« La sauvegarde de notre humain n’est nulle part ailleurs que dans le cœur humain, la pensée humaine, la responsabilité humaine« .
Vaclav Havel, dramaturge, essayiste et homme d’État tchécoslovaque puis tchèque.
Nous souhaitons, dans cet article, apporter notre témoignage d’ infirmières depuis moins de 3 ans, pour parler de notre réalité quotidienne, destiné aux directeurs d’hôpitaux, des structures sanitaires et médico-sociales, aux cadres soignants, aux médecins, et aux décideurs des politiques de santé, … bref, à toutes celles et ceux qui participent de près ou de loin à la prise en « soins » des malades…
Nous souhaitons partager avec vous, ce témoignage « soignant » pour comprendre, à travers quelques repères de notre histoire du métier infirmier, les motivations qui nous incitent à suivre le chemin de cette noble vocation à vouloir devenir infirmière.
Mais, nous évoquerons également la dure réalité de nos conditions de travail, reflets de notre pratique quotidienne, en proposant quelques pistes de réflexions destinées à mieux valoriser notre métier au service de la qualité de la prise en charge de nos patients….
La santé, c’est l’affaire de tous :
» La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité« , définition de l’OMS (Organisation Mondiale de la santé).
C’est le socle sur lequel repose notre éthique professionnelle avec l’objectif d’apporter le soulagement des « maux » auprès de chaque patient, et ce, quelle que soit l’appartenance de génération, culture, philosophie, religion, situation sociale… C’est un principe inaliénable qui guide notre sens clinique issu de culture soignante
En effet, la maladie, le handicap, la vieillesse sont l’affaire de tous et personne n’est épargné.
Notre métier infirmier est en évolution constante, à travers l’histoire de la profession : quelques repères…
Le métier d’infirmier était jadis exercé par des religieuses, puis par des repenties jusqu’à l’avènement de la laïcisation de notre profession, caractérisée par le développement des soins techniques où l’infirmière devient « l’instrument » du médecin.
Ensuite, la création de la première école infirmière en 1878, les différents courants qui font évoluer la profession vers des infirmières polyvalentes qui pratiquent des actes techniques et des actes de soins.
En 1942, la création du diplôme d’Etat d’Infirmière, un diplôme commun sera mis en place en 1992 afin de réunir les spécialités générales et psychiatriques.
L’histoire de la profession infirmière évolue aujourd’hui, dans le contexte de la réforme des études, vers plus d’autonomie et de responsabilité, pouvant aller jusqu’aux transferts de certaines compétences médicales, grâce aux protocoles de coopérations envisagées depuis la Loi HPST (Hôpital Patient Santé Territoire) publiée en 2009.
Aujourd’hui, notre expertise métier d’infirmière évolue, au rythme des réformes de notre système de santé, avec l’émergence, en dernier lieu, des pratiques avancées, reconnues dans le dernier texte de la Loi du 26 Janvier 2016, dans son article 119.
Mais, c’est un métier aux représentations encore idéalisées par le grand public
Dans notre société, l’infirmière est encore trop souvent reconnue, par le grand public, comme la « piqueuse » associée à la prise de sang, alors que les dernières réformes des études, les textes réglementaires régissant notre profession établissent un élargissement du champ d’exercice professionnel sur le territoire de santé.
Un métier en quête de reconnaissance, au cœur même de notre profession
De plus, dans le champ des professionnels de la formation initiale conduisant à l’obtention du Diplôme d’Etat d’Infirmier, les modalités d’apprentissages n’ont pas fait l’unanimité dans l’appropriation des outils d’évaluations du parcours de professionnalisation des étudiants : le portfolio est une illustration concrète, ce nouveau référentiel de 2009 actualisé en 2014, qui est encore controversé au sein même de la profession.
La principale raison invoquée par les professionnels du terrain consiste à dire que cette nouvelle formation met fin aux mises en pratiques professionnelles.
Mais, la référence à l’universitarisation de la profession avec la reconnaissance de notre métier, dans le contexte de la réforme LMD (Licence, Master, Doctorat), ouvre de nouvelles perspectives aux infirmiers(ères) pour évoluer vers des masters et/ou doctorats, post formation initiale.
La nouvelle formation infirmière, plus académique, nous amène aujourd’hui à être plus autonome et performantes, tant dans nos pratiques professionnelles que dans la recherche de nouvelles connaissances, notamment vers l’accès à des PHRIP (Programmes Hospitaliers de Recherche Infirmière et Paramédicales), tout en nous incitant à développer nos connaissances, en suivant des Diplômes Universitaires complémentaires (ex : DU Douleur, DU Plaie & Cicatrisation, DU Ethique et Soins etc…).
Un besoin de reconnaissance entre les générations : les anciens IDE et les nouveaux DEI
Cependant, une problématique apparaît au sein de la profession avec le nouveau référentiel de 2009. En tant que jeunes infirmières nouvellement diplômées, nous pouvons ne pas être reconnues à la même valeur que les infirmières diplômées avec l’ancien référentiel. Pourtant, le diplôme d’Etat est le même.
