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Des « sociétés à mission » pour le secteur médico-social ? Delphine JAAFAR et Linäh BONNEVILLE nous décryptent les vertus et les points de vigilances.

Nouvel Article rédigé pour ManagerSante.com par notre nouvelle experte Delphine JAAFAR, Avocat associé VATIER – Membre du Conseil de l’Ordre chez Barreau de Paris (Ordre des avocats de Paris) en collaboration avec Lïnah BONNEVILLE, Chargée de mission au Ministère de la Santé et de la Prévention.

Delphine JAAFAR, est également o-auteure d’un ouvrage publié aux éditions du Groupe LEH intitulé « La révolution du pilotage des données de santé Enjeux juridiques, éthiques et managériaux »

N°3, Novembre 2022

Face à la crise touchant actuellement les EHPADs, certains actionnaires des structures à but lucratif gestionnaires appellent à une modification de leur fonctionnement.

Le secteur médico-social s’interroge sur ses futures transformations.

Plusieurs acteurs du système annoncent leur volonté de devenir sociétés à mission dont les groupes Korian et Orpea, sans doute poussés dans cette voie par l’entreprise à mission Mirova, l’un des principaux actionnaires dudit groupe Orpea.

Le Synerpa (Syndicat national des établissements, résidences et services d’aide à domicile privés pour personnes âgées) ainsi que le Ministère de la santé et de la prévention souhaitent parvenir à une généralisation des sociétés à mission dans le secteur médico-social.

Guillaume Desnoës, co-fondateur d’Alenvi (entreprise à mission spécialisée dans l’aide à domicile de personnes âgées ou vulnérables), pilote la rédaction d’une note de position sur la place que pourrait occuper la société à mission au sein des EHPADs.

Une "société à mission" : de quoi parle-t'on ?

On recense actuellement 650 entreprises en France ayant la qualité de société à mission.

Parmi elles, seulement 20 sont des établissement sanitaires ou médico-sociaux.

Anne Mollet, directrice générale de la Communauté des entreprises à mission, déplore ce manque d’engagement et souhaite « construire un cercle du secteur de la santé et du médico-social ».

Le concept de société à mission a été introduit par la loi n° 2019-489 du 22 mai 2019 dite loi Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ou PACTE.

Il constitue, selon l’expression du professeur Bruno Dondero, « le troisième étage de la fusée » puisqu’une société peut adopter des statuts classiques, leur ajouter une raison d’être ou prétendre à la qualité de société à mission.

Une société à mission intègre dans ses statuts une raison d’être, une mission et un comité de mission. Cette qualité est adoptée lors d’une assemblée générale des actionnaires afin de procéder à une modification des statuts.

Il s’agit d’abord, pour ces sociétés, de se donner une « raison d’être » « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité et les moyens pour l’atteindre » selon l’article 1835 du Code civil.

La notion de « raison d’être » est laissée volontairement vague afin de conférer une plus large marge de manoeuvre à la société mais elle doit être précisée dans les statuts de manière claire et concrète afin de servir d’outil de décision puisque la société se doit de prendre en compte ces enjeux de manière effective dans la gestion de l’entreprise (CE, 14 juin 2018, n° 394.599 et 395.021).

Il n’est pas prévu de sanction en cas de violation de la « raison d’être » d’une société.

En revanche, étant donné que la raison d’être est inscrite dans les statuts, la violation de ces derniers permet d’engager la responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants.

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Quels sont les critères juridiques d’éligibilité d’une « société à mission », notamment pour le médico-social ?

Mû par une volonté de prôner un capitalisme responsable, le législateur prévoit dans la loi PACTE la possibilité pour les sociétés commerciales de poursuivre un projet répondant à un intérêt collectif afin de combiner la recherche de profit et l’intérêt général. La société acquiert alors la qualité de société à mission. Il s’agit bien là d’une qualité et non d’une nouvelle forme de société.

Le but est ainsi de parvenir à allier les enjeux économiques à l’intérêt général : une problématique particulièrement prégnante dans le secteur médico-social. La difficulté à lier les objectifs financiers à la qualité des soins et services prodigués est en effet au cœur de la crise touchant les EHPADs. Il est crucial pour une entreprise accomplissant une mission de soin de garantir le respect de cette mission.

