Nouvel Article publié par notre experte Stéphanie CARPENTIER (Docteur, Ph.D) spécialisée en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail et membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale Harvard Business Review)
Stéphanie CARPENTIER est classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde.
N°30, Novembre 2021
S’interroger sur le manque potentiel de charisme au travail des femmes, en particulier dans le monde de la santé peut paraître audacieux voire déplacé tant elles sont très largement majoritaires dans ce secteur et la féminisation n’a cessé de croître. Pourtant, la question du charisme en situation de leadership est toujours d’actualité que l’on soit homme ou femme. Cet article va donc s’attacher à clarifier cette notion si souvent employée mais rarement définie conceptuellement.
Les femmes sont très nombreuses dans le secteur de la santé.
Les femmes sont très nombreuses dans le secteur de la santé, c’est un fait. En 2005, un article de recherche rappelle qu’elles représentaient déjà 76 % des professionnels exerçant dans ce champ en 2003, contre 71 % en 1983. (cf. Bessière, S. (2005). La féminisation des professions de santé en France : données de cadrage. Revue française des affaires sociales, , 17-33.). Plus récemment, l’INSEE confirme en 2020 pour la France de province ce chiffre de 76 % de femmes dans ce secteur bien que les professions les plus nombreuses du secteur de la santé, notamment aide-soignant et infirmier, étaient et restent très féminisées et représentent désormais plus de 90 %. L’INSEE précise toutefois que là où avant les professions socles étaient plus souvent occupées par des hommes que par des femmes, ces « niches » masculines, pour beaucoup des professions de niveau cadre, tendent à disparaître en se féminisant nettement dans les jeunes générations, jusqu’à atteindre puis parfois dépasser la parité. Ainsi, moins de 30 % des médecins de plus de 55 ans sont des femmes alors qu’elles sont plus de 60 % avant 35 ans. Aussi les départs en retraite des générations de médecins hommes sont désormais remplacés pour beaucoup par des femmes et l’absence d’arrivée plus prononcée d’hommes dans les professions principales du secteur pourrait maintenir le phénomène de féminisation (Sophie Faure (2020), Secteurs féminisés : la parité s’éloigne encore, INSEE Analyses Centre-Val de Loire, N°60, 10/07/2020).
Quelle forme peut prendre le charisme des femmes du secteur de la santé ?
S’interroger sur la question du charisme des femmes en responsabilités dans le secteur de la santé n’est donc pas incongru au regard des chiffres de la féminisation des fonctions et c’est aussi une réponse apportée à ce préjugé que le charisme est forcément masculin, ce que ne démontrent pas les travaux universitaires sur le leadership genré : les différences de leadership seraient en effet plus une question de management interculturel, ou plus prosaïquement d’une logique commerciale, qu’une logique de genre (Cf. Frédérique Pigeyre et Philippe Vernazobres (2011), « Le « management au féminin » : avancée ou impasse ?, Actes du 22ème Congrès de l’AGRH, 22 p.). Réfléchir à cette notion de charisme au travail suppose néanmoins de savoir précisément ce que revêt ce mot si souvent utilisé et pourtant généralement méconnu d’un point de vue conceptuel.
L’Académie Française rappelle que le charisme trouve ses origines dans le grec kharisma, « faveur, grâce accordée par Dieu », de kharis, « grâce », ce qui permet de considérer le charisme comme étant un « Don de Dieu, manifestation de la présence de l’Esprit-Saint chez un homme, en vue de la croissance de l’Église […] [d’où] par extension. Rayonnement personnel d’un meneur d’hommes ». Cette lumière intérieure trouverait donc son origine dans une certaine forme de transcendance. Le dictionnaire scientifique CNRLT du CNRS complète cette conception par le caractère exceptionnel de ce don et ses bienfaits pour le bien commun de la communauté mais également en termes d’autorité et de créativité. En effet selon le CNRS, le charisme renvoie à trois définitions :
- « Don surnaturel extraordinaire octroyé à un croyant ou à un groupe de croyants, pour le bien commun de la communauté.
- Autorité, fascination irrésistible qu’exerce un homme sur un groupe humain et qui paraît procéder de pouvoirs (quasi) surnaturels.
- Don, inspiration qui pousse irrésistiblement à la création ».
Déjà en son temps, l’économiste et sociologue allemand Max Weber (1864 – 1920) reconnaissait l’existence de différents charismes, aux premiers desquels le charisme personnel et le charisme de fonction dont le rappel peut nous être utile dans le contexte professionnel :
- Le charisme personnel (dit aussi plénier), se définit par rapport à deux critères fondamentaux qui sont indissociables : « la qualité extraordinaire d’un personnage pour ainsi dire doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains en dehors de la vie quotidienne, inaccessibles au commun des mortels » et sa reconnaissance par des suiveurs. (Max Weber (1971), Économie et société, Paris, Plon, p. 249). On reconnait là le caractère prophétique de cette personnalité hors du commun dotée de qualités exceptionnelles qui lui permettent d’imposer ses exigences par un discours innovant et fédérateur mais aussi d’exercer une forme de domination et d’incarner le changement en temps de crise.
