Nouvel Article publié par notre experte Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) spécialisée en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail et membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale Harvard Business Review)
N°16, Juillet 2018
Les bienfaits de l’intelligence émotionnelle sont régulièrement mis en avant dans les organisations. Pour les uns, c’est la nouvelle force des managers. Certains affirment que l’intelligence émotionnelle représente une réponse pertinente pour rebondir après un échec professionnel mais c’est également la possibilité d’une performance managériale accrue. Pour d’autres, c’est une nouvelle forme de leadership qui apparaît grâce au développement de l’agilité managériale, l’intelligence émotionnelle étant prise en considération par un leader émotionnel (cf. Cécile Dejoux, Du management au leadership agile, Dunod, 2016).
Pourquoi parler d’Intelligence Emotionnelle dans le secteur de la santé ?
Désormais l’intelligence émotionnelle interroge tous les secteurs d’activités et le monde de la santé n’est pas exempté d’un tel questionnement (le blog managersante.com s’en est d’ailleurs déjà fait l’écho notamment au travers de la série d’articles publiés en 2017 par Eugénie Thevenon). Pourtant la prégnance du développement de l’intelligence émotionnelle dans les établissements de santé devient encore plus importante, ce secteur étant déjà l’objet de fortes avancées technologiques rendues possibles par le développement de l’e-santé et de l’Intelligence Artificielle (I.A). Or ces avancées technologiques interrogent elles-mêmes l’intelligence émotionnelle. Se remettre en question sur la mise en œuvre de l’intelligence émotionnelle dans les équipes de santé et chez les managers eux-mêmes devient par conséquent encore plus urgent.
L’existence ou plutôt les pratiques des managers du monde de la santé sont remises en question par les technologies qui sont utilisées dans le domaine de la santé (cf. notre précédent article). Pourtant ces managers ont encore la possibilité de se démarquer par leurs « soft skills » pensez-vous ? Rien n’est moins sûr car l’intelligence émotionnelle fait désormais l’objet de l’attention des ingénieurs informatiques. A titre d’exemple, des développeurs de l’University of Southern California Institute for Creative Technologies (ICT) travaillent depuis des années à ce que l’intelligence artificielle qui anime leurs agents conversationnels virtuels dispose de davantage d’intelligence émotionnelle. Les équipes de santé et les managers doivent par conséquent rester vigilants sur ce sujet. Mais comment s’y prendre ? Après quelques rappels conceptuels, ce billet va donc donner des pistes concrètes pour l’utiliser.
Quels sont les résultats des travaux de recherche sur l’Intelligence Émotionnelle ?
Au début des années 1990, les psychologues Peter Salovey et John D. Mayer ont été les premiers à reconnaître l’intelligence émotionnelle comme un ensemble de connaissances et de compétences distinctes des autres formes de l’intelligence qui est toutefois inhérent à la nature humaine. Ils définissaient ainsi l’intelligence émotionnelle comme étant la capacité de distinguer et de contrôler ses sentiments et ses émotions propres et d’utiliser cette information pour guider sa réflexion et ses actions, cette capacité s’appliquant aussi aux autres interlocuteurs.
Selon le psychologue Daniel Goleman l’intelligence émotionnelle consiste plus synthétiquement en l’art d’utiliser ses émotions (Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle, Tome 1 et 2, Robert Laffont, 1997 ; réédition intégrale collection J’ai Lu, 2014).
Pour autant, la maîtrise de ses cinq composantes essentielles – la conscience de soi, la motivation, la maîtrise de soi, l’empathie et la maîtrise des relations humaines – n’est pas si facile. Rappelons en effet que selon cet auteur, l’intelligence émotionnelle est constituée de 3 compétences personnelles et de 2 compétences sociales, à savoir:
- La conscience de soi, au même titre que la maîtrise de soi et la motivation est une compétence personnelle. Elle consiste en la connaissance de ses propres états intérieurs et de leurs effets, en la connaissance de ses forces et de ses limites ainsi que le fait d’être sûr de sa valeur et de ses capacités.
- Il se trouve par ailleurs que de la maîtrise de soi se caractérise par l’adaptabilité tout comme le contrôle de soi, la fiabilité, la conscience professionnelle et l’innovation.
- La motivation est enfin constituée de la capacité d’initiative à laquelle s’ajoutent l’exigence de perfection, l’engagement et l’optimisme.
A ces trois compétences personnelles s’agrègent également deux compétences sociales que sont l’empathie et les aptitudes sociales.
- L’empathie est cette conscience des sentiments, des besoins et des soucis d’autrui : outre la compréhension des autres, il y a la passion du service au client (au sens large), le sens politique (savoir déchiffrer les relations au sein d’un groupe), la capacité à sentir les besoins et les carences des autres et à stimuler leurs capacités et l’exploitation de la diversité.
