Nouvel article publié par le Docteur Philippe RODET, ex-urgentiste, conférencier et actuellement dirigeant chez Bien-être et Entreprise.
Auteur de plusieurs ouvrages, il a notamment écrit sur « La bienveillance au travail« , publié aux éditions Eyrolles (2019) faisant l’objet du présent article introductif publié, avec l’aimable autorisation du rédacteur, pour ManagerSante.com.
J’entends souvent dire que le concept de bienveillance au travail, de management bienveillant, est une mode qui va passer d’ici peu. Je ne partage pas ce point de vue pour deux raisons liées au contexte actuel de l’entreprise : un haut niveau de stress et un bas niveau de motivation.
En dix ans, le pourcentage de collaborateurs se sentant victimes d’un haut niveau de stress a augmenté dans notre pays de 42 à 61 % .[1] En parallèle, le niveau de motivation forte a baissé durant la même période de 42 à 28 %.
Il est important de préciser que les différentes enquêtes se recoupent. Selon une récente étude menée par Gallup, publiée en 2017, le faible niveau d’engagement au travail en France apparaît très clairement : nous sommes parmi les pays ayant le taux le plus bas. Seuls 6 % des actifs français se déclarent engagés. D’après ce même rapport, 69 % seraient désengagés et 25 % seraient activement désengagés.
Tant que ce contexte existera, le management bienveillant aura sa raison d’être dans la mesure où il est susceptible de diminuer les effets du stress et d’améliorer le niveau de motivation.
Pour bien voir à quel point ce concept est durable, réfléchissons aux conséquences d’un haut niveau de stress, que ce soit sur la santé des collaborateurs, la performance de l’entreprise, les relations entre les personnes….
Les conséquences d’un haut niveau de stress sur la santé
On peut retenir qu’il favorise le développement de certaines pathologies et aggrave l’évolution d’autres.
A titre d’exemple, citons l’influence du stress sur les maladies cardio-vasculaires (hypertension artérielle, infarctus, angine de poitrine, accident vasculaire cérébral…). Des chercheurs suédois[2] ont notamment constaté que le type de management exercé sur leurs équipes avait un lien direct avec l’émergence de maladies coronariennes : un manque de considération, des objectifs peu clairs, ne pas donner de feed-back, etc. entraînaient sur le long terme des risques nets pour la santé de leurs collaborateurs.
Le stress agit également sur les pathologies impliquant le système immunitaire (augmentation du risque d’allergies, diminution des défenses naturelles et donc majoration des épisodes infectieux, maladies auto-immunes…). Le Dr Nhân Pham-Thi[3], allergologue et pneumopédiatre à l’hôpital Necker à Paris, affirme que le stress, y compris in utero, peut avoir des conséquences sur le déclenchement et l’aggravation des allergies.
Le stress peut aussi avoir une influence sur les affections rhumatismales (arthrose, troubles musculosquelettiques, ostéoporose…), les troubles digestifs (ulcères gastriques, gastrites, reflux gastro-oesophagien, colopathies fonctionnelles…), le taux de cholestérol et les désordres moraux (dépressions, suicides, burn-out…). Maria Melchior[4], chercheur à l’Inserm, a découvert avec son équipe qu’un travail stressant augmente les risques de faire une dépression.
Très régulièrement, des chercheurs découvrent de nouveaux liens entre stress et maladies.
Impacts sur 3 niveaux
Sur la performance
Sur le plan de la performance, on a longtemps pensé qu’un peu de stress était nécessaire. Cette perception se traduisait sur une courbe d’allure gaussienne. Le début de la courbe se situait dans une zone de bien-être, où le salarié ne subissait pas de stress. Il était donc supposé ne pas être performant. La courbe retombe dans un secteur où le niveau de stress est excessif. Là, on reconnaît que l’excès est néfaste pour la performance. Le milieu de la courbe ou le faîte de la cloche reflète la corrélation entre un certain niveau de stress et un bon niveau de performance.
Il était donc aisé d’en déduire qu’un certain niveau de stress induit par le management pouvait s’avérer probant. Cette confusion est d’autant plus fréquente que, en France, on a tendance à confondre la motivation, état qui nous pousse à entreprendre et à nous dépasser, et le stress « dit positif »…
Concernant le lien entre stress et performance, les récents travaux du Pr Eric Gosselin[5] sont, sur ce point, très riches d’enseignements.
La méta-analyse réalisée par son équipe porte sur cinquante-deux études indépendantes. Ces travaux démontrent que la courbe d’allure gaussienne citée précédemment, reflétant un niveau de performance qui augmente en corrélation avec le « juste » niveau de stress, n’est significativement que dans….10 % des cas !
Dans 15 % des situations observées, le stress n’a pas d’incidence significative.
En revanche, dans 75 % des cas, les chercheurs observent que, dès que le stress augmente, la performance diminue !
Le stress est néfaste à l’efficience intellectuelle, contrairement à la sérénité, qui améliore, comme le confirme une étude[6] menée par une équipe de chercheurs de l’université de Dalian (Chine) et d’Oregon (Etats-Unis). Elle montre l’influence entre le niveau de stress et la performance intellectuelle. Il s’avère que, lorsqu’on diminue le niveau de stress d’étudiants – par la méditation dans le cas de l’étude -, on « améliore le rendement émotif et cognitif » de ceux-ci. On a aussi montré que, dans cette même situation, chez ces étudiants, « la prédisposition à la fatigue et à la colère, ainsi qu’à l’inquiétude et à la dépression » diminue.
