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Le professionnalisme est-il un humanisme ? Vincent CRISTALLINI aborde cette question dans le cadre de ses travaux de recherches cliniques sur la vie des organisations (partie 1/3)

Nouvel article publié par Vincent CRISTALLINI, Docteur en sciences de gestion, Habilité à diriger des recherches, Président fondateur de l’équipe de recherches action Endogène.

Il est également auteur de plusieurs ouvrages, notamment le dernier intitulé « Le génie managérial« , publié en Juin 2022 aux éditions EMS Management & Société.

N°2, Avril  2023

Le présent article inaugure une série de trois, consacrés au sujet crucial du professionnalisme. Ils s’inscrivent dans le cadre de recherches cliniques sur la vie des organisations.

Par-delà les discours et les déclarations d’intention, nous montrerons en quoi le professionnalisme rend sa grandeur aux relations économiques et professionnelles, puisque dans les faits, le professionnalisme se traduit par des gestes et décisions concrets et visibles, empreints d’un grand respect pour la relation.

Dans la présente publication, nous verrons que le professionnalisme devrait être, en toute logique, une des préoccupations premières de tous les professionnels d’une organisation, tant il est une des conditions sine qua none des performances durables (Voir à ce sujet l’article Redonner ses lettres de noblesse au management). Nous observerons notamment les liens qui existent entre professionnalisme, confiance et performances.

Dans un deuxième article, nous montrerons que le professionnalisme n’a pas résisté aux pressions des modes et contres modes dans le domaine du management, au point qu’il est aujourd’hui un sujet particulièrement incompris par les acteurs socio-économiques. Nous suggérerons qu’être un professionnel (en opposition à un amateur) ne conduit pas nécessairement à des actes et des décisions empreints de professionnalisme, loin s’en faut.

Enfin, dans une troisième publication, nous proposerons une définition du professionnalisme multi-facettes et opératoire, respectueuse des personnes et génératrice de performances durables.

La transformation des organisations au moyen de la recherche clinique en management

La recherche clinique en management a une visée transformative. Elle consiste à négocier un cahier des charges de l’intervention, qui prévoit des séjours répétés, par immersion de longue durée, dans les organisations. Ce type d’immersion autorise une variété d’occasions et de modalités de collecte des informations, tout autant qu’une variété et une hétérogénéité des formes d’expressions des données (entretiens, observations directes, analyse de documents).

C’est au cours de ces occasions que se produisent les phénomènes à observer, et qui permettent d’accéder à des sources d’informations aussi fiables que possibles.

Le mode opératoire de cette recherche autorise l’alternance entre l’immersion dans l’entreprise et la distanciation, qui permet de conceptualiser la problématique de recherche et des résultats d’observation. Il s’agit de mieux comprendre l’objet en le transformant. Il y a concurremment et successivement création de connaissances et changement.

Le concept de professionnalisme est donc abordé ici sur la base de l’expérience acquise sur de nombreux terrains d’observation.

Un déficit de professionnalisme dans le monde professionnel

Il est étonnant de constater l’intensité de la demande de professionnalisme dans les entreprises et entre les différents acteurs socio-économiques, et de voir à quel point le professionnalisme est singulièrement absent de nombreuses situations et relations d’entreprises et de travail.

Tout un chacun peut mesurer régulièrement l’écart entre le message humainement profond d’une publicité, par exemple, et le marécage dans lequel il se trouve confronté dans ses relations concrètes avec les représentants d’une organisation, dont on vantait les caractéristiques hors du commun, et particulièrement le professionnalisme.

Il s’agit donc d’un décalage entre l’intention des uns et la réalisation par d’autres. Il s’agit aussi, pour chacun pris individuellement, d’un décalage entre ses propres intentions et ses propres réalisations. Cela constitue également un décalage entre des attentes, perçues ou non, et une offre réelle. Certains diraient qu’il s’agit de marketing, mais à une échelle globale d’une organisation : la moindre des relations comporte des attentes et une offre, que ce soit en interne ou à l’externe. Le professionnalisme réfère aussi à la stratégie, et à la gestion des ressources humaines.

Ainsi, chaque fonction de l’entreprise est concernée par le professionnalisme, mais aussi chaque métier, chaque entité, chaque catégorie. Le management lui-même est le premier concerné, dans la mesure où il pourrait constituer la force principale de développement et de sauvegarde du professionnalisme, dont il est a priori le garant.

Le manque de professionnalisme, une spirale régressive et destructrice de valeur

Un manque de professionnalisme est l’équivalent de la trahison d’une promesse, de la déception d’une attente, de la dégradation d’une image. C’est une perte de confiance. Cette perte de confiance est une contre-performance en soi, mais elle entraîne également des contre-performances économiques et sociales considérables dans les entreprises. En effet, le manque de professionnalisme n’est pas un état statique, il constitue en réalité une spirale régressive extrêmement fulgurante et destructrice de valeur. Il convient de se rappeler que c’est dans un environnement de confiance que les relations commerciales produisent les plus grands bénéfices pour les acteurs économiques.

