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Peut-on dépasser VUCA pour manager dans la crise ? Floriane BORDELAIS et Alain PHILIBERT nous expliquent comment.

Nouvel article publié pour ManagerSante.com par Floriane BORDELAIS, Directrice d’hôpital adjointe au Centre Hospitalier Moulins-Yzeure, chargée des opérations depuis Janvier 2021, du parcours patient, de la qualité et de la gestion des risques.

Cet article est rédigé en étroite collaboration avec Alain PHILIBERT, Directeur d’hôpital honoraire – Expert ANAP , Manager senior en santé, Expert outre-mer et gestion de crise sanitaire , Facilitateur en intelligence collective. Il est également co-auteur d’un chapitre de l’ouvrage collectif interdisciplinaire de référence publié en Octobre 2021, chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins », sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  

 

 

Gérer la crise est devenu le quotidien des manageurs de santé : faire face à un coronavirus, une variole du singe ou au retour saisonnier de l’arbovirose, se préparer aux afflux massifs de victimes après un feu de forêt géant : l’extraordinaire est devenu une routine presque saisonnière pour les manageurs de santé. Pour les aider dans ce nouveau quotidien professionnel où la crise est centrale, la méthode VUCA ou VICA chez les francophones donne des clefs de lecture pour les situations volatiles dans ses effets, incertaines dans leurs durées, leur complexité et leur ambiguïté. Après deux ans de situations sanitaires exceptionnelles liées au déclenchement d’une pandémie, un directeur d’hôpital expérimenté, Alain Philibert, et une directrice entrant dans la profession, Floriane Bordelais, mettent à l’épreuve la méthode VICA et tirent les enseignements croisés de leurs expériences managériales. VICA est-elle une nouvelle grille de lecture ou le nouveau mantra infaillible pour manager dans la crise ?

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Analyser la volatilité pour anticiper

VICA nous invite à analyser la volatilité des situations. Depuis 2020, la pertinence de ce prisme est sans cesse confirmée par la crise Covid-19 aux manifestations imprévisibles. Pour Floriane Bordelais, alors élève directrice d’hôpital et apprenant le management hospitalier lors de la première vague se rappelle : « nous comptions les masques, les lits disponibles à l’échelle de l’établissement, et le nombre de personne positive sur 100 000 habitants à l’échelle d’un territoire, et on faisait des projections, des scenarii catastrophes sans penser un seul instant que le pire n’était pas inéluctable, que la réalité de l’Est ne serait peut-être pas de façon uniforme celle de la France entière. » Au sein du Centre Hospitalier de Moulins Yzeure où elle réalisait son stage, cette imprévision a poussé à l’anticipation : celle des vagues par l’organisation de cellule de veille de la règlementation et de l’épidémiologie, celle des risques psychosociaux professionnels par des lieux d’écoute, celle des possibles retour à l’hôpital par le renforcement de l’hospitalisation à domicile pour suivre les Covids longs, au traitement encore inconnus et à la guérison incertaine.

Loin d’être une fatalité, notons donc que le manageur hospitalier était préparé à cette volatilité car il a déjà expérimenté son management dans l’imprévisible. Pour Alain Philibert, la gestion de la crise a donné ses premières leçons, lors de la survenue du chikungunya à la Réunion. Il avait été invité par la DGS à présenter, lors d’un colloque au ministère de la santé, les enseignements tirés de l’organisation mise en place à la Réunion, et plus particulièrement dans sa clinique PSPH, pour faire face à l’épidémie qui frappait fort la population. Dans cette situation VICA, « il avait fallu tout inventer, compte tenu de l’éloignement, de l’isolement, de l’absence d’expérience et de l’inexistence des organisations actuelles, notamment de la réserve sanitaire, qui sera mise en place dans les mois qui suivirent ». Par la régularité de survenue des évènements climatiques (cyclones et ouragans) et des épidémies de maladie à transmission vectorielle (chikungunya, dengue, zika, paludisme…) les ultramarins étaient assurément, jusqu’à 2020, les hospitaliers les mieux préparés aux crises sanitaires, et ils s’entraînaient régulièrement.

