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Du salariat et de l’entrepreneuriat : quel relativisme éthique invite cette analogie ? Laura LANGE nous invite à y réfléchir avec la célèbre fable de La Fontaine « Le loup et le chien ».

Nouvelle chronique philosophique extraite de l’ouvrage « Se manager : avec la ménagerie de La Fontaine » de Laura LANGE (PhD), conférencière, Docteure en philosophie pratique, chroniqueuse et experte APM. 

Elle interviens depuis plusieurs années dans les organisations. Une activité qui lui a valu de remporter le prix « innovation » du jeune entrepreneur de l’année 2013 à Lyon pour sa première création d’entreprise « Counseling Philosophie« .

Laura LANGE est autrice de plusieurs ouvrages, dont le dernier est publié en 2022 et intitulé « Vers une maternité sans corps », publié aux Éditions de l’Observatoire.

Rappelez-vous. Il s’agit d’un Loup miséreux qui rencontre un Chien vigoureux aussi puissant que beau qui s’était égaré par mégarde. L’attaquer, le Loup l’eût fait volontiers mais pour ce faire, il fallait livrer bataille et le Chien était de taille à se défendre. Indulgent par indigence, le Chien l’aborda donc humblement et le Chien l’invita à le suivre : « Vous aurez un bien meilleur destin » lui dit-il. Le Loup lui demande alors ce qu’il devra faire pour cela. « Rien, chasser les malvenus et flatter ceux du logis, moyennant quoi vous en retirer un salaire, de la nourriture, « sans parler de mainte caresses ». Mais, en apercevant le col pelé du chien, le Loup l’interrogea. « Qu’est-ce là ? lui dit-il. Rien. – Le collier dont je suis attaché dit le Loup : vous ne courez donc pas où vous voulez ? – Il importe si bien, qu’il ne voudrait pas même à ce prix un trésor ».

A quoi sert donc la liberté du Loup s’il en paie le prix au coût de sa survie ? De quoi sert donc rattachement du Chien si celui-ci n’a de liberté que de coups de collier fussent-ils cajolants (cajot-lant) ?

Cette fable est intéressante car elle se présente comme un prétexte pour penser, dans une société où règne le culte de l’épanouissement, notamment au travail, le thème de la liberté d’entreprise et de la contrainte (recevable) du redevable. Autrement dit, il s’agit d’étudier cette fable en établissant un parallèle avec les mondes du salariat et de l’entrepreneuriat, deux mondes comme Chien et Loup pourrions-nous dire.

Observez. Vous avez d’un côté un Chien bien portant qui connaît comme revers à ses faveurs son coût à savoir la contrainte d’un attachement à un maître, de missions à remplir, de comptes à rendre. Le Chien nous renvoie ici à une réflexion sur la servitude volontaire. Comment expliquer que le Chien non seulement se résigne à la soumission mais, bien plus, consente à servir ? Si le Chien, bien portant, paraît être un salarié privilégié (par rapport à la condition du Loup), l’est-il pour autant ?

Dans le célèbre Discours de la servitude volontaire, Etienne de La Boétie montre que la première cause de la servitude est l’oubli de la liberté et l’habitude de vivre dans une société hiérarchisée où règne la domination des uns sur les autres. On peut établir une comparaison entre les stratagèmes, dénoncés par La Boétie, qui sont utilisés par la société pour maintenir la servitude du peuple ; la nourriture, l’abri, les caresses, le salaire du Chien de la fable et les événements, cadeaux, primes et prix qui peuvent être utilisés par les organisations pour les salariés, les rendant ainsi participatifs des actions menées. Autant d’instruments pouvant servir la soumission et permettre au dit chef d’« asservir les sujets les uns par le moyen des autres » pour La Boétie !

 

D’après Nicolas Chaignot dans son livre La servitude volontaire aujourd’hui. Esclavages et modernité, la tendance tyrannique du nouveau capitalisme peut se donner à voir comme une exigence de « servitude volontaire » envers le salariat. Représentant actuellement 93% des actifs, le salariat produit majoritairement les richesses de ce pays, et n’en touche pas la reconnaissance avec des salaires globalement faibles. Les nouvelles formes d’organisation du travail et leurs conséquences sur la santé psychique et physique des travailleurs salariés suscitent des craintes réelles. Pour l’auteur, face à ces nouvelles formes de domination, le droit apparaît comme l’unique garde-fou. Mais à ce jour selon le politicien Gérard Filoche : « Le contrat de travail est un lien juridique de subordination permanente ; en matière de droit du travail, il n’y a pas de volontariat, pas de liberté (pas de liberté de travailler le week-end, pas de liberté de travailler en heures supplémentaires etc.) ». De même le contrat qui lie le Chien à son maître et que symbolise le collier, ne lui accorde dans les faits que peu de liberté. Néanmoins le Chien s’est égaré, aussi demeurerait-il toujours un interstice de liberté ? Nous reviendrons sur cet aspect.

