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A la rencontre du 3ème type : pourquoi le leadership charismatique devient-t-il archaïque ? Olivier ZARA nous répond (Partie 2/2).

Nouvel article proposé  par Olivier ZARA, consultant en management et pionnier du management de l’intelligence collective.

Olivier ZARA intervient régulièrement pour plusieurs écoles : HEC Paris Executive Education, Pôle Universitaire Léonard De Vinci, ESCP Europe, Centre de formation au management du ministère des armées dans le cadre d’Executive MBA, ateliers ou formations Intra sur les thèmes de l’excellence décisionnelle (intelligence collective) et du management hybride.

Les éléments de cet article sont extraits de ses livres intitulés  L’excellence décisionnelle  & La stratégie du Thé.

Relire la 1ère partie de cet article.

Le leadership charismatique existe depuis les origines de l’humanité. Malgré de nombreuses fouilles dans plusieurs pays, les archéologues n’ont toujours pas trouvé le catalogue de formations pour cette pratique. Ils sembleraient donc que nous pratiquions naturellement ce style de leadership. Comme je l’explique dans mon livre La stratégie du Thé, dans sa version humaniste type leadership situationnel, le leadership charismatique est utile pour l’exécution des décisions, pour l’excellence opérationnelle ou pour atteindre certains objectifs. Il permet de garantir un minimum de productivité, mais quand il prend trop de place, il tue lentement l’organisation. Il réduit l’engagement puis affecte la rétention des talents parce qu’il crée les conditions d’un environnement de travail toxique. La stratégie du Thé est donc une approche fondée sur le leadership paradoxal : un leader qui sait appréhender et gérer les paradoxes afin d’articuler leadership charismatique et leadership partagé et faire coexister Command and Control et management de l’intelligence collective.

Dans le livre Le Mirage du leadership à l’épreuve des neurosciencesJames Teboul (professeur à l’INSEAD) et Philippe Damier (professeur de neurologie) ont identifié 7 biais cognitifs qui expliquent l’échec de tous les modèles de leadership conçus pour accompagner les organisations dans un monde de plus en plus VICA. Les auteurs expliquent que le leadership « moderne » qui prône la collaboration, la coopération, l’innovation, la qualité relationnelle ou l’organisation apprenante se fait systématiquement « rogner les ailes » en raison du fonctionnement de notre cerveau. Nos penchants naturels nous feraient invariablement revenir vers des modes de leadership bureaucratique, taylorien fondé sur un modèle productiviste. Bien sûr, certaines tentatives peuvent réussir dans un premier temps, mais plus tard, on constate une érosion progressive du leadership partagé / altruiste en particulier dans les grandes organisations où la verticalité du pouvoir est très forte.

Voici les 7 biais cognitifs présentés dans leur livre et qui fondent d’après les auteurs un « leadership par défaut » (le style vers lequel nous serions « aspirés » tôt ou tard peu importe les progrès réalisés) :

  1. Biais de peur et d’insécurité psychologique (aversion pour le risque, besoin compulsif de prendre des décisions où il n’y a aucun risque perçu quitte à ne pas décider ou à décider trop tard) ;
  2. Biais de gratification immédiate et de dévalorisation temporelle (accorder peu d’attention aux objectifs à long terme pour se centrer principalement sur des bénéfices à court terme) ;
  3. Biais d’égocentrisme et de surestimation de soi (dopamine, testostérone, narcissisme au cœur du leadership d’où la difficulté à mettre en œuvre la « diversité et l’inclusion ») ;
  4. Biais hiérarchique de domination et de contrôle (obsession du statut social qui favorise tous les comportements permettant de monter dans la hiérarchie quoi qu’il en coûte);
  5. Biais d’inertie et du moindre effort (se conformer aveuglément à la règle, paresse intellectuelle, ne pas se poser trop de questions, être suiveurs plutôt que leaders – travailler sous le règne du non-leadership, de la non-décision ou de la décision tardive, décider le plus tard possible) ;
  6. Biais de confirmation et de focalisation attentionnelle (voir ce qu’on croit au lieu de croire ce qu’on voit : choisir les faits qui confirment ce que je pensais ou qui sont compatibles avec mon intérêt) ;
  7. Biais de similarité et de conformisme social (recherche d’acceptation sociale, pensée de groupe plutôt que la pensée divergente qui permet l’innovation et l’intelligence collective).

