Une question, une idée, un projet

Suivez notre newsletter
hebdomadaire

479
Image de MANAGERSANTE.COM

MANAGERSANTE.COM

Pourquoi la santé des soignants est-elle encore sous-estimée ? Alexis BATAILLE-HEMBERT nous éclaire.

Nouvel article rédigée pour ManagerSante.com par notre expert Alexis BATAILLE-HEMBERT , Conseiller paramédical à la Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH) et au Bureau de l’Intelligence Collective (BIC).

Il est également infirmier, auteur et  co-rédacteur du rapport sur la « santé des professionnels de santé » remis en Octobre 2023 à Madame Agnès Firmin le Bodo, Ministre déléguée à l’organisation territoriale et aux professions de santé.

Août 2024

La santé des soignants est désormais inscrite dans l’actualité, c’est un fait. La dernière crise pandémique a agi comme un puissant révélateur de la situation dans laquelle se trouvent celles et ceux qui prennent soin de nous, tant sur un plan physique que psychique. En France, comme ailleurs, les parties prenantes publiques et privées s’organisent désormais pour améliorer et préserver la santé des soignants. En effet, forte d’enjeux d’attractivité, de fidélisation, mais également de santé publique, celle-ci revêt un caractère fondamental dans un modèle de résilience nationale où la pérennité du système de santé demeure non accessoire. Pour autant, à l’échelle du monde et de son histoire, cette importance donnée à la santé des professionnels de santé date-t-elle de 2020 ? Fallait-il seulement un virus, tout aussi décimant soit-il, pour installer dans la pensée soignante la nécessité de prendre soin pour mieux prendre soin des autres ? Ouvrons le livre de l’histoire* pour en savoir plus !

480

Des incantations mystiques au premier lavage des mains.

Une des premières considérations de la santé des soignants remonte à l’Égypte antique, berceau de nombreuses avancées médicales. Dans le papyrus dit « Ebers » (datant de 1550 avant J.-C.), en plus d’une pharmacopée et d’une approche sémiologique d’époque, l’un des plus anciens documents médicaux connus préconise l’usage de formules magiques et différentes incantations destinées à protéger celui qui pratique cette médecine. De toute évidence, avec peu d’effets concrets visibles, cette volonté de protection divine contre des forces du mal est d’abord destinée à renforcer le statut et le rôle de ces néo-praticiens qui étaient essentiellement des prêtres de Pharaon.

Plus tard, dans le Corpus Hippocratique (Corpus Hippocraticum, dont le serment éponyme en est la partie la plus connue), on souligne que le « père de la médecine » écrivait déjà en son temps sur la place de l’hygiène et l’intérêt de la prévention pour le médecin lui-même eu égard à la préciosité de ce qui fait nouvellement figure d’art, au sens artisanal du terme. L’illustre recueil contient notamment des conseils appliquant le premier des principes hippocratiques implicitement liés à la santé des soignants : d’abord, ne pas nuire.

Il faut ensuite revêtir son heaume et entrer dans le Moyen Âge pour voir apparaître de nouvelles normes destinées à cet usage dans une ère dominée par la vie religieuse. Les conventuels – essentiellement des femmes – réalisaient les soins au sein de leurs communautés ou dans des hôpitaux contigus. Auquel cas, en plus d’une lutte drastique contre les infections marquée par l’apparition de procédures, ce sont les règlements monastiques qui s’appliquent à eux, incluant des prescriptions hygiéniques et alimentaires ainsi que l’obligation de soutien mutuel entre pairs.

Au milieu du XIVe siècle, la peste noire qui décimera un tiers de l’Europe fait apparaître ce qui semble être l’ébauche à gros traits de l’équipe opérationnelle d’hygiène : les médecins de peste. Bien qu’ils soient habillés pour se protéger, c’est plus tard qu’apparaîtra le premier équipement de protection individuelle : le masque à bec rempli de 55 herbes aromatiques associé à une tenue complète recouverte de cire. Pensée par le premier médecin de Louis XIII, Charles Delorme, cet habit inspiré de l’armure du soldat est souvent fourni (ou devrions-nous plutôt dire « bricolé ») par le collectif. C’est pour ainsi dire la première réponse institutionnelle de protection des soignants. La société moyenâgeuse considérant à juste titre ce principe : un professionnel qui va bien, c’est un professionnel qui soigne bien. On n’a rien inventé !

