N°1, Octobre 2016
by Lionel DRAON
Le verre à moitié plein…
Quinze professionnels agressés chaque jour en milieu hospitalier peut paraître insignifiant au regard de plus de 50.000[1] patients admis chaque jour aux accueils d’urgences en France où se situent la majorité des agressions. C’est en réalité l’équivalent, sur un an, au personnel d’un hôpital universitaire ayant la charge d’un bassin d’environ 100.000 habitants. Imaginons un seul instant le CHU de Caen, ou de Nancy, fermé une journée faute de personnel disponible !
Ajoutons que ces chiffres ne tiennent pas compte des incivilités, bien plus nombreuses qui nuisent au bien-être des professionnels, ainsi que les agressions qui n’ont pas fait l’objet de signalements. L’aspect économique est désormais d’un impact non-négligeable sur le budget des hôpitaux.
Il s’agit donc d’un problème global à traiter avec professionnalisme ; la qualité de soins et de prise en charge en sont cruellement impactées pour la grande majorité des usagers. L’aspect économique ne doit plus être la question importante dans le choix des solutions. Le monde médical souffre déjà de problématique de personnel. Mais tout n’est pas que question de budget.
Pour obtenir une baisse significative des actes de violence en milieu hospitalier et libéral, l’analyse la plus complète et objective doit être conduite pour proposer un éventail multiformes de mesures préventives et correctrices.
Imaginer une réponse uniquement technique, coercitive et judiciaire, bien que nécessaire pour les passages aux actes les plus graves, n’aurait que peu d’effets dissuasifs ; le contexte psychologique du patient ou de l’accompagnant, devenu agressif, n’est que peu sensible à la rationalité dans l’instant.
Comprendre les mécanismes déclencheurs de la violence
Pour tenter de prévenir un conflit, la compréhension et l’identification des différentes étapes chronologiques de la violence est nécessaire.
Pour contenir, puis tenter d’inverser son évolution pro-activement. Les sources de conflits débutent, immuablement, par la frustration, pour terminer, en son point culminant, par la violence physique. Entre ces deux extrêmes, apparaitront crescendo, la colère (contre le « système »), puis l’agression verbale (dirigée contre une personne), potentiellement, devenant violente, ce qui est la quatrième et ultime phase, par une menace physique.
Ce continuum de la violence s’accompagne de comportements et attitudes communicatives qui permettent d’identifier, presque instinctivement, le niveau de risque pour sa sécurité personnelle face à la violence potentielle. Cela permet notamment d’anticiper la phase critique du déclenchement d’une agression physique à contenir.
La personne confrontée à l’agression, si elle a été correctement entraînée à conserver rationalité et distance, dispose d’une phase proactive, où elle peut encore tenter d’inverser le cours des choses, puis vient une phase réactive, en réponse, lorsque l’escalade n’a pu être stoppée ou inversée. Cette escalade continue, peut se résumer à une évolution, depuis l’attitude calme jusqu’à la violence physique, passant par l’agitation verbale, devenant hostilité, elle-même évoluant vers les menaces verbales, puis physiques, le point de rupture qu’il faut éviter en s’y étant préparé, psychologiquement, et physiquement pour les professionnels de la sécurité.
Ce rappel, qui peut paraître doctoral, est crucial à appréhender dans la gestion des conflits, et trouve des applications et techniques concrètes, enseignées tant dans la protection personnelle[2] que dans le maintien de l’ordre, où des notions complémentaires de gestion et psychologie des foules « indisciplinées » sont également parfois utiles dans ce contexte. L’intervention à la base de la frustration, du stress ou l’angoisse est la priorité qui permettra d’éviter une montée de l’agressivité.
Inhiber la violence
Le principal objectif dans la prévention des conflits est d’utiliser tous les outils, techniques, psychologiques, comportementaux et environnementaux qui permettront de ramener l’émotionnel vers la rationalité. La meilleure médecine étant la prévention, il est utile également de rappeler les principales causes du déclenchement de la violence. Elles s’appliquent en toutes occasions, mais certaines sont assez fréquemment invoquées dans les agressions en milieu médical.
Fort heureusement, dans la très grande majorité des cas, des inhibitions personnelles empêchent l’agression et le passage à l’acte ; il est évident que le personnel confronté à un conflit naissant doit connaître puis s’appuyer sur ces freins pour tenter de désamorcer une crise.
