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En quoi la prise en compte des facteurs humains peut-il réduire les risques d’évènements indésirables en établissement de santé ? Arnaud MAILLÉ, pilote de ligne, nous sensibilise sur cette question de sécurité des soins. (Partie 2/3)

Nouvel article rédigé par notre nouvel expert, Arnaud MAILLE
pilote de ligne instructeur , consultant en CRM et Facteurs Humains Organisationnels

Il est commandant de bord sur Boeing 747-8, consultant en Crew Ressource Management (CRM) et en Facteurs Humains organisationnels. Il intervient  en entreprise et dans le secteur médical.  

Relire la première partie de cet article.

Pionnière dans les facteurs humains, l’aviation civile à découvert il y a presque 50 ans que la seule compétence technique des équipages n’était pas suffisante pour assurer la sécurité des passagers. L’analyse des incidents et accidents révèlent dans la plupart des cas que les défaillances et causes contribuantes ne sont pas toutes d’origines techniques ou environnementales mais principalement d’origine humaine. Si l’humain est en effet impliqué à 80% dans ces évènements indésirables et accidents, il est aussi capable de détecter et de récupérer 85% des erreurs en quelques secondes, passionnante ambivalence ! Si la performance humaine est limitée et peut être gravement compromise par des facteurs externes, il est vrai aussi que dans l’aviation comme dans le médical, sans l’intervention humaine, de nombreuses situations dangereuses auraient pu conduire à des EIG voire des accidents mortels. 

A l’instar du vol en avion, une opération chirurgicale présente un risque qui ne se limite pas seulement à l’acte chirurgical, le risque est directement lié au fonctionnement organisationnel du bloc et la performance humaine de chacun des acteurs. Ainsi il est devenu absolument nécessaire que les personnels soignants se forment comme les personnels navigants à la gestion des ressources de l’équipage (CRM) et intègrent dans leur pratiques les facteurs humains (FH).

Voyons comment les personnels des établissements de santé pourraient aujourd’hui s’inspirer de l’aviation pour mieux prendre en compte les facteurs humains afin de réduire le risque d’EIG et améliorer la sécurité de leurs patients.

 Les facteurs humains

Il existe plusieurs façons de définir les facteurs humains, On peut les expliquer simplement en disant que cela regroupe les aspects non techniques d’une activité et la contribution humaine à un évènement incluant l’erreur humaine. Ce dernier élément est fondamental et j’y reviendrai dessus plus loin. On parle aussi de compétences non-techniques ou NTS (NON TECHNICAL SKILLS) ou plus récemment appelés SOFT SKILLS. On parle de relations entre les individus, les systèmes avec lesquels ils interagissent et leur environnement de travail. Ceci peut être illustré avec le modèle PEAR des Dr. Michael Maddox et Bill Johnson.

Les fondamentaux en facteurs humains et organisationnels

Sans les fondamentaux que j’appelle « l’ADN aviation », aucune des pistes de réflexions et contremesures évoqués plus bas dans cet article ne seront véritablement efficaces. Dans l’aviation, ces prérequis représentent le socle d’une solide culture de la sécurité et sont inscrit durablement dans la politique managériale des compagnies Aériennes.