Dans la continuité de l’intérêt prononcé pour la médecine et les sciences, la Renaissance sera une période où s’affirmera la volonté de prendre soin des soignants. Par exemple, tandis qu’Ambroise Paré, « père de la chirurgie française », améliore de façon notable l’acte chirurgical pour le patient, donc la sécurité et l’hygiène pour les barbiers-chirurgiens d’alors, Paracelse prône une médecine holistique où la santé du professionnel, en particulier environnementale, est mise en exergue, toujours selon le continuum précédent.

Plus tard, l’époque moderne verra quant à elle les débuts de l’administration de la médecine, l’institutionnalisation de la santé publique ainsi qu’une attention croissante aux conditions de travail des soignants, comme en témoigne l’inclusion de cette question dans le célèbre traité de santé publique du médecin hygiéniste bavarois Johann Peter Frank publié entre 1779 et 1829.

En plus de réformes nombreuses des systèmes de santé au XIXe siècle, plusieurs figures écrivent les bases contemporaines de l’histoire de la santé des soignants. Si en Crimée, sur les champs de bataille, Florence Nightingale insiste sur la capacité à prendre soin de soi grâce à la formation et la professionnalisation des infirmières. Sur le territoire, Louis Pasteur propose les bases de l’hygiène de base applicable au quotidien alors que Jenner découvre la vaccination et qu’Ignace Semmelweis en Hongrie démontre l’importance du lavage des mains (thèse d’abord rejetée par ses pairs !).

De manière anecdotique mais utile à notre réflexion, de façon analogue aux Visitandines au XVIIIème Siècle, nous noterons que certaines communautés religieuses hospitalières en France revendiquent des repos personnels et des espaces réservés (comme l’on peut le constater sur les plans de la Pitié ou de la correspondance administrative APHP) hors des salles communes fréquentées par les patients.

L’accélération de ces dernières évolutions s’offrent à la faveur d’une double opportunité : reconnaissance du rôle cardinal des soignants, obligeant la société à prendre soin d’eux dans une démarche de justice sociale, et preuve formelle de la relation entre la qualité/sécurité des soins et la santé du professionnel. Les deux conflits mondiaux du siècle suivants ne feront que confirmer cela par ailleurs.

481

La loi de 1946 : et la médecine de santé au travail fut !    

S’appuyant sur les prémices de Louis René Villermé, est créée le 11 octobre 1946 la médecine de santé au travail pour l’essentiel des travailleurs, une avancée majeure en France. À la suite, la mise en œuvre effective des services de médecine de santé au travail, l’introduction de l’obligation du suivi périodique, les premières campagnes vaccinales (l’obligation vaccinale des professionnels de santé n’arrivera qu’en 1991) ou l’application de procédures de sécurité seront autant de jalons utiles à l’amélioration de la santé des soignants, même si beaucoup d’entre eux y échappent encore car religieux malgré la laïcisation prégnante des établissements.

L’année 1979 marquera le tournant de la spécialité avec la loi sur la prévention des risques professionnels qui confère un mandat aux médecins de santé au travail afin d’évaluer les conditions de travail et les risques professionnels.

A priori, cet ensemble d’actions devait réduire l’apparition des maladies professionnelles et assurer la sécurité au travail avec pour objectifs prioritaires de répondre à l’enjeu de performance des entreprises dans une société toujours plus industrialisée et sortant à peine des « Trente Glorieuses ».

Pour autant, plusieurs éléments contextuels vont venir accentuer l’attention donnée à la santé des soignants. À partir du début des années 80, le SIDA qui traverse le monde vient mettre en lumière le risque physique d’infection et de contamination des professionnels de santé, et pas seulement au VIH.

Des études commencent à documenter de manière systématique divers risques. La montée en puissance des rythmes de travail et la charge qui pèse (déjà !) sur les soignants, les tâches répétitives, le stress, les horaires décalés ou la prise en compte des troubles musculosquelettiques, fait apparaître l’identification des risques psychosociaux à la fin de cette décennie.

Néanmoins, il faut aller plus loin. Les années 2000 marquent un tournant du modèle français de santé au travail pour les professionnels de santé. Alors que la communauté soignante manifeste des signes discrets mais perceptible d’altération de sa propre santé et que la gouvernance hospitalière professionnalise toujours plus ses ressources humaines, nous ouvrons la porte d’une approche globale, la qualité de vie au travail (QVT). En juin 2013, un Accord National Interprofessionnel (ANI) vient introduire officiellement cette notion au sein de la Fonction Publique Hospitalière qui sera intégrée un après par la Haute Autorité de Santé dans son référentiel de certification.

