N°64, Janvier 2023
Nouvel Article écrit dans le cadre d’une conférence donnée lors d’une journée de formation destinée à de futurs cadres de santé par Eric, DELASSUS, (Professeur agrégé Lycée Marguerite de Navarre de Bourges et Docteur en philosophie, Chercheur à la Chaire Bien être et Travail à Kedge Business School). Il est co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses.
Il est également co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Octobre 2021 chez LEH Edition, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins
Le courage est une vertu difficile à définir et à identifier, car il peut prendre des formes diverses ou parfois, donner l’impression d’être présent dans des comportements dans lesquels il est en réalité totalement absent. Comme l’a écrit Albert Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » et souvent, on désigne par le terme de courage, ce qui est certainement tout son contraire. Dans le film de Stéphane Brizé, Un autre monde, Vincent Lindon joue le rôle d’un chef d’entreprise qui essaie de sauver des emplois dans son usine, alors que la direction du groupe dont il fait partie envisage une restructuration qui risque d’être dévastatrice pour les salariés. Ce chef d’entreprise tient tête à sa hiérarchie et propose une alternative financièrement viable, afin de sauver les emplois. Ce qui est intéressant dans ce film, c’est l’emploi qui y est fait du terme de courage. Alors que l’attitude de ce patron qui fait ce qu’il estime juste peut sembler courageuse, ce qui lui est reproché, principalement par la directrice de la filiale française du groupe interprétée par Marie Drucker, c’est justement de manquer de courage. Comme si le courage consistait à ne pas écouter ses sentiments et à faire preuve de dureté et d’insensibilité.
Comment définir une personne courageuse ?
En effet, on se représente communément la personne courageuse comme une personne n’écoutant pas ses affects, indifférentes à ses sentiments personnels ou ses émotions, totalement dénuée de peur et ignorant la crainte. Bien évidemment, les choses sont bien plus complexes que cela dans la réalité. Si la personne courageuse était telle qu’on vient de la décrire, elle ne serait pas éloignée de la brute insensible et irréfléchie. Le courage ne consiste pas dans l’absence d’affect et plus particulièrement de peur, il consiste plutôt dans la manière dont on appréhende ses peurs et ses émotions et surtout dans la capacité à pouvoir dépasser ses impulsions premières, à aller au-delà de ses tendances spontanées. Dans la vie courante, on distingue deux formes de courage.
La première est celle de celui qui ne rechigne pas à l’effort, c’est le courage de celui qui est disposé à travailler sans ménager sa peine. Ici, le courage désigne ce qui s’oppose à la paresse. La seconde désigne celui qui ne fuit pas devant le danger et qui est prêt à l’affronter en faisant preuve d’une remarquable détermination. Le courage s’oppose alors à la lâcheté.
Dans les deux cas, on a affaire à une force de résistance face à des comportements que nous pourrions être tentés d’adopter spontanément, naturellement. Être courageux, c’est avoir la force de se lever le matin pour aller travailler et ne pas se laisser aller à une certaine tendance naturelle à l’inertie. Si nous n’étions pas un peu courageux, nous ne serions pas venus ici ce matin et nous serions restés bien confortablement blottis sous la couette.
Être courageux, c’est aussi avoir la force de résister à la tentation de fuir face au danger pour l’affronter efficacement. Ce peut être le courage du héros qui risque sa vie pour les valeurs auxquelles il croit. Le courage des résistants qui ont mis leur vie en danger au nom de la liberté. C’est aussi, par exemple, le courage de celui qui n’hésite pas à se jeter à l’eau pour aller sauver celui qui est en train de se noyer, le courage du pompier qui brave le feu.
En ce sens, le courage n’est pas absence d’affect, mais capacité à apprivoiser ses affects, pas seulement par un effort de volonté, mais aussi en faisant appel à la puissance de la réflexion. C’est pourquoi, comme le fait remarquer Aristote, le courage n’est pas la témérité. Il ne consiste pas à affronter le danger sans réfléchir. La personne courageuse n’est pas ce que l’on appelle couramment une « tête brûlée ». Elle ne met pas bêtement sa vie en danger et les risques qu’elle prend sont calculés. À la volonté de bien faire et de faire le bien, elle allie la réflexion et la lucidité.
