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Qui gouverne l’hôpital ? Jean-Marie CLÉMENT nous décrypte les pouvoirs contre l’autorité dans son dernier ouvrage.

Article introductif rédigé par Jean-Marie Clément ancien directeur d’hôpital et ancien membre de l’Inspection générale des affaires sanitaires et sociales, est professeur de droit hospitalier et médical à l’université Paris 8. Spécialiste reconnu du droit hospitalier, auteur de nombreux ouvrages, il est directeur de la rédaction de La Gazette de l’Hôpital, des Fiches de la jurisprudence hospitalière, des Fiches de droit hospitalier et codirecteur de la Revue générale de droit médical .
Il dirige également le Service juridique de LEH Édition.

Avec l’aimable autorisation de LEH Édition., nous avons le plaisir de partager l’introduction de son dernier ouvrage intitulé « Qui gouverne l’hôpital : les pouvoirs contre l’autorité », publié en Janvier 2024.

L’art de la politique est devenu la science politique. Le terme est apparu au cours du XIXe siècle et, plus précisément, lors de la création de l’école libre de science politique par le professeur de droit, Émile Boutmy (1835-1906), en 1871. Cela marque l’introduction du raisonnement scientifique dans le traitement des faits politiques, c’est-à-dire des faits de société. Ceci forme un ensemble qui constitue un « système » gouverné par la raison.

L’emploi de la notion de « système », désormais officialisé dans les lois sanitaires, est profondément signifiant. La loi du 4 mars 2002 est intitulée « droit des malades et qualité du système de santé » et la loi du 26 janvier 2016 veut la « modernisation du système de santé ». Depuis, les lois ou les ordonnances hospitalières subséquentes mettent en place les acteurs de santé des hôpitaux, mais aussi des cliniques, dans un schéma régional ou national articulé et dirigé par l’État.

Rappelons que le substantif « système » vient du grec systema, c’est-à-dire un     assemblage. C’est, selon les dictionnaires, un ensemble de notions, de principes coordonnés et enchaînés de façon à former une doctrine comme le système marxiste, le système capitaliste ou encore le système féodal. Si le système marxiste en appelle à une logique doctrinale, bâtie sur la lutte des classes dans le cadre d’une société obéissant au matérialisme historique, dans ses acceptions, ou capitalistes ou féodales, le système est un mode de production que développèrent les marxistes pour expliquer le déroulement des civilisations. Mais c’est dans un domaine scientifique que la notion de système fit florès : on parle en astronomie du système solaire, en physique d’un environnement, d’un arrangement de plusieurs corps ou de diverses parties autour d’un point nodal. Au XIXe siècle, la création du machinisme, avec la machine à vapeur, va amener les savants à théoriser sur la notion de chaleur : c’est le fameux théorème de Carnot (Sadi Carnot[1], fondateur de la thermodynamique). Là est conçue la notion de système « fermé », auquel on demande toujours plus de rentabilité ou d’efficacité et d’efficience.

La notion de système est intimement liée à la théorie scientifique qui infuse les politiques dès le début du XIXe siècle. Certes, cette théorie s’appuie sur la philosophie matérialiste qui est apparue chez les grands philosophes grecs dont Démocrite (Ve siècle avant J.-C.) et quelques autres. Schématiquement, l’histoire de la pensée se divise entre spiritualistes – ceux qui croient à une origine divine de l’esprit – et matérialistes – ceux qui pensent que les esprits sont le résultat de l’agencement des atomes du corps humain. Certains, au cours des siècles, vont s’efforcer de faire la synthèse entre les deux théories dont, dernièrement, le Pape Benoît XVI consacra une encyclique qui intègre raisonnements scientifiques et croyances fondant l’origine de Dieu.

Le chantre du raisonnement scientifique, appliqué aux faits de société, est, sans conteste, le philosophe Auguste Comte (1798-1857), fondateur de l’école positiviste, reposant sur la vision progressiste des Sciences. Son Catéchisme positiviste (1852), synthétisant son cours de philosophie positive (1830-1842), marqua de son influence de très nombreuses générations d’intellectuels et de savants jusqu’à nos jours. On cite, dans cette mouvance, les polytechniciens, Saint Simon (1760-1825) le précurseur et Prosper Enfantin (1796-1864) le disciple, qui créèrent la doctrine saint-simonienne donnant à l’industrie alors naissante le rôle de procréateur du progrès social. Auguste Comte, qui fut le secrétaire de Saint Simon, va créer le « positivisme » qu’il dotera d’un catéchisme ; il va avoir de nombreux épigones, dont le philosophe Durkheim (1858-1917) et le biologiste Le Dantec (1869-1917). Pour Durkheim, « les faits sociaux sont des choses» (cf. Les Règles de la méthode sociologique, 1895) et pour Le Dantec la société fonctionne comme un organisme vivant. Plus récemment, le biologiste Jacques Ruffié va confirmer cette analyse à l’éclairage de la formidable avancée des connaissances biologiques que nous a légué le XXe siècle.

