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Hôpital privé de l'Est Lyonnais - Reportage.

Les innovations récentes en télésanté sont-elles suffisamment prises en compte pour soigner les Urgences de l’hôpital public ? Le Docteur Pierre SIMON analyse l’ordonnance du Docteur BRAUN, actuel Ministre de la Santé et de la Prévention.

Article publié  par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).

Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».

Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .

le Docteur Pierre SIMON   est intervenu au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde,  à l’occasion du 1er Colloque  national annuel de ManagerSante.com, sur la thématique « Comment embarquer les acteurs du numérique en santé ? », le Mardi 29 Mars 2022 (replay bientôt disponible sur ManagerSante.com).

N°56, Août 2022

Commandée par le Président de la République (PR) au Dr Braun, Président de SAMU France, conseiller santé du PR et nouveau ministre de la Santé et de la Prévention, la mission « flash » sur les urgences hospitalières est censée apporter des solutions immédiates et à moyen terme à l’hôpital public pour que les soins non-programmés ne submergent plus les établissements de santé, en particulier pendant l’été 2022, d’autant que se profile une 7ème vague de la pandémie Covid-19. Les propositions ont-elles pris en compte les innovations récentes en matière de télésanté, innovations intervenues au cours des 3 dernières années ? L’objet de cet article est de commenter les recommandations qui relèvent d’un usage de la télésanté et d’en suggérer d’autres.

Donner la priorité à des parcours de soins primaires qui ne nécessitent pas le recours ou le passage aux urgences hospitalières

C’est indiscutablement une évolution dans la vision portée par la communauté des médecins urgentistes depuis 15 ans. Cette communauté considérait en 2009 que toute urgence « ressentie » par un citoyen devait être analysée par un médecin urgentiste (le médecin régulateur du SAMU Centre 15), ce dernier ayant la compétence d’orienter les citoyens vers le « juste soin ».  

Cette vision a conduit en 15 ans à l’asphyxie progressive des urgences hospitalières  (et du Centre 15) dont la fréquentation a augmenté de 5% par an pendant cette période, pour dépasser les 20 millions de venues aux urgences en 2021. Cette doctrine du soin non-programmé géré par un médecin urgentiste a conduit de nombreux médecins généralistes traitants à indiquer sur leur répondeur téléphonique à leur patientèle qu’elle devait désormais se rendre aux urgences lorsqu’ils étaient indisponibles ou que le cabinet médical était fermé, le soir et les week-ends.

Si les urgences vitales relèvent bien de la mission du SAMU centre 15 depuis sa création en 1968, les urgences dites « ressenties » relèvent en première intention des soins primaires non-programmés, comme l’assume depuis 1966 la fédération des 63 associations regroupées dans SOS-Médecins France dans la plupart des grands centres urbains français et leur périphérie. En 2019, SOS-Médecins réalisait 70% de la couverture de la PDSA (permanence des soins ambulatoires) en zone urbaine. De plus, les 1100 médecins qui travaillent dans cette structure pratiquent la téléconsultation depuis la fin 2018.

Dans les autres lieux, les demandes non-programmées sont gérées par les médecins qui participent à la PDSA, dont le nombre de volontaires a régulièrement diminué au cours des dix dernières années. Au niveau national, le taux de participation à la PDSA est de 38,5%, avec d’importants écarts entre Paris (6%) et la province (82% dans le département des Vosges). La présence ou non de SOS-Médecins contribuant à cette différence.

Orienter les citoyens dans le système de santé est certainement l’organisation qui a fait défaut au cours des dernières années.

La Suisse, avec les téléconsultations/téléconseils de la plateforme Medgate, a un modèle organisationnel qui oriente les demandes non-programmées dans le parcours de soins. Cette organisation a fait ses preuves depuis sa mise en place en 2000 avec l’aide financière de l’ensemble des assureurs suisses. La plateforme SAS reproduit (enfin) en France cette organisation suisse, préconisée depuis plusieurs années pour des plateformes de téléconseil médical ou de téléconsultation d’orientation dans le parcours de soins.

La santé numérique peut indiscutablement améliorer les organisations professionnelles des parcours de soins non-programmés, à l’instar de plusieurs initiatives françaises de terrain qui tentent aujourd’hui de le démontrer et qui devraient être mieux connues et reconnues des pouvoirs publics.

La recommandation 5 : ouvrir le SAS à l’ensemble des professionnels de santé afin de développer des filières directes de prise en charge sans passer par les urgences.  Cette recommandation est importante car elle invite les pharmaciens, les infirmiers et autres professions paramédicales à participer à la régulation des soins non-programmés au sein d’un territoire de santé. Une CPTS qui regroupe l’ensemble des professionnels du territoire pourra utiliser la régulation du SAS pour trouver au sein du territoire de santé la réponse à une demande de soins non-programmés.

Les officines équipées pour réaliser des téléconsultations programmées par le médecin traitant pourront rechercher avec le régulateur du SAS la solution de consultation en présentiel ou en téléconsultation au sein du territoire de santé lorsqu’un citoyen se présentera à l’officine. C’est une évolution du périmètre d’intervention des pharmaciens qu’il faudra acter dans un prochain avenant conventionnel.

Optimiser le temps médical et augmenter les capacités de réponse à la demande des soins non-programmés en ville.

La recommandation 12 promeut les unités mobiles de télémédecine (UMT) intervenant sur demande du SAMU-SAS. Les UMT sont des solutions récentes, dont le réel impact sur les demandes non-programmées n’est pas encore évalué. Elles visent à se déplacer au domicile du patient vivant dans des territoires isolés, sans médecin (ZIP). La promotion en a été faite par certaines sociétés d’ambulanciers qui voient là une élargissement de leurs missions. Des expérimentations sont conduites en Normandie, Hauts de France, Pays de Loire. En l’absence d’évaluation, peut-on vraiment recommander le financement de leur déploiement ?  