En quoi le courage managérial peut-il révéler un puissant désir de bien faire ?
Mais si le courage est une affaire de volonté, il est aussi une affaire de désir, car si la volonté n’est pas soutenue par le désir, elle n’est rien. En effet, si vous vous orientez vers une profession comme celle de cadre de santé, de manager et que vous n’êtes pas animé par le désir de faire ce métier et de bien le faire, vous risquez fort, à un moment ou à un autre de manquer de courage, de ne pas avoir la force de faire ce qu’il faut faire au moment où il faut le faire. Faire preuve de courage managérial, c’est savoir prendre des décisions difficiles, parfois ingrates, accepter de déplaire, accepter – nous en reparlerons – de prendre le risque de se tromper et assumer seul ses choix. S’il n’y a pas un puissant désir de bien faire derrière tout cela, il est difficile d’aller au bout de sa mission.
Ce lien entre le courage, les affects et le désir est d’ailleurs présent dans l’étymologie même du mot courage. En effet, ce terme vient du latin cor qui désigne le cœur considéré comme le siège des sentiments. La personne courageuse est une personne de cœur, pas seulement au sens où elle saurait faire preuve d’empathie et de bonté, pas uniquement au sens où elle serait généreuse et charitable, mais aussi au sens où elle cherche à augmenter sa puissance d’agir pour contribuer à l’augmentation de celle des autres. En ce sens, et cela rejoint également la problématique de l’autorité, le courage managérial consiste à savoir prendre les décisions qui vont dans le sens du bien commun, au risque parfois de devoir affronter les réticences et les critiques parfois violentes de ceux qui, soit par ignorance, soit pour préserver certains intérêts particuliers, s’y opposent.
Le courage consiste alors à défendre ses choix tout en écoutant les critiques formulées et tout en étant en capacité de se remettre en question lorsque les critiques sont constructives. Si être courageux consiste à faire preuve de résolution, cela ne signifie pas être obstinée.
Que signifie la différence en la résolution et l’obstination ? Pour répondre à cette question, je prendrai un exemple emprunté à Descartes. Il s’agit de l’exemple de l’homme perdu dans la forêt. Que faire lorsque l’on est perdu dans une forêt ? Celui qui manque de courage, celui qui panique (qui se laisse emporter par ses affects, ne réfléchit pas et perd toute lucidité), partira dans tous les sens et fera preuve d’irrésolution, il ne saura pas se décider pour s’orienter dans une direction ou une autre et risquera fort de « tourner en rond » et de ne jamais atteindre l’orée du bois. En revanche, celui qui fait preuve de courage prendra une décision et s’y tiendra autant qu’il est possible. Il déterminera un cap, n’importe lequel, mais s’y tiendra, car il aura compris que s’il avance toujours dans la même direction, il finira par sortir de la forêt. Néanmoins, comme cela vient d’être dit, il s’y tiendra, autant qu’il est possible. S’il aperçoit qu’un obstacle l’empêche d’avancer, ou que certains signes lui indiquent qu’un autre chemin préférable à celui qu’il a choisi initialement est possible, il ne va pas poursuivre son chemin malgré tout, il va admettre qu’une autre voie peut être empruntée et se réorienter. D’un point de vue managérial, c’est le même schéma qui peut être utilisé.
Le courage managérial permet-il également de reconnaître le droit à l’erreur ?
Être courageux consiste à savoir prendre des décisions et à faire preuve de résolution, mais sans pour autant être obstiné, ce qui signifie s’accorder un certain droit à l’erreur et, par conséquent, introduire de la réciprocité dans ce droit. On ne peut s’accorder le droit à l’erreur sans l’accorder aux autres.
Reconnaître un droit à l’erreur, pour soi-même comme pour autrui, est aussi une forme de courage. En effet, si le courage consiste à résister à ses impulsions premières, refuser de s’enferrer dans ses propres erreurs et être capable d ’accepter que l’autre ait pu se tromper en toute bonne foi relève aussi du courage. Trop souvent on est tenté de se laisser emporter par le désir d’avoir toujours raison et on interprète le fait de changer d’avis comme un signe de faiblesse.