Encore faut-il choisir les plus pertinents et ne pas transmettre paradoxalement des signes contraires favorisant l’escalade, ce qui est malheureusement souvent le cas, faute de connaissances du langage corporel qui représente plus de la moitié des informations transmises dans une communication.
Les déclencheurs habituels des conflits peuvent se décrire sommairement, pour la frustration, par exemple, à une attitude paternaliste ou hautaine ; faire « perdre la face » auprès de ses proches, dont certaines cultures sont particulièrement sensibles ; être rabaissé (« nous sommes des professionnels », « on sait ce que l’on fait », « il y a d’autres patients plus urgents »… qui n’est accompagné d’aucune explication rationnelle ou compréhensible pour le patient) ; la peur et le stress, ainsi que l’environnement (bruit, inconfort, place), favorisant le manque de compréhension et nuisant à une communication apaisée.
L’inhibition survient sur des critères relativement constants, mais dont la hiérarchie est toute personnelle : le self-control et ses valeurs personnelles, sa culture et son éducation, la peur des conséquences sociales ou juridiques, ou encore la contre-attaque possible.
Les agressions du personnel en milieu hospitalier, notamment aux urgences, concentrent plusieurs facteurs déclencheurs défavorables, identifiés dans bien d’autres domaines : fragilité psychologique du patient ou de l’accompagnant (fatigue, angoisse, douleur, incompréhension…) ; relation ambivalente avec le professionnel de santé (on attend tout de lui avec un sentiment d’impuissance personnelle, parfois d’infériorité) ; promiscuité ; intimité rarement préservée (salle d’attente bondée, couloirs) ; sentiment de n’être que rarement la priorité, écouté, voire oublié ou abandonné…
Tout cela est parfaitement traduit dans de récentes études, avec près de 88% de la population française (ce qui est plus que la moyenne européenne qui est de 77 %) qui juge le niveau médical excellent en France… excepté, pour la prise en charge des urgences[3], qui paradoxalement, dispense une médecine de même niveau scientifique, et disposant d’une concentration accrue de moyens techniques.
Le mois prochain les problématiques organisationnelles seront traitées par Lionel DRAON, dans le chapitre 2 de cet article.
[1]Rapport DRESS 2015. 52.000 patients répartis sur 735 points d’accueil des urgences en France par jour (DOM compris).
[2]Protection personnelle, qui inclue celle de tiers, et dont les bases devraient être enseignées à tout professionnel prodiguant des soins aux domiciles des patients, seuls face aux risques potentiels.
[3]Rapport 2014 comparant les différents systèmes de santé en Europe : « European Observatory on Health Systems and Policies » ; The Health System and Policy Monitor (EU).
UNESSD
Union Nationale des Entrepreneurs
des Services de Sécurité et de Défense
Pôle Formations
Professional Bodyguard Association
Head of Clinical Studies
Nous remercions vivement Lionel DRAON, UNESSD et membre de Professional Bodyguard Association, pour partager son expertise professionnelle en collaboration avec Thierry SZCZEPANIAK , Président de l’UNESSD, pour nos fidèles lecteurs du Blog MMS
3 Responses
Merci pour cet article très intéressant qui rappelle les fondamentaux.
vaste débat que vous lancez, tout d’abord et c’est un fait global dans notre société plus aucun lieu ,aucune discipline, aucune structure n’est « sacrée » … ou tout simplement respectée . bien sur on peut penser à stimuler l’amont : à l’éducation » nationale » et plus encore à la formation de nos professionnels incluant cette gestion de « l’agressivité » dans leurs cursus ( médecine, ifsi , écoles) et là nous ne serions que pragmatiques… jusqu’à quand? Pour avoir vécu des situations d’agression des personnels au fort impact médiatique, déplaçant force de nos ministres et aboutissant à un « plan de prévention », j’ai pu constater que les mêmes types de situations se constatent régulièrement , avec et fort heureusement moins de blessures physiques,mais autant d’impact psychologique. on côtoie ce risque , les équipes le frôle au quotidien et là encore notre pragmatisme pousse à demander plus de caméras de vigiles de maîtres chiens…mais dans notre période ou les moyens se font plus rares ces solutions ne sont plus finançables . alors moins de pragmatisme? chercher les causes ? vaste sujet de notre société que de savoir comment élever ses citoyens? bon,remettons sur le métier et une bonne dose de maîtrise de soi enrichie d’une « formation sur l’agressivité » sont les bases qu’il nous faut renforcer et demain…..