N°1, Août 2019
Article rédigé par notre nouvelle experte, Serena BUCHTER, Infirmière MPH (Master of Public Health), coordinatrice du Réseau Santé, Soins et Spiritualités, Coordinatrice Réseau Santé, Soins et Spiritualités – RESSPIR/RSCS/UCL, Institut de recherche pluridisciplinaire Religions, Spiritualités, Cultures et Sociétés IRSCS, Université Catholique de Louvain, Belgique.
Serena BUCHTER propose, pour nos lecteurs de ManagerSante.com, de partager son regard et ses réflexions autour des représentations et des préoccupations des managers d’hôpitaux par rapport au vaste thème de la spiritualité/religion à l’hôpital.
Ses différents articles aborderons ce sujet dans sa complexité et le « tricotement » des mots suivants: spiritualité, religion, management, hôpitaux, éthique, vivre ensemble, culture d’entreprise, leadership, soins globaux, neutralité, etc.
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Etat des lieux dans la littérature
Une réappropriation du spirituel par le monde biomédical
Aujourd’hui les processus de sécularisation sont quasiment arrivés au terme de l’expropriation du religieux de l’hôpital (Brandt & Besson, 2017). Or cette distanciation du religieux a conduit à une réappropriation du « spirituel » par le monde biomédical avec une modalité et un langage nouveau. On pourrait dire que si le religieux a été « mis à la porte » des institutions sanitaires, la « spiritualité » revient par la porte de derrière sous une forme et des mots différents.
Cette tendance est décrite dans la littérature (Jobin G. , 2013) : un spirituel qui est redéfini par les corps professionnels des disciplines médicales et conceptualisé par ceux-ci. Les médecins, les infirmiers et infirmières, les psychologues, les assistants et assistantes sociaux, toutes les catégories de professionnels de la santé mettent des mots sur la spiritualité qui sont liés mais se distinguent des définitions du religieux (nous y reviendrons plus tard).
Ces nouvelles définitions ont en commun entre autre : la distinction entre spirituel et religieux, la quête d’harmonie, la recherche du bien-être (Jobin G. , 2017). Cette réappropriation va de pair avec un intérêt grandissant dans les études médicales et soignantes pour le rôle de la spiritualité (versus la religiosité) dans les processus de santé, de coping, de rétablissement, etc. modifiant sensiblement la perception de cette dimension spirituelle et son « apport », pour le système de soins.
Les études d’impacts de la spiritualité/religiosité sur la santé
Cette évolution des connaissances scientifiques dans la recherche biomédicale indique qu’il est pertinent de s’intéresser à la spiritualité dans les milieux des soins dans le cadre de la santé publique. La plupart des indicateurs étudiés montrent cet apport positif. La nette augmentation en nombre de parutions depuis les trois dernières décennies dans la littérature biomédicale sur ce sujet est aussi très significative.
Parmi les indicateurs des bénéfices sur la santé ou les soins, sont mis en évidence :
- une amélioration de la qualité des soins (McMillan, 2016) ; (Newmeyer, 2014),
- une augmentation des facultés de coping (Koenig, 2013) ; (Pargament, 1997) ; (Manning, Leek, & Radina, 2012),
- une diminution de la mortalité (Lucchetti, Lucchetti, & Koenig, 2011),
- une amélioration de la qualité de vie (Ali & Marhem, 2015) ; (Mollica & al., 2016),
- l’apport de facteurs de protection multidimensionnels (Mishra, 2015) ;
- résultent d’une intégration de la prise en compte de la spiritualité dans les soins.
Les études sur des formes particulières de pratiques spirituelles telles que la méditation, la prière ou d’autres comportements religieux montrent des effets sur la régulation émotionnelle (Cahn & Polich, 2006) ainsi que sur l’activité neurophysiologique (Previc, 2006) ; (Aftanas & Gologsheykin, 2005) qui expliqueraient une partie de ces effets sur la santé.
