N°12, Décembre 2017
La question de la toxicité des comportements humains au travail m’interroge depuis de nombreuses années tant la multiplicité des situations de souffrance(s) qu’elle révèle est grande mais le monde de la santé ne me semble pas être protégé à cet égard. Mon expérience et mes interventions sur ce sujet m’ont d’ailleurs appris que tous les cas de toxicité comportementale ne sont d’ailleurs pas forcément reconnus sous la dénomination de harcèlement.
Et pourtant certains signes étaient bien là et les souffrances vécues et constatées elles aussi.
Chaque article que j’ai consacré aux comportements nocifs au travail a par ailleurs suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, surtout quand il s’agissait de dénoncer les comportements managériaux de ce type. Parmi les nombreux retours que j’ai eus (près de 200.000 vues cumulées sur le web), le motif le plus récurrent était que les managers n’étaient pas les seuls à avoir des comportements toxiques.
J’en conviens bien volontiers, ayant moi-même déjà fait ce constat à plusieurs reprises. C’est pourquoi je souhaite aujourd’hui consacrer mon nouvel article aux comportements toxiques de chacun d’entre nous, les employés ou collaborateurs, et proposer aux managers concernés des pistes d’actions à mettre en œuvre pour préserver le collectif et l’organisation.
Mon expertise et mon expérience en management des ressources humaines m’ont appris combien gérer une équipe peut être difficile, surtout quand le contexte économique est en pleine turbulence : les établissements de santé sont donc particulièrement concernés. Ceci dit, j’ai un grand respect pour toutes les responsabilités managériales, du premier niveau aux plus hautes fonctions mais j’ai également la conviction que la notion d’exemplarité est fondamentale plus on progresse dans la hiérarchie.
Pour ces mêmes raisons, je suis aussi convaincue qu’un manager aux comportements toxiques contamine plus facilement ses collègues et son organisation. Il est donc temps de nous intéresser aux comportements de ces derniers et aux conséquences organisationnelles de telles actions.
Selon Christine Porath, Professeur associé de management à l’Université de Georgetown, la propagation des comportements toxiques est très puissante et le pouvoir de contamination tout autant si l’on se réfère à son article de l’Harvard Business Review paru en novembre 2016. C’est pourquoi il est crucial que les employés et les managers sachent reconnaître et traiter les comportements toxiques le plus rapidement possible car la seule façon de réduire ces effets toxiques sur leur entourage, et par-delà l’organisation, reste encore souvent l’isolement.
Savoir isoler une personne aux comportements toxiques suppose toutefois de savoir comment définir un profil d’actions toxiques.
Selon Christine Porath (op. cit.), il s’agit d’un « ensemble persistant et récurrent de jugements négatifs, de sentiments et d’intentions comportementales envers une autre personne ». Concrètement cela va des agressions verbales (et plus rarement physiques) aux sautes d’humeur régulières qui sont partagées sans retenue, en passant par les incivilités au travail et les fraudes en tous genres, sans oublier bien entendu les comportements plus pervers du type du harcèlement, qu’il soit physique ou moral.
Or l’incidence des comportements négatifs est plus importante que celle des comportements positifs dixit Christine Porath, spécialiste du sujet.
Ces comportements nocifs engendrent en effet un certain nombre d’effets néfastes pour l’organisation et les salariés eux-mêmes :
- démotivation et performances amoindries,
- rétention d’informations et méfiance accrues,
- perte de sens du travail,
- sentiment d’appauvrissement intellectuel et
- baisse du sentiment d’épanouissement au travail, etc.
Parce qu’à court terme, tout l’entourage des personnes aux comportements nocifs passe son énergie et son intelligence à se protéger des personnes en question :
- stratégies d’évitement ou
- stratégies de contournement,
- conflits plus ou moins ouverts,…
A plus long terme, les personnes les plus courtisées choisissent de quitter volontairement l’organisation et les autres saisiront une opportunité dès qu’elle se présentera.
Ne resteront alors que les personnes qui n’auront pas voulu ou pu partir au plus vite, mais le risque de contamination deviendra encore plus fort.
Que faut-il faire par conséquent pour éviter un tel dommage ?
Idéalement, en tant que manager, vous pourriez demander à cette personne aux comportements toxiques de quitter l’organisation mais il faut reconnaître que la réalité est souvent tout autre, des circonstances pouvant en effet empêcher cela, du moins à court terme, et c’est d’autant plus vrai dans l’univers de la santé.
Dans ces cas-là, Christine Porath (op. cit.) rappelle que tout espoir n’est pas perdu : vous pouvez isoler la personne des autres employés afin que les effets ne se propagent pas.
Selon elle, la solution réside dans la mise en œuvre d’une certaine distance physique entre le « délinquant » et le reste de l’équipe.
Cela se concrétise en réattribuant des projets, en favorisant les horaires flexibles, en organisant moins de réunions où la présence de tous est requise et/ou en encourageant les gens à travailler à distance dans des tiers lieux voire à domicile quand c’est possible.
Reconnaissons toutefois que certains de ces points sont cependant très difficiles voire impossibles à mettre en place dans les établissements de santé… Que faut-il donc faire ?
Amy Gallo préconise dans un article de l’Harvard Business Review publié en octobre 2016 d’autres actions que les managers peuvent entreprendre. (Je précise toutefois que j’ajoute ici ou là mes propres éléments).
