Nouvel article rédigé pour ManagerSante.com par Matthieu GUYOT, expert RH de l’ANAP, ex-Directeur-adjoint du Centre Hospitalier de Mayotte. Diplômé d’HEC Paris, Sciences Po Toulouse, de l’Ecole des hautes études en santé publique, il est passionné par l’innovation, l’attractivité, l’application des nouvelles technologies aux ressources humaines, la stratégie et l’optimisation des processus administratifs.
Il a reçu le prix « Management & RH » 2023 de la Revue Hospitalière de France et son Centre Hospitalier de Mayotte avait reçu le grand prix de l’innovation RH de la Fédération Hospitalière de France pour la création de la première agence territoriale de recrutement publique en 2022.
Dans un secteur où chaque professionnel compte, l’attractivité et la fidélisation sont souvent conçues comme des stratégies sans réelle articulation. Pourtant, cette approche peut avoir des effets contradictoires : au lieu de se renforcer mutuellement, ces deux piliers risquent de s’annuler. Une attractivité déconnectée de la réalité interne peut engendrer des désillusions et amplifier le turnover, tandis qu’une fidélisation repliée sur elle-même, sans projection externe, peut affaiblir l’image de l’établissement et limiter son pouvoir d’attraction. L’enjeu réside donc dans une construction cohérente et interconnectée de ces deux dynamiques pour garantir la stabilité et le rayonnement des établissements hospitaliers.
Quels leviers pour attirer et fidéliser durablement en milieu hospitalier ?
Sur un même territoire et dans un même secteur, comment expliquer que certains établissements réussissent à attirer et à retenir leurs professionnels, tandis que d’autres peinent à recruter ou voient leurs équipes se déliter ? Pourquoi certains services deviennent de véritables aimants, capables de fidéliser durablement leurs collaborateurs, alors que d’autres n’arrivent pas à stabiliser leurs effectifs ?
Répondre à ces questions, c’est ouvrir la voie à une meilleure compréhension des leviers de l’attractivité et de la fidélisation. Si les organisations confrontées à un turnover élevé présentent des situations extrêmement variées, il est toutefois possible d’identifier des éléments récurrents qui semblent peser dans la balance. Ces facteurs, qu’ils soient liés à la l’organisation, à la gestion managériale ou à la perception externe de l’établissement, permettent de dégager des enseignements précieux pour bâtir des stratégies efficaces et durables.
Lorsqu’un établissement ou un service hospitalier rencontre des difficultés à recruter ou à fidéliser, il est fréquent que les problèmes RH soient perçus par celui-ci comme exogènes. Cette posture, qui consiste à attribuer les défaillances aux conditions extérieures — pénurie de professionnels, géographie, concurrence locale ou contraintes budgétaires — empêche souvent de remettre en question les pratiques internes et constitue alors des excuses pour ne pas agir. Pourtant, une observation plus fine révèle des facteurs récurrents, propres aux organisations dysfonctionnelles, qui freinent leur attractivité et leur capacité de fidélisation :
- Une méconnaissance ou une minimisation des problématiques internes : les structures en difficulté ignorent souvent l’impact de leurs propres pratiques et ne réalisent pas que les obstacles sont parfois enracinés dans leur organisation même. Sans état des lieux correctement réalisé, les solutions adoptées par l’établissement ne répondent alors pas pleinement aux problématiques de la structure.
- Des pratiques professionnelles insatisfaisantes : Des services où les standards de qualité ne sont pas respectés peuvent rapidement ternir la réputation de l’établissement et démotiver les équipes en poste.
- Un management et un leadership défaillants : Des pratiques managériales inadaptées, autoritaires ou désorganisées créent un climat de travail délétère, augmentant le stress et la fuite des talents. (Fiche pratique : « J’agis pour plus de sens au travail et de leadership »)
- L’absence de politique durable : Les actions ponctuelles ou incohérentes en matière de ressources humaines empêchent de bâtir un cadre attractif et stable pour les professionnels.
- Des procédures de recrutement insatisfaisantes : Trop longues, complexes ou mal définies, elles découragent les candidats et font perdre des opportunités précieuses.
- Un manque de définition d’objectifs précis : Sans vision claire ni priorités partagées, les équipes se sentent désorientées, ce qui nuit à leur engagement.
- Une communication inadaptée : Mal ciblée ou peu attractive, elle échoue à valoriser l’établissement auprès des talents potentiels ou des équipes en place. (Fiche pratique : « J’utilise les réseaux sociaux et l’événementiel »)
- Des politiques RH déséquilibrées : Favoriser l’un au détriment de l’autre — attractivité ou fidélisation — conduit souvent à des résultats contre-productifs.
