Nouvel Article publié par notre experte Stéphanie CARPENTIER (Docteur, Ph.D) spécialisée en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail et membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale Harvard Business Review)
Stéphanie CARPENTIER est classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde.
N°29, Septembre 2021
Une étude menée fin 2017 par un cabinet international de recrutement spécialisé auprès de 500 directeurs généraux et administratifs financiers révèle que 76 % des sondés admettent avoir embauché un collaborateur qui ne s’intégrait pas à l’équipe. Les principales raisons évoquées relèvent majoritairement des « soft skills » défaillantes, ce qui renvoie à un défaut d’intelligence émotionnelle. Cet article va donc s’intéresser à cette compétence si recherchée en l’abordant sous l’axe du leadership émotionnel et penser ses incidences au niveau de la performance et de la qualité de vie au travail.
Que l’on soit personnel de santé, manager ou directeur d’établissement sanitaire ou social, il y a nécessité de s’adapter aux contextes et à ses interlocuteurs. Plus la situation sera complexe, plus les capacités rationnelles et analytiques devront être mise en sourdine afin d’écouter cette petite voix intérieure qui permettra de trouver une solution satisfaisante pour chacun. Cette petite voix, ce GPS interne, comme le décrit très bien le psychologue Christophe Haag, professeur en comportement organisationnel à EM Lyon Business School, ce sont nos émotions. L’intelligence émotionnelle est donc une aide précieuse pour faire face aux situations des plus complexes, ce qui explique combien elle est recherchée en entreprise.
Pourtant une étude réalisée auprès de 305 directeurs généraux (DG) et de 200 directeurs financiers (DAF) en décembre 2017 en France par le cabinet international de recrutement spécialisé Robert Half montre combien recruter un candidat disposant des compétences techniques et comportementales adéquates est difficile. 76 % des sondés admettent en effet avoir embauché un collaborateur qui ne s’intégrait pas à l’équipe, notamment parce que ses capacités d’adaptation, d’ouverture, d’écoute et de collaboration étaient insuffisantes. Plus précisément lui était reproché :
- Son manque d’esprit d’équipe (45%)
- Son incapacité à collaborer dans son travail ou à faire preuve d’autonomie (33%)
- Son excès de confiance (32%)
- Sa capacité d’adaptation insuffisante (31%)
- Le fait qu’il ne s’entendait pas avec ses collègues (30%)
- Le fait qu’il n’était pas en accord avec la culture d’entreprise (23%)
- Son manque d’ouverture aux observations (22%).
Si ce sondage ne porte pas spécifiquement sur le monde de la santé, il n’en demeure pas moins intéressant pour ses acteurs. Les malheureux collaborateurs recrutés du sondage auraient en effet des compétences personnelles et sociales orientées vers les interactions humaines, les fameuses « soft skills », qui seraient insuffisantes pour permettre l’efficacité ainsi que le bien-être individuel et collectif au sein des organisations concernées. Or ces mêmes compétences font appel à l’intelligence émotionnelle. Les établissements de santé peuvent donc être également interpellés.
De l’intelligence émotionnelle aux compétences émotionnelles
Ce concept d’intelligence émotionnelle a incontestablement été popularisé par Daniel Goleman (Cf. D. Goleman D. (2014), L’Intelligence émotionnelle, J’ai lu), notamment par son travail de vulgarisation des travaux scientifiques de P. Salovey et J.D. Mayer (cf. P. Salovey & J.D. Mayer (1990, « Emotional Intelligence », Imagination, Cognition and Personality, vol 9, issue 3, pp. 185–211).
Salovey et J.D. Mayer (op. cit.) définissent le concept d’intelligence émotionnelle comme étant « une forme d’intelligence sociale qui implique la capacité d’identifier non seulement ses propres émotions (ou sentiments) mais aussi celles des autres individus, ainsi que la capacité à discriminer les différentes émotions et à les utiliser pour orienter les pensées et les actions ». (H. Gardner la considère d’ailleurs comme l’une des intelligences que chacun peut mobiliser).
Notons que cette approche scientifique de l’intelligence émotionnelle par les habiletés diffère d’une autre approche de la recherche considérant l’intelligence émotionnelle comme un trait de personnalité. Entre ces deux tendances, il existe toutefois une démarche « mixte » qui a l’avantage de présenter l’intelligence émotionnelle comme étant la résultante d’un ensemble d’habiletés, de comportements et de traits de personnalité expliquant la réussite des individus dans différentes situations de la vie, qu’elle soit professionnelle, sociale ou personnelle. Des auteurs comme D. Goleman s’inscrivent dans ce courant qui permet d’avoir une conception de l’intelligence émotionnelle la plus large possible.
Si l’on approfondit toutefois la définition de l’intelligence émotionnelle par les habiletés, ce qui est utile d’un point de vue managérial, selon le psychologue P. Salovey, l’intelligence émotionnelle est alors constituée de cinq composantes :
- Développer la conscience de soi : il s’agit d’avoir une meilleure connaissance de soi mais également de ses émotions, de pouvoir les identifier, les reconnaître et les utiliser pour prendre les décisions.
