Nouvel article rédigé par notre experte, Eugénie THEVENON, Infirmière en santé mentale, coach professionnelle certifiée, formée à l’école de coaching Linkup Coaching (Accrédité EMCC Praticien Senior, European Quality Award – EQA) et spécialisée en thérapie brèves, elle est accompagnatrice au changement.
N°17, Juin 2020
Exercer le métier de soignant… Un engagement à l’épreuve des souffrances…
Un(e) soignant(e) est couramment par définition une personne dévouée et impliquée qui exerce ce métier par choix. Cette profession revêt souvent un sens profond. Il y a presque toujours en souterrain une bonne raison de vouloir soigner les gens. Consciemment ou inconsciemment, cette orientation n’est jamais le fruit du hasard. Elle se relie généralement à une expérience de vie passée. Et ce métier, pour une majorité d’entre-nous, nous l’aimons…
Et en tant que soignant en vrai, vous n’êtes pas toujours bien traité. De nombreuses contraintes issues du terrain, de l’organisation et du fonctionnement de l’institution, se sur-ajoutent à ce métier pas tout à fait ordinaire.
Accompagner par le soin la naissance, la santé, la maladie, la souffrance et la mort, ce n’est pas une mince affaire. C »est parfois magique, parfois tragique. Quoiqu’il en soit émotionnellement c’est souvent impactant.
Les soignants participent au maintien de la santé.
Ils assistent à son rétablissement, et aussi à sa perte partielle ou totale. Ils sont parfois les témoins impuissants de fins de vie soudaines et brutales, à d’autres moments de fins de vie longues et douloureuses.
Ils accompagnent aussi les états d’âmes des patients, ceux de leur famille. Ils trouvent les mots, temporisent, organisent planifient, pensent l’après, éduquent, transmettent avec efficacité et dextérité. C’est un peu tout cela qui caractérise le métier de soigner l’être humain dans toute sa complexité.
A cela s’ajoute les contraintes du système dans lequel évoluent les acteurs et usagers de soins. L’institution est truffée d’injonctions paradoxales : « faites toujours plus avec toujours moins ».
Plus de soins, une charge de travail plus lourde, une pression accrue et une réduction de l’effectif faute de budget. Les manques de personnels et de moyens sont très pesants et contraignants. Les arrêts sont fréquents. Et les cadres vous rappellent sur vos jours de repos.
Vos idéaux de soins sont très régulièrement mis à mal par la réalité du terrain. Alors vos valises intérieures se remplissent au fil du temps d’émotions non exprimées, des frustrations, de tristesse, de peurs, qu’on garde pour soi et qui pèsent sur le moral en s’accumulant.
Il y a 25 ans, vos émotions vous les gardiez pour vous, car la « sensiblerie » dans la santé n’était pas très bien vue. Encore aujourd’hui, c’est une question délicate abordée à demi mot que l’on dénoue parfois lors des groupes de retours d’expériences (REX) lorsqu’il y a un « événement indésirable grave » (EIG). Les personnes, au début pudiques, à tâtons, mettent timidement des mots. Lorsqu’on leur montre le chemin, qu’on ouvre un espace de confiance, les langues se délient petit à petit pour un apaisement progressif et très approximatif de l’esprit.
Ma maman, elle même infirmière était, je dois dire, du temps de mon enfance assez discrète à propos du déroulé de ses journées, sur sa manière, bien à elle, de contribuer. C’est en faisant la rencontre moi même du métier de soignante, que j’ai découvert une de ses facettes que je n’avais jamais réellement appréhendée. Comme la majorité des personnels de santé, elle donne en secret, silencieusement et humblement en étant là simplement pour soigner les gens.
– Les heures à stresser, à soigner, la pression de bien faire en sécurité, l’ingratitude, le manque de considération de l’institution et de l’État pour les personnes qui servent la vie : ça, ça ne se raconte pas.
– L’impact sur l’estime de soi, sur les valeurs, sur le sens que l’on donne, sur le moral : ça, ça ne se raconte pas.
– Les plaies psychiques qui restent à l’intérieur : ça ne se dit pas.
Les cordonniers de la santé ne sont ni les mieux chaussés ni les mieux traités. Le métier qu’ils exercent révèle une vraie noblesse de cœur. Et pourtant dans notre société il n’est pas reconnu à sa juste valeur.
