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Le système de santé français aujourd’hui : quels sont les enjeux et défis ? Le Professeur Thomas BARNAY nous en parle dans un ouvrage collectif.

Nouvel article publié par le Professeur Thomas BARNAY, professeur d’économie à la Northeastern University College of Social Sciences and Humanities (Boston, Massachusetts, Etats-Unis)

Il exerce également comme Professeur de sciences économiques à l’Université Paris-Est Créteil et est Directeur de l’Érudite, l’unité de recherche de l’Université Paris-Est Créteil & de l’Université Gustave Eiffel.

Il est vice-Président en charge des relations scientifiques et internationales du Collège des Economistes de la Santé.

Il est également auteur de nombreux articles scientifiques et de plusieurs ouvrages, dont le dernier, sous sa coordination avec Anne-Laure SAMSON et Bruno VENTELOU  intitulé  « « Le système de santé Français aujour’hui : enjeux et défis », publié aux Editions ESKA (2021) faisant l’objet du présent article publié pour ManagerSante.com. Ce texte est un extrait de l’éditorial de l’ouvrage collectif publié en novembre 2021 (qui n’est pas original). Cet extrait d’éditorial est écrit à trois mains avec  Anne-Laure SAMSON et Bruno VENTELOU.

 

La crise sanitaire de l’épidémie de COVID-19 restera un évènement marquant pour notre pays. De nombreuses familles sont endeuillées. De nombreuses insti­tutions sont atteintes, dans leurs fondations, leurs équilibres, leurs habitudes de fonctionnement voire leur réputation. Des pans entiers de l’activité économique sont bouleversés. Panser les blessures d’un tel événement prendra du temps.

La crise de la COVID-19 souligne aussi, parfois avec cruauté, certaines insuffi­sances du système de santé français. Elle met en lumière l’absence de stratégie glo­bale de gestion du risque sanitaire et l’incapacité de prendre des décisions adaptées à un niveau infranational. Elle exacerbe la rigidité d’un système de soins centrali­sé, spécialiste de la prise en charge de malades chroniques à l’hôpital public. Elle jette aussi le doute sur la médecine libérale, qui finalement a très peu participé à la réponse sanitaire. Alors que la France recherche, depuis l’ordonnance Juppé de 1996, une régulation plus stricte du rythme de croissance des dépenses de santé, l’année 2020 restera également celle de la fin transitoire de la doxa budgétaire avec une augmentation record du budget santé de 8 % conduisant la branche maladie à un déficit de 30 milliards d’euros… soit vingt fois plus élevé qu’en 2019 !

Cette pandémie a engagé un système de santé sous-équipé dans une course de fond à laquelle il n’est pas entraîné. Mais elle a aussi révélé une véritable capacité d’adaptation des professionnels de santé à l’hôpital et en ville et des industriels pharmaceutiques, accélérant les processus d’innovation thérapeutique et tech­nologique et de production de vaccins à une échelle internationale.

Dans les premiers mois de la crise sanitaire, une logique médicale instantanée s’est imposée, reléguant au second plan toute autre forme de critère de jugement et de décision. L’objectif unique affiché est d’une déconcertante simplicité : ré­duire la mortalité par COVID-19, « quoi qu’il en coûte ». L’objectif de santé n’aurait donc plus de limite, exonérant ainsi l’individu ou la société de tout ar­bitrage personnel ou collectif, au motif, tantôt d’une supposée gratuité, tantôt de l’absolue priorité. La pertinence même de l’apport des sciences humaines et sociales, en particulier de l’économie, serait alors réduite à peau de chagrin… Au moment où se polarisent ces convictions et se figent ces croyances, il semble, aujourd’hui plus que jamais, nécessaire qu’un ouvrage en économie de la santé puisse éclairer les débats qui traversent le système de santé.

Cet ouvrage réunit 30 contributeurs, économistes de la santé français, et ambitionne d’analyser et de disséquer les principaux défis auxquels le système de santé fait face. De façon dépassionnée, et sur la base d’une littérature aca­démique nationale et internationale dense, il tente également de proposer des pistes de recommandations pour améliorer le système.


Une expertise économique des systèmes de santé, pourquoi et comment ?

Il est courant d’entendre s’exprimer un sentiment de rejet face à l’intervention des économistes dans le système de santé. D’aucuns diront notamment que le sec­teur de la santé est un « secteur à part », qui n’est pas susceptible de régulation économique. Pendant la crise de la COVID-19, cette idée s’est traduite par l’op­position stérile entre la lutte contre l’épidémie et l’activité économique, présentées comme deux objectifs nécessairement rivaux. Le premier serait l’apanage des seuls médecins, désireux de réduire la mortalité par COVID-19, tout en préservant les capacités hospitalières ; et donc, de ce fait, ardents défenseurs du confinement. Le second apparaitrait comme l’étendard des économistes, qui ne verraient dans la sauvegarde du PIB que l’unique objectif d’une société développée et épanouie…

Dans un tel contexte, quelques lignes s’imposent afin de discuter en quoi l’expertise économique, assise sur des méthodes scientifiques et une littérature académique robuste, est utile à l’analyse et à l’amélioration du système de santé. Le mieux est, pour ce faire, de présenter et discuter une série de cinq expertises attribuées, à tort ou à raison, aux économistes.