Même si les méthodes de ces études sont discutées dans le milieu scientifique (Hill & Pargament, 2000) ; «Peut-on quantifier la spiritualité ? » ( (Frick, 2006), il n’en reste pas moins que ce sujet n’a de cesse d’interpeller le milieu biomédical qui est tenté de s’approprier les effets d’une pratique spirituelle ou religieuse ou de proposer au sein des institutions sanitaires, d’une manière renouvelée, des pratiques de soins intégrant cette dimension (Jobin G. , 2013), au risque de l’instrumentaliser comme un facteur supplémentaire ayant un impact sur la santé…
Les mutations ethno-religieuses de la population
Les facteurs salutogènes pour la santé publique (Monod S. , 2015), ne sont cependant pas les seuls facteurs qui ont influencé ces deux dernières décennies le système de soins dans son rapport à la spiritualité/religion.
Durant la même période, les difficultés liées aux flux migratoires en Occident ont posé aux institutions de soins des questions de compréhension culturelle et religieuse, tant pour les patients que pour les employés issus de ces populations qui devaient composer avec les différents régimes de laïcité en vigueur (Grimbert, 2015).
L’émergence des soins dits « globaux » face à la technicisation
Toujours durant cette même période (depuis les années 80), les courants d’humanisation des soins se sont fait connaître et ont abouti à une conceptualisation, tout au moins dans les manuels de soins, d’une attention à la spiritualité des malades.
Débutés dans le sillage de Cicely Saunders dans son approche de la Total Pain dans les hospices anglais et auparavant par Virginia Henderson (Henderson V. , 1966) après-guerre aux USA élaborant ce qui deviendra la Théorie des Besoins, dont les « besoins spirituels » (Buchter, Fontaine, & Piguet, 2016), les concepts des soins « globaux » se sont développés au rythme du développement de la profession infirmière et des mouvements de contre-balanciers à l’évolution techno-scientifique de la médecine.
Les directions face à ces mutations
Ces différentes mutations liées à la spiritualité dans les milieux sanitaires :
- du regard intéressé de la médecine pour ses impacts bénéfiques sur la santé,
- des courants d’humanisation des soins,
- des mélanges ethno-religieux de populations,
- de la sécularisation accélérée des institutions hospitalières,sont venues profondément modifier le rapport des institutions de soins avec leurs patients, leurs employés et les pouvoirs publics.
Il apparaît alors une formalisation d’une modalité d’intégration de la spiritualité dans les soins selon continuum variable dépendant des contextes.
Ainsi les processus d’institutionnalisation de cette intégration varient selon les pays, notamment selon les formes de régulation politique du religieux dans l’espace public et les institutions de l’État, mais aussi selon le développement de la médecine et la réception clinique des nouvelles études sur ce champ disciplinaire.
Ce nouveau champ a suscité des réactions face à des pratiques qui ressemblaient plus à une « injection » de spiritualité dans les soins, ce qui a suscité des critiques depuis les années 2000 (Jobin G. , 2013). Ces travaux sur l’éthique de l’intégration de la spiritualité dans les soins (Pujol, Jobin, & Béloucif, 2014) présentent les limites et risques de cette intégration (Pujol, et al., 2016 ).
« avec d’un côté des approches non interventionnistes, basées au minimum sur la simple présence, et d’un autre côté des approches interventionnistes, telles que les psychothérapies intégrant la spiritualité. Entre ces deux pôles, il existe différentes modalités d’accompagnement, allant de l’anamnèse spirituelle aux groupes de paroles en passant par les ateliers d’exercices spirituels ou par l’approche narrative. Ces exemples de modèles d’accompagnement constituent les grandes tendances développées à ce jour dans le monde de la santé. » (Pujol, Jobin, & Béloucif, 2014, p. 82)
L’intégration de la spiritualité dans les soins
L’intégration de la spiritualité dans les soins suppose une conception de l’homme et une reconnaissance :
La dimension spirituelle serait anthropologique : du fait d’être un « humain » (Jobin G. , 2017). Elle anime le tout de l’homme et chaque humain. Il s’agit alors de reconnaître une dimension constitutive de l’être « humain » : la spiritualité en lien plus ou moins composé avec la religion, qui forme avec les dimensions bio-psycho-sociales un « tout » de l’être humain (Jobin G. , 2013).
