Nouvel article publié par notre expert en Neurosciences pour managersante.com, le Docteur Bernard ANSELEM, auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier ouvrage co-publié le 5 Décembre 2019, « Les talents cachés de votre cerveau au travail« (aux Editions Eyrolles).
Il est également co-auteur d’un nouvel ouvrage publié depuis le 04 Octobre 2021 chez LEH Edition, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins
Le Docteur Bernard ANSELEM, est intervenu à l’occasion du 1er Colloque de ManagerSante.com, « Comment mieux communiquer pour accompagner les professionnels de santé ?« , qui a eu lieu le Mardi 29 Mars 2022 au Ministère de la Santé et de la Prévention.
N°21, Février 2023
Relire la 1ère partie de cet article.
Une fois les principaux facteurs et les mécanismes sous-jacents exposés, il importe d’agir en connaissance de cause, en remplaçant ces forces d’inertie par d’autres plus stimulantes.
Pour définir ce qu’est une motivation au travail, l’étymologie nous éclaire. Le mot vient du latin motivus qui veut dire mobile et de movere. En ancien français, cela signifiait « ce qui met en mouvement ». La motivation intrinsèque est bien un moteur intérieur qui nous donne de l’énergie. On ne motive pas quelqu’un, c’est un mécanisme interne. En revanche, le manager et l’organisation peuvent proposer un terrain favorable. Un environnement approprié peut ainsi permettre aux différentes motivations de se développer. Ainsi, l’identification de ce qui incite un collaborateur à se mettre en mouvement est une donnée-clé. Cette identification des moteurs de chacun peut également permettre d’être vigilant à ne pas démotiver, même sans en avoir l’intention.
« On ne fait bien que ce que l’on aime »
Face aux difficultés permanentes de la vie professionnelle, mais aussi aux incertitudes grandissantes, aux échecs, à l’accélération exponentielle des rythmes et des amoncellements d’informations, il faut une motivation d’acier pour tenir bon. Découvrir ses propres centres de motivation interne est une force, une source d’efficacité, de persévérance, de résilience et de bien-être. Cela rend les obstacles moins hauts et atténue nos doutes. Les difficultés deviennent alors moins pesantes.
Les contraintes extérieures et la recherche de satisfactions matérielles ne sont pas les seules sources de motivation. Lors d’une journée de travail type, il est probable que l’accumulation des difficultés, tensions, inquiétudes, fatigues et autres désagréments, excède les périodes de bien-être. Si nous devions nous arrêter à ce décompte, la vie professionnelle ne serait qu’un long chemin de croix ! Pourtant, de nombreux actifs trouvent une satisfaction d’accomplissement malgré ces enchaînements de difficultés : ils sont motivés par un projet global, trouvent un sens à leur vie professionnelle dans l’accomplissement d’un objectif ou l’engagement dans des valeurs qui leurs sont propres, véritables moteurs internes. La motivation intrinsèque est plus robuste, plus durable. Se retrouver balloté par des tensions incessantes ou être animé par une force intérieure sont des choix personnels, c’est le sens que l’on donne et les valeurs que l’on se choisit qui font la différence.
Il a été montré que lorsque nos choix ne sont pas imposés mais autodéterminés, ils améliorent réellement les performances et le bien-être[1]. La découverte et la culture de nos potentiels insoupçonnés sont autant de moteurs bénéfiques dans nos projets de vie.
Distinguer les motivations externes des internes
- Les motivations externes : indispensables mais fragiles
Aux origines, subvenir à ses besoins était la première des motivations. Chez l’humain cette notion est complétée par un intense réseau de besoins culturels et sociaux, ceux que nous nous créons dans notre vie relationnelle. Dans notre cerveau, les réseaux du désir, du plaisir et de la récompense ou, à l’inverse, les mécanismes émotionnels de la peur et de l’aversion, sont de puissants motivateurs. Ils fonctionnent de façon automatique, à l’insu de notre conscience, mais peuvent heureusement être contrôlés a posteriori par notre analyse consciente. Ces mécanismes vont se renforcer avec l’expérience : les résultats positifs vont entraîner un renforcement de la récompense, expliquant la mise en place d’habitudes, voire d’addictions. Si vous remarquez qu’une stratégie fonctionne bien, vous aurez naturellement tendance à la reproduire. Les résultats négatifs provoqueront des comportements d’évitement, pouvant parfois déborder vers des phobies ou des troubles anxieux.
Il serait aisé de croire que les renforcements professionnels positifs les plus souhaités sont les primes ou augmentations de salaires. Les motivations externes positives d’ordre matériel sont logiquement très recherchées, mais leurs avantages sont très surestimés : une foule d’études mesurant leurs effets bénéfiques ne les estiment pas au-delà de quelques mois[2] (au dessus d’un niveau de rémunération minimum permettant de subvenir aux besoins de base, bien entendu).