Bien sûr, il ne faut pas généraliser. Certaines sociétés font exception. Elles sont souvent de petites tailles ou dans des secteurs d’activités fortement concurrentiels ou émergents. Mais, pour les auteurs du livre, dans la grande majorité des organisations, ces biais cognitifs ruinent constamment les tentatives de mettre en œuvre un travail collaboratif, harmonieux et novateur.

Ainsi, du fait de ces 7 biais cognitifs, le leadership charismatique peut devenir un leadership archaïque ou régressif dans le sens où il finit tôt ou tard par exclure les autres façons d’exercer son leadership et qu’il fait partie de notre fonctionnement biologique d’un point de vue neuroscientifique. Avec le leadership archaïque, il n’y a plus de place pour le leadership positif, authentique, conscient, relationnel, entrepreneurial, humaniste, situationnel, paradoxal, transformationnel ou encore pour le Servant leadership. Sous la pression des biais cognitifs, le leadership charismatique risque donc de devenir archaïque :

Les conditions d’un leadership altruiste « durable »

Cette régression permanente du leadership altruiste (innovation, intelligence collective, engagement, conscience de soi et de son environnement) vers le leadership archaïque (productivité, verticalité, bureaucratie, inertie, conformisme) est décrite dans un fameux proverbe : chassez le naturel, il revient au galop ! Nous n’avons jamais appris le leadership charismatique parce qu’il est en grande partie inscrit dans notre ADN. Il est naturel sauf pour ceux qui veulent travailler seul ou préfèrent être des suiveurs. En revanche, le leadership altruiste nécessite de faire des efforts en termes de savoir-être et de savoir-faire. Dès qu’on arrête nos efforts, on régresse et on revient au point de départ : le naturel.

Comme nous n’avons aucune conscience de nos biais cognitifs (188 biais au total), il est important de mettre en place une démarche structurée. On ne peut pas simplement faire du management incantatoire : écoutez, collaborez, coopérez, partagez, innovez… Nous devons nous appuyer sur des savoir-faire qui vont ensuite garantir les savoir-être indispensables au leadership altruiste. Contrairement à ce qu’affirment de nombreux auteurs, les savoir-être ne sont pas un pré-requis, mais une conséquence des savoir-faire comme je l’explique dans ce billet.

Puisqu’il faut aller contre notre nature (nos biais cognitifs), nous devons avancer lentement au début pour infuser de nouvelles pratiques et de nouveaux savoir-faire (stratégie du Thé). Mais si nous souhaitons éviter la régression, il est important de les ancrer. Les financiers parleraient d’un effet cliquet. Pour y parvenir, nous pourrions prendre le même chemin que celui qui a servi à améliorer la qualité dans les organisations. En effet, il semble que pour obtenir de la qualité nous faisions aussi naturellement l’inverse de ce qu’il faudrait faire ! Depuis la mise en place des normes ISO, la qualité s’est améliorée durablement. Sous la contrainte de normes et de contrôle, les organisations ont progressé. Dans un article récent, j’ai proposé une approche très simple pour réinventer l’évaluation de la performance dans les situations complexes. Il s’agit d’évaluer prioritairement le COMMENT : Comment développer votre performance décisionnelle immédiatement ?

Toutes les techniques de management ont été inventées parce que nous ne faisons pas naturellement ce qui est efficace pour manager une équipe ou animer une réunion. Si nous n’étions pas naturellement orientés vers le gaspillage, nous n’aurions pas besoin du Lean Management et le gouvernement ne nous parlerait pas de sobriété face au gaspillage alimentaire, aux passoires thermiques, aux pénuries d’eau, etc.

« Le Lean Management enseigne l’excellence opérationnelle en quatre étapes : identifier les gaspillages, comprendre les causes, y remédier, et trouver le moyen que cela ne se reproduise plus. C’est cette étape de non-régression qui est souvent la plus exigeante, pour le changement d’habitude et la discipline qu’elle représente. C’est la condition sine qua non du progrès continu, pour ancrer les améliorations. Comme le dit la maxime : « quand on n’avance plus, on recule ! » Paul-Louis Moreau, Data Strategy & Management chez BNP Paribas.

