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En quoi vanité et témérité peuvent-elles perturber les relations professionnelles ? Laura LANGE nous explique avec philosophie dans « Le rat et l’éléphant ».

Nouvelle chronique philosophique extraite de l’ouvrage « Se manager : avec la ménagerie de La Fontaine » de Laura LANGE (PhD), conférencière, Docteure en philosophie pratique, chroniqueuse et experte APM. 

Elle interviens depuis plusieurs années dans les organisations. Une activité qui lui a valu de remporter le prix « innovation » du jeune entrepreneur de l’année 2013 à Lyon pour sa première création d’entreprise « Counseling Philosophie« .

Laura LANGE est autrice de plusieurs ouvrages, dont le dernier est publié en 2022 et intitulé « Vers une maternité sans corps », publié aux Éditions de l’Observatoire.

Rappelez-vous. Se croire un personnage est fort commun en France. On y fait l’homme d’importance. La sotte vanité nous est particulière écrit La Fontaine et, c’est à ce défaut individuel et communément partagé que nous nous intéresserons à travers cette fable.

De la vanité, La Fontaine en donne ici une image : un Rat des plus petits voyait un Éléphant des plus gros, et raillait sa lenteur et son gros équipage. Sur l’animal : une Sultane de renom, ses animaux et toute sa maison. Le Rat s’étonnait que les gens fussent touchés de voir cette pesante masse, comme si d’occuper plus ou moins de place nous rendait, disait-il, plus ou moins importants. Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes ? Bien que tout petits que nous sommes, ne nous sous-estimons pas. Il en aurait dit davantage ; mais le Chat sortant de sa cage, lui fit voir en moins d’un instant qu’un Rat n’est pas un Éléphant.

A quoi sert donc la vanité du Rat si celle-ci est vaine ?

Observez combien cette fable est intéressante. Elle se présente comme un prétexte pour penser le défaut de vanité.

Un défaut national fort commun en France pointé du doigt par Fauteur. Mais, avant tout un défaut humain qui se trouve en chacun de nous et que l’on retrouve dans la plupart de nos relations humaines et donc professionnelles.

La vanité, au sens premier et latin du terme (vanitas), désigne le creux ou le vide d’un être qui a les yeux plus gros que le ventre comme la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf et qui finit par éclater suscitant moqueries et risées. C’est, ici, le cas du Rat dont se moque en un sens La Fontaine. C’est encore, pour établir un parallèle, le cas du collègue un poil prétentieux qui critique la direction, s’estime à la portée de la fonction, s’étonne de la réussite de l’entreprise qu’il observe de sa petite place mais prend néanmoins de haut, celui encore qui tente de rallier les foules à sa cause autour de la machine à café, qui s’agite inutilement et parle pour ne rien dire. La vanité est ici assez proche de la vantardise. Aristote définit le vantard comme celui qui se juge digne de plus grandes récompenses qu’il n « en reçoit.

« Ce que l’on croît de la vanité, résulte souvent d’un complexe d’infériorité » écrit l’écrivain français Roger Peyrefitte. Infériorité vis-à-vis d’un autre qui nous paraît à son tour vaniteux : l’Eléphant, le Bœuf, le collègue, le patron ou encore l’entreprise de renom. On rejoint ici la deuxième définition de la vanité, c’est le caractère d’une personne satisfaite d’elle-même désirant paraître. Ce que I on peut imputer à la fois au Rat (interpellant la foule : pourquoi admirez-vous cet éléphant interroge-t-il ?) mais également à l’Éléphant paradant à son tour avec sa Sultane sur le dos.

Nietzsche rappelle d’ailleurs cette tension entre les vanités lorsqu’il écrit « La vanité d’autrui n’offense notre goût que lorsqu’elle choque notre propre vanité ». Si la grandeur de l’Éléphant offense le Rat, l’agitation du Rat qui remet en question à la fois la force et la légitimité de l’Eléphant peut à son tour offenser sa vanité et le conduire d’ailleurs a lâché le chat dont l’histoire ne nous dit pas comment il est arrivé là. Voici une présomption qui interroge les moyens que nous pouvons mettre en œuvre pour contrer les attaques faites à notre amour propre (indifférence, échange, mesquinerie, défiance, violence). Autant d’attitudes de camouflage de ses propres faiblesses.

Dans les Pensées dit Pascal, le vaniteux « il veut être grand, il voit petit : il veut être heureux, et il se voit misérable ; et il ne peut souffrir qu’on lui fasse voir ses imperfections ni qu’on les voie ». Il met donc tout en œuvre pour dissimuler ses défauts aux autres mais également à lui-même. Chacun parade se mettant à son avantage, jouant à être un personnage. Le Rat mais l’Éléphant également. Si ce dernier paraît vaniteux au Rat. rappelons qu’il est le porteur de la Sultane, sa guenon et sa maison. Sa propre vanité n’est-elle pas alors offensée par celle de la Sultane ? Dans quelle mesure n’est-il pas lui-même fondu dans sa fonction, jouant à être un bon porteur comme le garçon de café décrit par Sartre dans L’Être et le Néant qui se dissout totalement dans les postures, les gestes, les mimiques qu’il associe à l’exercice de son métier ? Dans ce cas, il serait à titre personnel moins en quête d’admiration que le ballet de sa venue n’en suscite auprès des passants (ou des clients pour le garçon de café). Aussi, la vie ordinaire comme la vie professionnelle ne seraient-elles pas un vaste réseau de vanités qui se stimulent et s’offensent en permanence ?