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Lire l’incertitude pour se réinventer

VICA lit les crises dans leur diversité comme des situations plaçant tout manageur dans l’incertitude. Lors de la première vague Covid, les directeurs se sont interrogés sur l’interdiction des visites, prérogative pourtant classique du pouvoir de police interne : quelles exceptions fallait-il mettre en place ? Quelle communication déployer pour l’expliquer aux patients souffrants et aux familles inquiètes ? Le doute fut également pressant au moment de fixer la date de retour de la programmation des hospitalisations auparavant non urgentes. Cette crise et son afflux de patients, a par ailleurs remis en question jusqu’à la définition de l’urgence pour les hospitaliers. Signifiait-elle la même chose en 2019 qu’en 2020 ?

L’incertitude créée dans le nouveau monde Covid a été salutaire. Parce que les manageurs de santé ont douté, ils ont investi dans des temps longs de discussion : des cellules d’écoutes, des comités éthiques ont été créés ou renforcés, des RETEX menés pour corriger les plans blancs avec les enseignements acquis lors de la première vague, et surtout des temps de brainstorming collectif ou plus sobrement appelé CCH. La cellule de crise a ceci de particulier qu’elle n’a rien d’officiel au sens légal et réglementaire : une composition décidée par son président mais sans mode de désignation établi, un mode de fonctionnement dessiné par la cellule qualité de l’établissement mais pouvant être modifié au gré des SSE, pas de domaine de compétence clairement énoncé. Les avis qui sont rendus, qu’ils soient suivis ou non d’effet par le manager, échappent à toute forme de contrôle et ne sont susceptibles d’aucun recours. Ce qui, en droit public, peut paraître comme parfaitement dérogatoire du droit commun, sans toutefois être frappé d’illégalité.

Pour Alain Philibert, « la cellule de crise s’est appuyée sur une force collective qui s’est construite au fil des réunions et des échanges. En effet, les crises ont cette vertu de rapprocher les gens, de faire tomber les barrières, de faire circuler la parole et de faire s’écouter les uns les autres. Les crises bousculent l’individuel et enrichissent le collectif, ce dans un seul but, mieux vivre ensemble pour être efficace ensemble. L’intelligence du leader de la cellule tient dans sa capacité à faire émerger les idées utiles, à donner toute sa dimension à cette intelligence collective indispensable, et à permettre à chacun d’oser s’exprimer librement, dans le respect de l’auditoire. C’est cette capacité qui emporte l’adhésion des participants, notamment soignants et médicaux, à ce mode de cogestion inhabituel, démocratique et participatif. Pour qu’une telle organisation pluridisciplinaire fonctionne, il est indispensable, d’une part d’en officialiser la composition, et d’autre part de faire de la circulation de l’information une priorité institutionnelle de gouvernance. »

Déchiffrer la complexité pour s’imposer

L’environnement VICA instauré par la crise Covid a mis en exergue la complexité de l’hôpital. On lui reproche son système hiérarchique pyramidal, bâti sur une autorité à la fois fonctionnelle et hiérarchique, avec des zonages par pôles aux contours mouvants au gré des changements de chef de pôle. Les manageurs de santé pouvaient alors rester face à ce constat de complexité ou en jouer. La multiplicité des échelons est devenue ici une force, celle de la pluridisciplinarité. Les vagues Covid l’ont montré, ce ne sont pas des grades qui cogèrent une crise, mais des professionnels reconnus pour leurs compétences, leur savoir-faire et leur savoir-être. Il appartient alors au décideur hospitalier d’optimiser l’engagement des professionnels.