- Comprendre la cause de tels comportements toxiques. Si la vie personnelle de ces personnes aux comportements toxiques est concernée, vous ne pouvez pas intervenir en tant que manager mais par contre rien ne vous empêche de leur conseiller de prendre des congés pour régler leurs problèmes ou d’entreprendre un travail sur eux-mêmes. Certes, cela peut vous rendre plus difficile la satisfaction des obligations de service de votre établissement mais les éventuelles conséquences sur vos patients l’imposent. Si par contre ces comportements inappropriés traduisent une certaine frustration professionnelle, il est de votre responsabilité de trouver une solution et là, vous verrez l’intérêt de l’entretien annuel d’évaluation mené dans les règles de l’art (même s’il est tant décrié actuellement).
- Donner une rétroaction directe, honnête et bienveillante : aussi étonnant que cela puisse paraître pour leur entourage professionnel direct, il faut savoir que dans de nombreux cas, les gens toxiques sont inconscients de l’effet qu’ils ont sur les autres car ils sont beaucoup trop centrés sur eux-mêmes. Les informer de manière directe, honnête et surtout factuelle peut être délicat mais cela s’avère crucial pour que ces collègues puissent comprendre le problème et changer de comportement. En tant que manager, vous pouvez alors discuter du type de comportement que vous aimeriez voir à la place et construire avec eux un plan d’amélioration avec des objectifs clairement définis et mesurables. Charge à eux de montrer après leur capacité à influer positivement sur le collectif.
- Expliquer les conséquences. Si la carotte ne fonctionne pas, vous pouvez également essayer le bâton parce qu’il faut bien le reconnaître, nous avons tous tendance à réagir plus fortement aux pertes potentielles qu’aux gains potentiels ! En clair, montrez à ce collaborateur aux comportements nocifs que sa volonté de ne pas se remettre en question ne lui permettra pas d’obtenir une promotion ou des conditions de travail plus satisfaisantes : le risque qu’il représenterait à l’obtenir serait bien trop grand pour le collectif et l’organisation. S’il persévère, vous serez ainsi certain qu’il était conscient des conséquences.
- Accepter que certaines personnes ne changent pas. C’est parfois difficile à admettre, d’autant que ces personnes aux comportements toxiques peuvent par ailleurs se révéler très compétentes sur leurs domaines d’expertise, mais c’est là leur liberté. C’est aussi votre liberté que de pouvoir prendre la décision de vous séparer de ces personnes si elles mettent trop en danger leurs collègues et l’organisation à persévérer ainsi.
Que faire s’il n’y a pas d’issue possible ?
Si toutefois, après avoir entrepris toutes ces actions, décision est prise d’arrêter la collaboration avec ce collègue aux comportements toxiques, il convient de prendre quelques précautions au préalable.
Il est en effet nécessaire de penser à constituer en amont de l’annonce de la décision un dossier regroupant le plus d’éléments factuels possibles :
- toutes leurs infractions seront présentées de façon concrète et elles seront accompagnées des plaintes de leurs collègues mais aussi et surtout des réponses que vous avez proposées jusqu’à présent.
- Le dossier solidement constitué, vous pourrez alors le transmettre à votre N+1 et au service des ressources humaines ou aux personnes en charge des affaires juridiques de votre organisation pour qu’elles procèdent à la mise à l’écart, au signalement aux pairs, à la négociation dans les règles de l’art voire au licenciement, etc.
Rappelez-vous seulement ceci : tous les éléments que vous aurez apportés seront précieux (y compris en cas d’action(s) en justice) et vous aurez ainsi créé l’occasion que l’on puisse apprécier d’une nouvelle manière votre professionnalisme managérial.
En clair, vos efforts ne seront pas vains, quand bien même votre établissement en serait à nouveau perturbé (je n’ignore pas en effet que votre secteur d’activité connaît déjà des difficultés économiques, organisationnelles, etc. récurrentes). Mais il vaut mieux traiter les problèmes quand il est encore temps car dans tous les cas vous aurez à gérer la situation…
En conclusion…
Je souhaiterai alerter chaque manager ou collègue ayant vécu des situations nocives sur un fait :
côtoyer régulièrement une personne aux comportements toxiques peut vous affecter sur la durée bien plus que vous ne pouvez le penser.
Comme nous l’avons vu, les risques vont de la démotivation à la baisse de performance en passant par la perte de sens au travail voire même la déprime et tout autre risque psychosocial connu.
Il est alors précieux de savoir s’entourer des « toxic handlers » qui existent très certainement dans votre organisation. Mais il est un autre risque auquel on ne pense pas spontanément : celui que vous deveniez par effet de mimétisme identique à cette personne aux comportements toxiques que vous aviez finie par détester.
Par conséquent ayez le courage d’exprimer votre désaccord face à de tels comportements toxiques tant qu’il en est encore temps !
Article rédigé à partir d’une publication du blog managérial de Stéphanie CARPENTIER.
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires…
StéphanieCARPENTIER vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement
Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR, Harvard Business Review , pour partager son expertise professionnelle en proposant ses publications mensuelles, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
6 Responses
Et quand cette personne est le directeur de l’établissement ?
Nous rendons tous des comptes…
Reflexion bienveillante…
Merci beaucoup! Je pensais que la correction avait été enregistrée… Mais cette fois-ci cela devrait être bon.
Et quand cette personne toxique est un médecin ? Quelle attitude doit avoir le manager?
Dans ce cas, la réponse à apporter est en effet plus délicate mais la sollicitation des pairs peut quand même être envisagée.