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Quelle est la place du management et de la médiation dans la gestion des conflits et la prévention des RPS ? Le Professeur Yann MIKAELOFF explore cette problématique (Partie 4).

N°4,  Mai 2023

Nouvel article publié pour ManagerSante.com par le Professeur Yann MIKAELOFF, Neuropédiatre à la Faculté de médecine Paris-Saclay. Il est également expert judiciaire près la Cour d’Appel de Paris (Compagnie CEMCAP)/ Médiateur santé, éducation (DU IFOMENE ICP)/

Il est responsable du Centre de Protection de l’Enfant et de l’Adolescent (CPEA) Val-de-Marne/Hauts-deSeine, DMU SEA, Hôpital Bicêtre, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et Consultant des CMS de Cachan et Villejuif/ Equipe « Psychiatrie du développement », CESP INSERM Paris-Saclay

La souffrance au travail comme symptôme de dysfonctionnement systémique organisationnel et social

Nous verrons dans cette 2e partie les conséquences négatives des rapports de pouvoir/inégalités perçus comme illégitimes, en mobilisant la jurisprudence et l’affaires France Télécom (illustrative des conséquences du « management par la terreur », la violence ou la crainte).

La charge mentale/cognitive ou la « largeur de bande mental brute » (Eldar Shafir), associée à une mentalité de rareté liée à la pauvreté des ressources matérielles ou d’initiative, ne se limite pas au cadre de la parentalité et de la vie personnelle. Elle existe aussi au travail, sous forme d’une sursollicitation délétère. Elle est caractérisée par : des difficultés de distanciation avec son travail et de prise de hauteur, une prise de décision paralysée, un recul de la performance, une marge d’erreur augmentée, une perturbation du rythme de vie et un déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle conduisant à l’épuisement.

Prévenir la surcharge mentale relève de l’obligation de sécurité de l’employeur (art. L4121-1 C. Trav et loi santé au travail du 2 août 2021). À l’effet d’écarter la survenue des risques professionnels, des mesures réalisables sont à la portée de l’organisation : réduire la charge de travail, droit au repos (art. L3121-33 CT), droit à la déconnexion (Loi n° 2016-1088, du 8 août 2016 : Art.  55 et s.), créer des espaces d’échange, promouvoir le dialogue et l’écoute active. La négociation annuelle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie et des conditions de travail, inclut la santé et la sécurité au travail et la prévention des risques professionnels (art. L2242-19-1 C. Trav). L’article L.2242-17 CT concerne l’articulation vie privée et vie professionnelle et les modalités du droit à la déconnexion. Les entreprises et organisations dotées de sections syndicales et d’organisations représentatives, ont l’obligation de négocier, au moins une fois tous les quatre ans, sur le sujet de la QVCT. Cela concerne en plein l’institution hospitalière.

Cependant, selon l’enquête récente Odoxa (MNH, février 2023), les hospitaliers se sentent en moins bonne santé que l’ensemble des Français : 26% déclarent être en mauvaise ou médiocre santé (14% dans l’ensemble de la population française. Au cours des deux derniers mois, 62% des hospitaliers ont été affectés par un problème de santé (38% dans la population).

Les hospitalières ne sont pas satisfaites de leur travail. Les conditions de travail à l’hôpital sont en lien à ce mauvais état de santé général.51% des hospitalières se disent globalement satisfaite de leur travail (73% dans la population). Leur travail génère un stress très important pour 80% des hospitalières (48% dans la population). 73% des hospitalières déclarent que leur travail implique une pénibilité physique importante retentissant sur l’état de santé (43% dans la population). Le travail le week-end ou la nuit concerne 65% des hospitalières (60% pour les hospitaliers et 34% pour les actifs en emploi). Travailler souvent plus de 12 heures d’affilée affecte 28% des hospitalières sur 10 (18% pour les femmes actives en emploi).

Les soignantes sont deux fois plus nombreuses à subir des incivilités et des violences physiques ou verbales au travail (82% pour les soignantes contre 41% pour les femmes actives en emploi). 74% des hospitalières déclarent avoir subi des violences de la part de leurs patients et pour 37% d’entre elles, cela arrive souvent. Aux difficiles conditions de travail et à la violence ambiante s’ajoutent une charge mentale plus forte. Comparativement aux hommes (5%), 10 fois plus de femmes (48%) déclarent s’occuper des tâches ménagères à la maison. On observe le même phénomène chez les hospitalières (45% versus 2% pour leur conjoint).

