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Quel pourrait-être l’avenir des Agences Régionales de Santé ? Florence TANTIN nous propose son analyse (Partie 1/2)

Article rédigé par notre nouvelle  experte, Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD

Co-auteure de l’ouvrage « Santé & Management » (Juillet 2021), sous la direction de Jean-Michel HUET et d’Arlette PETITJEAN.

 

N°01, Novembre 2021

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Les agences régionales de santé ont fêté leur dixième anniversaire en avril 2020 dans un contexte de crise sanitaire due à la COVID-19, qui n’a fait qu’exacerber les tensions et problèmes structurels du système de santé.

Les ARS se sont retrouvées au centre de toutes les critiques, mettant en lumière paradoxalement la place centrale qu’elles occupent dans le système de santé. Leur suppression a été demandée de façon insistante par des élus et professionnels. Le gouvernement a choisi de les maintenir, suivant ainsi en cela les préconisations du rapport présenté à l’Assemblée nationale[1] le 16 juin 2021qui ont annoncé que « ce n’était ni le grand soir des ARS ni apporter de l’eau au moulin de ceux qui les dénigrent systématiquement, ni verser dans la nostalgie… un simple retour en arrière ». Cependant, le débat n’est pas clos puisqu’il s’invite maintenant dans la campagne électorale pour les présidentielles[2]

Alors quel pourrait être leur avenir ?

Les ARS sont créées par la loi HPST[3] le 21 juillet 2009 dans le contexte d’une faible performance du système de santé en raison d’indicateurs de santé dégradés et de fortes disparités sociales et territoriales alors même que les dépenses de santé sont élevées[4]. Vient s’ajouter à cela, une organisation du système de santé tant au niveau national qu’au niveau territorial caractérisée par une multiplicité d’acteurs aux moyens disparates qui interviennent de façon cloisonnée, voire concurrentielle, nuisant à l’efficacité de la santé publique.

Parallèlement, une nouvelle organisation territoriale de l’Etat se met en place dans le cadre de la révision générale des politiques publiques[5].

Les 26 ARS[6] ainsi installées en avril 2010 devaient répondre aux objectifs suivants :

– Territorialisation en renforçant le pilotage régional du système de santé pour mieux l’adapter aux besoins des territoires et populations

– Simplification et unification du service public de santé éclaté entre 10 services de l’Etat et de l’Assurance maladie

– Responsabilisation par le renforcement de la démocratie sanitaire et utilisation au mieux des ressources

Leur autonomie semble leur être reconnue grâce à leur statut d’établissement public et aux contrats d’objectifs et de moyens avec l’Etat au lieu de lettres de cadrage antérieures. Leur directeur général bénéficie de pouvoirs importants au détriment du conseil de surveillance présidé par le préfet.

Mais plus de 10 ans après le bilan tiré de l’existence des ARS apparait en demi-teinte. Le niveau des dépenses de santé place la France désormais au 2ème rang des pays de l’union européenne en 2019, les soins hospitaliers publics (en particulier la hausse de rémunération des personnels) étant le principal facteur de croissance de la CSBM[7] entre 2011 et 2019. Pourtant crises et tensions caractérisent l’hôpital public avec pour conséquences des réformes qui continuent à se succéder.[8] Si les indicateurs de santé s’améliorent globalement[9] ils restent perfectibles En outre les inégalités sociales de santé conjuguées aux inégalités territoriales ont tendance à s’accroitre. La synergie, hôpital, médecine de ville, médico-social attendue reste encore à construire. La démocratie sanitaire en termes de proximité et de participation à la décision comporte des failles décriées par les élus. Enfin, la capacité d’anticipation des ARS a été mise en défaut tout particulièrement lors de la crise COVID-19.

Pourquoi cette situation ?

Dès le départ les ARS ont été des « colosses entravés [10]» notamment par l’insuffisance de moyens à la fois en ressources humaines[11] mais aussi financiers les empêchant d’avoir de véritables leviers d’action pour impulser les politiques souhaitées [12]. La mise en place par l’Etat d’un encadrement très strict de leur action[13] fragilise encore leur positionnement et les amène à le décliner tout aussi autoritairement auprès des structures de santé au point de les comparer à des « holdings hospitaliers régionaux »[14].

Confrontées à la résistance farouche de la médecine de ville face à toute tentative de régulation vécue comme une atteinte à sa liberté les ARS ont privilégié le soin au détriment de la prévention, seul domaine où elles disposent d’un champ de compétences bien circonscrit et plus particulièrement sur le soin en établissement.

On n’a jamais autant parlé de territoire sans pour autant le rendre plus compréhensible et accessible à la population. Déjà très morcelés en France[15], les territoires sont souvent concurrents entre eux. Par ailleurs des contradictions existent dans la recherche de plus de décentralisation. Une démonstration en est faite par le projet de loi 3DS[16]qui vise à renforcer la décentralisation dont on critique la faible ambition et où on retrouve dans le même temps, la recentralisation de certaines missions (RSA)[17]. De même lors d’une table ronde organisée au Sénat en mai 2021[18] on a vu des maires revendiquer davantage de place pour les préfets « qui eux savent parler aux élus » (sic).