Les professionnels façonnent avec toutes leurs couleurs le milieu de la santé. Il est teinté de leurs valeurs souvent du cœur, de leurs manière de vivre leur profession, de leur manière de la transmettre, de leurs gestes techniques, de leurs sens relationnels, de leurs petits trucs bien à eux, et essentiellement de leur humanité et leur implication.
Les maux du métier de soignant
Beaucoup de soignants s’investissent silencieusement corps et âme à la tâche. Ils sont forcés d’oublier régulièrement la pause déjeuner, du fait de la cadence infernale des soins à réaliser. Ils sont mobilisés par leur « Conscience » de boucler tout et bien. D’autres sont stressés à cause du cahier des charges qui est saturé. Ils perdent parfois leurs moyens avec les collègues, les étudiants et même les patients.
Il est inutile de juger, c’est simplement humain. Il suffit d’expérimenter le terrain pour ressentir l’effervescence de cette cadence.
Il y en a qui râlent, d’autres qui se plaignent, et encore d’autres qui se sont résignés. Certains pleurent aussi, d’autres rient. Il y a ceux qui partent épuisés au bout de quelques années. Il y en a aussi qui se suicident. Trop de douleur au cœur, une perte de sens profonde, incapable de mettre en mot, ils choisissent un salut violent pour apaiser et mettre fin à la douleur qui a fini par ronger leur âme.
Des soignants aussi craquent plus doucement. Un arrêt de travail de plusieurs mois. Parfois c’est le corps qui crie et casse. Le dos bloque, fatigué de porter. Parfois c’est l’esprit qui hurle. Une dépression émerge en témoignage des multiples coups à l’âme non digérés. Quelquefois, le corps et l’esprit se mettent au diapason et le burn out franc se manifeste. Et il y a aussi eux qui survivent à ce rythme effréné, les « survivors ».
Il y a des soignants sympas et d’autres moins. Il y a en a qui sont devenus aigris. On reste dans un milieu humain avec ses multiples facettes, failles, caractères et travers.
Un service de soins traditionnels, c’est souvent deux infirmières pour 25 à 30 patients. Le luxe est d’avoir une 3ème collègue de journée qui vous donne un coup de pouce pour les soins. Quand il y a des étudiants, c’est aussi du plus.
En maison de retraite, (pas dans toutes) surtout celle qui ont peu de moyens, c’est encore pire : 1 infirmière pour 70 résidents. J’y ai travaillé pendant un temps. On voulait m’embaucher et j’ai dit non. J’adore les personnes âgées mais dans de telles conditions c’était simplement impensable et pour moi insupportable. On court du matin au soir au détriment de notre propre santé.
Les personnes âgées, nos anciens on en prend pas bien soin. Ces personnes qui arrivent dans leur dernière partie de vie pleines de richesses, d’expériences et de sagesse sont parfois laissées dans leur propre solitude par manque de disponibilité et de temps des soignants.
Un jour ce sera mon tour et le vôtre d’être des « personnes âgées ». Quand arrivera mon heure d’être déclarée « âgée » j’ai envie de me sentir considérée comme une personne et d’être bien traitée. J’aspire à ce que mes besoins de relationnels émotionnels affectifs et de stimulation soient nourris. Et vous de quoi avez vous envie pour vos vieux jours ?
Dans certaines résidences, une aide soignante a 10 minutes de temps à accorder a une personne pour ses soins de nursing car il lui reste encore 12 toilettes à réaliser ensuite.
Les personnes âgées sont nombreuses en résidence. Le personnel souvent en sous effectif essaie pourtant de faire de son mieux. En tant que soignant, le fait de manquer de temps pour les soins, les activités sociales, les stimulations cognitives, c’est frustrant et usant.
Dans d’autres services lourds c’est aussi la course. La course aux soins, les pépins, les imprévus qui surgissent dans des circonstances inattendues. Vos valeurs et votre envie de bien faire sont très régulièrement bousculées. Et il y a la pression du « PAS LE DROIT A L’ERREUR T AS LA VIE DE PERSONNES ENTRE LES MAINS ». Ça fait beaucoup de pression, d’émotions désagréables, de frustrations et de souffrance à gérer.
