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Pourquoi trop d’interactions quotidiennes peuvent-elles nuire au bien-être et à la performance dans les établissements de santé? Stéphanie CARPENTIER nous explique.

Nouvel Article publié par notre experte Stéphanie CARPENTIER   (Docteur, Ph.D) spécialisée en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail et membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale  Harvard Business Review) 

Stéphanie CARPENTIER est sélectionnée depuis le 26 Janvier dans le TOP Voices Emploi 2022 mettant en avant 10 professionnels qui partagent leurs conseils et expertise autour de la recherche d’emploi et du recrutement sur LinkedIn France. Elle était également classée dans le Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur ce même réseau professionnel international.


N°35, Février 2023


Un individu au travail doit privilégier chaque jour la qualité de ses relations à leur quantité. Cela semble évident. Pourtant une étude indique qu’un nombre minimal et maximal d’interactions quotidiennes reste nécessaire, l’optimal étant entre 3 et 10 interlocuteurs par jour. Dans le monde de la santé, les interactions quotidiennes sont généralement très nombreuses (surtout quand cela concerne les patients) mais le risque de sentiment d’isolement des personnels de santé peut avoir les mêmes effets que si les interactions quotidiennes étaient quasiment nulles. Cet article se propose donc de faire un rappel sur ce sentiment d’isolement au travail qui sous-tend ce phénomène.

Selon un sondage de 2019, un individu au travail doit privilégier chaque jour la qualité de ses relations à leur quantité même si un nombre minimal d’interactions quotidiennes reste nécessaire. Le nombre de relations optimales se situerait entre 3 et 10 interlocuteurs par jour (cf. sondage Ifop pour SFL (2019), « L’impact des relations sociales sur le bien-être au travail – Paris Workplace, Ifop, 05/06/2019). Certes, cette étude n’est pas spécifique au monde de la santé, pourtant elle est riche d’enseignements pour un univers où les interactions quotidiennes sont généralement plus nombreuses, surtout quand cela concerne les patients.

Ce rappel peut donc être utile aux managers des établissements de santé bien que les alertes des scientifiques en la matière soient déjà formulées depuis longtemps. Je propose donc une rapide synthèse en guise d’aide-mémoire.

Dans les années 1990, les travaux universitaires alertaient sur l’absence de relations sociales qui remettait en cause la santé mentale des individus : des individus sans liens sociaux avaient en effet une espérance de vie plus faible que ceux qui avaient davantage de relations sociales (cf. par exemple Corin E. (1996), « La matrice sociale et culturelle de la santé et de la maladie », in Être ou ne pas être en bonne santé : biologie et déterminants sociaux de la maladie, Montréal,  Presses de l’université de Montréal).

Depuis près d’une vingtaine d’années, les publications scientifiques montrent toutefois que ce sont les sentiments d’isolement et de solitude qui sont notamment considérés comme des indices soit de risque de dégradation de la santé mentale, soit de perte de l’efficacité collective au travail bien plus que l’absence de relations en elles-mêmes. Ramené au monde de la santé, cette nuance est utile car ce ne sont pas les relations en elles-mêmes qui font défaut aux personnels de santé mais plutôt leur trop grand nombre du fait des activités souvent réalisées dans des conditions de sous-effectifs.

A la suite d’Hannah Arendt on peut alors s’interroger sur la notion d’esseulement qui correspond à un sentiment douloureux de déconnexion des autres et de soi-même et qui consiste aussi à s’ennuyer au milieu des autres: quand les sollicitations quotidiennes sont trop grandes, elles sont dénoncées comme étant des facteurs de mal-être et de souffrances au travail. Mais cela va plus loin. Dans le cas d’interruptions permanentes de la part de collègues ou d’urgences et ce tout au long d’une journée, chaque jour de la semaine, il est en effet très difficile de réellement pouvoir véritablement échanger lors de ces multiples sollicitations et d’inscrire ces échanges dans le cadre de valeurs qui permettent de donner sens au travail. Dès lors, à force, ces présences ponctuelles mais répétées sont usantes car elles semblent trop étrangères et utilitaristes, voire même hostiles. Dans tous les cas, elles sont génératrices d’un grand stress pour pouvoir assurer un quelconque réconfort ou soutien social. Elles ne permettent pas non plus de se retrouver avec soi-même pour prendre du recul, faire le point et agir en fonction (le sentiment de solitude auquel Hannah Arendt est favorable car il correspond à une forme d’isolement choisi et non plus comme une seule absence de liens).

En clair, même si l’isolement peut être envisagé de façon positive, c’est-à-dire comme étant un moyen de se concentrer sur son activité, de se recentrer en dehors de toute influence extérieure, voire de faire le point (cf. la vision d’Hannah Arendt), l’isolement a aussi sa part d’ombre et peut être ressenti de façon négative (être seul même en cas de très nombreuses sollicitations, se sentir mis à l’écart, être placardisé, etc.). Dès lors, avoir trop ou trop peu d’interactions quotidiennes revient au même : le sentiment d’isolement au travail renforce les potentiels risques psychosociaux.