« Non réductible à la maladie, les malades restent des personnes à part entière qui cheminent intérieurement au contact de la vulnérabilité et de la finitude. » (Pujol N. , 2017, p. 40)
Cette intégration suppose aussi une visée des soins.
La visée du « bien » de l’homme dans les processus de soins qui considère, au sein de l’imbrication des différentes dimensions habituellement considérées dans les prises en charge une influence généralement positive (mais parfois négative (Zinnbauer, 2013)) de la dimension spirituelle.
L’intégration de la spiritualité dans les soins implique une reconnaissance et aboutit à une forme de responsabilité qui elle-même induit des activités ou comportements spécifiques. Cette responsabilité selon Pujol, devrait se porter sur le niveau institutionnel :
« De fait, au lieu de penser la question spirituelle dans le registre soignants/patients, il semble plus adapté de la penser dans le registre institutions/personnes et personnes/personnes. Institutions/personnes parce qu’il est nécessaire que les professionnels de la santé soient également reconnus comme des personnes à part entière qui cheminent intérieurement. » (Pujol N. , 2017, p. 42)
Cette intégration pourrait se traduire en milieu hospitalier par des conséquences dans le management comme par exemple :
- Une culture de la spiritualité en entreprise, Workplace Spirituality (Benefiel, Fry, & Geigle, 2014), culture qui peut se retrouver dans le réseau des institutions de soins aux USA « Workplace Spirituality in Healthcare »(Pirkola, Rantakokko, & Suhonen, 2016).
- Des modalités différentes pour l’accès aux patients par les professionnels de l’accompagnement spirituel;
- Des modèles de collaboration promus : multi-pluri ou interdisciplinaire entre professionnels de l’accompagnement spirituel en milieu de soins et professionnels de la santé(Balboni, Puchalski, & Peteet, 2014) ; (Monod S. , 2013) ; (Rochat, Vollenweider, Rubli, & Odier, 2015) ;
- Une préférence pour une équipe d’accompagnement spirituel a/multi/inter- confessionnelle (Aumônerie inter-religieuse de l’Hôpital d’Avicenne-AP-HP à Paris, Carrefour spirituel aux Clinique St-Luc-UCL à Bruxelles, intervenants en soins spirituels au Québec) ; ou une démarche de recherche pour trouver la meilleure modalité institutionnelle pour les équipes d’accompagnement spirituel en lien avec les équipes de soins (Grand Hôpital de Charleroi, projet de recherche NH 302(Baude, Lobo, & Mathot, 2018)).
- Une valorisation de l’attention à la dimension spirituelle : inscriptions dans les cahiers des charges pour les professionnels de la santé (Mercadier, 2013) et la valorisation des prestations par les accompagnateurs spirituels (questions salariales, rapports d’activités évalués);
- Un espace attribué en milieu hospitalier à la spiritualité(Lanblin, 2016) ;
- Une évaluation des professionnels de la santé aux compétences pour une attention à la spiritualité en milieu de soin, (Büssing, Recchia, Koenig, Baumann, & Frick, 2018);
- La gestion de la laïcité en milieu de soins : tolérance locale au port et à l’affichage de signes religieux, gestion des fêtes religieuses, gestion des discours religieux des employés sur le lieu du travail etc.(Grimbert, 2015).
- L’inscription des références spirituelles et leur renforcement dans les chartes, valeurs d’établissement ou philosophies de soins (Graber & Johnson, 2001).
- Les offres pour le soutien spirituel des employés d’institutions de soins : démarches pour favoriser le bien-être spirituel chez le personnel (Mc Millan, 2016); organisation de réflexion, moment de ressourcement (Bazan & Dwyen, 1998).