Les renforcements négatifs correspondent, quant à eux, aux contraintes et aux risques d’événements négatifs : échecs, mises à l’écart, difficultés financières ou, au maximum, licenciements ou faillites. L’anticipation de ces risques active les réseaux émotionnels de la peur et de l’aversion. L’évitement de ces risques constitue ainsi une motivation négative puissante. Ces inquiétudes et contraintes sont bien sûr très efficaces pour nous pousser à agir, mais elles sont aussi particulièrement stressantes et usantes pour l’organisme, sources d’altérations physiques et mentales. Elles s’imposent d’elles-mêmes et n’ont nul besoin d’être cultivées.
Les contraintes externes et les satisfactions matérielles sont donc insuffisantes pour bâtir une motivation robuste. Nous devons faire appel à nos potentiels personnels, qu’on appelle les « motivations internes ».
- Les motivations internes : durables et indépendantes de l’adversité
Elles correspondent globalement à la réalisation de trois types de besoins psychologiques fondamentaux (Compétence, Appartenance et Autonomie), selon le modèle d’Edward Deci et de Richard Ryan[3], conforté par d’innombrables preuves expérimentales, d’études de terrain ou de suivis sur plusieurs années :
Compétence : besoin de progresser, maîtriser une connaissance ou un geste, se dépasser, s’engager dans un projet ;
Relation à l’autre, appartenance : besoin d’appartenir à un couple, une famille, un cercle d’amis, une équipe, une entreprise, une communauté, une nation ;
Autonomie : pouvoir décider de ce qui est bon pour soi, sans dépendre des conditions extérieures ou des autres. Dit autrement : liberté de choisir ses actions. Ces différentes motivations internes permettent de trouver du sens, un engagement, voire un dépassement de soi. On pourrait également les classifier selon trois grandes fonctions :
- cognition (apprendre, savoir)
- émotions (aimer)
- comportements (agir, faire, réaliser une œuvre, devenir libre)
… ou encore plus simplement, selon les « savoirs », « savoir-être » et « savoir-faire ». C’est ce qui nous touche et nous met en action !
Bien sûr, il existe autant de sources de motivations internes que d’individus, ces trois besoins de base ne couvrent pas tous les possibles, mais sont considérés comme essentiels à l’intégrité et au bien-être de l’humain. L’accomplissement d’un de ces besoins donne du « sens » à nos actions. En revanche, les moteurs habituels les plus cités (l’argent, le pouvoir, la sexualité, les plaisirs matériels) sont parfois puissants, mais dépendants des conditions extérieures de réussite ou d’échec. Ils sont donc fragiles et transitoires, soumis aux montagnes russes de l’existence. Ils présentent, de plus, un énorme inconvénient : cette recherche est sans fin comme nous le montrent les neurosciences cognitives et la physiologie des réseaux de récompense. Chaque perception génère une nécessité d’accumulation permanente, un besoin insatiable, une quête sans fin. Ils ne comblent pas durablement notre envie d’aller de l’avant, alors que la recherche de sens à travers la compétence, l’appartenance ou l’autonomie apporte des satisfactions plus renouvelables. Ces résultats sont issus d’observations scientifiques, ils ne doivent pas être considérés comme des « leçons de vie », à prendre au pied de la lettre, mais comme des éclairages sur les états d’esprits qui ont le plus de chance de générer une motivation et une satisfaction durables en fonction de la singularité de chacun.
Selon de nombreuses études[4], le respect de ces motivations autonomes est associé à une meilleure performance, plus de créativité, de persévérance, d’émotions positives et une meilleure santé mentale. C’est considérable ! Ces motivations améliorent également l’apprentissage, la réussite scolaire[5] et les performances sportives.
D’autres modèles travaillant sur l’engagement et la motivation existent : « l’engagement » de M. Seligman , le « flow » de M. Csíkszentmihályi , la très connue classification des besoins de Maslow, le chapitre » motivation » de l’intelligence émotionnelle de D. Goleman , la théorie X et Y de McGregor, les théories de Vroom ou Herzberg… Les abords sont différents, mais les notions de base sont souvent communes. Et quels que soient les modèles, ils convergent vers la notion de sens pour alimenter les motivations internes.
Les personnes les plus efficaces, et surtout les plus accomplies, sont toutes habitées par des objectifs forts.
La motivation à l’échelle collective
- Doper la performance avec la sécurité psychologique
En 2012, Google Alphabet, cherche à comprendre les facteurs de l’efficacité de ses équipes et lance une étude de grande envergure, le projet Aristote. Les maîtres de la donnée numérique collectent des montagnes de données parmi 150 équipes et 50 000 collaborateurs, en espérant identifier le secret de l’intelligence collective. Mais les premiers résultats sont décevants. Malgré des tonnes de datas, la performance collective n’est pas corrélée aux différents paramètres testés (équipes homogènes ou disparates, niveau de formation, quotient intellectuel, degré de proximité ou d’amitié, entre autres). Les chercheurs de Google se sont alors tournés vers les conclusions d’une étude universitaire identifiant les facteurs liés à la plus grande performance de groupe pour la réalisation d’une large variété de tâches[6]. En scrutant les règles implicites de relation à l’autre, les équipes de Google parviennent à trouver des facteurs significatifs : l’efficacité d’une équipe repose avant tout sur la confiance et l’empathie, donc à l’intérêt pour l’autre. Il définit la notion de « sécurité psychologique ». Elle ressort d’un climat de confiance, d’une tolérance à l’erreur, d’une attention et d’un respect mutuels qui favorisent les prises de risque et la créativité. Ces conditions créent des liens émotionnels forts entre membres d’un même groupe et génèrent ainsi une motivation puissante.
