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Peut-on parler de leadership spirituel en pratiques ? Catherine VOYNNET FOURBOUL nous en parle dans son ouvrage de recherche interdisciplinaire (Partie 1/2).

Nouvel article introductif rédigé pour notre plateforme média ManagerSante.com par Catherine VOYNNET FOURBOUL, Docteur en sciences de gestion, habilitée à diriger les recherches. Elle enseigne la gestion des ressources humaines en tant que Maître de conférences à l’université Panthéon-Assas Paris II et dirige l’Executive Master du CIFFOP. Elle codirige le groupe de recherche thématique Management et Spiriritualité de l’AGRH.

Elle a Dirigé l’ouvrage interdisciplinaire intitulé « Leadership spirituel en pratiques«  publié en 2021, (Editions EMS Management & Société) avec 42 contributeurs.

En 2014 j’ai publié un ouvrage intitulé « diriger avec son âme : leadership et spiritualité ». Cet ouvrage a été fondé sur des travaux scientifiques menés auprès de dirigeants. Il avait pour objet de dévoiler le thème de la spiritualité dans l’univers managérial au travers des épreuves que vivent les dirigeants d’entreprise. Ces épreuves constituent des passages qui permettent d’accroître leur potentiel de leadership. Ce livre permettait d’ouvrir la voie sur ce que la spiritualité peut apporter au leadership.

Depuis six ans, j’ai eu l’occasion de poursuivre mes recherches dans ce domaine et me rapprocher de tout un ensemble de personnes qu’il s’agisse de chercheurs, de consultants, de coachs, de professionnels agissant dans des organisations qui eux aussi sont intéressés par la spiritualité et son retentissement en management.

Nous avons en 2017 avec mes collègues Jean-Yves Duyck et Gaëlle Moal Ulvoas produit un ouvrage intitulé « management et spiritualité » dont l’objet était d’étendre le champ de recherche aux différentes disciplines de la gestion. Au sein de cet ouvrage, nous avons réfléchi à une définition de la spiritualité comme relevant de quatre conceptions (Krishnakumar et Neck, 2002), issues de courants religieux, existentialistes, intrinsèques et aussi athéistes. La spiritualité est une ideopraxis relationnelle centrée sur une présence spirituelle qui unifie (permet de trouver une harmonie, l’intégration des aspects variés de soi-même), oriente (en permettant de faire sens, de trouver sa place – ce à quoi on est appelé dans la vie – et de se relier à des préoccupations ultimes) et mobilise tous les aspects de la vie” (Rojas, 2002 : 37) permettant ainsi la réalisation de soi, de ses aspirations et de son potentiel dans l’intensité et dans la joie.

Depuis lors, nous œuvrons au sein du Lab management et spiritualité, avec pour objectif d’assurer la diffusion auprès du public de travaux de recherche et de publications des membres de ce groupe de recherches qui sont des professionnels, des enseignants, des chercheurs ou des praticiens, ceci afin de développer le management et la spiritualité en entreprise et dans les organisations publiques. Le Lab management et spiritualité est adossé au groupe de recherches thématiques de l’AGRH Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines.

Pourquoi cet ouvrage et pour qui ?

Quoi de mieux que de pouvoir présenter les avancées concrètes du leadership et de la spiritualité en faisant référence aux différentes thématiques sur lesquelles les membres de ce groupe de recherche travaillent ! L’intérêt est de disposer à la fois de connaissances théoriques et appliquées grâce à ce creuset original.

Le livre permet d’accéder à un certain nombre de pratiques qui pourraient être mieux comprises et mises en œuvre avec discernement par tous ceux qui aspirent à développer leur leadership amenant les dirigeants, managers et responsables RH à mieux comprendre ce que le leadership spirituel peut leur apporter et contribuer positivement à un développement durable des organisations.

L’enracinement dans les pratiques permet de rendre la spiritualité plus accessible et de contribuer à une gestion à la fois plus humaine et plus spirituelle.

Ce livre s’adresse à une audience large parce que les auteurs qui ont contribué sont à la fois des chercheurs, des consultants et des praticiens d’entreprise et les contextes dans lesquels ils s’expriment s’entrecroisent offrant une vision très étendue de la question. On disposera ainsi d’expériences pratiques et d’une mise en perspective théorique sur de nombreux sujets au niveau des individus, des groupes et des organisations.

Les dirigeants et managers pourront profiter des nombreux cas et exemples de pratiques présentés par les auteurs et trouveront des perspectives nouvelles à propos du bien-être, de l’identité, de l’intelligence spirituelle…

Les enseignants chercheurs et les étudiants de niveau Master ou doctorants trouveront l’ancrage académique pour pouvoir construire leur recherche dans ce domaine.

