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Le « Management inadéquat » dans le secteur de la santé : de quoi parle-t-on ? Par Jean-Luc STANISLAS


N°2, Décembre 2018


Article publié  par Jean-Luc STANISLAS (Consultant en Leadership, Manager en milieu hospitalier, Expert-HAS,  conférencier, Fondateur de managersante.com), auteur d’un ouvrage sur le management stratégique (2ème Edition, Novembre 2018). 

Il animera une prochaine Conférence à Paris dédiée à la prévention en santé autour du thème :  « Souffrance au travail à l’hôpital : comment s’en sortir ensemble ? » le Mardi 12 Février 2019 organisé  par le Café Citoyen Santé Travail et avec le réseau de consultations « Souffrance & Travail » fondé par Marie Pezé en 1997 et spécialement dédiée au grand public et  aux professionnels du secteur de la santé

Management inadéquat de l’encadrement : de quoi parle-t-on ? 

S’il est pertinent de parler aujourd’hui des conditions de travail particulièrement complexes dans notre environnement hospitalier, il est également intéressant de s’interroger sur les relations interprofessionnelles entre l’encadrement et les équipes soignantes.

Comment repérer certaines pratiques managériales inadéquates ?

Les soignants se trouvent dans un environnement contraint, source de situations de tensions au travail, car l’enjeu consiste à apporter une amélioration constante et croissante de la qualité des soins dans un contexte de renforcement de leurs responsabilités :

Pourtant, parmi les acteurs très impliqués dans l’organisation des soins et la coordination des professionnels dans un service de soins,  l’encadrement soignant joue un rôle essentiel. Les Cadres de Santé assument une fonction managériale dite de « proximité », ce qui pourrait sembler contradictoire, par moment, tellement les Cadres sont sollicités quotidiennement : ils sont soumis, parfois, à des injonctions paradoxales pouvant impacter sur la qualité des relations interprofessionnelles qu’ils doivent entretenir auprès des équipes.

D’ailleurs, l’infirmière peut facilement repérer quelques signes de vulnérabilité managériale, lorsque le Cadre se sent justement phagocyté dans une spirale de contraintes de toutes natures, qui réduit considérablement son temps précieux consacré à « l’encadrement de proximité » des soignants.

Prenons l’exemple du témoignage d’Amandine, 26 ans, IDE depuis 4 ans, Service SLD, Centre Hospitalier Parisien :

 « Je suis infirmière dans un CHU en Ile de France et je travaille dans une unité de soins de longue durée auprès de 75 résidents répartis entre 3 unités de 25 lits. Mon quotidien est rythmé sur un temps de travail en 12 heures. Ma journée commence à 8 heures et s’intensifie, voire se détériore, au fur et à mesure que la journée se déroule : une résidente de 80 ans fait un arrêt cardio-respiratoire en début de matinée, une autre est signalée pour une chute de son lit en milieu d’après-midi, une famille souhaite parler à l’infirmière du service car elle s’inquiète de la perte d’appétit de leur proche, un médecin m’attend impatiemment  pour faire la visite des résidents.

Les tâches s’accumulent au fil de l’eau jusqu’à 20 heures, me laissant un sentiment d’un travail inachevé, ce qui provoque en moi un sentiment de découragement….. J’aimerai vraiment pouvoir parler de la pénibilité de mon travail avec ma Cadre de Santé…Mais, voilà, elle est aussi débordée et donc peu disponible pour entendre mes difficultés. Parfois, j’ai le sentiment de mal faire mon travail… »

Aussi, sans vouloir stigmatiser ni porter un jugement inopportun  pouvant heurter la légitimité de cette fonction indispensable pour une équipe, il est néanmoins possible, pour l’infirmière d’identifier quelques « pratiques managériales inappropriées », voire inadéquates. C’est ce que nous aborderons dans notre prochain article, la semaine prochaine.

Charge émotionnelle des soignantes à l’hôpital et management inadéquat de l’encadrement  

Dans les contextes de travail marqués par de fortes charges émotionnelles en lien avec l’intensité des activités de soins, impactant les organisations sous tensions, il n’est pas exceptionnel de repérer quelques pratiques pouvant entraîner un malaise dans les relations interprofessionnelles entre le manager et les équipes soignantes.