Il y a l’idée que l’autre est toujours vécu comme une menace pour mon ego, parce que je suis toujours vulnérable, toujours susceptible de tomber de mon estrade, de perdre mon emploi, mon statut, toujours susceptible d’être moins voire de n’être rien, ce qui rejoint l’idée de néant et de finitude.

Si la vanité traduit en un sens notre vulnérabilité, nous en serions moins donc les responsables que les victimes relativement à notre vulnérabilité naturelle. Mais si nous pouvons dans un premier temps ignorer ce penchant à la vanité, une fois mis en lumière par un tiers qui nous le signifierait ou par le fait divers du décès du Rat ou de la Grenouille, il dépend de notre volonté d’éviter de s’y adonner que ce soit par naïveté (passif) ou par fourberie (actif). Entre la naïveté et la fourberie, Aristote place la prudence (traduction de notre responsabilité) dont ne fait pas œuvre ici le Rat. Néanmoins, nous pouvons nous interroger : le rat agit-il nécessairement par vanité ? Et s’il était moins vaniteux que téméraire ? Refusant simplement de se taire, de se placer en état de minorité vis-à-vis de ce qui l’interpelle ?

Osez railler la lenteur de l’Éléphant ça paraît naïf, ce n’est pas sérieux mais c’est culotté ! Aristote définit le téméraire comme celui qui ne craint pas ce qu’il convient de craindre au moment et de la manière qui conviennent. Aussi la témérité nous paraît reposer sur une certaine conviction : lutter contre ce que nous méprisons.

« Tout ce qui flatte le plus votre vanité n’est fondée que sur la culture que nous méprisons » écrit le Comte de Lautréamont. Et le mépris est ce sentiment par lequel on juge quelque chose d’indigne ou encore d’injuste. Que serait alors la conception de la justice du Rat ?

Selon la distinction proposée par l’économiste Amartya Sen dans son célèbre ouvrage L’idée de justice, nous serions tentés de soutenir que le Rat est porté par une conception de l’égalité démocratique décidée à réduire les écarts de ressources. Aussi méprise-t-il cette opulence incarnée par l’Eléphant, s’agitant donc non dans le vide mais pour réveiller les foules et redonner du sens à un monde rempli d’injustices. Mais le Rat aurait aussi pu être portée par une autre conception de la justice : plutôt utilitariste, par exemple. Si vous êtes plutôt ce type de Rat, vous vous réjouirez du passage de l’éléphant, partant du principe que son abondance peut servir un plus grand nombre, faciliter le transport des bourgeois et impressionner les foules, satisfaire ainsi un maximum d’individus. Vous pourriez encore avoir une conception libertarienne défendant alors le « droit aux fruits de son travail ». Auquel cas, vous ne vous offusquerez pas du passage de cet imposant animal qui tout en cheminant travaille, conduisant à bon port Madame la Sultane. Aussi, la réussite, la grandeur, l’opulence de votre voisin, de votre collègue ou encore de votre concurrent représenteront pour vous une offense, plus ou moins marquée, relativement à votre vision de vous-même et à la conception que vous vous faites d’une communauté juste.

Vous l’aurez compris le risque c’est ici pour le Rat de tomber dans l’absurdité d’une posture revendicative (enlisée dans l’amour propre) s’agitant dans le vide et ne pouvant avoir aucune efficience dans le réel. Le risque c’est aussi pour nous de ne voir dans le comportement du Rat que de la vanité, au péril d’induire l’idée que railler le plus fort ne puisse reposer sur une volonté téméraire visant à changer ce qui nous touche, nous blesse, non pas seulement pour nous- même mais aussi pour la collectivité.

Il est vrai que le chat rôde, le risque est donc toujours là. Et, il est d’autant plus présent lorsque l’on se met en position de vulnérabilité, lorsque l’on ose entreprendre une action pouvant paraître vaniteuse car trop ambitieuse.

Observez des entreprises telles qu’Apple, Free, D8, des personnes comme François Bayrou ou encore plus récemment Bruno Lemaire (candidat à la présidence de l’UMP en 2014), qu’ont-ils en commun ? Avoir été raillés, moqués dans leur prétention à oser entreprendre ! Ne doit-on y voir que vanité ? Assurément que non. Vanité sans témérité ne semblent pouvoir mener à créer la surprise, à se voir reconnaître une place par ceux-là même qui s’en moquaient. Si c’est un acte de raison que de tendre à exercer ce penchant à la vanité. Ce serait un tort et un défaut que de se laisser faire, comme les gourmands devant la nourriture pour reprendre la formule d’Aristote. Alors soyez magnanimes car la magnanimité, selon Aristote dans l’Ethique à Eudème, tient le juste milieu entre la vanité qui en est un manque et la témérité qui en est un excès. Elle est un noble effort de l’orgueil par lequel l’homme se rend maître de lui-même et acquiert de la maîtrise sur les choses pour reprendre La Rochefoucault. Une vertu efficiente donc pour les entrepreneurs que nous sommes !

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