N°11, Novembre 2017
Travaillant pour et avec des managers depuis des années, que ce soit dans le conseil, la recherche ou la formation, je suis souvent confrontée à leur difficulté voire leur désorientation et parfois même leur détresse à répondre aux injonctions multiples, variées et souvent contradictoires auxquelles leurs collaborateurs, leurs collègues, leurs supérieurs hiérarchiques, leurs clients voire même les patients selon les cas… (bref, toutes les parties prenantes internes et externes qui les concernent) les soumettent en permanence.
De nos échanges, il ressort souvent cette phrase : « il faudrait que j’ai encore plus de force de caractère » ou bien « mais enfin, je ne suis pas un surhomme ! ». Mon billet de ce jour va donc apporter des éléments de réponse à ces réflexions, d’autant que le milieu de la santé y est particulièrement confronté.
La question du surhomme en établissement de santé peut faire penser à cet homme (ou cette femme) tout puissant, sans faille et champion de la performance. Ce mythe est plus ancré dans les mentalités qu’on pourrait le penser puisque le culte de l’excellence et du dépassement de soi est très valorisé dans nos sociétés.
Les technologies nous y incitent d’ailleurs toujours plus : notre hyper connexion nous informe en temps réel de l’atteinte de nos résultats professionnels et d’une manière plus (ou toute aussi ?) insidieuse, les bracelets connectés nous transmettent au quotidien les performances de notre corps (notre rythme cardiaque, la qualité de notre sommeil, l’état général de notre forme sont en effet analysés de façon précise).
Les risques de surinvestissement au travail de chacun, et a fortiori des managers, sont alors plus fréquents, d’où les plaidoyers de certains spécialistes en ressources humaines pour une déconnexion de ces mêmes technologies et une reconnexion à soi plus fréquente.
Pour autant, le héros de l’organisation existe bien sous la forme du « toxic handleur » que j’ai déjà eu l’occasion de présenter dans un précédent article.
Pour mémoire, les « catalyseurs de souffrance », ces héros du quotidien (tels que définis dès 1999 par Peter J. Frost et S. Robinson dans la Harvard Business Review), sont peu nombreux mais plus courants en entreprise qu’on ne le pense parce qu’ils parviennent (le plus souvent de façon inconsciente) à canaliser la souffrance de leurs collègues générée par des comportements toxiques au travail, quelle que soit leur position hiérarchique.
Il n’est donc pas nécessaire d’occuper une fonction managériale selon Peter J. Frost pour être reconnu comme :
- un porteur de confiance,
- un porteur de souffrance ou
- un porteur de compassion (ce sont les trois catégories repérées par Gilles Teneau, docteur ès sciences de gestion, enseignant-chercheur au Lemna, Université de Nantes, que j’ai déjà développées par ailleurs).
Arrêtons-nous cependant sur cette dernière catégorie des porteurs de compassion. Ces figures de « toxic handler sains » ont fait un tel travail sur elles-mêmes qu’elles apparaissent généralement comme faisant preuve d’une force de caractère phénoménale.
Leur très grande connaissance intime leur permet en effet d’être capables de canaliser puis de disperser cette souffrance pour en faire une force comme le rappelle Gilles Teneau. Le héros de l’organisation, ou le surhomme au travail, serait alors celui qui dépasse sa propre souffrance au travail pour aider les autres.
On touche là une attente de plus en plus forte des individus envers les propres managers. Cela suppose toutefois de savoir ce qu’on entend par force du caractère.
Quelles sont les 24 forces du caractère selon C. Peterson ?
Christopher Peterson, Professeur de psychologie à l’université du Michigan, s’est attaché à étudier les forces du caractère que l’on peut définir comme des traits positifs qui émanent de la personnalité. De ses travaux, il ressort qu’il existe 24 forces du caractère qui se regroupent autour de 6 vertus : sagesse et savoir, courage, humanité, justice, modération et transcendance.
Avant de détailler ces différents éléments, précisons que ces valeurs et vertus examinées, bien qu’issues en partie des religions, sont des valeurs laïques à part entière. Par exemple, la transcendance ne se résume pas à la religiosité dans la mesure où elle inclut la spiritualité (qui peut être une valeur partagée par des personnes agnostiques), l’appréciation de la beauté, la recherche du sens de la vie et même l’optimisme.
Quoi qu’il en soit, présentées sous une version abrégée, ces six vertus et vingt-quatre forces du caractère sont ainsi réparties :
- Sagesse et savoir (en anglais : wisdom) :
- Curiosité et intérêt pour le monde
- Amour d’apprendre
- Jugement, sens critique, ouverture d’esprit
- Ingéniosité, originalité, intelligence pratique
- Clairvoyance, recul, mise en perspective.
- Courage :
- Valeur et bravoure
- Persévérance, assiduité, diligence
- Intégrité, authenticité, sincérité
- Enthousiasme
- Humanité et amour :
- Amour et attachement
- Gentillesse et générosité
- Intelligence sociale
- Justice :
- Esprit d’équipe, sens du devoir, loyauté
- Equité, impartialité
- Sens du commandement : leadership
- Modération (en anglais : temperance):
- Pardon
- Humilité et modestie
- Prudence, discrétion, précaution
- Maîtrise de soi, autorégulation
- Transcendance :
- Appréciation de la beauté et de l’excellence
- Gratitude
- Espérance, optimisme et orientation vers le futur
- Joie et humour
- Spiritualité, recherche du sens de la vie, foi, religiosité
De la bienveillance dans les organisations de santé…
Ramenés au monde des établissements de santé et au-delà à celui de toute organisation, il faut reconnaître que nombre de ces éléments font déjà l’objet d’une promotion accrue auprès des managers : on parle par exemple du management par la bientraitance ou de la journée de la gentillesse en entreprise.