Adhérer à une vision collective, ressentir une envie d’implication, se sentir écouté et être attentif aux autres sont donc des éléments primordiaux pour les nouvelles organisations du travail. Le fonctionnement matriciel ou en réseau fait que cela le sera plus encore dans les évolutions inéluctables des métiers de demain. Nous retrouvons ici toutes les applications des principes de neurosciences : cerveau émotionnel et social, motivé par le plaisir autant que par les contraintes.
Ces nouveaux principes d’efficacité collective sont issus des attentes récentes face à un monde changeant et complexe, mais sont également inspirés par les connaissances des dernières années sur nos fonctionnements cérébraux.
En conclusion :
Pour gérer une organisation de manière optimale, il est nécessaire de s’appuyer sur le mode de fonctionnement du cerveau social, de l’impact des réseaux émotionnels, de récompense ou d’évitement et de leur influence sur les processus décisionnels, la créativité, l’attention et la motivation.
Les systèmes d’évaluation de la performance et de formation continue devraient pouvoir s’inspirer de ces avancées. La dimension humaine du management devient alors le contrepoids indispensable face à la tension des évolutions technologiques et sociétales[7].
Ces notions impliquent de favoriser l’engagement par le désir d’apprendre, de cultiver des relations riches ou de la coopération, de l’autonomie et de la confiance, elles sont plus durables que la peur et plus susceptibles de contrer les effets délétères des tourments multiples.
L’évolution du rôle de manager vers des fonctions de leader, de développeur de potentiels et de compétences, susceptible d’insuffler de l’entrain et de donner du sens, s’inscrit pleinement dans ce mouvement.
Pour aller plus loin :
[1] Murayama, K., Matsumoto, M., Izuma, K, Sugiura, A., Ryan, R. M., Deci, E. L., & Matsumoto, K. (2015). How self-determined choice facilitates performance : A key role of the ventromedial prefrontal cortex. Cerebral Cortex, 25, 1241-1251.
[2] Boswell, W. R. , Boudreau, . W.,& Tichy, J. (2005). The relationship between employee job change and job satisfaction : The honeymoon-hangover effect .The Journal of Applied Psychology,90, 882–892.
Kahneman D1, Deaton A (2010) High income improves evaluation of life but not emotional well-being. Proc Natl Acad Sci U S A. 2010 Sep 21 ;107(38) :16489-93.
[3] Richard M. Ryan and Edward L. Deci (2000) Self-Determination Theory and the facilitation of intrinsic motivation,Social Development, and Well-Being. January 2000. American Psychologist 2000 Vol. 55, No. 1, 68-78
[4] Deci, E. L., & Ryan, R. M. (2014). The importance of universal psychological needs for understanding motivation in the workplace. In M. Gagne, The Oxford handbook of work engagement, motivation, and self-determination theory (pp. 13-32). New York, NY : Oxford University Press.
[5] Early, D. M., Berg, J. K., Alicea, S., Si, Y., Aber, J. L., Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2016). The impact of every classroom, every day on high school student achievement : Results from a school-randomized trial. Journal of Research on Educational Effectiveness, 9(1), 3-29.
[6] Woolley AW &al. Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups. Science. 2010 Oct 29 ;330(6004) :686-8
[7] Bryson A., Forth J. et Stokes L., Does Worker Wellbeing Affect Workplace Performance?,
IZA, Discussion Paper No. 9096, 2015 (https://ssrn.com/abstract=2655044)
N’hésitez pas à partager cet article
Nous remercions vivement le Docteur Bernard ANSELEM, Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en Neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), titulaire d’un Certificat de « science of happiness » (Berkeley) et Formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Il est également Auteur de plusieurs ouvrages dont, « Je rumine, tu rumines, nous ruminons » (Editions Eyrolles, 2017) et « Ces émotions qui nous dirigent » (Alpen éditions) conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie,
Il propose de partager son expérience professionnelle en Neuropsychologie pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteur :
Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), certificat de « science of happiness » (Berkeley) et formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Auteur conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie.
Thèmes de travail : émotions, motivation, anxiété, prise de décision et efficacité, IRM fonctionnelle. Il souhaite créer des ponts entre les avancées récentes des recherches sur le cerveau ou le bien-être, et les applications pratiques au quotidien, à l’intention des personnes ne disposant pas de temps pour aborder les ouvrages théoriques ou académiques.