Doit-on pour autant prédire « ARS : mission impossible » ?[19]

La crise suscitée par la COVID a été salutaire en ce sens qu’elle a permis une expression forte et collective des attentes en matière de santé :

  • Traiter la complexité par encore plus de contrôle et de réglementation conduit au découragement des intervenants
  • Le leadership ne se résume pas à être un « patron »
  • Si la santé a un coût, le coût financier ne doit pas prévaloir sur le coût humain ou sociétal qu’entrainerait une mauvaise qualité du système de santé
  • Il vaut mieux prévenir que guérir. La crise en a fait une démonstration éclatante.
  • Diriger n’est pas qu’une affaire d’administration et Soigner n’est pas qu’une affaire de médecins
  • La démocratie sanitaire c’est permettre la participation des patients partenaires, experts[20] et citoyens ainsi que des élus dès l’élaboration du processus de décision et pas seulement à la consultation sur un produit fini.

Les réponses gouvernementales apportées ou en cours ont surtout consisté en des ajustements plutôt que des mesures stratégiques ou sont dans un entre-deux qui ménage l’Assurance maladie, les préfets, les élus. Il en va ainsi de :la simplification et le recentrage des missions des ARS définis par l’ordonnance n°2020-1407 du 18 novembre 2020, l’augmentation des moyens humains des délégations des ARS. Le conseil de surveillance présidé par le préfet, deviendrait conseil d’administration avec des pouvoirs renforcés[21]. Le Sénat a par ailleurs voté une co-présidence avec le Conseil régional. Le gouvernement parait divisé sur cette question. La dualité entre assurance maladie (plus particulièrement la CNAM) et ARS n’a pas été tranchée malgré le souhait de la cour des Comptes[22]. La Feuille de route stratégique du numérique en santé semble par ailleurs donner une place forte à l’Assurance maladie dans la stratégie numérique en santé du gouvernement. Si le FIR a augmenté de 5% en 2021, une circulaire[23] du ministère chargé de la Santé rappelle que le FIR doit aussi servir à mettre en œuvre les orientations nationales, restreignant ainsi les marges de manœuvre régionales.

L’ambition de Ma Santé 2022[24] de généraliser les communautés professionnelles territoriales de santé qui regroupent les professionnels de santé d’un même territoire et de leur laisser l’initiative et la responsabilité des projets est bien perçue par ceux-ci. Les ARS particulièrement investies devront apaiser les inquiétudes quant à la mobilisation des professionnels de santé en ville[25] et l’allègement du carcan technocratique sur les CPTS pour qu’elles assurent « la cohérence dans les territoires entre l’offre de santé et l’offre de soins attendue »[26].

Ces réponses entre-deux voient s’accroître les crispations et malaises dans le monde de la santé. Le statut quo n’est plus possible. Des changements de fond sur l’organisation et le fonctionnement des ARS ainsi que celui de l’Etat doivent être envisagés que nous étudierons dans la deuxième partie de cet article.

Lire la suite de cet article le mois prochain.

Pour aller plus loin :

[1] Rapport écrit par les députés Agnès Firmin Le bodo et Jean-Claude Grelier

[2] Promesse de campagne d’Anne Hidalgo de supprimer les ARS qu’elle estime être devenues des « agences comptables »

[3] Loi hôpital, patients, santé, territoires

[4]11,8% du PIB en 2009, plaçant ainsi la France au 3ème rang des pays membres de l’OCDE pour le poids des dépenses de santé dans la richesse nationale, DREES, comptes de la santé pour la France ; OCDE Eco-Santé 2011

[5] RGPP, révision générale des politiques publiques lancée le 10 juillet 2007 avec pour objectifs notamment de simplifier l’organisation de l’Etat, rééquilibrer l’équilibre des comptes

[6] Ramenées à 17 avec la création des grandes régions puis portées à 17 avec la création de l’ARS de Mayotte

[7] CSBM, consommation de soins et biens médicaux, agrégat des comptes de la santé

[8] Jean-Michel Budet Soixante ans de réformes hospitalières, une pandémie : quels enseignements pour demain, chapitre 1, Innovations, management des structures de santé en France, sous la direction de Jean-Luc Stanislas LEH Edition

[9] Rapport 2017 sur l’état de santé de la population en France DREES.