L’affaire France Telecom, emblématique à plus d’un titre, a permis de mettre en lumière un harcèlement moral produit par l’institution et les modalités d’organisation du travail. Cette conclusion n’a été possible que par l’approche systémique inédite poursuivie par l’institution judiciaire soucieuse d’en comprendre les rouages.

Il en résulte qu’une méthode managériale aux conséquences anxiogènes, mise en œuvre dans un délai contraint et sans égard pour la situation des salariés, peut dégénérer en harcèlement moral institutionnel, même si les cadres dirigeants n’ont pas manifesté d’intention de nuire, dès lors qu’ils ne pouvaient pas ignorer les effets possibles sur les conditions de travail des salariés. L’affaire France Telecom a connu, à l’époque des faits, d’importantes retombées médiatiques en raison, notamment, du nombre de victimes. Après le tribunal correctionnel qui s’était prononcé en 2019, la procédure a suivi son cours et les juges d’appel étaient cette fois invités à se prononcer sur cette tristement célèbre affaire de harcèlement moral. Il était, en effet, reproché aux prévenus des faits de harcèlement moral résultant de la mise en œuvre d’une politique d’entreprise visant le départ de 22 000 salariés sur 3 ans (dite « politique de déflation des effectifs »).

La cour d’appel de Paris devait donc déterminer si les dirigeants de France Telecom pouvaient se voir reprocher des faits de harcèlement moral résultant, non pas de leurs relations individuelles avec les salariés, mais de la politique d’entreprise qu’ils avaient conçue et mise en œuvre. Dans son arrêt du 30 septembre 2022, la cour a validé l’approche retenue par le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 13 décembre 2019.

La dégradation des conditions de travail des victimes n’a pas à être l’unique raison du mal-être des salariés. La cour d’appel a rejeté l’argument des prévenus selon lequel la situation personnelle, familiale, sociale ou psychologique des victimes aurait eu un rôle dans le mal-être ressenti et que, dès lors, ce caractère plurifactoriel n’aurait pas permis de déduire un lien de causalité avec les agissements reprochés et leur rôle sur la dégradation des conditions de travail.  Pour la cour, il n’est pas nécessaire de démontrer que la dégradation des conditions de travail des victimes est la seule et unique raison des atteintes à l’intégrité physique ou psychique ou des suicides constatés. Au contraire, même si les prévenus ne connaissaient que quelques-uns des 120 000 salariés, la plupart restant des anonymes, l’accélération impérative de la déflation des effectifs, les modalités utilisées, les retombées en « cascade » et le «ruissellement» découlant de cette méthode aux conséquences anxiogènes, ce dans un délai contraint et sans égard pour le sort des salariés sacrifiés aux priorités financières, en dépit des alertes disponibles, ont constitué des agissements répétés de harcèlement.

La cour d’appel s’est également prononcée sur la question de la complicité de harcèlement moral dans le cadre de cette affaire et a rappelé les contours de cette notion : pour être pénalement répréhensible, le rôle des complices doit avoir été déterminant dans l’accomplissement du harcèlement commis par les auteurs principaux.

Quelle place du management et de la médiation basés sur l’analyse systémique et la démarche humaniste éthique ?

Dans cette partie, nous évoquerons les théories sociologiques des mobilisations improbables et l’importance de prendre en compte les contextes, en montrant le rôle que peuvent y jouer les interventions de médiation.

La médiation qu’elle soit préventive (de projet) ou curative (conflit impliquant le collectif) est avant toute autre chose une médiation ; comme telle elle va œuvrer au sein d’une organisation, d’un groupement humain nécessitant de facto, la mesure des intérêts en jeux et des enjeux en l’espèce, lesquelles peuvent être variables. Cela supposera d’installer une méthode consentie par le groupe et les décideurs de nature à mettre en exergue, dans la chaine des causalités, les points essentiels à débattre et à soigner. Par ce simple effet la médiation d’interpersonnelle peut devenir collective. Si les notions de pouvoir, de crédibilité et de légitimité sont consubstantielles au collectif et donc à la médiation collective, ce ne sont pas forcément ces dernières qui présentent toujours sa difficulté majeure.