Cet article propose de revenir sur ces problématiques pour tenter d’y apporter des solutions concrètes. En s’appuyant sur des concepts-clés et les enseignements du webinaire dédié de l’Anap dont la prochaine session se tiendra en février 2025, il ambitionne de transformer ces réflexions en une feuille de route opérationnelle pour les établissements hospitaliers.
1/ Dresser un état des lieux pour analyser efficacement les attentes des candidats et des collaborateurs ?
Pour comprendre la situation de son établissement, une analyse en trois niveaux s’impose.
- Se mettre à la place des candidats.
Il est essentiel de connaître vos professionnels et de cartographier leurs parcours candidats et carrière. Cela implique de recueillir à la fois le point de vue des candidats potentiels – ceux qui ne sont pas encore au sein de votre organisation – et celui des collaborateurs déjà en poste. Qu’est-ce qui attire les professionnels ? Qu’est-ce qui les retient ? Ces questions doivent être au cœur de la réflexion.
Outils pour mieux identifier les problèmes et connaitre ses professionnels
Pour mieux comprendre et répondre aux attentes des professionnels, il est essentiel d’adopter une démarche structurée et outillée. La définition de personas, ou profils types, permet de cibler les aspirations et motivations spécifiques des différents groupes, qu’ils soient jeunes diplômés en quête d’évolution ou professionnels expérimentés recherchant davantage de stabilité et d’en identifier les problématiques. Des études et analyses ciblées, combinant enquêtes quantitatives et qualitatives, offrent une vision globale et détaillée des besoins et frustrations. Enfin, le recueil des retours d’expérience, via des entretiens de sortie, des rapports d’étonnement ou des feedbacks réguliers, permet d’identifier les forces et faiblesses internes. (Cf. fiche pratique « Je comprends les motifs du départ d’un collaborateur »).
Bien que chaque personne ait des besoins et des aspirations spécifiques, des points communs émergent, et la littérature scientifique met en lumière un socle commun qui influence la majorité des individus, d’ailleurs présenté dans un des derniers webinaires de l’Anap. Cependant, des variations peuvent apparaître en fonction de facteurs tels que :
Les besoins et attentes des professionnels varient considérablement selon leur âge et leur situation personnelle. Une personne de 20 ans ne sera pas attirée par les mêmes opportunités qu’une personne de 30 ou 40 ans. Par exemple, un professionnel plus âgé, souvent chargé de famille, sera particulièrement attentif à des services tels qu’une crèche d’entreprise, des horaires adaptés, ou des solutions facilitant l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle.
Cette différenciation ne s’arrête pas aux offres proposées, elle concerne également la manière de communiquer efficacement. Une infirmière de 20 ans, par exemple, n’est probablement pas présente sur LinkedIn, un réseau peu pertinent pour cette tranche d’âge. Utiliser ce canal pour communiquer auprès de ce public serait une perte de temps et d’efforts. À l’inverse, il serait plus efficace de privilégier des plateformes plus adaptées aux jeunes générations, comme Instagram, TikTok ou encore des forums spécialisés.
L’exemple du Centre Hospitalier de la Dracénie et ses vidéos innovante et plus largement des ambassadeurs.
Le Centre Hospitalier de la Dracénie illustre parfaitement l’importance d’une communication adaptée et originale en matière d’attractivité. En publiant sur LinkedIn des vidéos innovantes et amusantes, tournées avec les professionnels de l’établissement, il transforme ses collaborateurs en ambassadeurs. Ces vidéos, à la fois authentiques et engageantes, mettent en lumière la réalité du quotidien hospitalier tout en valorisant le dynamisme et l’esprit d’équipe. Cette approche contribue non seulement à séduire de nouveaux talents, mais aussi à renforcer la fierté d’appartenance des équipes en place. (Cf. fiche pratique « Je lance un programme d’ambassadeurs »).
Cibler les actions en fonction de ces paramètres est indispensable pour maximiser leur impact. Cela implique d’adopter une approche segmentée, où chaque groupe démographique bénéficie d’une stratégie et d’une communication adaptées à ses spécificités et à ses attentes. D’autres facteurs importants incluent le métier exercé[1], la personnalité et les aspirations individuelles[2].
Un exemple concret d’adaptation aux besoins des professionnels est la mise en place de logements en colocation pour les sages-femmes à l’hôpital de Mayotte.
Cette solution a été pensée en tenant compte du profil des professionnels concernés : des personnes majoritairement jeunes, sans enfants, ou plus âgées avec des enfants restés à distance. Ces professionnels arrivaient souvent seuls sur le territoire, et la colocation répondait non seulement à un besoin pratique, mais aussi à un besoin social, en leur offrant un cadre favorisant les interactions et le soutien mutuel. Ce type d’initiative montre l’importance de comprendre les spécificités des collaborateurs pour proposer des solutions adaptées à leur situation.