Peu après, selon cet angle, la politique s’empare réellement du sujet de la santé des soignants. Marisol Touraine, ministre de tutelle d’alors, propose en 2016 la première stratégie « Prendre soin de ceux qui nous soignent » et trois ans plus tard, l’Observatoire National pour la Qualité de Vie au Travail des Professionnels de Santé est installé par Agnès Buzyn.

Enfin, pour l’ensemble des travailleurs la Loi « pour renforcer la prévention en santé au travail » du 02 Août 2021 remplace le terme QVT par QVCT : Qualité de Vie et des Conditions de Travail.

Et maintenant ?

Même si différentes études, enquêtes de terrain et tribunes professionnelles pointaient du doigt des problématiques, la COVID-19 a définitivement replacé la santé des soignants sur l’échiquier de l’organisation du système sanitaire en France. Une nouvelle fois, c’est une crise qui a précipité une prise de conscience collective sur la nécessité de prendre soin des professionnels de santé avec des mesures d’urgences effectives à partir de la première vague ainsi que des moyens supplémentaires à court-terme. Consécutivement, fin 2023, le rapport ministériel sur la santé des professionnels de santé commandé par Agnès Firmin Le Bodo proposait une vision davantage prospective des différents enjeux. Mais, quelles actions concrètes aujourd’hui ?

Ça, c’est un autre chapitre !

Toutefois ne l’oublions pas. L’histoire nous le signifie, elle est un « perpétuel recommencement » (Thucydide). Cet auguste citation doit rester le seul éclairage à la hauteur de l’ambition sociétale qui est en face à nous. En effet, la santé des professionnels de santé nous oblige et a valeur indiscutable. Elle est le récit collectif à écrire aujourd’hui pour améliorer et préserver la santé des soignants demain.

(*) Caractère non exhaustif.

En conclusion :

L’histoire nous le signifie, c’est un « perpétuel recommencement » (Thucydide), ne l’oublions pas. Elle doit davantage nous éclairer à la hauteur de l’ambition sociétale qui est face à nous. Celle-ci nous oblige. Elle est sans aucun doute l’histoire à écrire aujourd’hui pour améliorer et préserver la santé des soignants demain, au risque sinon de revenir à la seule époque des incantations magiques pour les protéger !

Nous remercions vivement Alexis BATAILLE , infirmier, conseiller paramédical de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers et du Bureau d’Intelligence Collective  et auteur, pour avoir partager régulièrement ses réflexions, à travers ses chroniques passionnantes,  pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com.

Pour aller plus loin :

Biographie de l'auteur : 

Alexis BATAILLE  est infirmier, conseiller paramédical de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers et du Bureau d’Intelligence Collective
Il est auteur de plusieurs ouvrages, notamment en 2022 avec « Les 50 outils indispensables de l’Aide-Soignant », (Février 2022) aux Editions Vuibert et « Je reste un soldat » (Avril 2022) chez City Edition. Son prochain dernier ouvrage est paru le 20 Juin 2023 sur  la « Sémiologie pour l’infirmier » aux Éditions Vuibert.
Aide-soignant diplômé en 2013. Alexis Bataille rejoint le Service de Santé des Armées la même année et servira dans différents Hôpitaux d’Instruction des Armées jusqu’en 2019.
Durant son parcours de soignant militaire, Alexis aura en plus l’occasion d’être projeté en opération extérieure mais aussi d’être membre du Conseil de la Fonction Militaire du Service de Santé des Armées.
A la suite de son départ, tout en poursuivant une activé de réserviste militaire, il développe ses compétences et devient infirmier en 2022.
En parallèle de son activité professionnelle, Alexis Bataille est également élu municipal et réserviste du Service de Santé des Armées.
ManagerSante.com

ManagerSante.com® est une plateforme média interdisciplinaire de référence et de mise en relation entre experts interdisciplinaires et managers dans le domaine de la santé, de dimension nationale et internationale, qui publie des centaines d'articles en open source rédigés par des experts connus et reconnus, pour les dirigeants, Médecins, managers et acteurs de l'écosystème santé sur les réseaux professionnels.

Partager l'Article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles similaires

Suivez notre newsletter
hebdomadaire

Une question,
une idée, un projet…

Copyright © 2023 ManagerSante.com – Tous droits réservés.