L’articulation micro/macro est nécessaire à la prise en compte de toutes les difficultés et des risques encourus à négocier, concilier, arbitrer et/ou à recourir à des services de médiation. La médiation ne peut fonctionner qu’entre égaux/pairs de fait dans l’échange. Dès lors qu’il y a de trop grandes différences/inégalités (structurelles/organisationnelles), il est risqué d’y recourir sous peine de voir une des parties sanctionnée ou mise au banc du service, voire de l’organisation.  Toutes tentatives de médiation/régulation dès lors que les personnes sont en situation inégales ne sont bien sûr pas exclues. « L’inégalité » est présente dans la quasi-totalité des médiations du travail. Il s’agit de considérer en conscience l’impact de cette réalité sur le processus de médiation.

Une situation de harcèlement ou d’allégation de harcèlement ne sera pas traitée collectivement sous ce label. Cependant au fil des dires, il peut apparaître que la situation n’est pas liée seulement à l’action d’un manager, mais aux modalités d’organisation du travail ou aux habitus managériaux ou de soumission de ce dernier dans un milieu donné. La médiation collective, comme de projet, nécessite de poser un cadre de travail spécifique, outre celui du cadre propre aux règles communicationnelles de la médiation. Le bénéfice majeur serait qu’un « toilettage complet vaut mieux qu’une simple toilette de chat », en ce que l’organisation et les acteurs qui la composent, accepteraient d’entrer dans une démarche constructive pour l’avenir en intervenant sur les causes conflictuelles récurrentes et en renforçant les forces coopératives. L’action d’un médiateur dans le contexte du travail n’a pas pour fondement de venir contester la légitimité de la ligne hiérarchique, sauf à ce que les choses se définissent ainsi en l’espèce au cours de l’échange entre les parties, mais bien à soutenir un renfort de cette dernière par la définition, au besoin, de mesures spécifiques porteuses de changement pour le mieux-être au travail. Il reste au médiateur à définir le cadre éthique de son action et à refuser la médiation dans le cadre où une hiérarchie « toxique » viserait à instrumentaliser la médiation en sa faveur.

L’efficience systémique de la médiation, en termes de solution durable et constructive, pourrait aussi être analysée selon le prisme sociologique des « mobilisations improbables » pour l’hôpital. Il s’agirait de mieux comprendre les fenêtres d’opportunités et d’apprentissage d’un « répertoire groupal de l’amiable » permettant les avancées de l’organisation, comme de l’individu y participant, dans un intérêt mutuel (voir Collovald A, Mathieu L., en référence). Ces mobilisations sont dites « improbables » (en termes de déclenchement et de chance de succès) au regard des critères habituellement retenus en sociologie de l’action collective pour repérer les freins à l’émergence de protestations collectives : rareté des compétences militantes, faiblesse des encadrements collectifs, poids d’une identité collective faiblement valorisée voire stigmatisée.

 Il s’agirait aussi de définir des critères spécifiques concernant les freins au processus de médiation et à son succès. Cela invite à soumettre à l’analyse des constats que l’on croyait bien établis, comme des obstacles ne condamnent finalement pas fatalement à la passivité, à la soumission et à la souffrance au travail. Ils peuvent donc, sous certaines conditions et dans certains contextes, être surmontés ou contournés : des mécanismes sociaux défavorables initialement à des interventions médiatrices efficientes se trouvent convertis en déterminations à l’intervention vers son succès par le rétablissement d’un dialogue entre les parties, l’accord entre elles sur des solutions, à leur bénéfice et à celui de l’organisation.

Cela concerne aussi l’exemple de l’action du CLASCHES (Collectif de Lutte contre le Harcèlement Sexuel dans l’Enseignement supérieur), qui est une association féministe de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur, y compris dans le domaine de la santé. Né d’un collectif créé à l’initiative de doctorant·e·s en Sciences Sociales en 2002, il est devenu une association loi 1901 en février 2003. Son point de départ est un constat toujours valable: le dispositif de prévention et de sanction interne aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche ne permet pas aux victimes d’obtenir cessation des violences et réparation. Le rôle du CLASCHES est de lever le silence sur la question du harcèlement sexuel, de sensibiliser, de diffuser des informations juridiques, et enfin d’œuvrer à la réforme des institutions universitaires et de recherche (voir son site internet).  L’association aide des personnes qui sont dans des situations précaires à se mobiliser contre des gens qui sont dans des situations plus favorables qu’elles ; en fait elles/ils essaient de faire advenir des mobilisations « improbables » (doctorant.e.s qui mettent en cause leur directeur/directrice). S’il ne peut pas fournir une aide psychologique ni un accompagnement juridique aux victimes, il donne l’information aux victimes et les oriente vers les structures capables de les accompagner au mieux. Il participe à mettre de la lumière sur les situations par des démarches de type « Name and Shame ». Cela s’articule avec l’existence des cellules de veille et d’écoute dans le cadre du Plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche 2021-2025.