Rappelons d’ailleurs que les risques psychosociaux sont souvent définis comme étant « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (cf. Gollac M. et Bodier M. (2011), « Mesurer les facteurs psychosociaux de risques au travail pour les maîtriser », Rapport du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, La Documentation Française, avril, p. 31).

Ainsi, être interrompu en permanence par un trop grand nombre de sollicitations quotidiennes, qu’elles viennent des collègues, de la hiérarchie, des patients, etc. ou n’être que très rarement interpellé chaque jour au travail est susceptible de conduire au même résultat : un accroissement des difficultés de concentration, une hausse du stress, de l’ennui… bref une potentielle recrudescence des risques psychosociaux.

Or à cet égard, les travaux universitaires sont éclairants : la question de l’isolement au travail est d’autant plus sensible si l’on ne la réduit plus à un état mais à un processus. Dans ce cas, il n’est plus question de savoir si l’isolement existe ou n’existe pas. Il n’est même pas recherché de connaître sa nature – l’isolement est physique, relationnel ou par renoncement à solliciter de l’aide face à une situation à laquelle on se sent incapable de faire face seul, etc. Mais l’isolement devient ce qui fragilise d’une certaine façon la relation au travail de l’individu concerné (cf. Dejours C. et Bègue F. (2009), Suicide au travail : que faire ?, PUF).

Autrement dit, l’individu qui se sent isolé au travail (quand bien même il serait fort entouré du fait des nombreuses sollicitations quotidiennes qu’il connaît) rencontre des difficultés progressives mais toujours croissantes à bénéficier d’une assistance provenant du collectif (la hiérarchie, les collègues, les RH, etc.) et même de l’organisation du travail, qu’il s’agisse du point de vue technique ou au niveau des informations. Son efficacité, sa charge mentale et sa productivité s’en trouvent alors affectées ; les risques d’erreurs ou d’accident mais également un éventuel burn-out deviennent ainsi plus facilement courants. (cf. Marc J., Grosjean V. & Marsella M. (2011). Dynamique cognitive et risques psychosociaux : isolement et sentiment d’isolement au travail. Le travail humain, vol. 74(2), pp. 107-130).

Dès lors, les risques psychosociaux ne peuvent plus simplement se définir par leurs causes organisationnelles ou individuelles ni même par leurs conséquences en termes de santé mentale ou physique voire physiologique (je pense par exemple à une plus grande sensibilité aux infections ou à d’autres pathologies). La dimension des émotions, en particulier ces sentiments d’isolement, de solitude ou d’esseulement, doit absolument être intégrée à la définition des risques psychosociaux si la question des performances est concernée. Les émotions sont en effet des informations utiles pour l’ajustement interpersonnel et donc pour l’individu lui-même surtout en situation professionnelle car cela lui permet de maintenir un certain niveau de performance au travail.

Or depuis des années, rappelons que les travaux scientifiques montrent combien toute personne ayant développé le sentiment d’isolement au travail (entendu en son sens le plus large) est susceptible d’une dégradation de sa santé mentale (cf. notamment Dejours C. (1980), Travail, Usure mentale, Bayard et Pezé M . (2008), Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés : Journal de la consultation « Souffrance et Travail » 1997-2008, Pearson). Dans ce cas, cela nuit in fine à sa performance individuelle et à celle du collectif puis à la performance de l’organisation.

Conclusion :

En conclusion, renouer avec une bonne santé mentale dans les établissements de santé et par voie de conséquence avec une certaine performance individuelle, collective et organisationnelle n’est pas qu’une question de budget et de ressources. Ces questions sont pourtant fondamentales mais un retour vers une bonne santé suppose aussi que l’individu concerné par ce sentiment d’isolement au travail ainsi que son manager avec l’appui du service des ressources humaines acceptent d’y remédier. La grande difficulté rencontrée consiste néanmoins à identifier la complexité de ce sentiment d’isolement : d’une nature, l’isolement devient ce qui fragilise d’une certaine manière la relation au travail de l’individu concerné. Le retour à l’analyse de ce qu’est le travail et à celle de ce que l’individu projette dans son travail (re)devient ainsi nécessaire voire primordial pour qui se préoccupe de l’amélioration du bien-être et des performances au travail.

Article rédigé à partir d’une publication de son blog managérial.

Nous remercions vivement  Stéphanie CARPENTIER   (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail), membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR, Harvard Business Review. Elle est sélectionnée depuis le 26 Janvier dans le TOP Voices Emploi 2022 mettant en avant 10 professionnels qui partagent leurs conseils et expertise autour de la recherche d’emploi et du recrutement sur LinkedIn France et est classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde.