La complexité s’exprime également hors les murs de l’hôpital. Organisés en groupements hospitaliers de territoire, des établissements dits supports pilotent une organisation administrative sans personnalité juridique, composés à la fois d’établissements parties autonomes ou en directions communes. Ce léviathan administratif a dû faire face à sa première grande crise sanitaire globale avec l’arrivée de la Covid. Dans la complexité de la crise, le GHT s’est incarné. Les établissements pilotes centralisaient les stocks des EPI, recueillaient le nombre de lits disponibles en unité covid et en réanimation au sein des périphériques, organisaient les transferts de patients interrégionaux quand la place venait à manquer. Son rôle a été redéfini : si les CHU ont été confortés comme centres recours au sein de son territoire, les établissements parties encore autonomes ont pris une envergure à contrecourant du mouvement entrepris depuis la loi HPST, celui d’établissement pivot de territoire. Les CHU ne pouvant répondre présents pour l’ensemble des bassins de population composant le groupement, les établissements parties condamnés dans le monde avant la Covid à la direction commune ont retrouvé leur capacité d’action par la gestion de la crise covid.  Floriane Bordelais se rappelle un EHPAD du bassin de population moulinois fortement touché par l’épidémie : résidents et professionnels étaient positifs. L’état de santé des résidents étaient inquiétant et la situation dramatique : coordonnateur médical et paramédicaux positifs étant isolés et donc inaptes à prendre leur poste. Le Centre Hospitalier Moulins Yzeure s’est alors organisé pour renforcer le service HAD et apporter les soins hospitaliers au chevet de ces résidents.

Oser l’ambigüité pour saisir des opportunités

Enfin, VICA permet de lire l’ambiguïté des situations de crise en soulignant les enjeux multiples et inconciliables. Alain Philibert se remémore une décision « efficace mais parfois limite juridiquement et techniquement prise un soir où ma clinique réunionnaise croulait sous les malades du chikungunya avec mon adjointe, la Croix Rouge locale, les médecins et cadres présents, de transformer en pleine nuit un service de chirurgie ambulatoire en service de médecine post urgence alors que l’établissement ne disposait ni des autorisations ni des moyens pour le faire, et que ma hiérarchie avait ordonné de ne pas le faire. » Interrogez un directeur d’hôpital sur son management pendant la crise Covid, et il vous parlera du grand écart permanent qui lui a été imposé. A la fin de son stage de direction à l’été 2020, Floriane Bordelais se rappelle les équations nombreuses et impossibles auxquelles faisait face le CODIR : « il fallait rétablir un capacitaire ordinaire mais garantir des lits pour les potentiels patients Covid des vagues suivantes, rétablir les visites mais préserver l’hôpital qui abritait encore des patients positifs et donc fragiles, comme une bulle sanitaire, imposer le port du masque obligatoire alors que chacun s’en débarrasse avec allégresse en quittant son poste, développer une politique de développement durable alors que nous multiplions les commandes d’EPI à usage unique ».

Charge alors aux manageurs de santé de se nourrir de cette ambigüité pour garantir au patient une meilleure prise en charge, aux équipes une plus forte QVT et à l’établissement une plus forte performance. Après des vagues covid qui ont imposé la suspension des visites ou des déprogrammations sans demander l’avis du patient, il convenait de remettre ce dernier au centre du village hospitalier. Les opérations de « patient partenaire » comme au Centre Hospitalier de Moulins Yzeure, « patients experts » aux HCL, ont été multipliées pour que l’hôpital capitalise sur son expérience, sur son vécu dans le cadre de l’amélioration continue de la qualité. Après des dizaines de CCH pluriprofessionnelles, l’équipe est devenue la solution pour sortir des situations confuses : méthode PACTE ou team bulding se multiplient aujourd’hui pour se nourrir de l’énergie collective. Après des rencontres parfois forcées avec les acteurs du territoire, l’hôpital a été appelé à composer sur le long terme avec l’ensemble des professionnels de santé. Libéraux et hospitaliers ont ainsi été poussés par les circonstances à rétablir le dialogue, à s’entendre sur les parcours de soins au sein de leurs territoires communs. En témoignent aujourd’hui les SAS, nouvelles portes d’accès à des soins plus régulés et plus pertinents, et les DAC pour renforcer les filières médico-sociales. Le rôle des ARS s’est vu également conforté par la crise Covid. Oscillant entre refus d’exercer de l’entrisme et volonté d’incarner l’organisation des soins sur le territoire, les directeurs territoriaux ont trouvé un nouvel écho. D’abord médiatique, décrivant chaque matin à la radio les courbes de taux d’incidence et de reproductivité du virus, les délégations territoriales ont été mieux identifiées. Les relations entre les établissements de santé ont été enrichies. Médiateur entre structure privée et structure publique, les DTARS ont demandé à chacun de jouer le jeu : celui du tout Covid et de la fin de course à l’acte pécuniairement intéressant. L’objectif était clair : organiser ensemble et de manière dynamique, donc révocable et « re visitable » sans délai, l’offre de soins du territoire afin de l’adapter à l’ambiguïté de la crise. Les rencontres collectives régulières organisées dès le début 2019 au sein des territoires entre l’ensemble des acteurs hospitaliers, tous statuts confondus, doivent perdurer pour favoriser cette ouverture, cette découverte et cette compréhension de l’autre, de ses contraintes comme de ses potentiels.

