selon le référentiel de certification montre que ces situations sont surtout conçues en deux points de vue (Focus critère impératif 3.06-01)[3] :

  1. Contribution à la réponse d’une crise survenant à l’extérieur :

    1. Afflux de blessés somatiques et psychiques

    2. Afflux de malades notamment de personnes fragiles (personnes âgées, enfants)

    3. Prise en charge de patients atteints par un agent infectieux émergent (risque épidémique et biologique) ou par un agent NRC

  2. Défaillance interne de l’établissement :

    1. Dégradation du fonctionnement des installations hospitalières

    2. Infection associée aux soins

    3. Altération de l’offre de soins

Cependant on ne trouve pas facilement des allusions à la défaillance des fournisseurs (énergie, eau, nourriture, réseau numérique, …) ni même au fait que le personnel de l’établissement fait aussi partie de la population générale et que, de facto, le fait générateur responsable de l’afflux de victime impactera la ressource humaine soit en nombre absolu d’agent disponible pouvant faire chuter le taux d’occupation de poste en deçà de 50% de tel ou tel service et ce de manière imprévisible, ou bien altérer leur capacité opérationnelle de manière significative. 

Il manque aussi une allusion plus directe au fait que l’établissement peut être le théâtre du fait générateur comme par exemple une agression par un déséquilibré, un proche irascible ou un terroriste armé avec ou sans dégradation significative de son fonctionnement.

Peut-on « gérer une crise » ?

Compte tenu de la définition du verbe « gérer », la « gestion de crise » impliquerait la possibilité d’appliquer des procédures bien rodées, basées sur une anticipation détaillée des effets directs et indirects du « fait générateur ». Or si le « fait générateur » reste relativement facilement imaginable, ses effets directs possibles le sont beaucoup moins, dans un contexte où ses effets indirects – notamment les effets dominos – deviennent pratiquement hors de portée de l’imagination.

Prenons un exemple simple : des travaux de voirie décidés par la mairie entrainent la rupture accidentelle (le fait générateur) de l’alimentation en eau de la lingerie d’un CHU. Les effets directs comprennent la mise en chômage technique de l’ensemble du personnel de la lingerie pour une durée indéterminée sur laquelle la direction du CHU n’a aucune prise/influence. Mais, la perte brutale de l’alimentation en eau a obligé de stopper les chaines de production en l’état, entrainant une rupture immédiate de la rotation du linge plat. Les conséquences indirectes comportent a minima la nécessité de ne pouvoir travailler qu’avec le stock de linge plat en place ; d’où la réorganisation au fil de l’eau de la répartition du stock disponible, et la nécessaire évaluation du point de rupture temporel au-delà duquel le fonctionnement des services sera dramatiquement altéré en raison de l’impossibilité de maintenir une hygiène adéquate.

En fonction du temps disponible avant le franchissement du point de rupture, il convient pour la cellule de crise hospitalière :

  1. sur le plan tactique, par exemple :

    1. de désigner une équipe chargée de déterminer le point de rupture temporel,

    2. de proposer une réorganisation de la « gestion » du linge plat ;

  2. sur le plan stratégique, par exemple :

    1. de demander un rapport d’avarie à la lingerie,

    2. d’évaluer et d’amender autant que possible l’impact de la rupture conventionnelle auprès des établissements dépendants de la lingerie,

    3. de rechercher des solutions de substitution,

    4. ….

Les « managers en santé » constatent immédiatement que si ce qui relève du tactique peut parfaitement être « géré » par l’application de procédures bien rodées, ce qui relève de la stratégie ne peut être anticipé dans le détail et nécessite donc une adaptation aux contraintes du milieu, de l’environnement et du contexte propres à l’irruption du fait générateur.

Dès lors, il devient évident qu’il est illusoire de penser pouvoir « gérer » la « crise ». Gérer, c’est exercer un contrôle qui n’est plus possible pour plusieurs raisons dont certaines sont explicitées plus haut et les autres font l’objet de publications par ailleurs[4],[5],[6],[7].

