Article rédigé par Sébastien COUARRAZE (PhD), infirmier anesthésiste et Maître de conférences en Sciences Infirmières à la faculté de Santé de l’université de Toulouse III Paul Sabatier. Enseignant chercheur au laboratoire CERPOP UMR 1295 Inserm.
Il intervient également en institut de formation en soins infirmiers et dans d’autres formations en santé.
Auteur de nombreux articles, il a publié en 2022 un ouvrage aux éditions l’Harmattan intitulé « La simulation en santé : qualité de vie au travail et changement (dispositif pédagogique de prévention chez les professionnels de santé). » faisant l’objet d’une présentation introductive dans cet article.
N°2, Avril 2024
Relire la 1ère partie de cet article.
Les dispositifs de simulation constituent des ressources pour combler la diminution des temps de stage, engendrée par l’universitarisation et la réingénierie des formations paramédicales, en dopant le cursus des participants aux séances. La simulation est également très présente dans la formation continue des professions médicales et paramédicales. Cette méthode pédagogique devenue incontournable en 2019 s’est fortement développée ces dix dernières années sous l’impulsion de différents enjeux. Si l’enjeu éthique « jamais la première fois sur le patient » (Granry et Moll, 2012) est au premier plan, l’enjeu économique lié au coût des erreurs est également présent et associé au fait que la société est devenue intolérante aux erreurs médicales (Jeulin, 2014 ; Morel, 2014).
La simulation en santé : une double adaptation porteuse d’enjeu en termes de prévention
Cependant, un autre aspect de la simulation nous interrogent, notamment sa capacité à prévenir les risques psychosociaux pouvant devenir des troubles suite aux situations de stress quasi permanentes vécues par les professionnels de santé. La simulation dite « pleine échelle » (Pastré, 2010) c’est-à-dire la reproduction à l’identique des situations cliniques mais avec la possibilité de calibrer la difficulté, la complexité, le niveau de stress etc. favorise l’adaptation des participants et non l’inverse, dans le sens où les facilitateurs construisent des scénarios mais ne maîtrisent pas la manière dont les participants vont s’en emparer. Nous sommes ainsi face à une double adaptation porteuse d’enjeu en termes de prévention :
- adaptation au niveau de formation des participants avec la possibilité de travailler avec eux leur zone proximale de développement relative à des compétences situées,
- adaptation à la singularité des réactions des participants pour accompagner leur réflexivité et leur permettre de considérer des ajustements comportementaux dans leur pratique.
Si la réflexivité et le développement relatifs aux compétences sont des axes de prévention indéniables, la confrontation à des situations critiques simulées est également une ouverture pour travailler sur le facteur stress. Ce facteur constitue majoritairement le soubassement des risques psychosociaux et peut être abordé en simulation sous l’angle de la gestion du stress, de la prise de décision, de la communication en situation critique, etc. Ces compétences relevant de la sphère psychosociale, que nous avons choisi de nommer soft skills en opposition aux hard skills, sont considérées par l’OMS (1997, 2003) comme pouvant répondre aux exigences de la vie et ainsi maintenir le sujet en santé et l’aider à agir préventivement.
C’est un sujet d’autant plus d’actualité pour les professionnels de santé qu’une partie de ces praticiens ne va pas bien. La situation n’est déjà pas facile mais au sein de la communauté des soignants, certains sont encore plus touchés comme les professionnels de l’anesthésie réanimation. Au vu de la prévalence du burnout chez les praticiens de l’anesthésie réanimation et des conséquences possibles sur les patients, il apparaît nécessaire de prendre en compte ce phénomène. Il n’est pas facile de mener des actions de prévention et si certains défis sont à relever, il est également nécessaire d’innover en matière de prévention sachant que les soignants ont une position particulière vis-à-vis de leur propre santé. En effet, les professionnels de santé ont tendance à négliger leur propre santé (Leriche et al., 2008) malgré leur connaissance en la matière. Comme le fait remarquer Dany (2015), l’expertise sur une thématique nécessitant une action de prévention ne présage en rien que l’expert en la matière sera lui-même sensible aux actions de prévention.
Le facteur changement impacte fortement ces professionnels, d’abord par sa permanence dans le secteur de la santé globalement mais également au niveau de la santé des individus. La recherche dans le secteur de la santé est particulièrement féconde et rend la connaissance scientifique obsolète en seulement cinq ans (Shojania et al., 2007). Cette obsolescence rapide oblige à une réactualisation continue de ses connaissances et de ses pratiques à laquelle s’ajoute l’omniprésence des changements organisationnels. Ces changements peuvent devenir alors délétères pour les individus qui se sentent obligés de suivre ou qui n’arrivent pas (ou plus) à suivre ce rythme effréné (stress, anxiété, épuisement professionnel).
Plusieurs travaux de recherche ont pu mettre en évidence un effet de la simulation pleine échelle sur le niveau de stress, d’épuisement professionnel et d’anxiété chez les étudiants en soins infirmiers et les professionnels exerçant en anesthésie réanimation. D’autre part, la simulation de situations critiques semblent permettre de diminuer le stress clinique après les séances. Nous avons pu également différencier le stress de la pratique clinique et le stress en simulation.