- Par aptitudes sociales enfin, il faut entendre la capacité à induire des réponses favorables chez les autres. Cela fait appel à l’ascendant, la communication, la direction, la conduite du changement et la gestion du conflit et des relations, le sens de la collaboration et de la coopération, la capacité à mobiliser une équipe.
L’utilité de l’Intelligence Émotionnelle en management ?
Annie McKee, enseignant-chercheur à l’Université de Pennsylvanie spécialisé sur les questions de leadership et de bien-être au travail et coach de dirigeants d’entreprises au classement Fortune/FTSE 100 est convaincue que la recherche de l’intelligence émotionnelle est l’une des voies à développer sans attendre dans le domaine du leadership et plus singulièrement en matière de recrutement (cf. son article paru dans la Harvard Business Review). Notons cependant qu’en tant que directrice du programme d’études supérieures en éducation médicale de l’Université de Pennsylvanie, Annie McKee explore par ailleurs l’importance de l’intelligence émotionnelle et de la gestion du changement dans le monde en constante évolution qu’est celui des soins de santé.
Comment peut-on alors concrètement développer l’intelligence émotionnelle de son équipe et la sienne ?
Quels types de questions faut-il poser pour s’en assurer? La communauté de la Harvard Business Review réfléchit régulièrement à cette question. Pourtant allons voir ailleurs. Sur la base des travaux de Daniel Goleman, Laura Fries émet quelques propositions. Je propose d’en reprendre quelques-unes et de les transposer plus globalement au monde de la santé ainsi qu’à la relation manager / équipe (et non plus à la seule phase de recrutement, peu importe le secteur d’activité concerné).
Voici donc une liste non exhaustive de questions adaptées aux établissements de santé à poser à poser à ses équipes en tant que manager (et/ou à se poser à soi-même) :
- Pouvez-vous penser à un moment où l’un des membres de votre équipe ou un patient a interprété l’une de vos paroles ou l’un de vos actes d’une manière négative même si cela n’a pas été votre intention ? Expliquez ce qui est arrivé.
- Avez-vous déjà été dans une situation où vous avez pensé que vous aviez besoin d’ajuster votre comportement? Comment le saviez-vous ? Qu’avez-vous fait ?
- Parlez-moi d’un moment où vous étiez délibérément prêt à faire face à une situation que vous saviez par avance négative ou stressante. Qu’avez-vous fait ? Comment cela a t’il fonctionné ?
- Quelle compétence ou expertise vous ressentez-vous comme toujours absente ? Pouvez-vous me parler d’un moment récent, lorsque vous avez eu à demander de l’aide ?
- Décrivez un moment où vous-même et un membre de l’équipe étiez en désaccord au sujet d’une décision ou d’une directive particulière pour l’établissement. Qu’avez-vous fait ?
- Parlez-moi d’un moment où vous avez décidé de ne pas traiter un problème avec l’un des membres de l’équipe de direction. Qu’est-ce que vous considérez ?
- Décrivez un moment où vous ne pensiez pas que les choses pourraient être pires pour votre établissement, et pourtant, cela a été le cas. Comment avez-vous géré cela ?
- Parlez-moi d’un moment où vous avez pensé en vous-même « Qu’est-ce que je fais dans cette galère et comment vais-je m’en sortir voire même réussir ? » Qu’est-il arrivé ?
- Donnez-moi un exemple d’un moment où vous avez fait une erreur ou tout simplement parlez-moi d’une erreur constatée. Qu’est-il arrivé ? Quel a été le résultat? Qu’avez-vous appris de la situation ?
- Parlez-moi de quelqu’un avec qui vous travaillez régulièrement mais avec difficulté. Qu’avez-vous fait pour construire une relation plus forte ? Quel a été le résultat ?
- Parlez-moi d’un moment où vous avez rejeté l’une des idées ou des opinions d’un membre de votre équipe sur un projet et où il pensait que vous étiez injuste. Qu’avez-vous fait ?
- Quels traits de personnalité ou quelles compétences avez-vous qui correspondent à ceux des employés actuels de l’établissement et qui pourraient améliorer les performances de la structure et l’aider à atteindre ses objectifs ?
- Décrivez une situation où vous aviez perdu votre optimisme. Comment avez-vous procédé ?
- Parlez-moi d’un moment où, en tant que leader, vous avez trouvé nécessaire d’assouplir les règles. Qu’avez-vous fait ? Pourquoi ? Comment l’avez-vous ressenti ?
- Quelles preuves avez-vous dans votre parcours que vous avez réussi à créer un climat positif ou une culture d’entreprise ?
- Sur une journée moyenne, votre objectif principal porte t’il sur les résultats et les tâches ou les gens et les émotions ?
