Article rédigé par Sébastien COUARRAZE (PhD), infirmier anesthésiste et Maître de conférences en Sciences Infirmières à la faculté de Santé de l’université de Toulouse III Paul Sabatier. Enseignant chercheur au laboratoire CERPOP UMR 1295 Inserm.
Il intervient également en institut de formation en soins infirmiers et dans d’autres formations en santé.
Auteur de nombreux articles, il a publié en 2022 un ouvrage aux éditions l’Harmattan intitulé « La simulation en santé : qualité de vie au travail et changement (dispositif pédagogique de prévention chez les professionnels de santé). » faisant l’objet d’une présentation introductive dans cet article.
N°1, Mars 2024
Le milieu de la Santé peut paraître opaque pour les personnes qui n’y travaillent pas ou qui n’y sont pas régulièrement présentes comme peuvent l’être différentes associations. Le secret médical ou professionnel prévaut et il est ainsi difficile d’accéder à ce qui se passe derrière les murs des structures de soins. Malheureusement quand le voile se déchire, ça n’est pas toujours pour de bonnes raisons. Des affaires éclatent régulièrement et viennent entacher les représentations que les usagers peuvent avoir de ces professionnels qui ont choisi de passer leur vie à s’occuper de celles des autres. Depuis quelques années, certains professionnels brisent les tabous et osent parler de leurs difficultés, de leurs doutes, de leur mal-être. En 2018, le #balancetonhosto a même vu le jour sur Twitter pour dénoncer les conditions de travail (à l’image de #balancetonporc créé pour dénoncer des problèmes de harcèlement sexuel). Cela signe à la fois un réel besoin de parler de ces problèmes et cela donne à voir une réalité de travail parfois très difficile. Les cas de suicide de professionnels de santé se multiplient et même si nous ne sommes pas dans les proportions décrites par Clôt (2010) concernant France Télécom, le nombre de passage à l’acte, y compris sur le lieu même d’exercice professionnel, pose question. La crise sanitaire, engendrée par le COV1D-19, que nous traversons a bouleversé le système de santé et les pratiques professionnelles. Durant cette période les professionnels de santé ont été particulièrement sollicités et impactés notamment ceux exerçant en anesthésie-réanimation.
Nous avons fait le choix de nous intéresser à ces soignants. Les travailleurs passent tous environ neuf à onze heures de leur vie au travail (Marquis, 2016) autant que cela se passe le mieux possible et si en plus ils pouvaient y prendre du plaisir, ce serait encore mieux. Nous aurions un potentiel de 35 heures de bonheur par semaine ! (Boniwell et Chabanne, 2017).
Cependant, différentes études montrent que ce n’est pas le bonheur qui occupe le terrain mais le stress que vivent au quotidien les soignants. C’était déjà le cas avant la pandémie mais cette dernière n’a fait qu’aggraver les choses. C’est à partir de ce constat et du fait que nous sommes formateurs en simulation que nous nous sommes intéressés à l’effet préventif que pourrait avoir un dispositif pédagogique relatif au stress des soignants. La qualité de vie au travail est au cœur de ce qu’il advient des professionnels de santé qui sont aujourd’hui particulièrement touchés par différentes problématiques liées au stress : épuisement professionnel, qualité et sécurité de la prise en soins, entre autres. En effet, la baisse de leur qualité de vie engendre une diminution de la qualité des soins. Ainsi, s’intéresser au stress des soignants revient à s’intéresser, in fine, aux soins et donc à ceux qui les reçoivent. Il y aurait un double bénéfice à vouloir maintenir les soignants en bonne santé, le premier sur les praticiens eux-mêmes et le second pour les patients.
Le stress vécu par les soignants est certainement lié à la nature même de leur activité mais également au fait que le secteur de la santé est au cœur de changements permanents : changement dans les organisations, changement des politiques publiques, changement des données probantes, changement des professions…
C’est ce que Linhart (citée par Weiler, 2018) nomme la dictature du changement. Dans ce changement perpétuel, certains arrivent à s’adapter et d’autres n’y parviennent pas ou plus. Les conséquences sur la santé ne tardent pas à survenir pour ceux qui n’y arrivent plus, parfois jusqu’à l’épuisement professionnel accompagné de l’impossibilité de travailler, usés par les conditions de travail. Ainsi, les institutions peuvent, sans le savoir, agir en harceleur organisationnel sur leurs employés et générer des risques particuliers comme les risques psychosociaux (RPS). Les travailleurs se retrouvent dans une structure qui les dépasse et sur laquelle ils n’ont pas de prise, sans moyen pour modifier les choses. Dans pareilles circonstances, si les conséquences touchent les travailleurs, le plus souvent les causes sont institutionnelles. Le travail est de plus en plus assisté, mécanisé, informatisé mais les pathologies professionnelles augmentent (Payre, 2010) au profit des atteintes psychologiques et sociales (Commission européenne, 2000 ; Oakley, 2004).