- Le charisme de fonction est pour sa part impersonnel car il correspond à une qualité exceptionnelle reconnue par « une institution sociale en tant que telle, conséquence de la prédominance des institutions permanentes et des traditions, qui se substitue à la croyance au charisme d’une personne lié à une révélation ou à des actes héroïques ». Le charisme de fonction tire cependant sa légitimité in fine de l’appropriation par cette même institution d’un charisme personnel fondateur. Le clergé entre par exemple dans cette définition. (cf. Weber, M. (2013). La transformation du charisme et le charisme de fonction. Revue française de science politique, vol.63(3), pp. 463-486).
Ainsi, retenons que ces définitions du charisme par Max Weber permettent de comprendre que manquer de charisme est probablement assez courant car tout le monde n’a pas forcément ce don qui le transcende et fait l’objet de la reconnaissance de ses collègues ou de celle de son organisation par la fonction occupée. Pourtant ce charisme pourrait contribuer à renforcer la motivation et l’implication des collaborateurs (item cité comme une priorité stratégique d’un leader pour son entreprise par 55% des dirigeants selon le sondage OpinionWay pour la Fondation Prospective et Innovation datant de 2011).
Manquer de charisme est-il pour autant irréversible ? Les chercheurs Loizos Heracleous et Laura Klaering de la Warwick Business School (Royaume-Uni), se sont intéressés au cas de Steve Jobs, le cofondateur et PDG charismatique d’Apple disparu en 2011, et l’un des grands patrons reconnus pour son leadership charismatique. Dans leur article « CharismaticLeadership and Rhetorical Competence: An Analysis of Steve Jobs’ Rhetoric », ils expliquent comment son leadership était fondé sur la maîtrise de la rhétorique, l’un des principaux moyens par lesquels les dirigeants influencent les autres. Non seulement il personnalisait son discours aux différents publics et selon les situations (tout en gardant une continuité dans les thèmes centraux abordés) mais ses stratégies rhétoriques personnalisées s’appuyaient selon les cas sur la crédibilité (ethos), la logique (logos) et/ou les émotions (pathos).
Ainsi selon ces chercheurs, le charisme s’apprend. Je rajouterai qu’il s’appuie néanmoins sur la crédibilité, la logique et l’intelligence émotionnelle qui elles aussi s’apprennent. Dès lors la montée en compétences rhétoriques est possible et à partir de là, l’art de la persuasion s’apprend car c’est bien de cela dont il s’agit. C’est pourquoi Loizos Heracleous et Laura Klaering considèrent que les leaders d’aujourd’hui peuvent beaucoup apprendre des compétences rhétoriques de Steve Jobs, notamment en les utilisant « pour augmenter la foi de leur auditoire en leur charisme et accroître leur efficacité en tant qu’orateur convaincant ». (Cf. article d’Elodie Vallerey, « Des chercheurs percent le secret du charisme de Steve Jobs », Usine Digitale, 30 septembre 2014). C’est la même raison qui fait affirmer à ces chercheurs que « le charisme n’est pas une qualité ineffable ou magique comme on le décrit de manière classique, mais doit plutôt être appréhendé comme une conséquence de liens qui se créent entre le leader, son auditoire et le contexte » (op. cit.). Voilà de quoi rassurer la prochaine fois qu’un article de presse signalera que « les salariés français sont bel et bien en attente d’un manager à la posture de leader charismatique, capable de motiver ses équipes, de les impliquer dans la vie de l’entreprise et les mener à l’épanouissement » (citation d’un article de 2019 de Cadre et Dirigeant Magazine).
Pour conclure :
En conclusion, manquer de charisme n’est pas irréversible car l’apprentissage peut y remédier. Mais combattre ce préjugé en tant que femme en responsabilité, surtout dans le monde de la santé où la présence féminine est si importante, suppose de renoncer à un certain nombre de croyances fausses et pénalisantes alors qu’elles ne sont pas conceptuellement fondées : non seulement cela impose de cesser de croire en cette figure mythique de la personne providentielle, charismatique au plus haut point car « bénie des Dieux », mais cela suppose aussi de cesser de se laisser dicter ses croyances par les stéréotypes très nombreux surtout quand cela concerne la thématique du leadership genré et au-delà du leadership en général. Enfin c’est croire que « les vrais charismatiques aiment mettre les mains dans le cambouis. S’ils sont si influents, c’est parce qu’ils managent par l’exemplarité. Le charisme n’est pas qu’une affaire de parole : il se révèle avant tout dans l’action et par les autres, via un management quotidien empli d’humanité » (Cf. mon interview par Ingrid Seyman, article « Changer la loi du genre », dossier « Les secrets du vrai charisme », Management, Octobre 2021 n°298 , pp.80-81). Et à ces niveaux-là de l’action, de l’exemplarité et de l’humanité dans les relations, les femmes du Monde de la Santé n’ont pas à rougir me semble-t-il.