Prenons, quelques modes opératoires « ordinaires », qui, lorsqu’elles deviennent trop excessives ou bien récurrentes, mettent en évidence le risque de « dérives managériales » :

  • Le fait que le Cadre adopte des comportements d’affinité auprès de certains professionnels au détriment d’autres
  • Le fait qu’il mobilise essentiellement une fonction contrôle sur le résultat des tâches réalisées par les soignants, au détriment de la valorisation des soins réalisés
  • Le fait qu’il privilégie de manière systématique l’outil informatique et les formes d’évaluations procédurales comme modalité de valorisation du travail prescrit du soignant au détriment de l’appréciation du travail réel
  • Le fait qu’il ne prenne pas suffisamment en compte la parole des soignants exprimant un désaccord ou une situation difficile qui n’est pas perçue aisément par l’encadrement
  • Le fait qu’il propose une forme de management individuel plus que collectif, source de tensions au sein de l’équipe qui a besoin d’un sentiment d’appartenance au service de la cohésion du groupe
  • Le fait qu’il n’associe pas suffisamment les soignants dans les projets de service pouvant entraîner un sentiment de non reconnaissance, voire de démotivation latente ou manifeste
  • Le fait qu’il augmente régulièrement le niveau d’implication des soignants (sécurité, qualité, continuité, responsabilité….) sans pour autant être dans une juste appréciation des ressources disponibles de l’organisation
  • Le fait qu’il ne soit pas en mesure d’anticiper la régulation des dysfonctionnements organisationnels pouvant altérer les conditions de travail des professionnels soignants, déjà soutenue
  • Le fait qu’il ne propose pas d’intervenir rapidement dans une situation de tension interpersonnelle ou bien en adoptant une position trop subjective et ferme sans analyse approfondie
  • Le fait qu’il ne se rendre suffisamment disponible lors qu’un professionnel ou une équipe souhaite exprimer un sentiment d’insatisfaction au regard d’un évènement indésirable
  • Le fait que le Cadre soit, lui-même, souvent sous tension, pouvant se traduire par une certaine susceptibilité ou une sensibilité émotionnelle, facteur de risque d’épuisement professionnel

Pour autant, les soignants ont besoin d’être reconnus dans leur métier, compte tenu de la mission si singulière de soigner la personne soignée en souffrance.

Il en résulte que cette réalité de travail doit être en permanence explicitée et soutenue par l’encadrement, pour préserver l’intégrité de la cohésion d’une équipe et favoriser l’amélioration de la qualité des soins, la sécurité du patient, en assurant une bonne régulation des relations interpersonnelles dans les collectifs de travail.

Comment repérer les signes d’un management dit « pathogène » ? 

Dans toute organisation du travail dans laquelle les relations interprofessionnelles sont particulièrement complexes ou difficiles, il est important, en prévention des risques psychosociaux, de repérer les facteurs de risque de « management inadéquat », voire pathogène ?

L’équipe soignante, peut repérer ces signes de management dit « pathogènes », bien décrits par Marie PEZE [1], pouvant nuire à son équilibre psychique et physique au travail :

– « Le détournement du lien de subordination : incivilités à caractère vexatoire, refus de dialoguer, remarques insidieuses ou injurieuses, mots blessants, dénigrement et volonté de ridiculiser, moqueries.

Le détournement des règles disciplinaires : sanctions injustifiées basées sur des faits inexistants ou véniels ; atteinte aux avancements de grade et d’échelon, aux demandes de formation professionnelle ; évaluation et notation abusives.

Le détournement du pouvoir de direction : isoler, ne pas donner de travail, fixer des objectifs irréalisables, confier du travail inutile, changer arbitrairement d’affectation.

Le détournement du pouvoir d’organisation : modifier arbitrairement les conditions de travail ou les attributions essentielles du poste de travail ».

Cependant, le personnel d’encadrement n’est pas responsable des défaillances d’une organisation de service qui n’est pas soutenue par l’institution : ce faisant, le management de proximité risque, dans ce contexte, de voir son travail de régulation empêché, faute de ressources.