- Évaluer la maturité de sa politique d’attractivité et de fidélisation
La deuxième étape consiste à évaluer la maturité de la politique actuellement déployée en matière d’attractivité et de fidélisation. Pour vous accompagner dans cette démarche, l’ANAP propose un autodiagnostic interactif, conçu pour identifier les forces et faiblesses de votre établissement sur ces thématiques.
Structuré autour de 80 questions, cet outil aborde un éventail de sujets essentiels comme :
- L’identification des besoins en ressources humaines,
- La gestion du turn-over et de l’absentéisme,
- La clarté et l’attractivité des offres d’emploi,
- La définition et la cohérence de la promesse employeur.
Entièrement réalisable à son rythme, cet autodiagnostic offre une vision globale de la situation, permettant ainsi d’orienter les priorités et d’adopter des actions ciblées. C’est un premier pas crucial pour aligner votre stratégie avec les attentes des professionnels et les réalités du terrain.
Définir ses points forts et points faibles : analyser en profondeur les atouts et les axes d’amélioration de l’établissement, en s’appuyant, si besoin, sur des outils d’intelligence artificielle pour affiner cette évaluation (voir notre plateforme Anap). Ces éléments peuvent ensuite être utilisés pour construire une offre attractive et cohérente.
- Suivre des indicateurs clés pour une vision objective de la situation
Enfin, le troisième niveau consiste à suivre un ensemble d’indicateurs pertinents, qui permettent de mesurer objectivement sa situation et de guider vos décisions. Parmi ces indicateurs, on peut citer :
- Le turn-over, qui reflète la capacité de l’établissement à retenir ses collaborateurs,
- Le taux d’absentéisme, indicateur clé de l’engagement et du bien-être au travail,
- La situation des effectifs, incluant le taux de postes vacants et le taux de professionnels non remplacés,
- Le taux de satisfaction des professionnels, essentiel pour comprendre la perception interne de vos politiques.
Ces données offrent une photographie précise de son organisation et permettent de définir des actions adaptées. Selon les résultats, il peut être nécessaire d’envisager des ajustements plus ou moins ambitieux.
En complément, il est indispensable d’évaluer les retours sur investissement des politiques mises en œuvre. Pour ce faire :
- Réalisez des analyses statistiques et des courbes de tendance, afin de suivre l’évolution des indicateurs dans le temps. Comparez vos données aux moyennes nationales ou aux établissements similaires, pour situer votre performance.
- Identifiez les éléments probants, qu’il s’agisse de succès ou de points à améliorer, pour ajuster vos politiques en conséquence.
Adopter cette approche méthodique et orientée sur les données permettra de revoir vos actions à la lumière des résultats.
2/ Définir des objectifs clairs et mobiliser l'intelligence collective pour agir
(1) S’ensuit la définition d’objectifs clairs tels que le nombre de recrutements à réaliser, le taux de turn-over à atteindre… Dans tous les cas, ces derniers doivent être décidés de manière collective et non imposés par la direction seule. Ils doivent aussi être mesurables et atteignables afin de renforcer le sens du travail et donner une direction claire aux équipes de recrutement. Par exemple, un objectif peut consister à recruter 150 infirmiers sur une année, soit 13 par mois. Il est important de fixer des objectifs à court et moyen terme, tout en prévoyant des points de révision réguliers.
(2) La troisième étape consiste à rechercher des solutions concrètes. Cette phase de brainstorming mobilise les différents acteurs (DRH, managers, agents de terrain) afin d’identifier les pistes d’action. A l’instar de la deuxième étape, il est tout aussi essentiel de favoriser la participation de profils variés pour enrichir la réflexion : l’idée est ici de générer un maximum d’idées, souvent jusqu’à une centaine, avant de les regrouper et de les hiérarchiser. Pour ce faire, parions sur la confiance et l’intelligence collective : le kit « Nos équipes ont du talent » de l’Anap permet justement de comprendre les grandes étapes pour mettre en place une démarche de management collaboratif.
Par ailleurs, les solutions peuvent être issues de bonnes pratiques identifiées dans d’autres établissements ou inspirées des retours d’expérience. Exemples : création de conciergeries d’entreprise, offre de covoiturage ou de forfait mobilité durable, amélioration des locaux de travail, etc. Une grande partie de ces initiatives se retrouve sur la plateforme des bonnes pratiques de l’Anap.
(3) Sélectionner et planifier les actions constitue la quatrième étape. Il s’agit de sélectionner les solutions les plus pertinentes parmi les idées identifiées, et l’analyse coûts-avantages aidera à la priorisation des actions les plus efficientes à déployer.