Selon Armand Hatchuel, professeur à Mines ParisTech-PSL Université, la forme de société à mission « protégerait mieux les résidents et favoriserait une dynamique inventive du secteur ».

La qualité de la société à mission peut permettre de fournir les outils nécessaires et servir de boussole aux établissements médico-sociaux pour recentrer leurs activités sur la qualité des soins sans agir au détriment de leur intérêt économique.

Cette qualité permettrait également aux établissements médico-sociaux d’afficher une image nouvelle et engagée auprès des usagers et du grand public, rétablissant ainsi la confiance abîmée à l’égard de ce secteur.

L’article L. 210-10 du code du commerce précise qu’  « une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées : 1° Ses statuts précisent une raison d’être (…) ; 2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre (…) ; 3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission mentionnée au 2°. (…) ; 4° L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (…) ».

Cette qualité doit être publiée au greffe du tribunal de commerce selon les modalités précisées par le décret n°2020-1 du 2 janvier 2020.

Une déclaration publique repose donc sur un engagement sérieux, nourri et vérifié à la fois au sein de l’entreprise et par des organismes tiers.

Bercy insiste sur le fait que cette démarche « engage formellement les dirigeants et les actionnaires à déployer les moyens nécessaires (financiers, humains, logistiques) pour poursuivre cette mission ».

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Comment contrôler l'engagement de la « société à mission » ?

Afin de contrôler la bonne exécution de la mission, la gouvernance de la société à mission est modifiée, pour les entreprises de plus de 50 salariés (un simple référent est nommé pour les autres), pour inclure un comité de missions, distinct des organes sociaux et comportant au moins un salarié, chargé d’aider l’entreprise à atteindre les buts qu’elle se fixe dans une logique d’amélioration continue, essentielle dans le secteur du soin.

Ce comité présente annuellement un rapport à l’assemblée chargée de la validation des comptes. Les engagements que prend l’entreprise pour mettre en œuvre ses missions de manière concrète sont déclinés à chaque niveau de l’entreprise.

Ce cadre de gouvernance contraignant poursuit des objectifs d’intérêt général et non strictement lucratifs ce qui permet de mieux anticiper et repérer les éventuelles dérives.

En outre, la vérification par un organisme tiers indépendant (OIT) accrédité par le Comité Français d’Accréditation (COFRAC) – ou par tout autre organisme d’accréditation signataire de l’accord de reconnaissance multilatéral établi par la coordination européenne des organismes d’accréditation – doit s’effectuer au moins tous les deux ans conformément au décret du 2 janvier 2020.

L’OIT est désigné par l’organe en charge de la gestion pour une durée ne pouvant excéder 6 exercices et renouvelables dans la limite de 12 exercices.

Celui-ci peut avoir accès à tous les documents qu’il juge utile et peut mener des investigations « au sein des entités concernées par un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux constitutifs de la mission de la société » avec leur accord (Art. R. 210-21, III, al. 2 du code du commerce).

Il rend un avis motivé précisant les modalités de ses vérifications de manière circonstanciée et motivée conformément à l’arrêté du 27 mai 2021.

Trois conclusions peuvent en découler. Soit la société respecte ses objectifs, soit elle ne les respecte pas, soit il est impossible de déterminer si elle les respecte ou non. Cet avis, joint au rapport annuel établi par le comité de mission, est publié et doit rester accessible publiquement pendant une durée de cinq ans minimum (Art. R. 210-21, IV du code du commerce).

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A quels risques s'expose la «société à mission» en cas d’inexécution du contrat ?

Lorsque les objectifs ne sont pas atteints, une procédure est prévue à l’article L. 210-11 du code de commerce puisque le retrait de la qualité de société à mission peut être engagé par le ministère public ou toute personne intéressée auprès du Président du tribunal de commerce compétent statuant en référé.

Celui peut alors enjoindre, sous astreinte si nécessaire, au représentant de la société de supprimer la mention de société à mission de l’ensemble des documents ou supports électroniques émanant de la société.

Une action en responsabilité civile peut également être engagée à l’encontre de la société et de ses dirigeants conformément aux articles 1850 du code civil et L. 225-251 du code de commerce qui précisent que « les dirigeants sont responsables individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion ».

