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Comment expliquer ce phénomène d’iatrogénie en santé mentale ? Interview exclusive de Katsiaryna OKUNEVA et de Karim AMRI, auteurs d’un ouvrage sur le sujet.

Interview exclusive proposée pour notre plateforme média ManagerSante.com par Katsiaryna OKUNEVA & Karim AMRI  à l’occasion de la sortie de leur ouvrage en Juillet 2021, aux éditions Manage Consult, intitulé « Mauvaises Pratiques en Santé Mentale : analyse des iatrogénies liées à l’autisme »

Novembre 2021

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ManagerSante.com® : Quel est l’enjeu de cet ouvrage et à qui s’adresse-t-il ?

Il s’agit d’un ouvrage scientifique et littéraire qui s’adresse à tous les professionnels de santé et plus spécifiquement aux professionnels exerçant en santé mentale. Il vise également un public large, pris en charge par des structures et/ou des professionnels en santé mentale et notamment les patients, les proches et les familles. Cet ouvrage de référence en santé mentale s’adresse par conséquent, à tous les décideurs, professionnels de santé, acteurs de l’écosystème, étudiants et usagers.

Cet ouvrage se base sur une revue de littérature extrêmement étayée. De nombreux spécialistes qui ont analysé ce phénomène d’iatrogénie en santé mentale y sont mentionnés. Par conséquent, l’idée était de réaliser une exégèse du phénomène, en s’appuyant sur l’exemple de l’autisme pour en évaluer les conséquences et surtout proposer des axes d’amélioration en la matière.

Nous avons souhaité aborder cet ouvrage en plusieurs chapitres qui peuvent être résumé de la façon suivante : 

  • L’étude de la « iatrogénie », un monde encore trop méconnu ;
  • Le patient autiste en tant que personne ;
  • Une prise en charge médico-soignante défaillante ; 
  • L’analyse des analystes ; 

Ce livre propose ainsi d’apporter des clés de compréhension et des pistes d’actions constructives pour les structures et institutions sanitaires, médico-sociales des secteurs publics et privés, les organismes de tutelles et de gouvernance, mais également pour les professionnels concernés par ces prises en charge délicates avec des patients complexes.

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ManagerSante.com® : Comment les acteurs de santé peuvent-ils s’en emparer pour améliorer la prise en charge et les pratiques associées ?

Ce livre apporte en premier lieu des éclairages précieux sur un sujet qui n’a malheureusement que très peu été étudié dans notre pays, à savoir l’étude et la compréhension de la « iatrogénie » en matière de santé mentale.

Des références de niveau international et pour certaines d’entre-elles, jamais traduites en France ont été rapportées tels que les psychiatres allemands comme Kretschmer Ernst[1]  Hans Walter Gruhle[2] Oswald Bumke[3], ou suisse à l’image de Eugen Bleuler[4]   qui soulignait que les différentes formes de la « réflexion médicale non-disciplinée »[5] pouvaient déjà être constatées non seulement au stade de l’observation médicale du patient, mais également pendant la reconnaissance des signes précoces de la maladie. En effet, lorsque le patient est déjà angoissé par rapport aux premiers changements de son état, il peut être amené à pouvoir interpréter faussement les évolutions de son état.

Certaines pratiques spécifiques empêchent finalement les patients (souvent jeunes) d’accéder à l’autonomie, tout en les enfonçant encore plus profondément dans leur handicap, via notamment la création de troubles iatrogéniques.  Les patients peuvent ainsi se sentir cobayes de pratiques « hors sol », légitimées notamment parfois par certains courants psychiatriques.ou

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ManagerSante.com® : Comment les acteurs de santé peuvent-ils s’en emparer pour améliorer l’organisation et la coordination des soins sur le territoire ?

En remontant par exemple aux années 1960-1980, rappelons notamment qu’à cette époque, il existait une tradition dans les hôpitaux visant à examiner le patient en présence des internes, étudiants, et stagiaires. Ceci était peut-être une pratique enrichissante pour les futurs spécialistes, mais assurément iatrogénique pour le patient.
Ainsi, malgré les efforts de certains spécialistes et mêmes d’auteurs connus et mondialement réputés, les psychoiatrogénies ont du mal à trouver leur place officielle et légitime, sur le banc des troubles psychologiques.

Par conséquent, il faut pleinement l’existence de la psychoiatrogénie comme faisant partie de la prise en charge. Il serait souhaitable que les psys puissent pratiquer en « full consciousness » pendant leur psychothérapie afin de pouvoir développer une conscience professionnelle, plus subtile et sincère.
L’abondance des méthodes de prise en charge en psychologie n’est pas un bon signe non plus. Cela déstabilise les familles qui vivent souvent cela comme un obstacle ou un ralentissement dans les démarches. L’inondation d’informations peut rendre la prise de décision chaotique et irréfléchie.
Le parcours doit également être amélioré dans l’intérêt des patients. Ainsi, un temps considérable est perdu en hésitation, en attente (et surtout en attente !), en débats, observations répétitives (en prenant par exemple la prise en charge d’un enfant autiste, celui-ci est observé par les mêmes professionnels d’un CAMPS, d’un CRA, de l’HDJ, de l’IME…). Même si cela reste important d’un point de vue clinique, personne n’évoque durant cette période les risques liés aux iatrogénies associées et leurs impacts sur cet enfant.