  • L’humain au centre de la sécurité et de la prévention. Rappelez-vous, tout le monde est concerné dans l’aviation et cette culture de la sécurité est acceptée par tous les acteurs. Cette prise de conscience est individuelle et collective Quel que soit le métier ou la position hiérarchique, chacun à un rôle à jouer pour protéger l’organisation. En exemple pour illustrer cela lorsque on évoque les incidents graves liés aux erreurs d’identité encore trop fréquentes dans le médical alors qu’elles seraient évitables, l’aide-soignant (ASH) qui prend en charge le patient pour son intervention peut jouer un rôle actif et être le premier rempart contre ces erreurs d’identité.
  • La gestion proactive et continue de la sécurité. Il faut bien comprendre que l’aviation à une approche proactive et basée sur le concept d’amélioration continue. Elle gère en amont le risque pour le maintenir à un niveau acceptable et aussi faible possible. Tous les acteurs du transport aérien doivent avoir une culture de sécurité qui promeut continuellement la sécurité et encourage les employés à signaler tout problème de sécurité, qu’il soit réel ou potentiel. La règle d’or dans l’aviation est de tout signaler quelque soit la sévérité de l’évènement. Les qualiticiens spécialisés dans la sécurité des vols et dans le «risk management » se chargeront ensuite de chercher les causes et les défaillances qui ont permis la survenue de l’événement ou du « presque évènement ». Ils établiront ensuite un niveau de risque et des recommandations pour réduire le risque de récurrence. La gestion des risques se fait de manière systémique et méthodique à l’aide d’outils comme le modèle de Reason développé dans les années 90, et devenu une référence dans l’analyse des accidents et presque-accidents.
[James Reason]

Le modèle bien connu de « Gruyère » offre une méthode simple d’analyse des risques et des défaillances. La robustesse globale d’un système complexe est représentée par des plaques. Si une plaque a une faiblesse, elle n’est plus étanche et n’assure plus la sécurité du système. Chaque faille de sécurité est ainsi représentée par un trou. Si les trous de chaque plaque s’alignent, il y a incident ou accident. A contrario, si on arrive à garder les plaques étanches ou si on « bouche » les trous, le système est sûr et on évite les incidents ou accidents.

Cette analyse permanente et continue des défaillances associées aux risques d’accidents contribue à protéger l’organisation et ses personnels.

  • La culture juste. Le succès de l’approche proactive en matière de sécurité repose sur la « culture juste ». Une définition largement acceptée et publiée provient une nouvelle fois de James Reason.

« Une culture dans laquelle les acteurs de première ligne ne sont pas punis pour des actions, omissions ou décisions proportionnées à leur expérience et leur formation, mais aussi une culture dans laquelle les négligences graves, les violations délibérées et les actes destructeurs ne sont pas tolérés ». [J.Reason]

C’est un principe Fondamental dans l’aviation que l’on peut résumer comme cela :

  • Véritable climat de confiance
  • Traitement « non punitif » de l’erreur humaine
  • Sanction de la transgression volontaire

Cette culture juste favorise un retour d’expérience équitable qui permet aux organisations de diminuer leur exposition aux dangers latents en matière de sécurité. On ne sanctionne pas la personne qui commet une erreur de bonne foi dans le cadre de son activité. C’est une règle. En retour on attend que les personnels aient une attitude responsable en déclarant leurs évènements aussi minimes soient ils. 

Cette culture juste est en place dans les établissements de santé mais n’est peut-être pas toujours bien mise en avant ou mal comprise par les personnels soignants. Fondation indispensable à un système de retour d’expérience efficace et équitable, Il est indispensable qu’elle soit intégrée dans la politique managériale et organisationnelle de l’établissement. Les Cadres de Santé doivent en être les ambassadeurs et les garants.

  • Un retour d’expérience équitable. En garantissant la stricte confidentialité dans l’analyse des incidents déclarés et un traitement non disciplinaire pour le rapporteur de l’évènement, le retour d’expérience est devenu une norme acceptée et pratiquée régulièrement dans l’aviation.

Nous avons réussi à promouvoir ce retour d’expérience car nous ne cherchons pas le « qui » mais le « pourquoi ». C’est un point fondamental.

On observe dans la pyramide de Bird-Heimrich qu’il y a en moyenne 600 précurseurs pour 1 accident grave. Il est donc essentiel de déclarer tous les incidents quelque soit leur niveau de gravité. En faisant preuve d’une attitude responsable, le déclarant joue un rôle essentiel dans l’amélioration de la sécurité.

Je rappelle souvent qu’il n’y a pas de « petits EIG, moyens EIG ou gros EIG » mais juste des EIG qui doivent tous être déclarés quelque soit la gravité.