« La science des projets consiste à prévenir les difficultés de l’exécution” (Vauvenargues). La diversification des risques professionnels, les mutations de l’époque et des usages de travail, impliquent de faire des pratiques managériales le pendant et marqueur de la santé au travail. Il en va de même pour la médiation lato sensu et spécifiquement collective et/ou de projet, qui appelle à revisiter la culture de l’entreprise : comprendre, améliorer, modifier, créer cette dernière en l’irriguant de la bienveillance managériale orientée vers la priorité du bien-être au travail.

Obligation légale à la charge de l’employeur, la prévention est rattachée à l’obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié (articles L4122-1 et suivants Code du travail). Aussi les situations de harcèlement au travail (art. L1152-1 C. trav et de discrimination (art. L1132-1 C. trav) sont-elles prohibées et sous la responsabilité de l’employeur. La jurisprudence considère que des méthodes managériales mises en œuvre par un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral (Cass. soc. 10 nov. 2009 n° 07-45321). Par ailleurs, la prévention primaire commande, pour l’organisation, de mener une réflexion mobilisant : le sens du travail et les conditions du travail, les pratiques managériales, l’individu : connaître et comprendre le salarié et développer des outils de dialogue et d’écoute active et le sens du collectif. Les axes sont d’évaluer la charge de travail, de renforcer l’autonomie, de donner du sens au travail, d’avoir une communication claire et efficace et se préoccuper de la conciliation du travail et de la vie privée.

Quels qu’en soient les maux (management inapproprié, organisation défaillante, relations de travail dégradées, injustices, déqualification faute de progrès), il reste que l’efficience managériale dérive du Code du travail : « planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales… » (art. L4121-2 C. trav). La vocation de la prévention, éviter la souffrance au travail, gagne à être efficiente à la source, en phase avec la vertu suprême du travail : faire fleurir des chemins de vies.

Il est important d’oublier la « causalité́ interne » qui peut être qualifiée de « biais » de causalité interne et devenir au sein de nos sociétés une « norme d’internalité » (Beauvois, 1984) fortement intériorisée par les individus : « j’ai besoin d’aide car je ne suis pas à la

hauteur ») (Fritz Heider, 1958). Il s’agit de cesser de faire une affaire personnelle du problème. D’autres, se protègent derrière la causalité́ externe (« pas de chance », « à l’impossible nul n’est tenu »), une autre impasse. Certains consultants tendent à renforcer ces impasses où l’individu devient l’unique responsable de son destin, de sa vie, de ses réussites et de ses échecs. Le manager est aussi un élément fragile du système (posture, responsabilité́, pression) et peut aussi exprimer le symptôme du dysfonctionnement.

Éthique et morale sont des notions identiques, mais alors que l’éthique nous vient du grec, la morale est d’origine latine. Ces deux notions comportent une double dimension, elles renvoient à une dimension pratique (action et ses conséquences) et à une dimension normative (règles). La notion de morale renvoie à l’idée de devoir, alors que la notion d’éthique s’inscrit davantage dans le principe de la recherche du bonheur et le respect de l’intérêt général. Henri Bergson distingue une morale « statique » (fixée, contraignante, « obligatoire », « conservatrice ») et une morale « dynamique » (élan ou de volonté que l’on retrouve dans la notion d’éthique et qui s’inscrit davantage dans une perspective de changement(s)). L‘éthique renvoie aujourd’hui à une réflexion théorique et rationnelle qui porte sur la « valeur » des actes, des actions humaines. Elle est devenue indissociable de la science et s’inscrit dans une démarche réflexive.

De nombreuses situations professionnelles peuvent nous amener à nous questionner sur la portée éthique de nos actes, de nos pratiques, de nos postures, et leurs conséquences. Ces situations peuvent, dans certains contextes, générer de la souffrance, un sentiment d’isolement ou bien encore une perte de sens du travail.