Ce sont des préjugés qu’il nous faut lever, notamment à l’occasion d’une prise de fonction dans un service, pour affirmer nos compétences et notre investissement sur le terrain, aux mêmes titres que les « anciennes » infirmières. Une question de génération, d’appartenance culturelle et de représentation de notre cœur de métier. Un besoin de partager le sens de notre travail de soignant devient sans doute nécessaire pour préserver l’identité de la profession infirmière, dans une perspective de partage de nos valeurs.
La génération des infirmières d’aujourd’hui a besoin d’affirmer encore plus son identité et sa capacité à être dans une réflexivité, tout en étant dans le « prendre soin » du patient : nous sommes des infirmiers qui ne « pansent » pas uniquement, mais qui pensent avant tout…..
Etre infirmière aujourd’hui, s’agit-il d’être encore en contact avec le patient ?
Etre infirmière c’est aussi : le contact permanent avec la maladie, mort, la peur, l’angoisse, les problématiques familiales qui peuvent souvent épuiser quotidiennement nos équipes.
Toutefois, la collaboration entre équipes est primordiale afin de mieux appréhender certaines situations complexes qui peuvent nous mettre en difficulté, tant sur le plan de la pénibilité physique, qu’émotionnelle auprès du patient, des familles, mais aussi entre nous, les soignants.
Pourquoi faisons-nous ce métier alors ? Par choix, par vocation ?
- Etre infirmier, c’est aussi aider l’autre, être à son écoute, surmonter les épreuves dans un état particulier de souffrance et de faiblesse qu’elle soit morale ou physique lors d’une hospitalisation, d’une maladie, d’un handicap.
« Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours. » Pasteur Louis, scientifique francais, chimiste et physicien de formation, pionnier de la microbiologie
- Etre infirmier, c’est aussi la sensation de se sentir utile, d’offrir une qualité de soins dans une prise en charge optimale avec une collaboration pluridisciplinaire dans un seul but : le patient, malgré les restrictions budgétaires qui touchent les hôpitaux.
- Etre infirmier, c’est la joie d’offrir un sourire chaque jour, de la chaleur humaine, de se consacrer au patient pour son rétablissement, d’établir une relation de confiance chaque jour dans cette dualité soignant-soigné.
Pour illustrer notre réflexion, nous avons choisi de faire référence à Carl ROGERS, psychologue humaniste Nord-Américain, qui apporte des éléments de réponses sur la posture du soignant dans notre rôle d’infirmière : la relation d’aide et de « soin ». Une compétence clé qui mérite que l’on s’y attarde pour mieux comprendre la nature de notre fort investissement clinique quotidien après du malade.
Les 7 concepts de la relation d’aide
Selon Carl Rogers, psychologue humaniste nord-américain
– La présence :
« La relation est d’abord une présence à l’autre. Ce concept peut se définir comme la capacité physique d’être là et la capacité psychologique d’être avec la personne. Il symbolise à la fois la force qui suscite la confiance et qui rassure, et la douceur que suppose une approche humaine et bienveillante. »
– L’écoute :
« L’écoute est souvent synonyme de disponibilité dans le temps, mais aussi de disponibilité intérieure pour être prêt à accueillir ce que dit l’autre. L’écoute est à la fois silence et parole, elle est le silence, mais un silence qui parle de notre ouverture bienveillante à la demande du patient et de sa souffrance. »
– L’acceptation :
« Il s’agit d’un sentiment d’ouverture à l’expérience de l’autre, à sa souffrance et à sa manière d’être sans exigence de changement, ce qui constitue la première condition à l’établissement d’une relation d’aide »,
– Le respect chaleureux :
La relation d’aide repose sur la confiance et le respect. Par le respect, le soignant reconnait dans l’autre une personne humaine investie d’une dignité, d’une valeur et non d’une chosification. Le soignant reconnait le patient comme un être unique et libre capable de prendre ses décisions.
– L’empathie :
L’empathie est un profond sentiment de compréhension du soignant qui saisit la difficulté du soigné comme si elle rentrait dans son univers, comme si elle se mettait à sa place pour se rendre compte de ce qu’il vit et de la façon dont il le vit, et qui lui apporte le réconfort et l’écoute dont il a besoin, mais sans s’identifier à son vécu et sans vivre ses émotions à sa place.
– L’authenticité :
« Il s’agit de la capacité de l’aidant de demeurer strictement elle-même au cours de la relation avec l’aidé. Grâce à l’authenticité, le soignant reste transparent, spontané et ouvert, ne cherche pas à présenter une façade artificielle et ne se prétend pas être l’expert de la situation de l’autre. »
– La congruence :
Il s’agit de la manière d’être de l’infirmière qui manifeste une certaine adéquation entre ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense, ce qu’elle dit et ce qu’elle fait. Il s’agit d’une adéquation réelle entre son comportement verbal et son comportement non verbal.
L’infirmière peut-elle toujours appliquer ces principes au quotidien dans les services de soins ?