A leur manière, tous les auteurs sont des leaders sages qui font preuve de compassion et qui apportent une grande variété de perspectives et d’expériences dans cet ouvrage ; aussi tous ceux qui sont intéressés par la dimension spirituelle et en particulier par ce qu’elle peut apporter dans les transformations trouveront matière à enrichir leur compréhension dans ce domaine.

La conviction de tous les auteurs mêmes si elle est éclairée par une prudence indispensable qui sera d’ailleurs étayée dans l’ouvrage, est que le leadership spirituel constitue la voie attendue et prometteuse, procurant de multiples bienfaits pour les individus, les équipes et les organisations.

La raison d’être du leadership spirituel

Parce que les entreprises connaissent des transformations profondes depuis la crise de 2008 accentuées par celle de la pandémie de la Covid19 de 2020, les dirigeants font face à des défis qui demandent des capacités complexes de plus en plus multiples et variées. Certes on pourrait s’attendre à ce que les dirigeants des Etats soient les mieux placés pour accompagner eux-aussi les citoyens dans ce domaine. Mais en France les élites ont désinvesti le champ du bien commun justement chère à la spiritualité à mesure d’un éloignement de la religion chrétienne en privilégiant un ordre social aux intérêts uniquement économiques (Mafesoli & Strohl 2019). Et elles sont malheureusement relayées avec un certain mépris par l’establishment médiatique au nom d’une arrogante bien-pensance et d’une idéologie qui se veut sans égale.

C’est la raison pour laquelle l’entreprise pourrait offrir une alternative en devenant une sorte de tiers lieu capable de remplir un rôle de médiateur de cette dimension spirituelle qui fait défaut dans la société civile. En effet, le lieu du travail même s’il est à distance depuis la crise du coronavirus reste fédérateur des personnes et offre par les échanges potentiels entre les membres une capacité d’influence sans commune mesure. Par ailleurs cette dimension spirituelle même si elle peut être vécue par certains en dehors des organisations, constitue une étape de l’évolution des organisations.

Comment un tel rôle novateur peut-il s’exprimer dans les organisations ? L’idée est que c’est la voie du leadership et plus particulièrement du leadership spirituel qui pourra le mieux permettre une incorporation de la dimension spirituelle dans le rôle des organisations.

Partageons tout d’abord le scepticisme de Peter Drucker (2005) sans doute marqué profondément par la tragédie de grands gouvernants politiques au cours du XXe siècle avec Hitler, Staline et Mao, l’obligeant à quitter l’Europe pour se réfugier aux États-Unis : « Nous devrions avoir très peur des dirigeants. Nous devrions nous demander : que représentent-ils ? Quelles sont leurs valeurs ? Pouvons-nous leur faire confiance ou non ? ». Et plus loin il ajoute que les managers et les administrateurs sont des serviteurs de l’organisation, ils sont là pour le bien de l’organisation et s’ils l’oublient, ils sont de mauvais gestionnaires. C’est peut-être là que se situe la force de l’épithète « spirituel » associée au leadership qui peut permettre de rendre acceptable le leadership.

Toutes les personnes amenées à endosser même la plus petite part de leadership peuvent contribuer à ce nouveau rôle et c’est pour elles que ce livre est destiné. L’objectif de l’ouvrage est donc de donner une suite à la question du leadership spirituel en étant centré sur la mise en œuvre pratique que l’on peut observer dans les organisations. Et cette tâche n’est pas aisée du point de vue scientifique parce que le domaine de la spiritualité incorpore des données qui sont recueillies de façon subjective, intérieure, émotionnelle ou intuitive et que ses modalités ont du mal à entrer dans les canons des paradigmes scientifiques actuels.

Le contexte historique du leadership

Dans l’ouvrage précédent (Voynnet Fourboul 2014) le leadership est défini comme un processus mettant en scène la personne du leader et de ses suiveurs ou équipiers. Ce processus permet à une personne (le leader) d’obtenir que des individus (les suiveurs), avec lesquels elle noue une relation interdépendante, s’engagent et agissent de façon directe. Les théories du leadership évoluent dans le temps et Peter Northouse (1997) reprenant les travaux de James Macgregor Burns (1978) a montré comment les chercheurs sont passés 1) d’une approche par les traits et caractéristiques du leader, adossé à un leadership classique autoritaire, technocrate et contrôleur au 2) leadership transactionnel (fondé sur les échanges entre leader et suiveur et les récompenses habilement distribuées et marquées par l’école des relations humaines avec l’introduction de la recherche de bien-être et d’harmonie), au 3) leadership transformationnel (fondé sur l’inspiration du leader, ses facultés à stimuler son entourage, à influencer le moral et les motivations des autres en jouant sur le registre de la considération). 