Les situations de conflit éthique sont à l’articulation entre un cadre de référence (valeurs, croyances, normes, représentations) et une demande institutionnelle ou politique sociétale d’actions, de projets ou d’interventions. Le professionnel, comme l’individu acteur, se trouve en alors en dissonance préoccupante entre ce qu’on lui demande de faire, ce qu’il pense juste et, finalement, par rapport à ce qu’il fait. La situation de crise éthique survient quand une organisation, et surtout l’individu au sein de cette organisation, se trouve en décalage entre son cadre de référence (valeurs fondatrices, idéologie, pratiques, normes et croyances) et la réalité sociale, les besoins et la demande sociale. La situation de conflit déontologique est à l’articulation entre les pratiques (ce que l’on fait, méthodologie, actions, intervention) et le cadre éthique professionnel.

Le médiateur se retrouve, comme les médiés, entre deux approches de l’éthique : « déontologiste » et « conséquentialiste ». Pour la première, le respect des « normes » doit s’imposer à l’individu en recherche d’une éthique et s’inscrit dans une perspective conservatrice et conformiste (articulation entre mon action et les normes dominantes). Pour la seconde, les valeurs doivent primer sur les normes (articulation entre mon action et les conséquences pragmatique de mes actions). Ce second positionnement introduit une rupture avec un certain ordre « naturel » et s’inscrit dans une perspective de changement dans une orientation utilitariste. Il s’agit du fondement même d’une action de médiation quelle qu’en soit son champ et/ou sa nature. Le fondement de la médiation est bien d’insuffler de la justice là où précisément cette dernière fait défaut. Pour ce faire, la médiation va osciller en permanence entre « un ordre imposé et commun » et « un ordre autonome et le plus souvent individuel » pour conduire vers « un ordre négocié » compatible avec la nécessité de l’intérêt général et de l’intérêt individuel.

En conclusion

Une phase importante de l’application à grande échelle de l’approche systémique en santé en France peut remonter à la loi Kouchner (mars 2002) sur les Droits des patients (dite de « démocratie sanitaire »), recentrant le système autour du patient. Les logiques de qualité des soins et d’amélioration continue des processus en sont sortie renforcées. Avec les Droits des patients sont associés des mécanismes réels et officiels d’accueil des contestations et des conflits, renforçant la structure démocratique de l’hôpital public. La collectivité assume alors ses responsabilités à l’échelle organisationnelle au-delà de règlements interpersonnels plus aléatoires.

La « loi Leonetti » de 2005 a ouvert, à toute personne majeure, la possibilité de rédiger, à tout moment, un document écrit, dénommé directive anticipée. Elle dispose que les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable ». La loi « loi Claeys Leonetti » de février 2016 a permis de mieux répondre à la demande à mourir dans la dignité par une meilleure prise en charge de la souffrance et en clarifiant l’usage de la sédation profonde et continue, jusqu’au décès, en phase terminale. Elle permet également de conforter la place de l’expression de la volonté du patient dans le processus décisionnel et en particulier de ses « volontés précédemment exprimées ». Elles ont été aussi l’occasion de déploiement de processus d’échanges et propositions entre les acteurs de type systémique.

Le débat autour de l’impartialité de la médiation internest facteur d’évolution vers le recours à une médiation externe totalement indépendante et neutre, sans lien avec la/les voie(s) hiérarchique(s) des parties en conflit. Ces contextes encouragent les médiateurs, souvent en comédiation, à envisager la dimension systémique pour se positionner de façon juste. Ceci au-delà d’une approche interpersonnelle trop souvent restrictive et à risque d’instrumentalisation par la partie en rapport de force dominant. Il s’agira aussi d’évaluer le potentiel de soutien des hiérarchies concernées à l’accord de médiation obtenu entre les parties, permettant son application durable.

La médiation de projet et la médiation collective ont toute leur place dans des situations où le conflit interpersonnel n’est que le symptôme de dysfonctionnements plus diffus au niveau de l’équipe, du service, du département ou de l’organisation. Les causes de conflictualité et les facteurs de coopération seront alors mieux considérés, tout en gardant la confidentialité de certains éléments interpersonnels. La médiation de projet est un processus de construction (et, par voie de conséquence, de prévention), alors que la médiation de conflit est principalement un processus de réparation. L’analyse stratégique considérera ainsi les perspectives d’aggravation pour aider les médiateurs à décider de l’adéquation d’une médiation.