En termes de prévention des risques psychosociaux, la simulation en santé peut constituer un moyen d’éprouver et de gérer son stress. Si ce dispositif est devenu incontournable dans la formation des professionnels de santé tant il répond aux attentes en termes d’apprentissage, de sécurisation pour les patients et les participants, de reproduction des situations cliniques, il présente aussi l’intérêt de pouvoir moduler le côté stressant de la situation problème (Pastré, 2010) exploitée lors de la séance de simulation. L’objectif étant de permettre aux participants de comprendre comment ils font face aux situations critiques, de développer une certaine réflexivité et ainsi d’améliorer à la fois leurs compétences et leur résistance au stress. La diversité des thèmes qu’il est possible d’aborder lors des formations permet de cibler au mieux les besoins des participants. Les situations cliniques particulières au cours desquelles les décisions doivent se prendre rapidement, sont particulièrement intéressantes à travailler en simulation car les soignants exercent en équipe et combinent des compétences à la fois techniques, relationnelles, communicationnelles et attitudinales. C’est le cas en anesthésie réanimation, spécialité qui rencontre fréquemment ce type d’évènement. Gaba et al. (2001) ont notamment développé des méthodes comme le crisis resource management (CRM), issu de l’aéronautique, pour la gestion de situation critique en anesthésie réanimation et ils ont développé la simulation pour s’y exercer.
Afin de traiter ce sujet dans toute sa complexité, nous l’abordons en quatre parties dans cet ouvrage.
La partie I « La souffrance des professionnels de santé, un constat alarmant» correspond à l’évolution du concept de stress pour en arriver à la notion de qualité de vie au travail (QVT). Nous voyons, à travers différentes recherches, l’évolution du concept de stress allant d’une réponse automatique physiologique individuelle à son lien avec les organisations professionnelles. D’autres concepts proches ont émergé comme le harcèlement ou la souffrance au travail. Nous les convoquons car ils signent un changement dans les maux des travailleurs et leurs maladies professionnelles. Nous observons que les organisations peuvent parfois être délétères et faire courir des risques particuliers aux travailleurs. Les travailleurs développent des pathologies spécifiques en fonction des contraintes physiques et/ou psychologiques qu’ils subissent. Les professionnels de santé sont autant impactés par ces problématiques de stress, RPS, QVT que les autres travailleurs. Malgré le fait qu’ils soient spécialistes de la santé, les soignants ne vont pas bien et leur propre santé se dégrade.
La partie II « La simulation, un outil d’acquisition de soft skills » , vise à décrire cette méthode pédagogique afin d’en comprendre les spécificités et toutes les subtilités. Nous verrons que le stress est abordé lors des séances et parfois exploité, car au même titre que l’environnement de travail peut être reproduit selon la modalité de simulation choisie, le stress y est parfois recherché et reproduit comme lors d’une situation critique en pratique clinique. La façon d’exercer des professionnels de l’anesthésie réanimation est au cœur de la criticité des situations cliniques et leur histoire ancrée dans le changement nous permettra d’objectiver la pertinence de la simulation pour ces soignants, La gestion du stress fait partie d’un groupe de compétences appelées soft skills que nous développerons pour mieux les appréhender.
La partie III « Un changement pour la prévention », nous permet d’aborder le fait qu’il existe un lien entre la santé et le changement. La santé des individus et le secteur de la santé sont soumis au changement. Nous revenons sur l’état de santé des praticiens et l’intérêt de mener des actions de prévention pour ces professionnels en tenant compte de leurs particularités. Nous associons le concept de prévention à celui du changement. En effet, il ne suffit pas de souhaiter le changement pour qu’il s’opère, les individus doivent décider de changer de comportement.
Dans la partie IV « L’émergence d’une prévention par la formation », nous évoquons notre posture de praticien-chercheur qui a guidé la façon de conduire nos recherches. La vigilance qui a été la nôtre afin de concilier les deux postures sans en occulter une et les moyens que nous avons mis en place pour nous en prémunir. Nous aborderons trois recherches pour objectiver l’impact de la simulation sur la qualité de vie au travail des professionnels exerçant en anesthésie réanimation et des étudiants en soins infirmiers.
Dans les « Conclusions », nous développons les perspectives praxéologiques de notre démarche réflexive. Puis, nous menons des réflexions épistémologiques sur nos travaux de recherche. Enfin, nous évoquons des réflexions théoriques sur la simulation en santé et la prévention.
Lire la suite de cet article qui traitera des perspectives praxéologiques le mois prochain.