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La télémédecine peut-elle contribuer à l’effort collectif vers la neutralité carbone ? Le Docteur Pierre SIMON en présente les impacts en téléconsultation psychiatrique.

Article publié  par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).

Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».

Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .

le Docteur Pierre SIMON   est intervenu au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde,  à l’occasion du 1er Colloque  national annuel de ManagerSante.com, sur la thématique « Comment embarquer les acteurs du numérique en santé ?« , le Mardi 29 Mars 2022.

N°63, Avril 2023

Dans des billets précédents, nous avons défendu l’idée d’une sobriété énergétique dans l’usage de notre système de santé, comme l’usage de la voiture ou d’un VSL (véhicule sanitaire léger) pour se rendre en consultation au cabinet d’un médecin ou pour se rendre dans un laboratoire d’analyses médicales, etc.(), et nous avons montré sur la base d’études médico-économiques que les pratiques de télémédecine pouvaient réduire certains coûts financés par les assureurs et complémentaires santé. Nous traitons dans ce nouveau billet de l’impact que pourrait avoir la télémédecine sur la neutralité carbone. La période pandémique à la Covid-19 a permis de mesurer l’impact des téléconsultations sur les émissions de CO2 évitées en réduisant les déplacements en voiture vers les cabinets médicaux.

La téléconsultation de psychiatrie 

La téléconsultation de psychiatrie se prête particulièrement à une telle étude, car elle nécessite rarement un examen physique et l’échange à distance entre le médecin et le patient apporte souvent une adhésion du patient plus grande qu’en présentiel, comme l’ont montrées les enquêtes réalisées après la pandémie. Plus de 25% des 15000 psychiatres français continuent à pratiquer la télé-psychiatrie, estimant qu’elle se prête bien à certaines situations de la santé mentale.

Une thèse de médecine réalisée à l’Université de Limoges en 2020 fait un point complet sur les pratiques de lé télé-psychiatrie. Cette thèse a pour titre : « Evaluation de l’opinion des patients et des praticiens sur les téléconsultations de psychiatrie », soutenue par Etienne Caylar le 9 octobre 2020. Dans sa conclusion, l’auteur reconnaît que « la crise de la COVID, et le confinement qui en a découlé, ont joué un rôle d’accélérateur dans l’utilisation de la télémédecine, en contraignant les médecins psychiatres à y recourir au moins en partie. Il est à espérer que cela permettra son adoption progressive auprès des professionnels de santé, guidé par le plan de santé nationale «Ma Santé 2022 ».

Cette thèse est intéressante car, pendant de nombreuses années, les élèves du Pr. Jacques Lacan, grand psychanalyste français du 20ème siècle, ne devaient pas faire de téléconsultations, au motif que cette pratique était inadaptée à la relation du patient avec son médecin psychiatre. Les choses ont bien changé, à l’instar des pratiques de télé-psychiatrie dans les pays anglosaxons qui ont été pionnières dans le développement de la télémédecine à travers le monde au cours des 50 dernières années.

La téléconsultation psychiatrique serait-elle une pratique qui améliore le bilan carbone ?

Méthodologie

Les auteurs ont extrait les données associées à toutes les consultations externes dans les 26 cliniques psychiatriques de l’Etat de Caroline du Nord, entre le 16 mars et le 31 décembre 2020. Après avoir calculé les kilomètres évités par les patients grâce aux téléconsultations, les auteurs ont utilisé le ratio standard de l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis pour calculer la quantité totale de CO2 qui aurait été émise si les consultations avaient eu lieu en présentiel.

Résultats

Au cours de la période d’étude, 47 582 consultations ambulatoires de santé mentale chez 3975 patients ont été effectuées. La majorité de ces consultations étaient réalisées en distanciel (85 %). La plupart des téléconsultations ont été effectuées à l’aide de plateformes audio-vidéo en temps réel (75,7 %). En prenant en compte les émissions de CO2 évitées par les téléconsultations, les auteurs ont pu déduire les transports évités par les patients, et l’économie nette d’émissions de gaz à effet de serre de 867 011 kg de CO2. Ce volume est égal aux émissions de gaz à effet de serre de 189 véhicules de tourisme conduits pendant 1 an selon l’EPA.

Conclusions

Cette étude montre que la conversion des consultations en face à face par des téléconsultations a le potentiel d’augmenter à la fois l’efficacité sur la dépense en énergie fossile et la conservation du climat par une réduction des émissions de gaz à effet de serre grâce aux déplacements évités des patients avec un véhicule. Si ces valeurs étaient extrapolées à la population totale adulte américaine qui est suivie en santé mentale, les auteurs estiment que la conversion de consultations présentielles en téléconsultations pourrait permettre d’économiser environ 830 000 tonnes de CO2 par an. Les gouvernements devraient tenir compte de ces avantages sociétaux lorsqu’ils prennent des décisions concernant le développement et le soutien de la télésanté.