Si le milieu médical possède bien son système de retour d’expérience (RMM, CREX..), j’ai pu constater que la déclaration systématique des évènements indésirables n’est pas encore entrée dans les mœurs. Je suis certain que cela viendra. Il nous a fallu beaucoup de temps pour y arriver dans l’aviation. Cela passera certainement dans les établissements de santé par une évolution des mentalités sur l’erreur humaine. Je suis convaincu que si on arrive à déculpabiliser les soignants sur l’erreur, je pense qu’ils déclareront plus facilement leur événements.

  • Revaloriser l’erreur, véritable ADN des facteurs humains

Le flux d’erreurs par être humain est considérable dans l’aviation commerciale, sur plus de 5000 vols, le taux d’erreurs mesuré d’un équipage reste supérieur à 2 par heure [2]. Pas étonnant que les experts en facteurs humains s’y soient très tôt intéressés. Il est utopique de penser que l’on peut éliminer l’erreur de notre fonctionnement, ainsi, on essaye dans l’aviation de mettre en place des contremesures pour réduire les possibilités d’erreurs et les occurrences.

Lors de mes interventions, je rappelle systématiquement aux personnels soignants que l’erreur fait partie de leur fonctionnement et que comme nous le précise James Reason, « ils ne sont que les héritiers des défauts d’un système ».  Je m’efforce de les déculpabiliser sur ce sujet encore trop sensible, presque tabou.

► L’erreur intervient dans la régulation de l’activité et participe à la construction de l’expertise.

► Il faut changer d’avis sur l’erreur. Elle fait partie du fonctionnement et ne reflète pas nécessairement un défaut de compétence technique.

Je suis confiant sur le fait qu’en revalorisant l’erreur humaine, le monde médical arrivera petit à petit à faire évoluer les mentalités et à l’accepter comme une composante du fonctionnement.

  • La culture « Crew Ressource Management ». Plus qu’un assemblage de compétences, le CRM est une culture et un des fondamentaux en facteurs humains.

L’investissement massif dans les formations au CRM a joué un rôle crucial dans la sécurisation de l’aviation commerciale. Initialement « Cockpit Ressource Management » puis « Crew Ressource Management », le CRM regroupe les compétences cognitives, interpersonnelles et les techniques visant à améliorer la gestion des ressources de l’équipage, la synergie, la communication, la prise de décision et le partage des informations. Il prend en compte tous les problèmes qui peuvent affecter potentiellement le fonctionnement et la performance d’un équipage. Le concept de synergie repose sur le fait que la performance d’une équipe est supérieure à la somme de des performances individuelles des individus qui la composent ; l’équipe est ainsi considérée comme une entité en soi. On résume cela dans l’aviation par le 1+1 = 3 pour illustrer une équipe qui fonctionne en synergie.

Créer une atmosphère propice aux échanges et aux interactions sans barrières d’expertise. La synergie d’équipe favorise l’intelligence collective et une conscience plus aiguë de la sécurité. Cette synergie n’est pas automatique, elle a besoin de prérequis et de rigueur. Elle a aussi besoin de cohésion, de leadership du Chirurgien et de l’adhésion de l’équipe. En effet un groupe où chacun se sent libre de s’exprimer dans une atmosphère ouverte sera moins à risque de commettre des erreurs qu’un groupe où l’on craint de donner son avis à son supérieur/leader.

Adapter son Leadership

A l’instar d’un avion de ligne Il y a nécessairement dans le bloc opératoire un Commandant de bord qui prend les décisions. Ce décideur est le Chirurgien qui donne le GO INCISION et fixe le tempo de l’opération comme un Commandant de Bord donne le tempo du vol. Le Chirurgien doit adapter son style de Leadership à la situation et rechercher un fonctionnement synergique ou il pourra exercer un leadership participatif et ouvert afin de créer un environnement de confiance où chacun des membres de l’équipe de bloc se sent libre de s’exprimer.

Le fonctionnement de l’équipe influence énormément la sécurité opérationnelle. Un équipage qui fonctionne bien c’est un équipage qui commet moins d’erreur.