Dans une main vous avez le téléphone, et puis dans l’autre votre chariot pour les soins et en plus il y a la visite. Le médecin arrive. Vous regardez votre montre. Gloups : il est 9h30 reste 2h30 avant le repas pour tout boucler. Ensuite vous devez faire vos transmissions écrites puis en équipe. En parallèle vous recevez les résultats d’un bilan sanguin perturbé…C’est urgent, il faut appeler le docteur… Puis vous devez contacter une famille car son proche est au plus mal…Et le téléphone qui continue à sonner !
Parfois, la sonnette d’alarme psychique du soignant s’active, c’est trop trop trop ! Il y a la fatigue accumulée, la charge de travail dans le service. Les patients qui vont mal. Votre vie d’à coté un peu chamboulée (et oui les soignants ont plusieurs vies). Et patatras ! Il y a des erreurs. Quelques fois bénignes, parfois, plus graves. Vous tentez de rattraper. Vous appelez le médecin, faites le nécessaire. Votre conscience hurle, et vous montre du doigt ! Vous réfléchissez en boucle a ce qui a fait que ça a « cafouillé« . La culpabilité vous dévore l’âme. Comment vous avez pu ? Est ce que ça va aller ? Vous vous remettez en question, vous perdez confiance. Vous n’êtes pas tout le temps soutenu. On vous montre parfois du doigts.
Tout le monde connaît les conditions sur le terrain et chacun doit tenir son rôle. Les cadres (pas tous) devenus gestionnaires sont soumis à des logiques de performances chiffrées, de planning lissés, d’organisations rationnelles, pour que tout soit fait ( ils sont obligés, reconnaissent-ils souvent). Certains gardent leur âme de soignant et sont considérés comme des managers appréciés pour leur leadership bienveillant. D’autres perdent de leur humanité, et ajoutent une pression supplémentaire. On retrouve aussi parfois les travers de l’humain qui utilisent leur pouvoir de décision en plus des autres prérogatives pour se sentir exister.
Toutes ces réalités professionnelles montrent que le milieu de la santé est une grande source de stress au quotidien. Cette situation est d’autant plus forte depuis que l’hôpital est organisé comme une entreprise avec des impératifs de rentabilité.
La situation actuelle est devenue encore plus préoccupante dans les services de soins à l’hôpital
Je vous laisse imaginer maintenant ce que cette pandémie du Covid19 génère comme facteurs de stress supplémentaires pour l’ensemble de la profession soignante.
- Pas de moyen.
- Du personnel en effectif réduit.
- Des arrêts de travail réguliers et des rappels pour remplacer.
- Des soignants qui font face, avec un épuisement était déjà présent.
- Peu de considération de l’état en amont et au départ de la pandémie.
- Un manque de matériel.
- Une charge de travail plus importante avec toutes les mesures supplémentaires de protection à mettre en place tels que les isolements septiques et autres mesures de prévention.
- La peur au ventre d’être contaminé et de contaminer les personnes qu’on aime.
- Les hospitaliers et urgentistes sont les premiers confrontés et ce, de plein fouet
- La peur que la réa soit saturée. Les choix cornéliens pour les priorisations de soins qui en découlent si cette situation venait à être. Véritable conflits de valeurs.
- Du stress du stress et encore du stress…
- Une sur-adaptation demandée.
- J’en ai certainement oublié…
La souffrance émotionnelle répétée, les pressions accrues sur un terrain hospitalier déjà fragilisé en amont, ainsi que les personnels fatigués, affaiblissent les défenses psychologiques saines des professionnels. Cela est propice à créer plus facilement des lésions dans la psyché.
Les mesures drastiques de confinement qui ont été prises par le gouvernement pour contenir au maximum l’épidémie ont joué en défaveur de l’équilibre des soignants. Les liens sociaux, les balades dans la nature, le sport, les activités récréatives sont des nourritures psychologiques qui rassasient les besoins et concourent au bien être de tout à chacun . Pour les soignants ces activités participent grandement à leur équilibre. Elles sont aussi souvent des soupapes et des moyens de libération émotionnelle des situations chargées vécues la journée. C’est donc la double peine.