A force d’être trop sollicité en appui de ce travail aux frontières (remontée d »’informations de gestion, construction de projet), il ne lui reste que très peu de disponibilités pour tenir son rôle de régulateur auprès de l’équipe : cette situation accapare le cadre dans cette spirale de gestion, ce qui se traduit parfois par une souffrance des soignants lié à l’absence de proximité du Cadre de Santé dans le service.

L’encadrement n’est pas épargné de cette spirale de tensions peuvent aller jusqu’à l’épuisement professionnel.

Devant la complexité des organisations hospitalières, la prévention des dérives managériales est l’affaire de tous les managers.

La promotion du bien-être au travail repose donc sur le principe de bienveillance mutuelle de chaque professionnel.

Et ce, afin que l’organisation s’ajuste aux conditions du travail « réel » des soignants, et non l’inverse…pour préserver un haut niveau de la qualité de vie au travail (QVT)…

 

Comment prévenir les risques de pratiques managériales inadaptées à l’hôpital ? 

La souffrance au travail n’échappe pas à l’encadrement soignant, à l’hôpital. Malgré la volonté légitime du Cadre de Santé de porter une attention  quotidienne envers les soignants, il arrive parfois qu’il éprouve, lui-même, des difficultés à trouver la juste posture managériale pour répondre à ces nombreuses sollicitations.

Les soignants peuvent, alors, avoir le sentiment que leur parole ne soit pas suffisamment prise en considération, dans certaines situations éprouvantes (ex : le rapport à la maladie, la mort, la douleur, les situations de précarité sociales, les dilemmes éthiques, la violence, les conflits de valeurs…).

Alors, comment aider l’infirmière, l’aide-soignant ou l’équipe à trouver les mots, les attitudes  et les moments opportuns pour exprimer objectivement ces situations de travail difficiles auprès de l’encadrement ? La littérature sociologique fait état de situations singulières dites de souffrance au travail, plus généralement appelé risque psychosocial.

Dans les faits, cette perception de tensions au travail est souvent ressentie ou exprimée par les professionnels, mais, sans pour autant y apporter une visibilité repérable par les responsables médicaux, administratifs et soignants. Une des raisons essentielles, tient de la difficulté de mettre en mots les « maux » des soignants, ainsi que la complexité d’évaluer les situations de manière objective et constructive.

Quelques conseils pratiques :

Les propositions suivantes peuvent contribuer à aider l’équipe soignante pour préserver la qualité de sa relation de travail avec leur supérieur hiérarchique afin de réduire, voire éviter que certaines situations de tensions individuelles ou collectives, au travail ne se fragilisent, voire se détériorent :

  • Repérer les moments d’indisponibilité de l’encadrement
  • Identifier les situations ou l’encadrement est fortement sollicité par des multitâches quotidiennes qui ne lui permettent pas de se rendre accessible auprès des soignants
  • Demander de manière collective, lorsque la situation le justifie, une réunion d’équipe (espace de discussion) pour évoquer une situation difficile ne pouvant être auto régulée sans l’intervention de l’encadrement
  • Verbaliser le ressenti éprouvé en gardant sa place de soignant sur les situations de travail générant un sentiment d’insatisfaction
  • Développer une communication dite assertive (positive) lorsque l’encadrement exprime un sentiment de ne pas être en situation d’apporter des solutions dans l’immédiat,
  • Solliciter un entretien individuel avec l’encadrement afin pour créer une opportunité d’échange mutuel, à distance d’un évènement à l’origine d’une discorde, afin d’exprimer son ressenti ou son désaccord au regard d’une situation mal vécue par le soignant
  • Adopter une communication dite non violente (CNV) issue des techniques relationnelles comportementalistes afin de ne pas se mettre en situation de vulnérabilité.
  • Proposer, en équipe, l’organisation une médiation avec un responsable du service (ex : Médecin responsable, Cadre Supérieur de Santé, la Direction des Soins, un consultant externe…) dans un climat serein entre le soignant ou l’équipe avec l’encadrement.