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ManagerSante.com® : Quels sont les apports d’un tel ouvrage qui se veut assez précurseur sur ce phénomène d’iatrogénie en santé mentale ? Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?

On y apprend par exemple, que le terme « iatrogénia » proposé par Oswald Bumke, psychiatre et neurologue allemand, a notamment été développé dans son article publié en 1925 intitulé « Le médecin comme cause des troubles psychiques »[6], en tant que : « détérioration d’état de santé causée par les actes imprudents ou les paroles du médecin ». Cet ouvrage n’a malheureusement pas été traduit en français.

Mais également que de nombreuses recherches ont ainsi pu contribuer à une meilleure compréhension de l’influence des processus psychiques sur les divers processus pathologiques dans le corps humain. Par exemple, un travail collectif mené sous la direction d’Oswald Schwarz[7] a mis en lumière une analyse monographique de données concernant la psychogénèse des divers symptômes des troubles cardiaques, des organes de respiration, de digestion, des organes de reproduction et autres. Le docteur Hans Selye a consacré une très grande partie de ses recherches sur l’influence du stress et du distress sur l’organisme[8].

Les recherches de Schilder, Bauer, Braun, Heyer, Straudberg, Mauye[9] ont démontré quant à elles, que le cortex cérébral par le biais du mécanisme des réflexes conditionnels a une influence sur le corps entier. Les travaux sur les émotions et la sécrétion hormonale, détaillées et explicités dans l’ouvrage, sont ainsi trop nombreux pour les citer tous [10].

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ManagerSante.com® : Concernant les problématiques de prise en charge, peut-on parler de problématique structurelle ?

Certes, beaucoup de familles cherchent des conseils pour mieux gérer leur quotidien, pour comprendre le fonctionnement de leur proche souffrant d’une pathologie, et ainsi disposer éventuellement d’astuces pour mieux accompagner leur proche dans leur quotidien, etc.

Cependant, force est de constater que certains conseils prodigués par certains professionnels ne répondent nullement aux besoins des familles, et sont généralement le reflet d’un mépris, probablement causé à son tour par la compréhension biaisée des origines de la pathologie.

L’organisation de certaines structures est aussi problématique en soi où des collectifs peu nombreux se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans pouvoir dans certains cas disposer d’un encadrement médical ou de staff médico-soignant normalement constitué, en raison de problématiques de démographie médicale prégnantes.

En outre, le thérapeute n’est pas un prophète, sa connaissance n’est ni divine, ni infaillible. Elle est conçue par des hommes et des femmes qui, comme tout être humain, peuvent se tromper.

Au risque de voir quelques-unes des réflexions déplaire à certains professionnels, compte tenu de « l’ombre » portée sur certaines de leurs pratiques, mais la vérité en pareil cas importe : Amicus Plato, sed magis arnica Veritas (Platon m’est cher, mais la vérité m’est encore plus chère)[11]

Si croire ainsi, que la maladie est engendrée par notre environnement, par des mots, et que la thérapie consiste à « guérir » la personne en interférant sur ces derniers, pourquoi donc ne pas supposer l’inverse ?  En effet, la psychothérapie comme forme d’intervention essentiellement verbale peut rendre la personne encore plus malade qu’elle ne l’était. C’est un fait bien réel.

ManagerSante.com® : Par quelle certitude pourrait-on affirmer que tout ce que dit le psy est bénéfique au patient et que toutes ses actions ne peuvent faire que du bien, tout en étant éternellement à l'abri de tout soupçon d'échec, voire de nuisance par rapport à l'état de santé mentale du patient ?

Accepter par conséquent le point de vue du patient comme référence dans la compréhension du trouble psychique et/ou du handicap est une étape, certes « révolutionnaire », mais in fine inévitable pour améliorer la prise en charge. Ceci vient effectivement bouleverser l’ordre établi depuis des siècles, avec un soignant tout puissant, omniscient et un patient, quant à lui, vulnérable, dépendant et ignorant.

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ManagerSante.com® : Comment se présente les avancées liées à cette problématique importante de prise en charge du patient en santé mentale ?

Si l’on prend l’exemple de la psychologie qui a récemment fait l’objet d’une certaine reconnaissance (remboursement de consultations à partir de 2022), celle-ci présente un avantage certain par rapport à la psychiatrie du fait qu’elle soit beaucoup moins attachée à l’influence pharmacologique.

Quand un géant pharmaceutique fait la promotion d’un médicament « miraculeux » pour soigner tel ou tel trouble, la psychologie reste à part et sur sa réserve. Mais cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un atout absolu. Les psychotropes font depuis longtemps partie de la prise en charge psy. Ils peuvent dans certains cas améliorer la qualité de vie (certains autistes confirment d’ailleurs l’efficacité des psychotropes sur leur état).