Sur l’entreprise :
Rien que sur le plan financier, le stress coûte cher à l’entreprise. Selon une étude menée par le Dr Claudia Put[7], le coût du stress au travail pour les entreprises flamandes s’élève à …13 milliards d’euros par an !
Cette analyse est intéressante, d’une part car elle aborde l’influence néfaste de la crise sur le niveau de stress et, d’autre part, car elle prend en compte la part du présentéisme dans le coût du stress au travail.
Selon le Dr Put, l’importance du présentéisme est supérieure à celle de l’absentéisme et de loin. « Le présentéisme atteint 61 % des coûts totaux relatifs à la santé dans une entreprise, suivi par les frais médicaux (28 %) et l’absentéisme (10 %) ».
Une autre conséquence majeure d’un haut niveau de stress dans l’entreprise est son impact négatif sur la motivation. Or celle-ci diminue quand le stress augmente.
Parmi celles-ci, il y a le déséquilibre hormonal induite par le stress. Dans un article intitulé « Biologie de la motivation », des chercheurs[8] abordent le rôle jouré par l’acétylcholine dans la motivation. Or le stress provoque un déséquilibre sympathique[9] – parasympathique au bénéfice du système sympathique. Le taux d’acétylcholine, neuromédiateur typique du système parasympathique, diminue donc, rendant la motivation biologiquement difficile.
Il y a également le fait que, lorsque le stress augmente, les circuits de la récompense sont moins efficaces. Cela a été mis en évidence dans une étude[10] réalisée chez l’animal au sujet de sa consommation d’alcool. Comme le plaisir provoqué est moindre, la consommation est plus importante. De même, comme les circuits de la récompense sont altérés en cas de stress important, la motivation est plus difficile à trouver.
Il y a aussi le fait que, lorsque le stress augmente, le cortisol rend plus irritable, ce qui ne facilite pas les échanges constructifs, susceptibles d’améliorer la motivation.
Et sur l’économie ?
Le stress professionnel coûte très cher à l’économie d’un pays. Ainsi, en France, il est estimé par le Bureau international du travail à 51 milliards d’euros.
Sur la motivation :
On assiste dans les entreprises, mais aussi à l’échelle du pays, à une véritable crise du désir, celui de se dépasser, de contribuer à une réussite collective, de participer au bien commun.
Et, en parallèle, on vient renforcer un cercle vicieux en majorant les effets du stress. Ce dernier altère la motivation qui serait en mesure de diminuer les effets.
Cette influence de la baisse de motivation sur le stress est illustrée par de nombreux exemples concrets. Il est certain que le risque de burn-out est amplifié par le manque de motivation. Il a en effet été constaté que les humanitaires qui font le plus facilement un burn-out étaient ceux qui étaient les moins motivés par la mission. Ce même constat a été fait chez les avocats. Une enquête, menée par des psychologues[11] des universités d’Etats de la Floride et du Missouri auprès de 6200 avocats, précise que le bien-être subjectif de la profession serait avant tout lié à des facteurs de motivation intrinsèque. Une récente étude menée par Alana Cunningham[12] est très claire : « Lorsqu’un employé se détache de sa tâche, les niveaux d’engagement diminuent et cela conduit à l’épuisement professionnel […] Il a aussi été observé que plus la motivation potentielle est importante, meilleure était la qualité de vie professionnelle… ».
En conclusion
Quand on voit les conséquences d’un haut niveau de stress et d’une motivation basse, on comprend bien pourquoi le management bienveillant, qui est en mesure de remédier à ces deux maux, n’est pas une mode, mais bien une stratégie parfaitement adaptée au contexte actuel.
Notes :
[1] Sondage Ipsos avec Associated Press (2005), Baromètre Cegos 2015 « Climat social et qualité de vie au travail ».
[2] ischaemic heart disease among employees: the Swedish WOLF study
[3] Le stress aggrave les réactions allergiques
[4] Work stress precipitates depression and anxiety in young, working women and men
[5] Professeur de psychologie du travail au département de relations industrielles à l’université du Québec en Outaouais, chercheur à IRSP/GAP-Santé.
[6] La méditation augmente les performances de l’esprit et réduit le stress
[7] Le Dr Claudia Put est chercheur à l’université catholique de Louvain et psychologue à l’hôpital universitaire de Gasthuisberg.
[8] Hervé Allain et Danièle Bentué-Ferrer (Département de pharmacologie – Centre Mémoire de Ressources de Recherche de Bretagne – Université de Rennes I) ; Lucette Lacomblez (Département de pharmacologie – Fédération de neurologie Mazarin – CHU Pitié Salpétrière – Paris).
[9] Le système nerveux sympathique a pour neuromédiateur l’adrénaline, alors que le système nerveux parasympathique a pour neuromédiateur l’acétylcholine.
[10] Stress Increases Ethanol Self-Administration via a Shift toward Excitatory GABA Signaling in the Ventral Tegmental Area
[11] Lauwence S. Krieger et Kennon M. Sheldon.
[12] Cornell University – ILR School -Printemps 2016