Nos observations dans les organisations nous ont appris qu’il y a très peu de conséquences objectives et significatives pour les personnes, à l’égard de leurs comportements manquant de professionnalisme… puisque « faire son travail » est le niveau normal requis ou acceptable. Malheureusement, on constate fréquemment un phénomène d’accoutumance à des niveaux de performance et de professionnalisme médiocres et un manque d’interventionnisme décisif sur cette question.

Pourquoi le manque de professionnalisme n’est-il pas toujours perçu, ni nommé comme tel ?

Le professionnalisme est souvent ramené à des problèmes de caractère, d’amabilité, de sérieux… selon le ressenti de ceux qui subissent un manque de professionnalisme. Cela finit peut-être par laisser supposer insidieusement que l’on ne peut rien faire, les personnes étant ce qu’elles sont.

Dès lors, tant que des résultats déterminants n’auront pas été obtenus dans les organisations, le sujet n’aura été qu’effleuré. Certaines maladies font toujours des ravages, malgré les moyens considérables mis en œuvre par la médecine. Ce sont des maladies complexes et graves, ce n’est pourtant pas une raison pour se résigner.

Notre hypothèse de recherche est que le professionnalisme est source à la fois de confiance et de valeur ajoutée, fortes et durables. Le niveau de professionnalisme ne peut donc pas être laissé à l’appréciation personnelle des acteurs, il relève d’une véritable politique de management. L’amélioration des performances et le changement dans une organisation reviennent, en fait, à en accroître le niveau de professionnalisme.

Quels liens entre confiance et professionnalisme ?

Les slogans, les publicités, les mailings et plus généralement la communication des entreprises présentent du rêve de professionnalisme. « Chez nous un client c’est sacré… Votre satisfaction, notre objectif… ». Ces discours signifient implicitement « faites-nous confiance, vous ne serez pas déçus ».

L’écart entre la promesse et la réalité vécue est souvent considérable pour un client interne ou externe d’une organisation. Tout citoyen vérifie ce phénomène, à ses dépens, tous les jours, dans ses relations avec des commerçants, des administrations ou des collègues de travail par exemple.

Les définitions de la confiance tirées de différents dictionnaires (Littré, Robert, Larousse) convergent vers l’idée de « se fier ». Cette idée-force nous intéresse particulièrement pour le sujet qui nous occupe. Peut-on se fier, peut-on avoir confiance dans les professionnels et leur travail ?

La confiance peut être considérée comme le résultat d’un calcul (démarche calculatoire). La confiance permettrait à des agents socio-économiques de conserver leur aptitude à faire des transactions. Dans notre relation avec des professionnels, il y a une croyance dans les compétences et les intentions de l’autre. La confiance fait référence à un niveau de risque que sont disposées à supporter volontairement les différentes parties dans une transaction. La théorie des jeux a largement développé cette dimension de calcul.

La notion d’espérance est fortement présente dans la confiance. C’est un sentiment d’espérance ferme, qu’on ressent quand on se fie à quelqu’un ou à quelque chose. C’est aussi l’attente, en situation d’incertitude, que l’autre agisse en fonction de règles de comportement acceptables.

L’attitude opposée à la confiance est l’anticonformisme à des règles du groupe, qui peut donner lieu à des contre-conventions.

La confiance peut donc être considérée comme la réponse à des besoins (des normes, ou des conventions) implicites ou explicites. On reconnaîtra ici une des définitions génériques de la qualité. Nous allons tenter de montrer que cette confiance-qualité est directement liée au professionnalisme.

Tous témoins du manque de professionnalisme mais peu enclins à changer

Le manque de professionnalisme des autres est plus visible que le sien propre, d’autant plus quand on le subit directement en tant que « client » ou plus généralement en tant que protagoniste. Des dizaines de diagnostics cliniques réalisés dans les organisations montrent sans ambiguïté à quel point les acteurs sont enclins à repérer et à citer les lacunes des autres, mais ne jouent que très peu le jeu de l’autocritique, consciemment ou non.

Il nous est apparu, au contact de ces situations dites « professionnelles », que le manque de professionnalisme survient quand une personne agit de manière égocentrée et non en référence à son environnement. Cet égocentrisme porte tout le poids de l’histoire de la personne qui a forgé ses schémas cognitifs et ses modes d’actions, mais également ses intérêts. Agir en référence à soi-même, revient à reproduire des schémas sans réelle conscience de leur perception par les autres et de leur impact.