Aujourd’hui on possède les bases nécessaires pour garantir le respect des droits des patients. Mais la situation, si l’on prend le cas précis de l’autisme, est quelque part unique en son genre, car il est rare de voir un trouble neurologique, analysé le plus souvent d’un point de vue psychologique ou psychiatrie clinique (les crises, les stéréotypies, les divers troubles du comportement), et pris en charge par des méthodes éducatives. Et la cohérence dans tout cela ?

Le devoir de chaque professionnel est de faire le maximum pour diminuer l’impact iatrogénique. Et pour atteindre cet objectif, il nous faut augmenter continuellement le niveau des professionnels et ce, en vue de respecter vigoureusement les principes liés à l’éthique professionnelle et à la déontologie.

L’une des principales formes de l’éthique médicale est la notion basée sur la relation « soignant-patient ». Ce concept a reçu son développement dans les œuvres de Paracelse[12] que Karl Gustav Young[13] résuma ainsi : « Dans la personne de Paracelse on ne voit pas seulement le fondateur du domaine du traitement chimique par les médicaments, mais aussi celui du domaine des soins empiriques psychiques »[14].

Le modèle de Paracelse est une forme d’éthique médicale, où la relation morale du médecin avec le patient est comprise comme faisant partie du comportement thérapeutique du médecin.  Il y a des différences entre ce modèle et celui d’Hippocrate. Dans le modèle d’éthique médicale d’Hippocrate, il importe de gagner la confiance du patient, alors que dans celui de Paracelse, il s’agit de prendre en compte les particularités émotionnelles et psychologiques liées à la personnalité du patient.

Les collectifs de prise en charge adaptés en conséquence constituent également une solution pérenne à ces problématiques de prise en charge.

Pour aller plus loin

[1] Kretschmer Ernst (1888 – 1964), psychiatre allemand, auteur de plusieurs études psychothérapeutiques.

[2] Hans Walter Gruhle (1880–1958), psychiatre allemand connu pour ses travaux dans le domaine de la criminologie et psychologie.

[3] Oswald Bumke (1877 – 1950), psychiatre et neurologue allemand, l’ héritier de la tradition d’Emil Kraepelin.

[4] Eugen Bleuler (1857—1939), psychiatre suisse connu pour avoir inventé et introduit dans le vocabulaire psychiatrique les termes de schizophrénie et d’autisme

[5] Extrait de l’ouvrage de Youri Kannabikh.  Le médecin à l’origine de la maladie. Grande Encyclopédie de la médecine, vol. V, 1928 (archives russes – traduction auteur)

[6] Oswald Bumke. Der Arzt als Ursache seelischer Störungen // Deutsche Medizinische Wochenschrift, 1925.

[7] O. Schwarz, R. Allers, J Bauer, L. Braun, P. Schilder. Psychogenese, und psychotherapie korperlicher symptom, Wien, 1925.

[8] Hans Selye. Stress sans detresse. 1974.

[9] O. Schwarz. Psychogenese und Psychoterapie körperlicher Symptome. Op.cit.

[10] Cf. un ouvrage très synthétique de B.Kolb et Ian Q. Whishaw. Cerveau et comportement. de  Boeck, 2008. 2ème édition.  

[11] AristoteÉthique à Nicomaque. Vrin,1994.

[12] Paracelse (1493-1541)- médecin, philosophe

[13] Karl Gustav Young (1875-1961)- médecin psychiatre suisse

[14] Karl Gustav Young.  Phénomène de l’esprit dans l’art et la science. Moscou, Renaissance, 1992 (archives russes-traduction-auteur).

[OUVRAGE DES AUTEURS]

Mauvaises pratiques en santé mentale : analyse des iatrogénies liées à l’autisme (Juillet 2021)

Editeur :Berck-sur-Mer (La Rose des Vents, 62600) : Manage Consulting
Auteur(s) :OKUNEVA Katsiaryna, Aut. ; AMRI Karim, Aut.
Résumé :Si le Haut Comité de la Santé Publique (HCSP) considère comme iatrogène « les conséquences indésirables ou négatives sur l’état de santé individuel ou collectif de tout acte ou mesure pratiqués ou prescrits par un professionnel habilité et qui vise à préserver, améliorer ou rétablir la santé », le monde de la santé a toutefois tendance à en négliger les effets dévastateurs sur la santé des patients des proches. La prise en charge de l’autisme en est un des tristes exemples, où l’ignorance cumulée au manque de compétences de certaines professionnels aboutit à des situations dramatiques : traumatismes profonds, problématiques d’aggravation des symptômes autistiques voire même d’émergence de nouveaux troubles autant pour les autistes que pour les proches. La question des moyens est également soulevée et notamment celles des structures destinées à certaines prises en charge, lesquelles génèrent également elles-mêmes des conséquences iatrogéniques du fait de leur mode de fonctionnement inadapté. [D’après le résumé d’auteur]
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