Malheureusement, un certain nombre de situations quotidiennes altèrent considérablement les conditions de travail des soignants, dont les infirmières, consécutives à de multiples facteurs :
- Les interruptions de tâches (ou le « travail empêché », comme le soulignent les sociologues)
- L’intensification de la charge en soins dans l’organisation de la prise en charge des patients
- L’augmentation des arrêts de travail (notamment les interruptions de courte durée à l’hôpital), révélateur d’un sentiment d’épuisement professionnel (ou Burnout),
- Les nombreuses réunions sans effet probants (ou « réunionites »), avec paradoxalement la réduction des temps de chevauchements entre les équipes soignantes, pour parler des patients,
- les actualités…douloureuses, mettant en lumière de situations de tension et de souffrance des soignants…
Sans vouloir être alarmiste, puisque nous souhaitons rendre compte de notre attachement à notre métier d’infirmière, il s’avère aujourd’hui que les conditions de travail nuisent parfois à mettre en œuvre ce sur quoi nous sommes missionnées, c’est-à-dire « être » auprès du patient, dans une relation d’aide et de soins…
Le soin est aussi important que la sécurité des soins du patient…et du soignant.
L’infirmière peut-elle affirmer le « sens clinique » de sa pratique auprès du patient, avec des tâches périphériques croissantes ?
Dans notre métier d’infirmière où le patient est au centre de notre prise en charge avec une équipe pluridisciplinaire, une prise en charge optimale est nécessaire et voulue.
Toutefois, l’infirmière est confrontée, dans les services, à de multiples contraintes de nature techniques (informatique), médico-économiques, budgétaires (restrictions), temporelles (gestion du temps, surcharge de travail) et personnelles (arrêt de travail).
Pour s’adapter au contexte des contraintes médico-économiques que traversent nos établissements de santé, la polyvalence des soignants n’est pas toujours bénéfique.
Ce paradoxe s’inscrit encore plus dans notre pratique, à travers la nécessité absolue de consacrer du temps pour assurer la « traçabilité » des actes soignants, par l’utilisation grandissante des outils de « gestion » mis à notre disposition.
La tarification à l’activité instaurée dans les établissements MCO depuis 2005 (ou T2A) a fortement accentué les changements des pratiques des soignants. Cette obligation de traçabilité des activités, qui est importante pour garantir la sécurité du patient, se met en œuvre au détriment du temps consacré au « lit du malade »…..Paradoxe ou impératif de rationalisation des ressources rares ?
Comment rendre lisible auprès de nos tutelles, l’essence même du « prendre soin », à travers ces outils de gestions qui semblent bien éloignés de notre système de référence de notre identité professionnelle ? C’est encore une réflexion qui interroge sur la place de la dimension humaine que nous devons privilégier dans notre pratique soignante.
En effet lorsque le soignant doit « commander, ranger les commandes, faire du nettoyage et du rangement, faire office d’informaticien, de secrétaire… etc », ces tâches périphériques contribuent à réduire le temps consacré à la qualité de la prise charge de qualité des patients.
En tant que jeunes infirmières diplômées d’Etat, depuis moins de deux ans, et à travers nos stages et diverses expériences, nous prenons conscience encore plus de cette différence entre la théorie et la réalité du terrain, entre les espoirs fondés dès le début de notre formation, et cette dure réalité du quotidien qui sont souvent difficiles à concilier.
Nos valeurs morales, notre conscience et notre éthique professionnelles peuvent être mises à mal dans certaines situations…
Quelle évolution infirmière possible ? Une opportunité à saisir à travers l’infirmière de pratique avancée
Paradoxalement, comme nous le relations au début de cet article, notre métier est en perpétuel évolution avec le développement des pratiques avancées, le foisonnement des formations universitaires, l’accès à des projets de recherches cliniques paramédicales, le travail en réseau sur le territoire de santé, dans le contexte des groupements hospitaliers de territoires etc…..
Que nous réserve alors demain ?
Des infirmiers de pratiques avancées qui assumeraient alors un rôle de coordination, de diagnostic afin d’alléger le travail des médecins et pallier au manque de ces derniers ?
Ce qui pourrait nous amener a plus de reconnaissance aussi bien sociale que professionnelle.
En conclusion, nous souhaitons solennellement que nos établissements de santé puissent apporter une vraie réflexion sur les modes d’organisations, de pilotages et de management de proximité puissent évoluer en faveur d’une amélioration de la qualité de vie au travail des soignants : il nous semble indispensable que les soignants soient en nombre suffisant pour que le patient reste au cœur de nos prises en charge au quotidien.
Sans-doute, serait-il envisageable que certaines tâches dites « non soignantes » puissent être réalisées par des compétences « non soignantes » afin d’augmenter significativement notre présence auprès de nos patients, dans la relation d’aide et de soins…
HAMDOUNI Laila
Infirmière de nuit polyvalente, Pôle Médecine/Rééducation/Urgences/USC avec la collaboration de BILLAT Maureen,
Infirmière sur le Pôle Médecine/Rééducation/Urgences/USC Centre Hospitalier de Tonnerre
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