  • Expertise numéro 1 : les économistes établissent le montant maximum des dépenses

de santé d’un pays et chercheraient à maintenir les dépenses en deçà de ce niveau

Cette expertise-là, les économistes ne l’ont pas ! Et d’ailleurs, ils goûtent en général assez peu l’encadrement quantitatif d’un secteur d’activité économique. De même qu’il ne viendrait pas à l’idée d’un économiste d’affirmer qu’un sec­teur comme l’aéronautique ou la restauration représente une part « trop » im­portante dans le PIB, il n’y a aucune logique économique intrinsèque à défendre un montant-plafond d’activité du secteur de santé dans le PIB. Tout dépend en fait de l’intensité de la demande pour ce secteur de production et, au fond, de la capacité des dites-dépenses à améliorer la santé des populations. L’autre question est la « réalité » de l’intensité de la demande, car elle pourrait être biaisée par le caractère socialisé des dépenses. Sur cette question, il arrive que l’économiste s’exprime et le caractère supposé inflationniste de la prise en charge collective est plutôt rassurant (dans les études sérieuses, il y a peu d’excès de consommation dus au seul fait que les dépenses des français sont bien couvertes par un système d’assurance[1]). Si l’analyse économique peut effectivement conduire à favoriser les dépenses les plus utiles et à identifier et souhaiter réduire celles qui ne le sont pas (gaspillage, fraude, coût de gestion, surprescription ou surconsommation) dans un objectif d’efficience, et également d’équité, il ne s’agit en aucun cas de définir un niveau optimal de dépenses de santé dans le PIB.

  • Expertise numéro 2 : les économistes disposent d’outils pour déterminer dans quelle mesure un objectifde santé doit être mis en balance avec d’autres objec­tifs individuels ou collectifs

La science économique est la science des choix. Or les efforts consacrés à la seule santé sont à mettre en balance avec d’autres objectifs pour la société (éducation, culture, défense…) et pour chacun d’entre nous dans notre budget quotidien (ali­mentation, logement, loisirs…). A titre individuel, et intime, nous pouvons ressen­tir qu’une escalade de soins dédiée à la seule survie pourrait être parfois contraire au bien-être (il est fréquent de voir les patients refuser « l’acharnement thérapeu­tique »). Au niveau collectif, les discussions sur le contrôle de l’épidémie de CO- VID-19 ont, elles aussi, fourni une illustration d’un nécessaire arbitrage entre ob­jectifs. Les pédiatres et les membres de la communauté éducative ont vite alerté sur les risques d’un confinement trop long, qui, s’il sauve probablement quelques an­nées de vie, sacrifie autre chose, de tout aussi important pour la société : les chances de développement cognitif et social des enfants, essentielles à leur épanouissement et à leur santé future. Le problème est bien sûr de savoir où précisément fixer l’ar­bitrage, et, lorsque des groupes sociaux sont en rivalité, de définir les règles d’une décision collective, à l’équilibre des différents objectifs concurrents. Or les écono­mistes ont justement mis au point des outils qui aident à discuter de tels choix, y compris lorsqu’ils impliquent des transferts de bien-être entre personnes. On parle alors de « préférences révélées » : les bénéfices en santé sont, grâce à ces méthodes, mis en rapport avec les sacrifices {coûts), directs et indirects (et pas exclusivement monétaires), que les populations s’avèrent réellement prêtes à accepter.

  • Expertise numéro 3 : les économistes ne tiennent pas compte de la qualité des soins offerts aux patients

Selon leurs détracteurs, les économistes ne tiendraient pas compte de la quali­té des soins offerte aux patients. Bien sûr que si ! Dans la lignée de ce qui précède, les économistes incorporent depuis de nombreuses années la qualité des soins dans les mesures d’évaluation. Il n’est d’ailleurs pas rare que le bénéfice d’un traitement soit mesuré par ce qu’on appelle des QALYs (un indicateur construit pour enrichir le calcul des gains d’espérance de vie d’une mesure de qualité de vie). En outre, d’un point de vue descriptif, et très opérationnel, les travaux des statisticiens et économètres de la santé sont nombreux à s’intéresser à la question de la qualité de soins ; ils cherchent en général à identifier les variations « anor­males » de qualité des soins. Par exemple, les variations d’un hôpital à l’autre d’indicateurs concernant les évènements indésirables révèlent, parfois, des diffé- rcnces interprétables et acceptables[2]. Et parfois non… Le travail de l’économètre est alors de « faire parler des données » pour déceler les situations anormales, toutes choses égales par ailleurs. Le travail va d’ailleurs se faire de plus en plus à partir des développements récents de data, science et de la multiplicité des bases de données et informations qualitatives maintenant accessibles par l’internet.