L’auteur du billet, qui a accompagné en 2018 le projet d’une UMT régionale, a pu mesurer les nombreuses questions non encore résolues, tant sur le modèle économique pérenne et son financement par l’Assurance maladie, que sur l’organisation professionnelle avec les professionnels libéraux, l’accès à un débit numérique suffisant, pour réaliser des téléconsultations programmées de qualité. La recommandation 5 parle d’UMT qui seraient mobilisées à la demande du SAMU SAS pour répondre à des demandes non-programmées.

Avant de promouvoir les UMT, ne serait-il pas utile de promouvoir les organisations de télésanté déjà financées par l’Assurance maladie ?  Comme la téléconsultation programmée et assistée d’un infirmier/infirmière au domicile ou en cabinet infirmier, financée depuis le 1er janvier 2020, ou la téléconsultation programmée et assistée du pharmacien/pharmacienne dans son officine, autorisée et financée depuis le 6 septembre 2019.

De même, l’expérimentation art.51 sur la clinique mobile de télémédecine dans le Grand Est a manifestement un succès à 18 mois, répondant aux attentes des Ehpads et prévenant les venues aux urgences. Son déploiement national dès 2022-23 ne serait-il pas justifié pour prévenir les venues aux urgences de cette population très fragile et porteuse de nombreuses maladies chroniques ?

La recommandation 13 demande à l’Assurance de maladie de prolonger la prise en charge à 100% de la téléconsultation pendant l’été. Cette mesure peut effectivement favoriser le maintien de l’activité de téléconsultation observée pendant la pandémie, qui a surtout profité à une population jeune (âge médian 27 ans) vivant dans les zones urbaines, et moins aux personnes âgées qui ont besoin d’une téléconsultation programmée et assistée (pour pallier l’illectronisme).

Fluidifier les parcours de soins

La recommandation 17 est de simplifier pour l’été la mise en application des protocoles de coopération entre professions de santé sous coordination médicale dans les territoires fragiles volontaires. Il faut aussi débrider les pratiques de télésoin et de téléexpertise requise des pharmacien(e)s et des infirmier(e)s et autres professions paramédicales pour fluidifier les parcours de soins.

La recommandation 37 demande d’imposer aux établissements de santé (ETS) une organisation permettant aux médecins généralistes libéraux de joindre directement un spécialiste de l’ETS. Il s’agit de promouvoir la téléexpertise entre les médecins généralistes et les médecins spécialistes de l’ETS pour préparer une hospitalisation programmée. L’organisation professionnelle est en place (permanence des soins spécialisés) pour réaliser de telles téléexpertises.

Plusieurs solutions numériques adaptées à la téléexpertise synchrone et asynchrone existent sur le marché, lesquelles garantissent une agilité de l’échange et surtout la traçabilité des échanges dans le dossier médical du patient ou dans le DMP de MES. Il faut mettre un terme à la téléexpertise « clandestine » par téléphone qui ampute les dossiers des patients de données de santé essentielles à la continuité des soins.

La recommandation 38 sur la mise en place obligatoire de la fonction de « bed manager » dans tous les établissements de santé dotés d’un service d’urgence est une ancienne revendication des médecins urgentistes. Ils se heurtent souvent à l’impossibilité d’hospitaliser dans les services spécialisés des malades admis aux urgences pour une perte d’autonomie. L’hospitalisation sera alors de longue durée et bloquera un lit de soins programmés spécialisés pendant plusieurs semaines en attendant de trouver un lit d’aval (recommandation 39). C’est une situation conflictuelle entre les médecins urgentistes et les autres praticiens hospitaliers qui dure depuis de nombreuses années et qui n’a toujours pas trouvé de solutions raisonnables. 

Certains hôpitaux sont parvenus à créer des unités de médecine polyvalente confiées aux médecins urgentistes. L’organisation en GHT devrait permettre de trouver des solutions réelles en s’appuyant sur les hôpitaux de proximité qui n’ont pas vocation à faire des soins spécialisés mais des soins polyvalents. L’usage de la télémédecine au sein du GHT peut contribuer à assurer cette prise en charge au plus proche du domicile des patients, avec le développement en particulier de la téléconsultation et de la téléexpertise entre les établissements de proximité et l’établissement support spécialisé du GHT.

Le dossier médical des patients hospitalisés doit être interopérable avec l’ensemble des logiciels existant au sein des établissements du GHT. Le Ségur de la santé apporte aux établissements de santé des GHT les moyens financiers de cette transformation numérique, absolument nécessaire pour que la télémédecine intra hospitalière se développe et renforce les parcours gradués au sein du territoire. 

La recommandation 41 est incontournable pour réussir à mettre un terme à la crise hospitalière actuelle. Là encore, la télésanté peut y contribuer en développant la télésurveillance médicale des patients orientés dès que leur état le permet vers l’hospitalisation à domicile (HAD). La nouvelle HAD doit être renforcée par les dispositifs médicaux numériques (DMN) de la télésurveillance médicale et par les pratiques de téléconsultation, téléexpertise et de télésoin, assurées par les équipes hospitalières.

Conclusion :

En résumé, si l’ordonnance du Dr Braun apporte, entre autres (les propositions financières n’ont pas été abordées ici), des moyens organisationnels « conjoncturels » qui peuvent améliorer le fonctionnement des urgences hospitalières au cours de l’été 2022, elle ébauche aussi des évolutions structurelles qui, s’appuyant davantage sur les avancées de la télésanté, permettraient de sortir de la crise de l’hôpital public. 

Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie de l'auteur : 

Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
 avril 2007, Gazette du Palais 2007
Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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