Or, l’entêtement peut souvent être dévastateur. Mieux vaut admettre son erreur pour se réorienter dans la bonne direction qu’aller droit dans le mur par obstination. Comme le fait remarquer le philosophe Charles Pépin qui a écrit un livre sur Les vertus de l’échec, lorsque l’on dit que « l’erreur est humaine », cela ne signifie pas seulement que parce que l’on est humain, on peut se tromper. Cela va au-delà de ce simple constat. Selon Charles Pépin, dire que l’erreur est humaine, c’est affirmer que l’erreur est le chemin normal par lequel l’être humain apprend. C’est à force de faire des erreurs et de les corriger, c’est à force d’essais plus ou moins concluant que nous progressons.
Mais Charles Pépin n’oublie pas la seconde partie du proverbe « persévérer est diabolique ». C’est dans la répétition de l’erreur que se situe le mal. Celui qui réitère sans cesse les mêmes erreurs, en sachant pertinemment que ça ne marche pas, commet une faute impardonnable. Et pourquoi le fait-il, si « ça ne marche pas » ? Par manque de courage. Il préfère commettre une erreur connue, plutôt que prendre le risque d’en commettre une autre en essayant de faire autrement.
J’ai pu constater ce phénomène lorsqu’il y a encore peu de temps, j’enseignais. Certains élèves me rendaient régulièrement le même devoir, quel que soit le sujet. Certes, le contenu était différent selon le sujet qu’ils avaient à traiter, mais les erreurs de méthode étaient toujours les mêmes. Ils ne prenaient pas le risque de faire autrement de peur de se tromper encore et de commettre des erreurs encore plus graves que celle qu’ils avaient commis précédemment.
Ainsi, en persévérant toujours dans la même erreur, ils s’interdisaient de progresser. Or, le courage consiste justement à prendre le risque de l’erreur, mais sans persévérer dans les erreurs déjà commises.
Dans le domaine des relations humaines et donc aussi du management, nous pouvons rencontrer des cas de figure comparables. Nous rencontrons cela dans le monde du travail, mais aussi dans notre vie familiale ou avec nos relations dans divers domaines. Il y a des gens avec lesquels, systématiquement, ça va mal se passer. Le plus souvent nous imputons la responsabilité de ces échecs relationnels à l’autre. Cependant, si l’autre y est aussi pour quelque chose, nous ne posons pas la question de savoir si nous n’avons pas, nous aussi, une part de responsabilité dans l’affaire.
Souvent, en effet, lorsque quelqu’un nous agresse, ou lorsque nous percevons son attitude comme une agression, nous réagissons toujours de la même façon, même si nous savons par expérience que ce type de réponse ne fait qu’envenimer la situation et ne résout jamais les problèmes, mais les rend encore plus complexes et plus difficiles à résoudre. Tout se passe comme si le fait de savoir comment ça allait mal se passer nous rassurait.
En fait, par manque de courage, nous ne prenons pas le risque d’agir autrement. Nous succombons à la tentation diabolique de persévérer dans l’erreur.
Lire la suite de cet article le mois prochain.
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Nous remercions vivement notre spécialiste, Eric, DELASSUS, Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges) et Docteur en philosophie, de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Philosophie & Management, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j’enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j’assure également un enseignement de culture de la communication auprès d’étudiants préparant un BTS Communication.
J’ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d’initiation à la psychologie auprès d’une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale.
J’interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L’IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges.
Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine de Tours.
Je suis membre du groupe d’aide à la décision éthique du CHR de Bourges.
Je participe également à des séminaires concernant les questions d’éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l’entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.
Sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob, il a publié plusieurs ouvrages :
– le 25 Septembre 2018 intitulé ” Ce que peut un corps”, aux Editions l’Harmattan.
– un ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses.
Il est également co-auteur d’un dernier ouvrage, sous la Direction de Jean-Luc STANISLAS, publié le 04 Octobre 2021 chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins.
DECOUVREZ LE NOUVEL OUVRAGE PHILOSOPHIQUE
du Professeur Eric DELASSUS qui vient de paraître en Avril 2019