  • Expertise numéro 4 : les économistes développent leurs outils pour les entreprises privées puis les appliquent aux biens publics sans autre forme d’adaptation

Il faut dire d’abord que les économistes ont à leur disposition une branche dite de 1’ « économie publique » qui s’intéresse aux situations pour lesquelles les mar­chés (et l’initiative privée) sont, par définition, inefficients, et l’étude de leur fonc­tionnement réellement impropre à fournir des enseignements pour le domaine public. Plusieurs caractéristiques du système de santé rendent indispensable l’in­tervention de l’Etat, telles que l’interdépendance forte de l’offre et de la demande de soins nourrie par l’existence d’asymétries d’information entre médecins et pa­tients, ou la nécessité de maintenir un accès équitable à l’assurance-maladie aux personnes les plus malades, dont les dépenses de santé seraient trop élevées pour être assurables par un système privé. Les outils de l’économie publique sont aussi là pour mieux penser des phénomènes « d’externalités de consommations »,cou­rants en santé, dans lesquels il n’est pas possible d’isoler les décisions et actes d’un individu de leurs effets sur autrui. Un bon exemple d’application est la décision de vaccination. L’enjeu de la décision vaccinale n’est pas seulement privatif mais il est aussi collectif, puisque la personne qui décide d’être vaccinée participe à la lutte contre la propagation des épidémies. Ces outils de l’analyse économique ne sont donc pas des transpositions du raisonnement marchand, mais ils ont été, au contraire, forgés spécifiquement pour le cadre non-marchand.

Mais, de fait, il arrive bien que certaines innovations de gestion des entreprises privées inspirent les économistes en charge de la régulation des services publics ; ce fut le cas, par exemple, avec le passage au paiement à l’activité dans l’hôpital public français. Une transposition pure et simple pourrait être dangereuse, car elle reviendrait à requalifier le travail médical de façon excessivement réductionniste (par exemple un nombre d’actes ou de traitements réalisés). Et pourtant, bien faite, cette transposition peut s’avérer utile, car elle extrait justement le travail du médecin de son exceptionnalité et des possibles argumentaires corporatistes atte­nants. Prendre le principe de refinancer pour partie les hôpitaux à proportion de leurs activités permet par exemple de comparer les choix d’organisation locaux avec les services de même mission sur tout le territoire français. De fait, en trai­tant le travail médical comme une « valeur économique » (une chose utile), la transposition ouvre celui-ci au débat et inclut l’ensemble du champ d’activité dans une délibération rationnelle : quels sont les actes réellement utiles (étant entendu même une définition très large). Et ceux inutiles, du moins en comparaison avec ce qui est fait par ailleurs. On en vient à la dernière expertise.

  • Expertise numéro 5 : les économistes contribuent au contrôle démocratique des citoyens sur leur système de santé

Faut-il confier la direction de la guerre aux militaires ? Ou, autrement dit, les médecins sont-ils seuls légitimes pour décider des choix et dépenses de santé ? L’expertise économique souffre parfois d’un accès technique, voire complexe ; mais elle permet de porter un regard décalé et indépendant sur le fonctionne­ment d’un système de santé, notamment en y révélant les anomalies – les points pour lesquels il y a contradiction/(inconsistance) entre des séries de décisions pourtant effectuées en même temps mais dans les différents recoins du système de soins.

La réponse sur la légitimité de l’économiste se situe en fait au niveau politique.

Si l’on juge que le système de santé, et ses professionnels, ont besoin d’un regard critique et d’éléments de contre-pouvoir, la science économique, avec les autres sciences humaines et sociales, peut apparaître alors comme un ou­til de dévoilement et de meilleure délibération démocratique à l’intérieur même du système de santé ; c’est en tout cas ce que ce livre souhaite démontrer.

Pour aller plus loin :

[1] Voir par exemple, Chiappori, P. A., Durand, F., & Geoffard, P. Y. (1998). Moral hazard and the demand for physician services: first lessons from a French natural experiment. European Economie Review, 42(3-5), 499-511.

[2] Par exemple, les hôpitaux de dernier recours – qui accueillent les cas les plus graves – sont nécessairement plus exposés aux évènements indésirables.



https://youtu.be/kVZnl7lk6V8?list=PLGDMItA45PBsNWh1YHwIer79uiF5CO65_&t=167





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