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En quoi (se) manager avec la ménagerie de Jean de la Fontaine est stratégique ? Laura LANGE évoque la rigueur et la fantaisie dans « La cigale et la fourmi ».

Nouvelle chronique philosophique extraite de l’ouvrage « Se manager : avec la ménagerie de La Fontaine » de Laura LANGE (PhD), conférencière, Docteure en philosophie pratique, chroniqueuse et experte APM. 

Elle interviens depuis plusieurs années dans les organisations. Une activité qui lui a valu de remporter le prix « innovation » du jeune entrepreneur de l’année 2013 à Lyon pour sa première création d’entreprise « Counseling Philosophie« .

Laura LANGE est autrice de plusieurs ouvrages, dont le dernier est publié en 2022 et intitulé « Vers une maternité sans corps », publié aux Éditions de l’Observatoire.

Rappelez-vous. La Cigale, ayant chanté, fanfaronné et profité tout l’été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue. Souvenez-vous, elle alla crier famine chez la Fourmi sa voisine, la priant non sans culot de lui prêter quelques grains pour subsister jusqu’à la saison prochaine. N’ayez crainte, je vous paierai, lui dit-elle mais la Fourmi n’est pas prêteuse, elle n’en fait qu’à sa tête, lui tient tête et refuse l’invitant plutôt à danser à nouveau.

A quoi sert donc la fantaisie de la Cigale si elle jette un froid sur sa propre survie ? A quoi sert donc la rigueur de la Fourmi si elle se glace à son tour de toute empathie ? Alors, plutôt Fourmi ou plutôt Cigale ? Dans quel monde vivez-vous et qu’en faites (fête !) vous ?

Dans cette fable, deux mondes s’affrontent. D’un côté, le monde réaliste de la fourmi, un monde où l’on travaille de manière éclairée en conscience du passage des saisons et des récoltes plus ou moins bonnes. Nous misons donc naturellement et stratégiquement sur les périodes qui se révèlent être plus favorables, bien qu’il demeure toujours des impondérables. Cette anticipation on la retrouve dans de nombreuses professions.

Observez. D’un côté, un monde réaliste celui de la Fourmi. Un monde où l’on économise pour s’épargner une période difficile. Aussi est-il souvent jugé froid, adoptant les codes de la finance, rythmé par la rationalité, le contrôle de l’existence, des pulsions et des désirs. Ce dernier répond et repose sur un mode d’être économique propre à l’anthropologie dite néolibérale (comprenons –         « un libéralisme qui se met au service du capital » pour reprendre les mots de Jean Claude Liaudet dans L’impasse narcissique du libéralisme’).             Une anthropologie économique et contemporaine qui conduit à penser chacun des acteurs de la société, donc vous et moi, comme des individus autonomes c’est-à-dire capables de « choisir leur plan de vie » selon la définition qu’en donne l’économiste John Stuart \lill. Il s’agit alors de travailler en prévision de l’avenir pour se mettre à l’abri. Seul l’esprit est ici le principe d’action. Ce que l’on est et ce que l’on fait est, pourrions-nous dire, rattaché à un esprit d’entreprise. On parle d’ailleurs de capital humain, de gestion des compétences et de ressources humaines. La Fourmi est donc à l’image de l’homme actuel à savoir de « l’homme entreprise » qu’étudie Foucault. Aussi pour ne pas connaître la crise, celle-ci s’active, se presse et se prépare.

Prenons un exemple. Le 3 septembre 201.4, le Figaro rapporte dans un article intitulé « L’État cigale et les Français fourmis » que selon une étude de la Banque de France, le taux d’épargne des Français n’a jamais été aussi élevé. 11 est écrit que ce comportement de Fourmi est dû notamment à la pression fiscale accrue qui a progressivement poussé la population à développer son épargne de précaution mais aussi en raison des craintes qui entourent le système des retraites induisant des comportements d’anticipation. Cette épargne traduit alors la crainte dans l’avenir et la méfiance envers cet État dit Cigale, cet État « taxeur » qui vient crier famine auprès de qui ? La population, pardi ! On compte donc à présent un maximum sur soi-même.

Gare, trop épargner n’est pas sans danger. Car ceux qui épargnent ne consomment pas. Le risque est à la fois économique et humain. Trop épargner peut également encourager la montée de l’individualisme. La Fourmi, par exemple, ne témoigne-t-elle pas d’un manque de solidarité voire même d’humanité ou encore d’une certaine cruauté envers la Cigale (qui dit s’engager à la rembourser) renvoyée, non sans indifférence, à son activité de chant et de danse qu’elle avait jusqu’à lors privilégiée ?