 

Pour instaurer un leadership altruiste durable, nous avons donc besoin d’une nouvelle façon d’évaluer la performance par une approche sur le COMMENT et, pour cela, nous devons nous appuyer sur un référentiel (savoir-être, savoir-faire), sur un label ou une norme de type ISO sur le thème de la qualité décisionnelle en situation complexe. J’ai posé les bases de ce référentiel à la fin de mon livre L’excellence décisionnelle en présentant 20 principes dans le manifeste de l’excellence décisionnelle.

Si vous pensez que des centaines d’heures de formation, de consulting ou de coaching à un instant T vont éviter la régression vers un leadership archaïque dans la durée, nous ne partageons pas la même vision des enjeux du leadership altruiste. Bien sûr, il faut former, coacher, mais en s’appuyant sur un référentiel et avec une évaluation précise tout comme dans la plupart des domaines de l’excellence opérationnelle et de la productivité.

En général, la vitesse de la régression est proportionnelle à la force de la tempête : ruptures technologiques ou réglementaires, pandémie, bouleversements économiques, sociaux ou géopolitiques (inflation, guerres). Quand tout va mal, le naturel revient encore plus vite au galop ! Certes, vous êtes un leader altruiste aujourd’hui, mais pour combien de temps ?

Face à la pression constante exercée par les biais cognitifs pour nous pousser vers le leadership archaïque, nous devrions exercer une pression constante en sens inverse vers le leadership altruiste avec des savoir-faire, des savoir-être et surtout une évaluation constante des parties prenantes. Cette pression en sens inverse ne vise pas à éliminer le leadership charismatique, mais à retrouver un certain équilibre pour éviter qu’il devienne archaïque.

En créant un point d’équilibre, on obtiendra le leadership paradoxal : le leadership charismatique pourra co-exister avec le leadership partagé / altruiste.

Si vous ne voulez pas que le leadership charismatique devienne archaïque / régressif, quelles seront vos prochaines actions pour faire pencher la balance vers le leadership altruiste ? Si toute votre énergie est tournée vers l’excellence opérationnelle, la cause est perdue ! Vous ne pourrez pas goûter aux délices d’un leadership altruiste.

Malheureusement, certains leaders ne sont jamais passés par la case leadership charismatique. Ils se sont dirigés directement sur la case leadership archaïque. Ils n’ont pas connu de régression puisqu’il n’y a pas eu de progression. Quand une organisation récompense les experts en les nommant managers sans s’assurer qu’ils ont un minimum d’appétence pour l’humain, il est possible que la notion de charisme ne les attire pas non plus. Ils verront les 7 biais cognitifs que nous venons de décrire comme un lit douillet dont il n’est pas question de sortir : « Un grand merci pour l’augmentation de l’estime de soi et de mon salaire, mais il faudra trouver quelqu’un d’autre pour le leadership qu’il soit charismatique ou partagé ».

En conclusion :

Pour aller plus loin, je vous invite à découvrir un de mes livres qui aborde le sujet de la régression sous l’angle du management : Le manager contre-naturel – Le livre Le Mirage du leadership à l’épreuve des neurosciences m’a permis de prendre conscience que ce risque de régression concerne aussi le leadership et pas seulement le management.

En savoir plus :

Rappel, pour ceux qui veulent approfondir la différence entre simple, compliqué et complexe, je vous invite à lire cet article : La pyramide des 4 décideurs.

Merci à Claude Emond, Expert, agilité et performance organisationnelle de m’avoir mis sur la piste des 7 biais cognitifs dans le leadership !

Merci aux relecteurs de cet article (par ordre alphabétique) : Karina Boies, Adm.A.,SHRM-CPArnaud BrouxelThierry Denys, Claude Emond, Florent LafargeSylvie KrstulovicBénédicte Magnin-FeysotPaul-Louis MoreauGuillaume PETERThierry Roussin & Marc Weltmann.

Les éléments de cet article sont extraits des livres L’excellence décisionnelle& La stratégie du Thé.

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