[10] Frédéric Piéplu, table ronde organisée par le Sénat le 28 mai 2020 par la délégation aux collectivités territoriales

[11] les plafonds d’emploi autorisés n’ont cessé de diminuer entre 2010 et 2017 jusqu’à atteindre -11,5% en 2017, Secrétariat général du Ministère des Solidarités, et de la Santé, Ministère du Travail, Ministère de l’Éducation Nationale, Ministère des Sports, Bilan social du réseau des ARS, année 2017

[12] Exemple du Fonds d’intervention régional et des contrats locaux

[13] Conseil national de pilotage des ARS mis en place en 2012 veille à la cohérence des politiques menées par les ARS dans le domaine de la santé, la prise en charge médico-sociale te gestion du risque, définit les orientations stratégiques en matière de qualité et coordination des soins dispensés en ville et valide les objectifs et directives et s’assure de leur bonne mise en œuvre

[14] les agences régionales de santé : une innovation majeure, un déficit de confiance, Rapport d’information rédigé par MM. Jacky le Men et Alain Milon au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, en date du 26 février 2014

[15] 35 416 communes, 101 départements, 18 régions

[16] Projet de loi 3DS : relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration n et portant diverses mesures de simplification e l’action publique

[17] RSA, revenu de solidarité active géré et financé par le département

[18] Table ronde organisée au Sénat le 11 mars 2021

[19] Agences régionales de santé : mission impossible, Frédéric Piéplu, Revue française d’Administration publique 2020/2

[20] Thérèse Psiuk, le patient partenaire, le patient expert : quelles perspectives de l’expérience patient pour notre système de santé en France, Innovation, management des structures de santé en France, sous la direction de Jean-Luc Stanislas, LEH Edition

[21] Projet de loi 3DS déjà cité

[22] Dans un rapport publié le 9 novembre 2017.

[23] Circulaire n°SG/pôle santé ARS/2021/54 du 12 février 2021

[24] Stratégie de transformation du système de santé lancé en février 2018

[25] Sébastien Casareto et Anne-Sophie Le Bonniec La prise en charge des pathologies chroniques, Chapitre 7, Santé et Management sous la direction de Jean-Michel Huet et Arlette PetitJean, Pearson Edition

[26] La CPTS, une innovation pour passer du soin à la santé, construire le système de santé du futur et articuler santé et médico-social dans chaque territoire, Claude Leicher, Innovation, management des structures de santé déjà cité

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Nous remercions vivement Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD, pour partager son expertise auprès de nos fidèles lecteurs de notre plateforme média digitale d’influence et de référence ManagerSante.com

Biographie de l'auteure :

Florence TANTIN est Diplômée d’une licence en droit public de l’Université Panthéon-Sorbonne, titulaire d’un Master en analyse et management des établissements de santé de l’Université Paris 8, d’un MBA exécutif de NEOMA Business School et coach certifié professionnel et personnel de MHD. Son parcours distingué par l’ordre national du mérite et l’ordre de la légion d’honneur, l’a amenée, en tant qu’inspectrice des affaires sanitaires et sociales, directrice départementale des affaires sanitaires et sociales puis directrice d’hôpital à conduire en stratégie, gestion, prévention, les transformations des organisations et méthodes des services publics, exigées par les contextes sanitaires (lutte contre les épidémies ou pollutions environnementales) économiques (établissements ou associations en plan de redressement), ou encore étatiques (réforme des services de l’Etat).
Florence tantin est aujourd’hui directrice d’hôpital honoraire, auteur sur des sujets de management et organisation des organismes publics et privés, mentor et conseil auprès de jeunes et d’entrepreneurs

Découvrez la contribution de Florence TANTIN co-auteure de l'ouvrage "Santé & Management" (Juillet 2021), sous la direction de Jean-Michel HUET et d'Arlette PETITJEAN.

RESUME DE CET OUVRAGE :
Les crises sont de puissants catalyseurs de changement et d’adaptation. Le secteur de la santé n’y échappe pas, surtout en période de crise sanitaire.
La première partie de l’ouvrage traite largement de l’innovation et du digital comme facteurs essentiels de transformation. Le déploiement des technologies numériques ou de communication, comme la télémédecine, ouvre la voie à de nombreuses possibilités. Elles mettent en réseau les acteurs de santé autour du patient. Or, ces évolutions remettent en cause la gouvernance et l’organisation des acteurs institutionnels de santé.
La seconde partie traite du monde de l’entreprise où la santé est devenue un enjeu incontournable, voire stratégique. C’est un nouveau paradigme auquel les chefs d’entreprise et les managers doivent s’adapter pour passer de la préservation de la santé des collaborateurs au développement du bien\-être et de la qualité de vie au travail. À l’heure de la quête de la performance et d’un individualisme certain, de la généralisation du télétravail mais aussi du besoin croissant de lien social, comment créer les conditions de travail pour rassembler les salariés autour du projet de l’entreprise et renforcer l’engagement des collaborateurs après la crise ?
Cet ouvrage est un formidable kaléidoscope éclairant les enjeux et les défis qui attendent l’univers de la santé et ses principaux acteurs dans un monde post–Covid.
Lire un extrait de cet ouvrage en cliquant ici.
Pour information, ce livre va être réédité prochainement. Il va être également publié en anglais dès 2022.  
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