Plusieurs perspectives praxéologiques :
À partir de ces résultats, nous pouvons proposer des perspectives praxéologiques :
Sensibiliser à une vigilance accrue des populations à risque
Nous avons pu confirmer les résultats d’études précédentes concernant le niveau de stress, d’anxiété et d’épuisement professionnel des professionnels de l’anesthésie réanimation. Ces éléments de confirmation soulignent l’intemporalité de l’atteinte du stress chez les professionnels de cette spécialité, il ne s’agit pas d’un facteur conjoncturel mais d’un facteur récurrent depuis un certain nombre d’années. Il nous parait pertinent d’avoir une vigilance particulière concernant cette population reconnue comme à risque toutes catégories professionnelles confondues, cependant même si l’impact est moindre d’autres professionnels de santé sont en difficulté et méritent de l’attention. En juillet 2018, le ministère de la santé a créé l’observatoire national pour la QVT des professionnels de santé et du médico-social. Nous suggérions d’y intégrer les étudiants eH soins infirmiers, l’actualité nous rattrape car le ministère de la santé et le ministère de l’enseignement supérieur ont créé le centre national d’appui à la qualité de vie au travail des étudiants en santé le 15 juillet 2019. Observer et produire des recommandations est un premier pas proposé par cet observatoire. Cependant, nous ajoutons qu’une sensibilisation systématique plus locale, des cadres, des formateurs, des étudiants et des agents eux-mêmes, associée à l’orientation vers des dispositifs d’aide visibles et audibles contribuerait au renforcement d’un maillage de soutien sur les territoires. Par ailleurs, cela permettrait d’ouvrir ces professionnels à d’autres pratiques de prévention comme nous le proposons ci-après.
Diffuser auprès des encadrants les apports de la simulation en termes de prévention
Nous connaissons les difficultés rencontrées pour mobiliser les soignants et les orienter vers le service de santé au travail mais il nous semble possible d’innover en termes de dispositifs de prévention, la simulation est une possibilité parmi d’autres. Si nos travaux ont pu montrer l’impact de la simulation sur le stress et ceux d’El Khamali et al. (2018) par exemple sur la régression du turnover et de l’absentéisme des infirmiers de réanimation, il nous paraît opportun d’en diffuser les résultats pour sensibiliser les professionnels qui encadrent les équipes et les inciter ainsi à développer le recours à ce type de prévention. Ils pourront ainsi percevoir le double intérêt de la simulation pleine échelle : elle complète la formation in situ apportée par les stages mais va au- delà des traits de surface (le geste, la technique, etc.) en prévenant les risques de stress et en œuvrant ainsi pour une qualité de vie au travail.
Amplifier le recours à la simulation pour acquérir toutes les compétences et faire face aux différentes situations de la vie professionnelle
Nous croyons à la simulation en santé, son développement et l’engouement qu’elle suscite nous semblent fondés. Mais nous sommes conscients des freins qui persistent comme le coût des formations, la nécessité d’être formé pour être facilitateur, l’obligation d’avoir de petits groupes afin que tous puissent participer, etc…
Il parait justifié que la simulation soit obligatoire mais elle doit être pensée dans un cursus complet et progressif notamment en formation initiale. Nous comprenons la complexité notamment parce que les étudiants d’une promotion sont nombreux. Hayden et al. (2014) ont par exemple mis en évidence la possibilité de remplacer du temps de stage par du temps en simulation sans être délétère sur les évaluations des étudiants en soins infirmiers. Si nous ne sommes pas favorables, comme ces auteurs, au remplacement de 50% du temps de stage par de la simulation, il nous paraît possible d’envisager une progression, au cours des semestres de formation, allant de la simulation procédurale à la simulation pleine échelle compte tenu de la similitude de la simulation pleine échelle avec la pratique clinique. Par exemple, la pose d’une perfusion intégrée dans un cursus complet reviendrait à faire une séance d’apprentissage du geste pur en simulation procédurale (ainsi un grand nombre d’étudiants peut participer en une journée) puis à intégrer le geste dans une simulation avec un patient standardisé équipé d’une prothèse (permettant de simuler la pose d’une perfusion) pour travailler les soft skills associées à ce soin (l’empathie, la communication, la conscience de la situation) et enfin il serait possible de faire réaliser le geste en simulation pleine échelle, dans un contexte complexe comme lors d’une urgence (par petits groupes d’étudiants mais bien préparés ce qui limiterait le nombre de séances). En formation continue, les scénarios de simulation pourraient être étayés par les points à améliorer, repérés chez les professionnels par exemple lors des entretiens annuels, et devenir ainsi à la fois un outil d’amélioration des compétences et de prévention des risques psychosociaux, vecteur de qualité de vie au travail.
Penser le débriefing post simulation comme outil à exploiter en pratique clinique
Si la méthode de débriefing permet d’être réflexif sur sa pratique en simulation, elle est susceptible de l’être en pratique clinique. L’équipe de Dubé et al. (2019) a testé la méthode de débriefing PEARLS en pratique clinique et cela semble intéressant pour les soignants. Malheureusement, en France, les praticiens ont tendance à débriefer uniquement lorsqu’il y a eu un problème ce qui génère de forts préjugés lorsqu’un débriefing est proposé. Si la méthode permet de réaliser des rétroactions à la fois en routine et en pratique clinique, cela nous parait très intéressant. Les apprentissages peuvent se faire en clinique mais tout comme en simulation, il est nécessaire d’avoir une méthode fiable et reconnue. Autant il est possible de se tromper en simulation autant si ça a été le cas en pratique clinique, la méthode de débriefing doit être particulièrement bienveillante pour en tirer des apprentissages. Nous avons vu que la réflexivité devait être abordée comme une compétence à part entière et s’il est possible de l’exercer, la développer lors de la pratique clinique cela ne peut être que bénéfique pour le soignant et in fine pour le patient.
Conclusion :
Exploiter au mieux les situations cliniques qui peuvent générer de l’apprentissage nous parait judicieux sachant qu’en termes de QVT, si des équipes entières se lancent dans un tel projet, cela devrait développer le lien social au sein de ces équipes conformément aux recommandations de Clôt (2010) en la matière.