Cette précarité du salariat est renforcée par un contexte libéral qui revendique la liberté, l’autonomie des acteurs.

Dans l’Express L’Entreprise actuellement en kiosque, l’entrepreneurial est présenté comme l’une des clés de l’épanouissement personnel. Selon Marc Simoncini, fondateur de Vleetic, « Pour inventer, il faut être libre et pour être libre, il faut être entrepreneur ». Il ajoute que pour entreprendre « La liberté compte plus que l’argent ». On observe d’ailleurs une certaine précarité à la fois financière et sociale des entrepreneurs, qui sont souvent isolés et ont du mal à décoller, à l’image du Loup. Ce qui nous amène à nous interroger  sur  les  raisons  de  son  indigence.  Est-elle conjoncturelle, manque-t-il de bêtes pour se nourrir, pêche- t-il en cibles à séduire ? Ou bien le Loup est-il un mauvais prédateur ? Ou un mauvais entrepreneur ? Ou encore un mauvais gestionnaire de ses dépenses et de sa panse ?

Il est intéressant de noter combien la perception de la marque du collier du chien, d’une contrainte donc, le rend compatissant. Mais n’est-ce pas la représentation du Loup qui pose le Chien en victime et le maître en tyran ? En effet, rien de son récit ne semble dire cela aussi promptement.

La liberté résiderait-elle dans l’absence de contraintes établies par d’autres ? Ne serait-ce pas là un fantasme libéral ? D’ailleurs, quel entrepreneur n’a-t-il pas de contraintes ? Le Loup serait-il à l’image de ces entrepreneurs « casse- cou », prêts à courir tous les risques au nom de la liberté d’entreprendre ? Ne serait-ce pas là un mécanisme cynique de défense face à un univers fort contraint du travail, incarné par le salariat ? Si ce qui anime le Loup est plutôt la conviction que l’épanouissement, se trouve en terrain libre, quelle est sa valeur si elle le conduit tout droit à la famine, à la faillite voire à la mort ? Est-ce là le prix de la liberté ? Ne serait-ce pas alors une forme de tyrannie de la liberté ? Autant de questions à se poser pour ne pas se jeter dans la gueule  du  loup  interprétative  et  hâtive,  cheminer réflexivement à pas de loup, non ?

Si le Loup a raison de se méfier des dires du Chien car il est vrai que le consentement n’est pas toujours l’expression d’une autonomie personnelle comme le rappelle la philosophe Michela Marzano dans son ouvrage Je pense donc je suis une éthique de l’autonomie. On peut par exemple consentir sous la contrainte ou bien par ignorance.

Gare donc à ne pas se faire happer par ses représentations et préjugés. En effet, le Chien pourrait avoir expérimenté la liberté et, fort de cette vie de Loup qu’il aurait vécue, choisir une autre voie, se faisant animal de compagnie, « company » en anglais signifiant entreprise, se faisant donc animal salarié d’une organisation contraignante mais payante voire gratifiante et reconnaissante. Rappelons que La Fontaine, cultivé et pourtant plus critique vis-à-vis du Chien que du Loup, a lui-même mené cette vie de Chien, passant sa vie sous l’autorité de ses protecteurs mais étant néanmoins Loup d’esprit, observateur et critique de son milieu.

Quoiqu’il en soit « nous sommes condamnés à être libres » rappelle Sartre dans L’Etre et le Néant. Que l’on soit Chien ou Loup, nous sommes une liberté qui choisit. L’essentiel étant de garder l’esprit libre, d’agir de manière éclairée en conscience du réel, d’écouter l’autre avant de juger sa conception de l’épanouissement au travail pour pouvoir essayer de comprendre son choix, le guider, le conseiller, le cas échéant. Ce que ne fait pas le Loup ! Il court le jugement. Ni le Chien, qui retourne se nicher dans sa maisonnée.

Aussi, le résultat ici est-il stérile : chacun retourne à sa vie, aucun ne s’enrichit de l’expérience de l’autre la dédaignant d’emblée. Gare donc à notre mépris, on peut se méprendre ! C’est à ce relativisme éthique que cette analogie invite. Reconnaître qu’il n’y a d’entrepreneur épanouis (et non opprimé par une aspiration démesurée à la liberté) que d’entrepreneurs autonomes, conscients des contraintes réelles et du jeu de la cour professionnelle. Reconnaître qu’il n’y a de salariés épanouis que conscients de leur liberté à la fois d’appartenance collective mais aussi d’entreprise individuelle.

Soyez donc chers lecteurs, autant que faire se peut, « Chien- Loup » : accouplez les bienfaits du Chien salarié et du Loup entrepreneur, les mérites et valeurs du salariat et de l’entrepreneuriat, vous n’en serez personnellement que plus riche et plus fort, plus épanouis pardi !

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