L’humain, l’héritier d’un système potentiellement défaillant

Du fait de leur complexité, de leur fonctionnement à risques et de leur nombre élevé d’intervenants, les environnements comme l’avion de ligne ou le bloc opératoire sont susceptibles de générer leurs propres erreurs et défaillances. Dans l’aviation, on s’est intéressé très tôt aux précurseurs d’erreurs dans ces milieux à risques et on a fait des découvertes intéressantes sur le sujet. 

Au-delà du risque lié à l’acte chirurgical en lui-même, le risque d’une intervention chirurgicale est aussi lié au fonctionnement du bloc incluant la performance de son système organisationnel et la performance humaine de chacun des acteurs. En effet, dans les milieux à risques, les risques résultent le plus souvent de défaillances humaines comme entre autres, les interruptions de tâches, des inattentions, distractions, négligences et divers manques de communication. Ces défaillances qui sont naturelles pour un humain ne conduisent à un accident qu’en présence d’autres facteurs latents dont l’organisation en est principalement l’incubateur. C’est là que l’affirmation de James Reason prend tout son sens.  Permettez-moi de la rappeler à nouveau

« Plutôt que d’être les principaux responsables d’un accident, les opérateurs sont les héritiers des défauts du système. Leur contribution est d’apporter la garniture finale à un breuvage létal dont les ingrédients cuisent depuis longtemps » [James Reason]

Dans les milieux à risques des établissements de santé, on peut citer des facteurs latents comme la pression temporelle, commerciale ou hiérarchique, la saturation des services, le manque de ressources, des procédures mal adaptées, des défauts de formation, les vacations et la fatigue.

Ces problèmes organisationnels étant généralement à l’origine des accidents les plus graves. [ICSI (Institut pour une culture de sécurité industrielle], Il est impératif de travailler en amont pour tenter de les minimiser.

[Source ICSI (Institut pour une culture de sécurité industrielle]

S’il est difficile d’agir directement sur le processus de l’erreur souvent par essence imprévisible, il est possible de travailler en amont sur les précurseurs d’erreurs et facteurs latents qui sont maintenant connus pour la plupart. Cela n’a pas toujours été le cas.

Suite à une série d’accidents dont la catastrophe du vol American Airlines AA191, en mai 1979 faisant 271 victimes et impliquant le service maintenance de la compagnie aérienne, l’aviation mène des études pour comprendre comment l’organisation peut être à l’origine des accidents les plus graves.

La « dirty dozen » de Gordon Dupont

[Source FAA – La « dirty dozen » de Gordon Dupont – traduit de l’Anglais ]

En 1993, Gordon Dupont qui travaillait alors pour la direction civile Canadienne (Transport Canada) effectue une étude sur les précurseurs d’erreurs d’origines organisationnelles. Parmi plus de 300 précurseurs d’erreurs il en a identifié 12. Cette liste plus connue sous l’acronyme « Dirty Dozen » est devenue une référence dans les milieux à risques.

Bien que tout ne soit pas transférable, il y a une véritable similarité entre les précurseurs d’erreurs organisationnels que l’on retrouve dans un avion de ligne et ceux que l’on peut trouver dans un milieu à risques comme le bloc opératoire. Heureusement, le bloc opératoire n’est pas concerné par les 300 précurseurs d’erreurs de Gordon Dupont mais j’ai pu constater lors de mes observations certains précurseurs récurrents.

En conclusion :

Tous ces précurseurs ne sont pas une fatalité et des solutions existent. S’il existe des solutions pour limiter le risque infectieux dans le bloc opératoire, il existe des solutions pour limiter le risque humain et organisationnel liés à ces précurseurs directement inspirés des formations FH et CRM des personnels navigants de l’aviation civile.

Je suis convaincu que les équipes médicales peuvent aujourd’hui s’en inspirer pour intégrer les facteurs humains dans leurs pratiques et ainsi diminuer de façon significative et durable leur taux d’évènements indésirables.

Nous verrons concrètement comment dans un prochain article.

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