- Décrivez le patron le plus difficile que vous ayez eu. Comment avez-vous trouvé un terrain d’entente? Dites-moi quelque chose que vous avez appris de ce patron. Comment cette expérience vous a-t-elle fait progresser votre carrière ?
- Donnez-moi un exemple d’un moment où vous ne parvenez pas à établir ou à maintenir une relation avec un pair….
Chacune de ces questions renvoie à l’une des composantes de l’intelligence émotionnelle décrite par Daniel Goleman reprise auparavant dans cet article. Pour vous assurer que vous savez les reconnaître vous pouvez reprendre chacune de ces propositions et essayer de les associer.
Pour autant l’essentiel est ailleurs: si vous avez fait l’effort de réfléchir à ces questions de l’intelligence émotionnelle, vous êtes sur le chemin de son appropriation. Ne vous arrêtez pas en si bon chemin… Aussi je vous invite à regarder la conférence de Bernard Flavien, conférencier et coach en développement personnel, dispensée le 1er mars 2016 à Grenoble Ecole de Management. Il explique plusieurs principes constitutifs de l’intelligence émotionnelle qui compléteront votre connaissance du concept.
Pour conclure, je souhaite insister sur un point : le monde de la santé ne peut plus se passer de se questionner sur son niveau d’appropriation de l’intelligence émotionnelle, que ce soit au niveau des équipes ou des managers : la technologie l’y contraint. Aussi voyons cette contrainte comme une opportunité, d’autant que le monde de la santé est déjà très au fait des retours d’expérience : cela fait partie de sa culture professionnelle et organisationnelle. Pour l’y aider, je recommande le visionnage de la conférence précitée car Bernard Flavien livre également plusieurs pratiques concrètes associées à certaines clefs essentielles pour faire des émotions nos meilleurs alliés, que ce soit à titre professionnel ou personnel. La vidéo dure une petite heure mais vous devriez apprécier, votre bien-être (au travail) aussi… Bon visionnage!
Article rédigé à partir d’une publication de son blog managérial
N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… StéphanieCARPENTIER vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR, Harvard Business Review , pour partager son expertise professionnelle en proposant ses publications mensuelles, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Une réponse
Bonjour à tous .
L’intelligence émotionnelle come les autres types d’intelligences est distribuée inégalement en fonction des implicites profondément enfouis en chacun. Ils sont partiellement génétiques, s’élaborent in utérus et par les expériences précoces d’adaptation dans le milieu familial et social.
Ancrés dans nos circuits neuronaux ils orientent (drive) tout nos comportements répétitifs. L’introspection n’est pas le meilleur moyen de les faire émerger pour pouvoir les ré-orienter avec fluidité vers des attitudes et comportements plus adaptées à chaque situation. C’est pourtant la lucidité sur soi, les autres et alors les situations qui est indispensable pour s’y adapter avec congruence.
La lucidité ne met personne sur un piédestal à partir duquel il pourrait condamner tous ceux qui ne sont pas à sa hauteur. Plus de conscience, c’est aussi, plus de proximité, se sentir humain, simplement humain parmi les humains. Plus de simplicité.
Il est possible que la conscience s’éveille au sein de la vigilance à une plus haute lucidité. C’est non seulement possible, mais tout à fait accessible et les perspectives qui s’ouvrent alors sont considérables. Nous parlons de transformation de la conscience, car il y a un travail possible sur la quasi-somnolence ordinaire qui est notre vie, sur notre prétendue vigilance. Nous vivons comme des zobies ( Cleermans, Chaire Franqui sur la conscience)
L’implicite est présent en chacune des expressions de la pensée sous forme d’acte, de parole ou de comportement, comme si tout ce qui émergeait de moi était porté par un fond implicite que j’ignore la plupart du temps, de sorte que prendre conscience de soi, c’est remonter le cours de la pensée depuis son état exprimé le plus grossier vers ses états plus subtils, naissants : ce qui est habituellement considéré comme inconscient. Il est tout à fait possible de prendre conscience de l’implicite. (Carfantan). C’est la théorie socio-cognitive de Albert Bandura. C’est l’observation structurée des autres qui nous renseigne sur nos implicites limitatifs de notre « agentivité » «La capacité humaine à influer intentionnellement sur le cours de sa vie et de ses actions».
Être l’AGENT ACTIF de son propre développement. Ce travail de découverte vers plus d’empathie se réalise évidemment plus aisémént dans la rencontre avec d’autres personnes dotées d’autres perspectives d’intelligences ( y compris émotionnelles) ce qui est le cas des Groupes d’Appuis et de Progrès inspirés par Bandura et doté d’une méthodologie précise basée sur le modèle Brain Up des implicites et du modèle cognitif P.U.R. Processus Universel de la Réussite
Chacun est une ressource par sa différence pour s’éclairer mutuellement.
Très cordialement guy@brainup.eu