Il s’agira d’apprécier dans l’organisation le niveau « acculturation spécifique » en faveur de la démarche amiable collective qui peut être entravée par les cultures du mandarinat et des hypersachants (les experts habituels ne sont plus en position d’autorité dans un processus de médiation). La méfiance de certains acteurs par suite d’injonctions paradoxales antécédentes, l’existence de réseaux d’intérêts communs informels entre les acteurs, la division de groupes de longue date, au-delà de l’intérêt collectif et de la continuité du service public dans la situation conflictuelle présente, seront aussi à considérer. Il s’agit là des conditions à évaluer pour la mise en place d’une médiation organisationnelle vraie, respectant l’identité et la culture de l’organisation, comme des personnes anciennes ou nouvelles, considérant la norme, comme le Droit, les valeurs, la morale et l’éthique, de façon juste.

Ceci pour dépasser le concept : « on a toujours fait comme ça » créateur de conflits et pour avancer de façon réaliste et résiliente, ensemble, dans le respect et la confiance, dans la richesse de l’organisation et du travail, comme de la place de chacun.e, face à la réalité du monde tel qu’il est avec ses contraintes et ses potentiels. La posture éthique consiste, à l’issue d’un travail réflexif et collectif, à se poser la question : « comment agir au mieux ensemble dans l’intérêt de tous, professionnels de santé, comme patients, et population ? ».

Merci à Marc Vignal, Psychosociologue consultant (chargé de cours en psychosociologie et sociologie des organisations), pour sa générosité documentaire et ses commentaires riches et détaillés.
Merci à Kevin Diter, Sociopsychologue pour ses commentaires et ses suggestions inspirantes et stimulantes.
Merci à Françoise Housty, médiatrice, Co-directrice du DU de Médiation de l’Université de Toulouse Capitole, Directrice du DEMF Institut Saint-Simon Toulouse et enseignante à l’IFOMENE (Institut Catholique de Paris), pour ses avis éclairants sur cet article et pour ses enseignements sur la médiation collective en santé.
Merci à Catherine Guerreiro, coach formée à l’Approche systémique et stratégique de Palo Alto, ainsi qu’à la thérapie MOSAIC, pour notre échange constructif.
Merci à Luc Heimendinger, médiateur et enseignant à l’IFOMENE (Institut Catholique de Paris), pour ses avis éclairants sur cet article et pour ses enseignements sur la médiation de projet en santé.

 

Pour aller plus loin :

Références

  • Aoustin-Herce I. Stratégie de médiation pour les entreprises. Hermann Éditeurs 2021.
  • Bernoux P. Sociologie des organisations. Points Seuil 1985.
  • Bret JM. La Médiation – Un mode innovant de gestion des risques psychosociaux
  • Médias & Médiations 2016.
  • Collovald A, Mathieu L. Mobilisations improbables et apprentissage d’un répertoire syndical. Politix « Conflits au travail », 2-86, 119-143 ; 2009.
  • Crozier M, Friedberg E. L’acteur et le système. Points Seuil 1977.
  • Chabanet D, Chakor T, Goujon N, Richard D. L’approche de Palo Alto : une alternative pour gérer le mal-être dans les organisations ? Recherches en Sciences de Gestion, 1 34, 161-186 ; 2019.
  • Dejours C, Gernet I. Psychopathologie du travail. Elsevier Masson 2016.
  • Dejours C. Conjurer la violence : Travail, violence et santé. Payot et Rivages 2019.
  • Jeoffrion C. Santé et représentations sociales : une étude « multi-objets » auprès de professionnels de santé et non-professionnels de santé. Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2-82, 73-115 ; 2009.Marc E, Picard D. L’approche systémique des organisations. Communication & Langages, 125, 56-72 ; 2020.
  • Malarewicz JA. Gérer les conflits au travail – Développer la médiation face aux risques psycho-sociaux. Pearson France 2016.
  • Malarewicz JA. Petits deuils en entreprise. Souffrance au travail : blocages et non-dits. Pearson France 2017.
  • Mannoni P. Les représentations sociales. Que Sais-Je 2022.
  • Marandola M, Lefebvre G. L’intelligence collective dans la co-médiation : une expérience éprouvée. A Égalité 2022.
  • Neveu E. Sociologie des mouvements sociaux. La Découverte 2019.

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