Devant la complexité des organisations hospitalières, il est sans doute recommandé d’inciter l’encadrement, dans la mesure du possible,  d’adopter des stratégies comportementales appropriées, à l’échelle individuelle et/ou collectives afin de permettre de mieux fluidifier les relations interpersonnelles, dans des contextes de travail difficiles à l’hôpital, compte tenu des nombreuses micro-situations de stress engendrées par l’intensification des soins combinées avec la rareté des ressources pour y faire face.


Pour aller plus loin :

[1] Marie-Pezé, Docteur en psychologie, psychanalyste, réseau de consultations « souffrance et travail », expert près la Cour d’appel de Versailles), auteure experte pour managersante.com 


 

  2000px-Linkedin_icon.svgtwitter-icon-hoverViadeo-icon  fb_icon_325x325 google icon175x175.jpeg 

Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de managersante.com,  Auteur, ConférencierExpert-Consultant en Leadership & Management pour l’Entreprise Médicale,  à l’attention des cadres hospitaliers et managers du secteur de la santé et du médico-social.

Membre du Groupe de Travail « Leadership » à la HAS (Haute Autorité de Santé) du programme PACTE (Programme d’Amélioration Continue du Travail en Equipe)

Auteur d’un ouvrage sur le « Management stratégique des Cadres Hospitaliers en mutation », Editions Universitaires Européennes (Novembre 2018, 2ème Edition, disponible sur Amazon.fr) et de plusieurs articles dans les revues professionnelles (Gestions Hospitalières, Objectifs Soins & Management)

Master à l’Université Paris Dauphine (Paris IX) en « Economie, Gestion et Management des Etablissements de Santé »

 

Ouvrage paru en Novembre 2018 (2e Edition) aux Presses Universitaires Européennes  

AGENDA 2019 :

Prochaine Conférence à ne pas manquer

avec  Jean-Luc STANISLAS :


 Mardi 12 Février 2019

Jean-Luc STANISLAS animera une Conférence-débat  Cafés Théma à Paris dédiée à la prévention en santé autour du thème : 

« Souffrance au travail à l’hôpital : comment s’en sortir ensemble ? » 

Informations pratiques et conditions d’entrée :

organisé  par le Café Citoyen Santé Travail et avec le réseau de consultations « Souffrance & Travail » fondé par Marie Pezé en 1997 et spécialement dédiée au grand public et  aux professionnels du secteur de la santé


Jean-Luc STANISLAS anime en 2019 de nouveaux programmes de formation pour les Dirigeants, Médecins et Cadres Hospitaliers sur le MANAGEMENT

(en savoir plus, cliquez ci-dessous)


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3 Responses

  1. Cher Jean-Luc,
    A mon tour de vous exprimer ainsi qu’à Julien tous mes voeux pour cette nouvelle année. Encore bravo pour la qualité de votre site.

  2. Une réflexion globale sur la problématique de l’encadrement hospitalier qui m’a intéressé. Les analyses sur les dérives managériales, le repérage des comportements « pathogènes » la prévention des pratiques inadaptées étayées de recommandations pratiques s’inscrivent dans une belle finalité qui donne tout son sens à cet article : « préserver l’intégrité de la cohésion d’une équipe et favoriser l’amélioration de la qualité des soins, la sécurité du patient, en assurant une bonne régulation des relations interpersonnelles dans les collectifs de travail ».

    1. Cher Dominique BERIOT,

      Je vous remercie pour votre commentaire ainsi que les questionnements qu’ils suscitent à la lecture ce cet article.
      Il est vrai que si l’on souhaite aborder la question des qualité du management en interrogeant la posture du manager, il est important d’avoir le courage de regarder en toute transparence les zones de vulnérabilités dans l’exercice de cette fonction complexe.
      J’ai longtemps hésité avant de proposer cet article, compte tenu de la sensibilité de la thématique.
      Mais, il me semblait intéressant de porter une réflexion sur ce sujet si l’on souhaite apporter des améliorations significatives pour mieux accompagner les équipes dans leur quotidien.
      Etre manager aujourd’hui est un talent qui nécessite des habiletés singulières mais surtout une bonne « connaissance de soi ».
      C’était l’intention de cet article, pour permettre d’avancer sur le sujet, avec les contributions des managers de terrain et les experts spécialisés en RH.

      Merci pour votre message et je profite pour vous souhaiter une très bonne année 2019.

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