Descartes (1596-1650), penseur de la Science comme maître du monde matériel, annonçait les idées matérialistes de La Mettrie (1709-1751) selon lequel l’Homme est une machine ouvrant la voie aux réflexions de Condorcet (1743-1794). L’idée que la société fonctionne comme une machine animée, à l’exemple du corps humain, va servir de base aux doctrines socialistes et matérialistes athées, imbues des idées de Condorcet visant au « progrès indéfini de l’esprit humain ». Tous les problèmes sociaux naissent de déséquilibres que les savants, dont, en premier lieu, les mathématiciens doivent résoudre. Là, deux conceptions du système s’offrent : l’une prônant un système ouvert, où les organes sont autonomes, et l’autre fermé, où les organes sont intégrés et dépendent les uns des autres.

Sous la IIIe République (1870-1940), mais aussi sous la IVe République (1944-1958), le libéralisme économique, prisé par les gouvernants, était tempéré par le fonctionnement de services publics performants comme celui de l’enseignement (lois Ferry, 1881-1884), de la Poste, du télégraphe puis du téléphone, et encore celui des hôpitaux, qui permettaient une organisation spécifique afin d’apporter des services gratuits ou au moindre coût (services postaux et hôpitaux) à une partie de la population démunie, laissant à l’initiative privée la possibilité d’ouvrir des établissements d’enseignement ou de clinique autofinancés par leur clientèle. Seul le service postal s’avérait monopole de l’État pour permettre la meilleure distribution possible du courrier et des journaux, au coût le plus modique, à tous ceux qui l’utilisent. Au début de la Ve République, le choix était entre le budget public national ou des collectivités locales de service public en les adaptant au mécanisme de l’économie française, soit leur ouverture au capitalisme privé, soit leur vente par parties selon leur mise en concurrence avec les initiatives privées. Pour la Poste, il y a, tout au long des années 1970-2000, la séparation puis la vente d’un secteur de télécommunications en le privatisant puis la création des services financiers de la Poste aboutissant à la Banque postale (fin des années 1990-début des années 2000). Pour le secteur sanitaire, les dirigeants ont opté pour un vaste système, englobant secteur public et cliniques privées. Ce choix des technocrates gaullistes, c’est-à-dire cette élite certes incontestable mais ô combien contestée par son verrouillage du système qu’elle a peu à peu mis en place, est formulée dans les différents plans de développement économique et social qui vont de 1960 à 1984. Pour les hauts fonctionnaires issus, en majorité, de Science Politique puis de l’ENA, avec quelques parjures de la Science venant de Polytechnique, les services publics doivent s’ouvrir à la concurrence même au risque de n’être plus de véritables services publics, accessibles à tous les citoyens, riches ou pauvres ; ces derniers habitant les quartiers périphériques des grandes agglomérations urbaines et ceux qui vivent dans le désert français, c’est-à-dire dans les campagnes qui ont pourtant participé à la richesse séculaire de la France. Dès lors, les fondamentaux du service public, à savoir son universalité, sa gratuité, son accessibilité, son unité, son adaptabilité aux évolutions technologiques, sont battus en brèche au point que plus personne ne se reconnaît dans ce nouvel univers syncrétique. Tout le monde fait tout et inversement au point de laisser choir l’ascenseur social républicain. Cela est évident quand on étudie l’école, cela est également parlant pour les hôpitaux où la concentration des talents est réservée aux chefs-lieux des grandes régions françaises, à savoir les fameuses treize régions métropolitaines de la Réforme Hollande de 2015, mise en place en 2016.

Au lieu de s’interroger, avant qu’il ne soit trop tard, sur la pertinence de ce choix technocratique, parce que bâti sur le raisonnement technique qui s’impose au peuple, les pouvoirs publics, de droite et de gauche, vont accentuer l’intégration des petits établissements publics et privés mais également les acteurs de santé libéraux dans un vaste service public territorial de la santé, selon les dispositions contenues dans la loi Santé 2016 (loi du 26 janvier 2016).

Ce système est bâti sur la détention de pouvoirs, fussent-ils formels, jamais sur la responsabilité personnelle et la promotion de l’expérience.

Ce système repose sur une gouvernance centrale ou omnipotente (I) qui, pour mieux installer son pouvoir, instille une polyarchie localement ingouvernable (II), permettant le règne arbitral de l’État (III).

Ce système est bâti sur la détention de pouvoirs, fussent-ils formels, jamais sur la responsabilité personnelle et la promotion de l’expérience.

[1] Sadi Carnot (1796-1832) ; à ne pas confondre avec son neveu, Marie François Sadi CARNOT (1837-1894), président de la République, assassiné.

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