Cette liste émane de la littérature actuelle sur ce champ. Nous avons voulu voir ce qu’il en est sur le terrain par ceux qui occupent une place de manager. Nous avons posé la question en 2018 à quinze directions d’hôpitaux à Bruxelles lors d’entretien individuel, découvrez lors du prochain article ce qu’ils ont répondu à quelques questions comme:
« La spiritualité à l’hôpital : est-ce votre « affaire » ou pas « votre affaire » ? »,
« Qu’est-ce que cela change à votre management et a pour conséquence dans votre institution ? »
Lire la prochaine partie de cet article le mois suivant
Pour aller plus loin :
[1] Les données du terrain analysées proviennent d’une recherche qualitative auprès de 15 directions d’hôpitaux à Bruxelles en 2018 effectués pour un master en PH à l’UCLouvain (Belgique).
Thématiques de cette série d’articles à venir :
- 2ème partie : Nous découvrirons les réponses de dirigeants d’hôpitaux : « En quoi êtes-vous concernées par la spiritualité/religion dans votre établissement ? »[1].
- 3ème partie : Après nous ferons, les distinctions et liens entre spiritualité/religion/religiosité et les modèles de laïcité envisageables en milieu de soins.
- 4ème partie : Ensuite il sera question de relire quelques exemples de management en milieu hospitalier dans différents contextes et avec des options originales.
- Enfin pour la 5ème partie, nous ferons échos de chantiers ouverts pour aborder aujourd’hui cette question pour des managers, des cadres de santé, en milieux de soins et notamment en regard de la formation/sensibilisation et recherche relatives à ces thèmes.
Nous remercions vivement Serena BUCHTER, Infirmière MPH (Master of Public Health), coordinatrice du Réseau Santé, Soins et Spiritualités, Coordinatrice Réseau Santé, Soins et Spiritualités –RESSPIR/RSCS/UCL, Institut de recherche pluridisciplinaire Religions, Spiritualités, Cultures et Sociétés, Université Catholique de Louvain, Belgique. La coordination du Réseau est hébergée au sein de l’Institut de recherche Religions, Spiritualités, Cultures et Sociétés IRSCS. pour partager son expertise sur notre plateforme média digitale d’influence www.managersante.com
PUBLICATIONS DE SERENA BUCHTER :
Spiritual Care I – Comment en parler en français ? Des concepts pour des contextes, Réseau Santé, Soins et Spiritualités, Sauramps Médical, Montpellier, 2018, 150 p., ISBN 979-1-030-30184-7
Spiritual Care II – La parole aux professionnels sur le terrain,Réseau Santé, Soins et Spiritualités, Sauramps Médical, Montpellier, 2018, 95 p., 979-1-030-30185-4
ÉVÉNEMENT 2019
Colloque GHdC «Technique et humanité : un paradoxe à l’hôpital?»
Au Grand Hôpital de Charleroi
En 2014 le Grand Hôpital de Charleroi entreprend le projet de construction d’un nouvel hôpital mettant au centre de ses préoccupations une vision globale de la prise en charge du patient. Il organise alors différents groupes de travail pour mener une réflexion qualitative et professionnelle en ce sens. L’équipe pastorale, issue du service Humanisation, se trouve au sein de l’hôpital face à une réalité sociologique multiculturelle qui l’interpelle, la questionne et la pousse à s’inscrire dans cette dynamique de réflexion. En 2016, le service Humanisation reçoit un mandat pour réfléchir à la prise en compte de la dimension spirituelle du patient et du personnel au cœur des soins, en vue de donner place à la subjectivité du patient dans la compréhension de la maladie afin de l’aider à la vivre avec du sens et d’améliorer son séjour et le vécu de son entourage. C’est au sein de cette réflexion que naîtra l’idée d’organiser un colloque sur ce thème mettant en valeur la manière dont certains cliniciens déploient leurs compétences en prenant en considération la spiritualité des personnes.
Des spécialistes offriront une relecture des pratiques rencontrées afin d’ouvrir la réflexion sur la place de la spiritualité au sein de celles-ci, pour redonner aux soins une compréhension plus humaine et ouverte à la subjectivité du patient.
Et suivez l’actualité sur www.managersante.com,
Officiel du Salon Européen #SANTEXPO
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