Nous la remercions pour le partage de son expertise professionnelle auprès de nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie de l'auteure

Docteur Sciences de Gestion – Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. [Blog Managérial : carpentierblogrh.wordpress.com ]. Créatrice de l’entreprise DR.RH&CO pour les dirigeants et leurs managers. Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR Harvard Business Review Membre des associations de recherche: – Institut International d’Audit Social (IAS) depuis 2004; Membre du Conseil Scientifique et du Bureau Elargi dès février 2009. – Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH)  depuis 2004.
Experte en management des ressources humaines conciliée depuis 1998 avec la sociologie, la psychologie et les avancées du marketing B2B et des technologies. Titulaire d’un DEA (Master Recherche) de gestion socio-économique des entreprises et organisations et diplômée d’une Ecole Supérieure de Commerce (Master 2).
Activité d’enseignante-chercheure dans différents établissements d’enseignement supérieur français: ESC Saint Etienne, IAE de Lyon, CNAM Saint Etienne et IRUP Saint-Etienne, Faculté de Droit (Université Lyon 3), ESDES (Université Catholique de Lyon) et EM Lyon.
Consultante RH (statut libéral / statut SAS) dans les entreprises privées (PME-PMI / grands groupes), les associations et les organisations publiques. Contribution à des projets scientifiques portant sur les questions de management de la santé et de la qualité de vie au travail.

[OUVRAGE COLLECTIF

AVEC LA CONTRIBUTION DE Stéphanie CARPENTIER]

Un ouvrage qui vient d’être labellisé en 2022 par la FNEGE (Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises) avec le soutien d’Etablissements d’Enseignement Supérieur de Gestion et de Management. dans la catégorie « Ouvrage de Recherche Collectif ».

Ont collaboré à la rédaction de cet ouvrage : 
Jérôme BALLARIN, Laurence BARANSKI, Stéphanie CARPENTIER, Laurent CHATEAU, Jean-Luc CHRISTIN, Marie DAVIENNE-KANNI, Muriel de FABRÈGUES, Miguel DELATTRE, Carole DRUCKER-GODARD, Hervé ESSA, Anne-Marguerite FERREIRA, Xavier GARCIA-WEIBEL, Éric GAUTIER, Mathilde GOLLETY, Marie HOLM, Ilda Ilse ILAMA, Sophie IZOARD-ALLAUX, Franck JAOTOMBO, Guila Clara KESSOUS, Laurent LEDOUX, Quentin LEFEBVRE, Bernard LEMAIRE, Mouloud MADOUN, Richard J. MAJOR, Mohamed MAKKAOUI, Patricia MARTIN, Elisabeth MARTINI, Patrick MATHIEU, Sandrine MEYFRET, Andrea MICHEAUX, Stefka MIHAYLOVA-MARBURGER , Pierre MONIZ-BARRETO, Patricia NIGLIS, Florent PASQUIER, Stéphane PRADINES, Nicolas PRAQUIN, Miora RANAIVOARINOSY, Damien RICHARD, Michaël ROUX, Michèlle SCHITTER, Omer TAKI, Faviola TAPOYO, Aymeric THON-ADJALIN.
Résumé de l’ouvrage 
L’équipe d’auteurs, réunissant chercheurs, professionnels et praticiens œuvrant principalement au sein du Lab Management et Spiritualité, développe dans cet ouvrage des réflexions autour du leadership spirituel, dans le prolongement de l’ouvrage Diriger avec son âme : leadership et spiritualité, publié en 2014.
L’objectif est que la diffusion de leurs travaux de recherche auprès du public favorise le déploiement du management spirituel dans les entreprises et les organisations publiques.
Ce livre permet ainsi d’accéder à un certain nombre de pratiques pour tous ceux qui aspirent à développer leur leadership et contribuer positivement à un développement durable des organisations ainsi qu’à une mise en perspective théorique sur de nombreux sujets au niveau des individus, des groupes et des organisations. Il s’adresse tant à des dirigeants et managers qu’à des enseignants chercheurs et étudiants de niveau Master ou doctorants.
La conviction de tous les auteurs, même si elle est éclairée par une prudence indispensable étayée dans l’ouvrage, est que le leadership spirituel constitue la voie attendue et prometteuse, procurant de multiples bienfaits pour les individus, les équipes et les organisations.
 
Stéphanie CARPENTIER

Docteur Sciences de Gestion - Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. [Blog Managérial : carpentierblogrh.wordpress.com ].  Stéphanie CARPENTIER est classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde.  Créatrice de la société de conseil DR.RH&CO pour les dirigeants et leurs managers. Membre du conseil consultatif de l'excellente revue internationale HBR Harvard Business Review. Membre des associations de recherche: - Institut International d’Audit Social (IAS) depuis 2004; Membre du Conseil Scientifique et du Bureau Elargi dès février 2009. - Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH)  depuis 2004. Experte en management des ressources humaines conciliée depuis 1998 avec la sociologie, la psychologie et les avancées du marketing B2B et des technologies. Titulaire d’un DEA (Master Recherche) de gestion socio-économique des entreprises et organisations et diplômée d’une Ecole Supérieure de Commerce (Master 2). Activité d’enseignante-chercheure dans différents établissements d’enseignement supérieur français: ESC Saint Etienne, IAE de Lyon, CNAM Saint Etienne et IRUP Saint-Etienne, Faculté de Droit (Université Lyon 3), ESDES (Université Catholique de Lyon) et EM Lyon. Consultante RH (statut libéral / statut SAS) dans les entreprises privées (PME-PMI / grands groupes), les associations et les organisations publiques. Contribution à des projets scientifiques portant sur les questions de management de la santé et de la qualité de vie au travail.

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