De son côté, contrairement à la Fourmi, l’existence de la Cigale est vécue sur le mode du plaisir jusqu’à faire abstraction du temps. On peut d’ailleurs se demander si le comportement de la Cigale ne vise pas à condamner l’inscription de l’existence de l’Homme dans une temporalité finie et définie. Une temporalité froide qui n’a comme saveur que la finalité de la tâche accomplie : à savoir la récolte des fruits pour un abri en hiver. Car la Cigale ne cherche pas atteindre un objectif. Elle vise moins les recettes de son art que la réalisation de ce dernier. En ce sens, son but 11’est pas la victoire (comprenons la récolte qui permettra le repos, la sérénité voire sa propre survie). La Cigale lutte en temps réel. Imaginez qu elle chante à tue-tête et danse jusqu à épuisement. Rien de la fable ne nous dit cela, certes. Rien ne nous dit non plus son contraire. Nous pourrions donc rompre ici avec l’idée coutumière d’après laquelle la Cigale s’adonnerait à la tâche avec fainéantise.

« Le langage essentiel […] du morceau de musique […] est le langage de la survie » rappelle Georges Steiner dans Réelles présences. Ainsi son art pourrait aussi s’interpréter comme un pur appel lancé à l’auditeur, trop occupé à sa tâche pour l’écouter.

Si le travail de la Fourmi paraît aliénant à la Cigale, si les hommes et les femmes en costumes peuvent paraître aliénés à ceux qui privilégient un cadre de travail plus aéré et plus souple, l’activité de la Cigale paraît à son tour aliénante pour la Fourmi car elle semble la contraindre à une certaine tragédie, précarité et. dépendance qui la conduit à devoir réclamer de l’aide, à se mettre en quête de mécènes pourrions-nous dire. Aussi, le risque est-il que personne ne s’écoute, ni ne se reconnaisse.

Soyons réalistes. Partons du monde actuel car « personne ne peut avoir une relation « libre » vis-à-vis de son contexte historique » (et donc culturel), écrit Jostein Gaarder dans son célèbre roman philosophique Le monde de Sophie.. Aussi la Cigale et. la Fourmi ne peuvent pas au même moment être exemptes de l’influence de leur milieu. De fait, la Cigale est-elle vraiment libre ? Bien que « l’art soit le lieu de la liberté parfaite » dit le poète André Suarès, la Cigale s’abstrait-elle vraiment de la réalité du monde en chantant, se laisse-t-elle vraiment surprendre par l’arrivée de l’hiver ? Imaginons que la Cigale soit autonome et pratique son art tout en se sachant contrainte de devoir par la suite demander de l’aide. La Cigale miserait alors sur la prévoyance de la Fourmi pour vivre pendant l’hiver avant de reprendre son indépendance en été. Elle chercherait ainsi à faire reconnaître son art au prix d’une indifférence qui pourrait lui coûter la vie. De son côté, la Fourmi a-t-elle vraiment le choix ? En priant la Fourmi d’effectuer un prélèvement sur son capital et de lui redistribuer, la Cigale en un sens se fait Fourmi, contrôlant son existence, dirigeant les opérations, renouant avec le modèle bien réel de l’échange économique.

A présent, au lieu d’opposer leur monde, si on faisait travailler ensemble la Cigale et la Fourmi. Imaginons un instant que la Cigale chante pour la Fourmi, accompagnant son labeur d’un chant divertissant du type de la rengaine des j nains « eh oh et oh on rentre du boulot », dynamisant ainsi son retour au bercail après la rude journée de travail. Bien sûr, il s’agit là d’une image, si ce n’est parlante, du moins chantante. Car si tout le monde ne lit pas, la majeure partie de l’humanité chante et danse » dit George Steiner dans A<? silence des livres. Honoré de Balzac dit encore que « La musique s’adresse au cœur ».

La Fourmi se ferait alors ici le mécène de la Cigale reconnaissant et finançant son art. Ne pourrait-on pas y voir une astucieuse alternative ? Car tuer la créativité de la Cigale serait un danger pour nos sociétés modernes, de plus en plus mécanisées et robotisées. De même, en rester à la bureaucratie de la Fourmi serait un danger pour notre imagination. C’est d’ailleurs un refus exprimé par les générations actuelles, X, Y et même Z qui cherchent une meilleure qualité de vie au travail, un travail plus « fun ».

« Le festif est l’héritier [du] don dans nos sociétés marchandes. Il interrompt le marché, tempère sa brutalité et y apporte sa paix » écrit Paul Ricoeur dans un texte écrit pour la réception de Kluge Prize aux Etats-Unis. Pour travailler en paix, allions donc les ressources artistiques de la Cigale déjouant par son imagination le rythme linéaire du type métro-boulot-dodo dans lequel on s’enlise trop souvent, pour rendre le rapport au temps plus souple, et inviter à lui faire à confiance, aux ressources organisationnelles de la Fourmi, permettant d’apporter à la fois du cadre et de la reconnaissance au projet artistique de la Cigale.

Aussi chers lecteurs, retenez que pour travailler en paix, nous gagnerions à faire œuvre de plus de fantaisie en entreprise et d’entreprise en fantaisie.

ManagerSante.com

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