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Finalement, quelles garanties peut apporter une « société à mission » auprès des usagers pour éviter les dérives  ?

Cet engagement très encadré permet de conforter le public ainsi que les usagers dans la volonté des sociétés d’éviter les dérives au sein du secteur médico-social.

Il devient dès lors véritable gage de qualité permettant de rendre à ces sociétés une partie de la confiance perdue à la suite des différents scandales médiatiques.

Plusieurs grands acteurs du secteur médico-social s’engagent dès lors dans cette voie.

Christine Jeandel, Présidente du groupe Colisée, fait part de sa décision « d’engager tout Colisée sur quatre pays en Europe. C’est une manière d’affirmer une conviction, de la rendre transparente et d’apporter des éléments de preuve ».  Cette qualité est «  (…) une solution. Ce n’est pas la seule, ce n’est pas un remède à tous les maux mais cela peut donner aux dirigeants d’entreprises un cadre qui les transcende ».

Le rapport Rocher du 19 octobre 2021 met en exergue de nombreux bénéfices à l’acquisition de la qualité de société à mission.

La raison d’être permet d’unifier la société autour d’un fil directeur assurant le développement d’une cohérence stratégique.

Les sociétés et actionnaires sont engagés sur une direction commune et l’engagement des salariés se fonde sur la raison d’être de l’employeur.

L’entreprise se réapproprie et réaffirme ainsi son engagement et sa contribution pour le monde. Cela permet également de répondre au problème de perte de sens des employés dans le secteur médico-social en recentrant leurs activités sur le soin et non sur le gain.

En alignant leur fonctionnement sur l’impact positif qu’elles souhaitent avoir, les sociétés dans le secteur du médico-social seront poussées à se réinterroger sur leur raison d’être et sur la mission de soin et d’aide dont les contraintes économiques les ont selon certain trop éloignées.

La qualité de société à mission est, pour lors, volontairement adopté par les entreprises ce qui confère un poids supplémentaire à leurs engagements.

Les risques de “purpose bashing” par lequel les entreprises se fixeraient des objectifs déjà atteints ou particulièrement peu ambitieux discréditerait la qualité et mettrait un frein aux entreprises qui tâchent réellement d’atteindre des objectifs ambitieux.

Devenir société à mission ne s’improvise pas.

Le processus est long, complexe et doit s’inscrire dans une volonté profonde de changement pour l’intérêt général.

Nous remercions vivement Article rédigé par Delphine JAAFAR, Avocat associé VATIER – Membre du Conseil de l’Ordre chez Barreau de Paris (Ordre des avocats de Paris) et co-auteure d’un ouvrage publié aux éditions du Groupe LEH intitulé « La révolution du pilotage des données de santé Enjeux juridiques, éthiques et managériaux »,  pour partager son expertise juridique pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie de l'auteure : 

Maître Delphine JAAFAR est avocat associé au sein du département Santé du Cabinet VATIER. Intégrant depuis près de 15 ans la connaissance de l’environnement réglementaire, économique et technologique du secteur de la santé, Delphine JAAFAR a une pratique reconnue en droit de l’organisation sanitaire et médico-sociale, droit des entreprises et des établissements de santé, droit des professionnels de santé, droit de l’immobilier santé, ainsi qu’en matière de santé numérique.
Elle est Membre du Conseil de l’Ordre chez Barreau de Paris (Ordre des avocats de Paris).
Son ouverture à l’international constituant un des fondamentaux de son activité professionnelle, elle a par ailleurs créé et mis en place un Desk Afrique dédié au droit de la santé sur la base d’un partenariat avec six cabinets implantés respectivement à Abidjan, Bamako, Lomé, Luanda, Niamey et Yaoundé.
Elle est co-auteure d’un ouvrage publié aux éditions du Groupe LEH intitulé « La révolution du pilotage des données de santé Enjeux juridiques, éthiques et managériaux ».

 

Revoir les [REPLAY] du 1er Colloque National Annuel de ManagerSante.com® au Solidarités et de la Santé avec l'intervention de Delphine JAAFAR et de nombreux experts.

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