Le « manager en santé » se doit donc de rechercher un verbe plus adéquat, un verbe qui exprime la capacité à diriger en fonction des circonstances, de l’environnement, du contexte, à guider dans un milieu étranger à l’expérience habituelle comme justement la crise ; non seulement à l’entrée mais aussi à la sortie de cette crise. Ce verbe est le verbe « piloter ».

« Piloter »

Le verbe Piloter offre une approche plus adaptée au « manager en santé ». Elle lui donne les moyens de prendre le temps de :

  • Comprendre le mécanisme générateur (naturel/industriel/intentionnel) ;

  • Prendre la mesure du territoire touché (géographie/ressources/juridictions) et des endommagements actuels et à venir ;

  • Distinguer les urgences « ressenties » des urgences « vraies » ;

  • Prévoir plusieurs scénarios dévolutions à court moyen et long terme sur la base du rapport d’avaries (en dehors de toute intervention) ;

  • Distinguer la possibilité d’une « guérison » (retour à l’état antérieur à l’issue de la crise) ou d’une « consolidation » (cicatrices indélébiles à l’issue de la crise) ;

  • Déterminer les objectifs du pilotage stratégique de crise, ses critères de succès quali/quanti et les marges d’erreur acceptables ;

  • Construire plusieurs scénarios d’évolutions à court moyen et long terme sur la base des objectifs et des critères de sortie de crise ;

  • Peser les choix et arbitrages irréversibles ;

  • Clarifier ce qui relève du tactique ou du stratégique.

  • Piloter au plan stratégique l’évolution à court moyen et long terme de la crise en complément de la réponse tactique au fait générateur par les opérationnels ;

  • Préserver l’organisation sociale préexistante (loi/gouvernance/stratification sociale) ;

  • Répondre aux exigences/attentes supposées des agents, des patients, des autorités, de la population, des médias) ;

En conclusion :

Au terme de cet exposé, plusieurs points s’imposent logiquement au manager en santé, le premier est la nécessité de clarifier la différence entre ce qui relève de la stratégie, et ce qui relève de la tactique dans un contexte où les guides plan blanc et plan bleu, laissent planer une certaine confusion, même si l’ébauche de la distinction y est préexistante. Le deuxième est qu’il convient de concevoir au-delà des exercices actuels, des exercices purement stratégiques avec comme préalable l’appropriation d’outils de pilotage stratégique comme par exemple ceux apportés par les Cindyniques à travers les exercices de formation iCrisis (partenariat StratAdviser Ltd et Université de Lorraine) qui font déjà partie du corpus de formation du MTC du CHU de Rouen (éligible DPC), du DIU de médecine de catastrophe, de l’université de Rennes, du DIU de gestion des risques, de l’Université Paris-Est Créteil et la certification à la gestion, de l’urgences et des situations de crise de l’université Senghor (en partenariat avec la Commission Internationale de Médecine de Catastrophe). Enfin, le guide de survie, en situation sanitaire exceptionnelle, à paraître aux éditions hospitalières apportera un complément essentiel.

Pour aller plus loin :

[1] LONGHI, Vivien. La crise, une notion politique héritée des Grecs ? Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité, 2019, no 29, p. 21-35.

[2] Guide d’aide à la préparation et à la gestion des tensions hospitalières et des situations sanitaires exceptionnelles

[3] Gestion des tensions hospitalières et des situations exceptionnelles (SSE)

[4] HANSEN, Jan-Cedric. Comment gérer le sentiment d’urgence à agir lorsque l’on est décideur?. Environnement Risques & Santé, 2022, vol. 21, no 4, p. 284-294.

[5] MERAD, Myriam, DECHY, Nicolas, DEHOUCK, Laurent, et al. Risques majeurs, incertitudes et décisions. Approche pluridisciplinaire et multisectorielle. MA Éditions, France, 2016, 421 pp. ISBN : 978-2-8224-0430-3.

[6] STANISLAS Jean-Luc, Innovations & management des structures de santé en France. LEH, France, 2021, 804 pp. ISBN : 978-2-84874-896-2.

[7] PLANCHETTE, Guy. Cindyniques, la science du danger : Un nouveau souffle. ISTE Group, France, 2022, 224pp. ISBN : 978-1-78405-878-4.

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