La promotion de la bienveillance au travail renvoie quant-à elle à la mise en avant des vertus d’humanité, de modération et de justice. L’intelligence émotionnelle est également présente de manière transversale dans plusieurs vertus ici présentées… Pour autant, ces traits du caractère sont commun à toutes les personnes, peu importe leur position hiérarchique.
Il n’empêche que la nécessité de développer toutes les forces du caractère se retrouve cependant plus prégnante chez les managers. Par leur positionnement hiérarchique, les managers se doivent en effet de donner du sens aux activités de leurs équipes, qu’il s’agisse de celles de leurs collaborateurs ou de leurs propres activités.
De la même façon, on attend d’eux qu’ils sachent « donner le cap » tout en restant maîtres d’eux-mêmes. On espère aussi qu’ils fassent preuve de clairvoyance et d’ouverture d’esprit mais aussi d’optimisme et de persévérance dans les difficultés. On attend enfin de leur part qu’ils soient justes et impartiaux, reconnaissants mais également humbles et modestes. Bref,
On attend des managers qu’ils aient des pratiques managériales qui aillent bien au-delà du simple flicage ou du seul suivi des indicateurs des tableaux de bord de pilotage auxquels ils consacrent souvent beaucoup trop de temps.
C’est possible et même recommandé si l’on se réfère aux auteurs de la littérature managériale autrement dit des sciences de gestion.
… au manager qui développe ses forces de caractère
Relevons toutefois un point essentiel : toutes ces qualités reprises ci-avant sont généralement celles qui sont attendues ou recherchées chez les « bons » managers (pour ne pas les qualifier de managers providentiels), ceux qui participent à la qualité de vie au travail.
Il faut cependant garder à l’esprit que ces qualités recherchées renvoient à des pratiques managériales bien définies et que l’on n’est jamais un « bon » ou un « mauvais » manager une fois pour toutes. Un manager est seulement plus ou moins efficace selon le contexte et ses propres compétences mises en œuvre à ce moment-là.
Partant de ce principe, point n’est donc besoin d’être un « super manager » comme on serait un super homme. Voilà une donnée essentielle à son propre bien-être au travail !
Il « suffit » en effet que le manager décide d’être lui-même, au sens où il accepte de développer ses traits du caractère de façon à s’améliorer sur ses points faibles. Son amour de l’apprentissage (qui renvoie à la vertu de la sagesse et du savoir vue précédemment) lui permettra alors de monter en compétences au niveau managérial (n’oublions pas que le management est une discipline scientifique à part entière, au même titre que la psychologie, la sociologie, l’économie,… le sont elles aussi).
Dès lors, la réponse à cette question « le bien-être des managers dépend-il de leur force de caractère ? » est « oui, mais ». Il n’est pas question d’être en tant que manager un sur homme, au sens d’une force de la nature ou d’un être exceptionnel, mais plutôt d’être un manager qui est pleinement lui-même, en tant qu’individu et en tant que manager.
Cela suppose toutefois, reconnaissons-le, que ce manager cherche à développer son savoir-être personnel et qu’il désire également améliorer ses propres pratiques managériales.
En un mot, il faut qu’il « ose la différence » en osant sortir de sa zone de confort habituelle.
Cela peut le déstabiliser à court terme mais lui permettre également à plus long terme de devenir un leader selon l’un des courants émergents du leadership, qu’il soit émotionnel ou spirituel (or cela s’appuie sur des forces du caractère vues précédemment).
En un mot pour synthétiser et conclure, le manager qui veut être performant ne doit pas faire toujours plus mais être toujours mieux, autrement dit, être encore plus lui-même. Mais, n’est-ce pas là la clef du bien-être voire du bonheur (au travail) dont on fait tant la promotion par d’autres biais plus ou moins fondés ?
Article rédigé à partir d’une publication de mon blog managérial.
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… StéphanieCARPENTIER vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) , pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle « Management & Recherche », pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
2 Responses
Qu’est-ce le surhumain si l’humain s’y perd ?
Manager en santé sans oublier l’objectif « pour les patients » avec les moyens humains « les professionnels » associés « aux moyens financiers » et non l’inverse!
Depuis quelques temps, la Bienveillance est le mot utilisé pour penser résoudre les problèmes quand la situation de management est déjà précaire? Assez d’accord avec C. Peterson « sagesse et savoir, courage, humanité, justice, modération et transcendance » en gardant à l’esprit que rien n’est jamais acquis en tant que manager.
« Oser la différence » en osant sortir de sa zone de confort habituelle.les managers se doivent en effet de donner du sens aux activités de leurs équipes…… » .
« Oser le management participatif » amène bien des surprises mais aussi de la richesse en améliorant la qualité de vie au travail…Jusqu’à ce jour les retours positifs de mon expérience me font penser qu’il est un bon levier dans l’amélioration de la prise en charge du patient avec la prise en charge des professionnels! Est-ce de la bienveillance?