 

Conclusion

La méthode VICA permet de lire et d’analyser les situations indésirables créés par une crise. La pandémie du coronavirus SARS-COV-2 par ses manifestations imprévisibles, sa fin incertaine, sa complexité et son ambigüité, constitue un environnement propice à l’utilisation de cette méthode d’analyse. Néanmoins, nous les manageurs de santé, nous nous tromperons si nous faisons de VICA une nouvelle grille d’analyse des EIAS. Tout d’abord parce qu’ils existent d’autres méthodes plus exhaustives comme ORION ou ALARM. Ensuite, parce que VICA est un test auquel soumettre quotidiennement son management. Questionnons notre management pour le rendre plus efficient, pour le faire tendre vers plus de participation et de transversalité, au service d’une gouvernance plus inclusive des soignés et des médico soignants. Face à plusieurs années de crise, comprenons que nous sommes tous devenus des gestionnaires des risques, et que cette fonction ne doit plus être réservée à la seule Cellule Qualité de l’établissement. VICA nous invite à faire de la volatilité une opportunité. Gérer un risque même a posteriori n’est jamais que le moyen de rénover des plans continus d’activité, de favoriser la multiplication des campagnes de vaccination, de ne plus repousser les fastidieux exercices de simulation. Pensons et pansons par l’incertitude car elle permet la remise en cause profonde des acquis, de questionner les organisations internes historiques et de se donner les moyens d’une véritable souplesse et d’une plus grande fluidité des parcours intra. Apprenons à nous jouer de la complexité car la diversité des acteurs du territoire impose de travailler ensemble, avec un objectif qualitatif parfaitement identifié :  assurer la bonne prise en charge du patient, au bon endroit, au bon moment. Enfin, imposons-nous de relever le défi de l’ambiguïté, ou la capacité du manager hospitalier à repousser les limites et à bannir « c’est impossible ».

Pour aller plus loin :

Livres

  • CHAMINADE Benjamin, Management vuca : volatilité, incertitude, complexité, ambiguïté : manager dans le nouveau normal, Management et leadership, Edition Gereso, 2022, 180 pages
  • CRENN Jean-Paul, Ce monde est-il fou ? Non, il est VUCA, 4 clefs pour comprendre notre monde, Livre Blanc #1, Edition Vuca Strategy Editions, 2015, 50 pages
  • DEATON Ann V, VUCA Tools for a VUCA world : developing leaders and teams for sustainable Results, Edition DaVinci Resources, 2018, 236 pages
  • KUMAR Praveen, PETER Magdalen, VIGNESHWAR K, Naviguer dans un monde perturbé : Stratégie pour se déplacer dans le mone VUCA, Editions Notre Savoir, 2020, 132 pages

Articles

  • AIT Didier, Dans quel monde VUCA souhaitons-nous évoluer ? 2020, www.pme-pmi.fr
  • BERTEZENE Sandra, Affronter le Covid-19 comme l’armée affronterait son ennemi ? 2020, hal-03284691
  • BOYER Francis, Comment faire face à la crise Copvid-19 et évoluer dans un monde VUCA : Volatile, Uncertain, Complexe et Ambigu, Innovation managériale par Francis Boyer, www.innovationmanagériale.com
  • LE GAILLOT Sandrine, Le management de l’intelligence collective par le cadre de santé, Santé publique et épidémiologie, 2021, dumas-03456543
  • RUTLEDGE Tim (Dr), Leadership in volatile, uncertain, complex and ambiguous times, www.hospitalnews.com
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