Or, une question cruciale surgit immédiatement : pourquoi serait-on spontanément compétent et conscient en matière professionnalisme plus qu’en autre chose ? Selon certaines méthodes de communication, un accueil réussi comporte pas moins d’une trentaine de points clés. Il serait étonnant que tout un chacun les ait détectés et intégrés spontanément dans ses modes d’action. Nous en déduisons que le professionnalisme n’est pas l’opinion de l’un ou de l’autre sur une situation, mais une série de normes sociales relatives et évolutives qu’il s’agit d’assimiler, qui sont évaluables et qui sont négociables. Cela requiert une volonté énergique et certainement une discipline.

Les intentions politiques dépendent du bon vouloir des individus

Les discours d’intention et l’annonce publique du professionnalisme d’une entreprise ou d’une organisation sont certainement sincères, même si les spécialistes de la publicité en rajoutent en termes de communication, puisque leur métier consiste aussi à embellir les choses.

Toutefois, il est clair que les responsables d’entreprise ne prennent pas toujours la mesure du fossé entre leur intention de professionnalisme et les efforts considérables et continus qu’il leur faudra produire auprès de leurs équipes pour l’obtenir. Ils ne voient pas suffisamment tout ce que cela implique comme énergie de décision et de passage à l’acte, de mobilisation des personnes, de persévérance… et de passion du détail. Dans un réseau national disposant de 30 agences, le slogan « un client, c’est sacré » peut concerner plus de 300 personnes chaque jour, et des milliers de relations.

Une politique basée sur le professionnalisme ne peut se concevoir que quand les personnes de l’entreprise constatent une cohérence entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Ainsi les personnes ne produiront pas du professionnalisme si on ne professionnalise pas leur environnement et le management : elles regardent comment elles sont traitées avant de décider comment traiter les autres.

Du léger doute sur des personnes à la perte de crédibilité globale d’une organisation

Ainsi, en matière de professionnalisme, l’acte compte plus que tous les discours. L’acte est commis par des représentants de l’organisation qui tiennent entre leurs mains le professionnalisme observable et réel de leur équipe, de leur service, de leur entreprise : la qualité, les délais, l’amabilité, l’humanité…

Alors que l’on parle régulièrement de la confiance, en réalité le professionnalisme génère des confiances (un éventail). Ces confiances sont des séries d’assurances visibles. Autrement dit, la confiance dépend de très nombreuses confiances agglomérées, cumulées, stratifiées. On peut avoir confiance dans tel ou tel domaine et pas dans tel autre : la qualité d’accueil, l’écoute réelle, la qualité d’une réparation, la tenue d’un délai, la sincérité d’un devis…

Le manque de professionnalisme d’une personne vis-à-vis d’un client peut générer des doutes sur l’ensemble des confiances. Si un professionnel réalise mal un accueil, on peut aussi douter de l’intérêt qu’il porte à la réparation d’un appareil qu’on lui confie, du prix qu’il va réclamer… Un restaurateur (ou l’un de ses collaborateurs) désagréable au téléphone lors d’un recueil de réservation, peut semer un sérieux doute sur son hospitalité, voire sur la qualité du repas à laquelle s’attendre.

Une des plus grandes difficultés en matière de professionnalisme, est qu’une personne peut, à elle seule, directement ou indirectement, contribuer à jeter l’opprobre sur l’ensemble de l’organisation, et briser la confiance que cette dernière a patiemment instaurée avec son environnement, au travers des efforts de nombreuses personnes.

Conclusion

Nous pouvons finalement considérer le manque de professionnalisme comme une forme de mépris de son propre environnement. En effet, il génère des externalités qui nuisent aux partenaires internes et externes, aux confiances et donc aux performances des organisations.  Nous comprenons que le manque de professionnalisme est une forme d’individualisme, une économie de soi, aux dépens de son environnement.

À l’inverse, le professionnalisme apparaît comme une exigence vis-à-vis de soi-même, qui suppose une certaine conscience, un certain investissement en énergie, qui concourent à prendre soin de la qualité de nos relations. Dans cette perspective, le professionnalisme apparaît comme une forme d’altruisme, caractéristique de l’humanisme. Tandis que beaucoup dénoncent une sorte d’effondrement civilisationnel, qui ne semble pas dénué de fondement, l’accroissement flagrant du manque de professionnalisme en constitue probablement une variable explicative majeure. À tel point qu’avoir affaire à des professionnels qui s’engagent excellement bien dans leur travail et dans leurs relations, ressort désormais de l’agréable et étonnante surprise, que l’on se prendrait à vouloir récompenser sur le champ, et à classer au rang des vestiges d’un monde ancien.

Partant de ce constat, nous essayerons de répondre, dans le prochain article, à la question « Peut-on encore faire confiance aux professionnels ? » Nous verrons notamment que la notion de professionnalisme est particulièrement galvaudée, et la mettrons en perspective avec des concepts tels que la performance, l’amateurisme ou encore l’excellence, afin de nous mettre sur la piste d’une définition opérationnelle du concept de professionnalisme, qui sera traitée dans le troisième article.

Lire la suite de cet article le mois prochain.

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