Article rédigé à partir d’une publication de son blog managérial.
Nous remercions vivement Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR, Harvard Business Review, classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde, pour partager son expertise professionnelle en proposant ses publications mensuelles, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteure
Docteur Sciences de Gestion – Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. [Blog Managérial : carpentierblogrh.wordpress.com ]. Créatrice de l’entreprise DR.RH&CO pour les dirigeants et leurs managers. Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR Harvard Business Review Membre des associations de recherche: – Institut International d’Audit Social (IAS) depuis 2004; Membre du Conseil Scientifique et du Bureau Elargi dès février 2009. – Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH) depuis 2004.
Experte en management des ressources humaines conciliée depuis 1998 avec la sociologie, la psychologie et les avancées du marketing B2B et des technologies. Titulaire d’un DEA (Master Recherche) de gestion socio-économique des entreprises et organisations et diplômée d’une Ecole Supérieure de Commerce (Master 2).
Activité d’enseignante-chercheure dans différents établissements d’enseignement supérieur français: ESC Saint Etienne, IAE de Lyon, CNAM Saint Etienne et IRUP Saint-Etienne, Faculté de Droit (Université Lyon 3), ESDES (Université Catholique de Lyon) et EM Lyon.
Consultante RH (statut libéral / statut SAS) dans les entreprises privées (PME-PMI / grands groupes), les associations et les organisations publiques. Contribution à des projets scientifiques portant sur les questions de management de la santé et de la qualité de vie au travail.
Ont collaboré à la rédaction de cet ouvrage :
Jérôme BALLARIN, Laurence BARANSKI, Stéphanie CARPENTIER, Laurent CHATEAU, Jean-Luc CHRISTIN, Marie DAVIENNE-KANNI, Muriel de FABRÈGUES, Miguel DELATTRE, Carole DRUCKER-GODARD, Hervé ESSA, Anne-Marguerite FERREIRA, Xavier GARCIA-WEIBEL, Éric GAUTIER, Mathilde GOLLETY, Marie HOLM, Ilda Ilse ILAMA, Sophie IZOARD-ALLAUX, Franck JAOTOMBO, Guila Clara KESSOUS, Laurent LEDOUX, Quentin LEFEBVRE, Bernard LEMAIRE, Mouloud MADOUN, Richard J. MAJOR, Mohamed MAKKAOUI, Patricia MARTIN, Elisabeth MARTINI, Patrick MATHIEU, Sandrine MEYFRET, Andrea MICHEAUX, Stefka MIHAYLOVA-MARBURGER , Pierre MONIZ-BARRETO, Patricia NIGLIS, Florent PASQUIER, Stéphane PRADINES, Nicolas PRAQUIN, Miora RANAIVOARINOSY, Damien RICHARD, Michaël ROUX, Michèlle SCHITTER, Omer TAKI, Faviola TAPOYO, Aymeric THON-ADJALIN.
Résumé de l’ouvrage
L’équipe d’auteurs, réunissant chercheurs, professionnels et praticiens œuvrant principalement au sein du Lab Management et Spiritualité, développe dans cet ouvrage des réflexions autour du leadership spirituel, dans le prolongement de l’ouvrage Diriger avec son âme : leadership et spiritualité, publié en 2014.
L’objectif est que la diffusion de leurs travaux de recherche auprès du public favorise le déploiement du management spirituel dans les entreprises et les organisations publiques.
Ce livre permet ainsi d’accéder à un certain nombre de pratiques pour tous ceux qui aspirent à développer leur leadership et contribuer positivement à un développement durable des organisations ainsi qu’à une mise en perspective théorique sur de nombreux sujets au niveau des individus, des groupes et des organisations. Il s’adresse tant à des dirigeants et managers qu’à des enseignants chercheurs et étudiants de niveau Master ou doctorants.
La conviction de tous les auteurs, même si elle est éclairée par une prudence indispensable étayée dans l’ouvrage, est que le leadership spirituel constitue la voie attendue et prometteuse, procurant de multiples bienfaits pour les individus, les équipes et les organisations.
Ouvrage de référence avec la contribution de nombreux experts-auteurs de ManagerSante.com
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.