Ces solutions sont ensuite intégrées à un plan d’action, idéalement pluriannuel, prévoyant des ressources financières et humaines suffisantes. Cette phase est également le moment de définir et promouvoir la promesse employeur, un élément central de la stratégie d’attractivité. Car oui, lorsque l’on regarde de plus près les revues scientifiques au sujet de cette promesse employeur, on observe que lorsqu’elle est efficace, elle augmente l’attractivité et notamment le nombre de candidatures reçues.
(4) Une fois toutes ces étapes passées, le plan d’action doit être déployé, et pour cela soutenu par l’ensemble des acteurs de l’établissement, notamment les directions et les organisations représentatives du personnel. Ce travail d’équipe permet d’assurer l’adhésion et la cohérence de l’ensemble des parties prenantes, et son suivi repose sur des indicateurs précis et une évaluation régulière, avec des points d’étape prévus dans les instances de concertation (CSE, CME) afin d’ajuster les actions si nécessaire.
Face à la pénurie croissante de ressources humaines et à une concurrence toujours plus féroce entre structures, il est tentant pour certains établissements de concentrer leurs efforts sur des politiques d’attractivité et de communication agressives. Ces campagnes promettent un cadre de travail idéal et des opportunités séduisantes. Pourtant, cette stratégie peut s’avérer contre-productive si elle ne s’accompagne pas d’une réalité organisationnelle solide. Lorsqu’une image brillante diffusée en externe ne reflète pas l’expérience vécue en interne, la déception des nouveaux arrivants peut rapidement se traduire par un turnover important, affaiblissant davantage les équipes en place. À cela s’ajoute un effet amplificateur souvent sous-estimé : le bouche-à-oreille, puissant et immédiat, finit par ternir la réputation de l’établissement. Ce retour négatif, circulant parmi les professionnels de santé, rend encore plus difficile le recrutement futur, enfermant l’organisation dans une spirale descendante où la promesse séduit mais ne retient pas.
À l’opposé, des politiques de fidélisation exclusivement tournées vers l’interne, bien qu’essentielles, peuvent devenir limitantes lorsqu’elles manquent d’ouverture et de projection. Un repli sur soi, qui néglige l’importance de véhiculer une image attractive et inspirante à l’extérieur, peut isoler l’établissement, réduire sa visibilité et diminuer son attractivité auprès des talents potentiels. Plus encore, cette stratégie peut fragiliser la rétention elle-même en érodant la fierté d’appartenance, qui se nourrit aussi de la reconnaissance et du rayonnement externe de l’organisation.
Encadré : exemples de politiques RH déséquilibrées
Rémunérations et avantages sociaux : Offrir des conditions exceptionnelles aux nouveaux arrivants peut frustrer les professionnels en poste, déséquilibrant la fidélisation au profit de l’attractivité. À l’inverse, supprimer des avantages pour les nouveaux entrants (clause d’antériorité) peut créer un sentiment d’injustice et diviser les équipes, affaiblissant l’attractivité.
Carrières et promotions : Recruter uniquement des managers en externe freine l’évolution interne et démotive les équipes. À l’opposé, ne promouvoir qu’en interne favorise un entre-soi et limite l’innovation.
Des politiques RH déséquilibrées, qu’elles favorisent l’attractivité ou la fidélisation, nuisent à l’harmonie globale et fragilisent l’organisation.
En conclusion :
Concilier attractivité et fidélisation nécessite un équilibre subtil, où séduire ne signifie pas survendre, et fidéliser ne doit pas cloisonner. Ces deux dimensions ne doivent pas aller à contresens l’une de l’autre, mais converger vers un même objectif : assurer la stabilité et l’épanouissement des équipes tout en projetant une image attrayante pour attirer de nouveaux talents. Cela implique de mettre en œuvre une stratégie profondément connectée aux professionnels et à leurs besoins spécifiques. Un tel équilibre ne pourra se faire qu’en écoutant les professionnels concernés voire en les faisant participer.
Le problème est bien d’actualité : 15 000 postes d’infirmiers sont vacants dans le secteur public[3], tandis que près de 30 % des postes de praticiens hospitaliers restent non pourvus. Le taux de turn-over dépasse souvent les 20 %, l’absentéisme peut atteindre 8 % ou plus dans certaines structures, aggravant les tensions sur le personnel présent. En parallèle, le vieillissement de la population soignante fait peser une menace supplémentaire sur la continuité des soins. Dans le secteur privé, bien que la situation soit plus contrastée, les établissements ressentent également une pénurie croissante de professionnels qualifiés.
Notes pour aller plus loin :
[1] Les attentes peuvent varier considérablement selon la spécialité ou la fonction
[2] Certains recherchent avant tout un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, tandis que d’autres privilégient les perspectives de carrière ou l’accès à des formations
[3] Selon une enquête menée par la FHF en mai 2022 auprès de 400 établissements (CHU, CH, EHPAD)