De le service ou j’exerce mon métier d’infirmière, je m’estime être privilégiée. J’occupe un poste à 80 % dans un centre de réinsertion en santé mentale. Le cadre de travail, même si des mesures exceptionnelles ont été mises en place, reste beaucoup moins pesant qu’à l’hôpital général. L’organisation dans le service a été complètement revisitée pour protéger de manière optimale les patients. Nous avons mis en place une éducation autours des gestes barrières et nous avons partagé et fait appliquer les règles sanitaires pour la sécurité des patients et des professionnels.
Ce qui est observable dans ce type de situation exceptionnelle, ce sont toutes les formes d’entraides qui renforcent les liens dans les équipes et font émerger un sentiment profond d’appartenance.
De même, la population s’est mobilisée pour apporter sa contribution pour les soignants. Les attentions des uns et des autres ont fleuri et se sont multipliées, source forte d’encouragement et de réconfort dans le cœur des soignants.
De nombreux anonymes viennent, à leur manière, remplir un peu le réservoir vide de reconnaissance, de la contribution longtemps oubliée des professionnels de santé. J’ai été moi même très touchée par cette initiative solidaire des applaudissements quotidiens de 20 heures, témoignage de la reconnaissance de l’engagement de tous les soignants. Et ça fait du bien.
Le positif se trouve ici.
Un constat à grande échelle des conditions de travail déplorables ainsi que les conséquences qui en découlent est nécessaire. Tirer les leçons des erreurs passées pour progresser pourrait engager des remaniement constructifs du fonctionnement des institutions et des moyens alloués si les politiques se décident à revoir les vraies priorités. Il est urgent de remettre l’humain au centre, ainsi que de la qualité dans les conditions de travail des soignants. Cela doit prendre une place centrale au cœur des politiques d’établissements pour respecter les soignants et dans cette continuité assurer une meilleure qualité de soins.
Le plan annoncé le 25 Mai 2020 par le Premier Ministre sur le « Ségur de la Santé », doit apporter de vrais mesures pour répondre aux nombreuses attentes des soignants.
De l’espoir…..et aussi la détresse des soignants après le Covid19
A distance de cette crise, plus à froid, quand l’effet d’urgence qui maintient les soignants en état d’alerte va s’apaiser, nous devrons nous attendre à un effondrement psychique plus ou moins important d’un certain nombre d’entre nous.
Dépression réactionnelle, burn-out, crise d’angoisse, état de stress post traumatique sont à prévoir. Cette période va laisser des traces dans la psyché des soignants. Il reviendra aux institutions et à l’état de permettre un accompagnement psychologique pour cicatriser les plaies.
A vous soignants, je vous invite à oser demander de l’aide si vous ressentez un état de mal être persistant. C’est important aussi de pouvoir vous préserver et prendre soin de vous. Des professionnels se mobilisent pour vous aider à décompresser. Des permanences téléphoniques vous sont dédiées. Des séances d’hypnose sont offertes par bon nombre d’écoles sérieuses. Pour être moi même formée et avoir expérimenté, c’est une précieuse soupape à entrevoir pour retrouver un espace intérieur de sérénité.
Je vous souhaite bon courage à tous, et surtout prenez soin de vous…
Pour aller plus loin :
Biographie d’Eugénie THEVENON,
Eugénie THEVENON , Infirmière en Santé Mentale depuis 2010, exerce dans différents services, notamment en centre de réinsertion psychosociale en santé mentale, en service d’admissions psychiatriques ainsi qu’aux urgences.
Elle intègre l’école de coaching Linkup Coaching (Accrédité EMCC Praticien Senior, European Quality Award – EQA) et obtient un Master 2 en se spécialisant en communication interpersonnelle à l’assertivité.
Elle poursuit ensuite sa route avec la PNL (programmation neuro linguistique) et obtient le titre de maître praticien (certifiée NLPNL et INLPTA).
Sur son chemin, Eugénie rencontre l’hypnose et se forme à l’Arche, école réputée de Kévin Finel. Elle complète sa caisse à outils avec de précieuses clefs, l’hypnose et aussi le RITMO (déclinaison de l’EMDR) de Lili Ruggieri.
Elle a également ouvert son cabinet Ter’Happy, qui a pour objectif d’aider les personnes à créer par eux même, grâce à leur ressources intérieures, le changement et l’apaisement auxquels ils aspirent.
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.
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