De nos jours, l’influence est un important registre du leadership. Pourtant le pouvoir et l’influence peuvent paraître pour certains négatifs, associés à de la tromperie, des comportements souterrains et machiavéliques. Cependant la spiritualité peut aider à expurger cette dimension négative pour aider les dirigeants à se concentrer sur les mécanismes positifs d’influence. Après l’ère du commandement marquée par l’autorité qui constitue l’aspect formel du pouvoir, succède l’ère de la résolution des problèmes caractérisés par la collaboration et le consensus et donc l’influence qui correspond à l’aspect informel du pouvoir. Nous assistons à un glissement d’un pouvoir formel à un pouvoir informel qui joue principalement sur l’univers relationnel. Nul doute que l’influence vertueuse devienne dans ces conditions une des compétences clés du dirigeant.

 Bernard Bass (1985, 1999) a adapté les théories du leadership au management organisationnel. Il a montré les quatre composantes du leadership transformationnel : 

  • Une influence idéalisée, proche du charisme, grâce à laquelle le leader articule une vision, montre avec détermination et confiance qu’elle peut être réalisée en travaillant selon des buts communs
  • Un leadership inspiré, qui montre l’exemple, en fixant des objectifs ambitieux pour une performance en équipe et faisant appel aux besoins supérieurs des suiveurs
  • Une stimulation intellectuelle, qui inspire et encourage les suiveurs à devenir plus innovants et créatifs
  • Une considération individualisée, participant aux besoins de développement des suiveurs, la capacité à les aider et les coacher.

Le positionnement du leadership spirituel

Ce que la spiritualité apporte en plus par rapport au leadership transformationnel, c’est sans doute une sorte de modération par rapport aux effets de la transformation sur les autres. En effet si l’avantage du leadership transformationnel est d’assurer une influence transformante au nom d’une vision, l’inconvénient tient au bien-fondé de cette transformation, à la qualité de la vision, au respect de la dignité des personnes. Grâce au leadership spirituel, le leadership transformationnel se pose dans un cadre vertueux.

Dans ce dernier courant en date le leader valorise les personnes en les écoutant et en mettant en avant les besoins des autres avant les siens, également il construit une communauté en facilitant les équipes, en construisant un univers relationnel rapprochant les personnes plutôt qu’en les séparant (Beazley 2002). C’est par le jeu des questions posées aux dirigeants que s’annonce cette nouvelle forme de leadership : « Est-ce que je guide bien les autres ? Est-ce que j’équilibre bien les intérêts de toutes les parties prenantes ? ». 

Le leadership spirituel requiert un haut niveau de confiance particulièrement dans la capacité des membres à résoudre des problèmes collectivement et à prendre des décisions dans l’intérêt de l’organisation. Ce qui est crucial est la communication, qui aide les membres à faire sens par rapport à ce qui se passe et à partager l’information ; l’information circule librement et les décisions sont prises en équipe. La responsabilité est portée par une équipe. Cette forme de leadership que d’autres qualifient d’organique car il s’exerce dans un écosystème marqué par l’interdépendance peut paraître chaotique. En réalité tous les rôles et les fonctions sont couverts par les différents membres selon leur mission. Chaque membre dispose d’autonomie dans ce contexte partagé. Il n’est pas question ici de dépendre d’un leader désigné. Les mécanismes de contrôle réfèrent à de l’autocontrôle et nécessitent de nombreux flux de communication et de partages, ce que l’on appelle les communautés de pratique.

Ces communautés, ces réseaux bouleversent la représentation qu’on se fait d’un leader désigné, fixe, adapté à des modèles organisationnels fondés sur les procédures. Les pratiques organiques sont le fait des équipes projets marquées par une fluidité en matière de leadership : l’émergence d’un leader naturel acceptable pour la communauté peut paraître pour un observateur extérieur comme très éloigné de la représentation de ce qu’on se fait d’un leader, et donner même l’impression qu’il n’y a pas de leader.

S’agissant du comportement, (Korac-Kakabadse & alii., 2002) le leader spirituel approche les situations avec une attitude de recul et discernement plutôt qu’en intervenant directement. Il adopte une posture d’ouverture et d’acceptation plutôt que de contrôle ; d’humilité plutôt que d’expression forte d’expertise ; le leader spirituel préfère lâcher-prise plutôt que de détenir ou retenir, éclairer plutôt que faire lui-même. Le Servant leadership (Greenleaf, 1973) dans la même veine décrit à partir de la théologie Quaker un leader comme celui qui est au service des autres, mettant l’accent sur une approche holistique du travail, le développement personnel, les décisions partagées, l’inspiration de la confiance, l’art de l’écoute, la pratique des feedbacks positifs.

Lire la suite de cet article le mois prochain.

ManagerSante.com

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