Commentaires

Nous avons tous constaté pendant les confinements de 2020 que la nature se portait mieux, que des oiseaux qui ne fréquentaient plus nos jardins étaient revenus, que le ciel était plus lumineux depuis que les avions étaient cloués au sol, que les bruits de circulation des voitures et motos avaient disparu et que nous entendions le matin le chant des oiseaux.

Le bénéfice de la télémédecine sur l’émission des gaz à effet de serre (GES) a été étudié pour la première fois au Canada en 2010. Les auteurs montraient qu’en évitant 757 234 km de trajets vers les cabinets médicaux, 185 tonnes de GES étaient évitées, la téléconsultation ne générant que 45kg.

Une étude allemande publiée en 2022 montre que les téléconsultations réalisées chez 52 patients ont permis  de  réduire les coûts de déplacement, les coûts de temps et les pertes de production, avec des économies moyennes de 76,52 € par téléconsultation. En outre, les émissions de 11,248  kg de GES, 0,070  kg de monoxyde de carbone, 0,011 kg d’hydrocarbures volatils, 0,028 kg d’oxyde d’azote et 0,0004 kg de particules (par patient) pouvaient être réduites en évitant les déplacements. Cela s’est traduit par des économies de coûts environnementaux entre 3,73 € et 9,53 € par patient.

L’Université de Californie a réalisé une étude similaire de mars 2020 à février 2022Plus de 3  millions (n = 3 043 369) de téléconsultations ont été incluses. La distance totale aller-retour, le  temps de trajet et  les frais de déplacement économisés grâce à ces téléconsultations étaient respectivement de 53  664 391 milles, 1 788 813 h et 33 540 244 $, ce qui représente 17,6 miles, 35,3 minutes et 11,02 $ par téléconsultation. Grâce à la téléconsultation, 42,4 blessés par accident de la route et 0,7 décès ont été évités. L’utilisation de la téléconsultation pendant cette période de pandémie a permis de diminuer  de 21 465,8  tonnes les émissions de CO2, de 14,1  tonnes la consommation d’hydrocarbures, de 212,3  tonnes les émissions de monoxyde de carbone et de 9,3 tonnes celles d’oxyde d’azote. Les auteurs concluent que les avantages importants de la téléconsultation sur l’environnement devraient être davantage pris en compte lors de la planification des futurs services de santé.

L’équipe de psychiatres de l’Université de Caroline du Nord a eu l’idée originale de mesurer l’économie d’émissions de gaz à effet de serre due aux déplacements évités aux cabinets de consultations de psychiatrie. La télé-psychiatrie est intéressante à étudier puisque cette spécialité ne nécessite pas d’examen physique du patient. Rapportée à la population totale adulte suivie en santé mentale aux Etats-Unis, l’économie en CO2 réalisée est significative : près de 1 million de tonnes /an pour un pays de 332 millions d’habitants qui en génère 4,8 milliards/an (14,6 tonnes de CO2 /habitant/an).

Conclusion

La France ne génère que 6,2 tonnes de CO2/habitant/an, soit 421 millions de tonnes/an pour 67 millions d’habitants. Si on applique le calcul réalisé par l’EPA aux Etats-Unis, notre pays aurait économisé pendant l’année 2020, grâce aux 20 millions de téléconsultations, 364 500 tonnes de C02, soit 0,08% de la quantité annuelle produite dans notre pays. Avec environ 6 consultations médicales par an et par habitant, ce sont environ 400 millions de consultations qui sont réalisées chaque années en France dans les cabinets médicaux, dont 106 millions par les médecins généralistes. A l’ère des maladies chroniques, si 40% des consultations médicales étaient réalisées à distance, alternées avec des consultations en présentiell’économie en CO2 serait de près 3 millions de tonnes, soit 0,7% de la production totale de notre pays.

Pour atteindre la neutralité carbone, chaque citoyen dans le monde ne devrait pas produire plus de 2 tonnes de CO2/an, soit pour la population de la France 136 millions de tonnes/an. Le développement de la télésanté en France (téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance, télésoin) pourrait contribuer à réduire d’au moins 1% l’émission des GES.

Les organisations nouvelles de soins, fondées sur l’usage du numérique en santé, peuvent participer à l’effort national d’une neutralité carbone d’ici 2050.

Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie de l'auteur : 

Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
 avril 2007, Gazette du Palais 2007
Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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