- Gagner en maîtrise de soi: cela consiste à maîtriser ses émotions et impulsions, sans se laisser envahir par ses émotions afin de s’adapter à l’évolution de la situation.
- S’automotiver pour être dans un état d’esprit positif : il s’agit d’être capable de remettre à plus tard la satisfaction de ses désirs et de réprimer ses pulsions, ce qui est la base de tout accomplissement, que ce soit en termes de productivité ou d’efficacité.
- Développer la conscience sociale : l’empathie étant la capacité à percevoir, à comprendre les émotions, les besoins et les points de vue des autres, et à y réagir, cette dimension permet la facilité des relations.
- Gérer les relations humaines : savoir gérer les émotions des autres c’est savoir entretenir de bonnes relations avec eux mais également savoir les inspirer et les influencer éthiquement.
Ce sont des habiletés qui sont précieuses en milieu de santé, et ce quelles que soient les responsabilités exercées. Pourtant, cela l’est d’autant plus pour le manager : au quotidien, un manager est en effet concerné par ces différentes dimensions de l’intelligence émotionnelle, et ce d’autant plus s’il veut développer son leadership. L’article d’E. Delon « Bien manager avec son intelligence émotionnelle », L’Usine Nouvelle n° 3577, p. 64 du 20 septembre 2018 illustre d’ailleurs par différents témoignages cette croyance selon laquelle « ce ne sont pas les plus intelligents ou les plus créatifs qui réussissent, mais ceux qui suscitent l’adhésion et la motivation de leurs équipes ». Pour autant, en quoi une intelligence émotionnelle élevée aidera ce même manager dans sa recherche permanente d’une performance accrue ?
Pour D. Goleman (op. cit.), cela ne fait aucun doute : c’est parce qu’un individu aura développé sa compétence à réguler les émotions (les siennes, celles des autres) qu’il pourra ainsi améliorer son bien-être au travail et celui de ses semblables mais également les performances personnelles et organisationnelles. En cela son approche concilie une nouvelle fois les deux voies développées actuellement en parallèle par les chercheurs pour considérer les bénéfices d’une intelligence émotionnelle élevée :
- Certains chercheurs s’attachent à travailler sur la gestion des émotions comme une réponse à l’épuisement professionnel, au stress et à la souffrance au travail.
- D’autres préfèrent travailler sur une approche pragmatique et opérationnelle de la gestion des émotions dans le cadre d’une relation professionnelle (qu’elle soit managériale ou commerciale), une meilleure gestion des émotions favorisant la performance organisationnelle.
C’est certainement ce double intérêt organisationnel qui permet au Forum économique mondial de Davos d’affirmer que l’intelligence émotionnelle figurera bientôt parmi les dix compétences managériales les plus attendues dès 2020.
L’intelligence émotionnelle doit cependant conduire au développement de compétences émotionnelles à part entière qui selon différents travaux scientifiques peuvent s’articuler autour de cinq dimensions complémentaires :
- L’identification des émotions (les siennes, celles des autres), ce qui suppose néanmoins la capacité à capter les signaux émotionnels et savoir les décoder puis les nommer.
- L’expression de ses propres émotions et la capacité d’écoute de celles d’autrui. En la matière, les femmes en responsabilités managériales pourraient être avantagées, bien qu’un leadership bienveillant et authentique ne soit pas genré.
- La compréhension des émotions : cela consiste à s’interroger sur ce que l’expression d’une émotion révèle de la satisfaction ou non d’un besoin et de son importance et de la dissocier du comportement qui lui a permis de s’exprimer. Par exemple, un professionnel de santé qui est en colère après un acte difficilement réalisé peut, du fait de sa grande frustration, adopter à la première occasion un comportement de violence verbale envers ses collègues (et parfois même son supérieur), sans pour autant qu’ils ne soient réellement à l’origine de cette colère. En dissociant émotion et comportement, le manager pourra mettre en place des moyens efficaces d’aide envers ce professionnel de santé, sans pour autant que cela dégrade les relations au sein de l’équipe.
- La régulation des émotions. Cette compétence complexe par essence se manifeste quand un individu est confronté à une émotion qui est en désaccord avec ses objectifs ou qu’il la considère comme étant inappropriée au contexte. Par exemple si le licenciement d’un collègue que vous appréciez signifie votre promotion à son poste, vous ressentirez des émotions tellement opposées (joie et tristesse) que vous chercherez à maîtriser le caractère positif et négatif de ces émotions, tout comme leurs intensités et leurs manifestations. A la fin de la journée vous serez ainsi épuisé et ce sera encore plus vrai si cette régulation concerne les émotions d’autrui.
- L’utilisation des émotions à meilleur escient. Les émotions interfèrent pour chaque individu sur la qualité de sa concentration, de sa mémoire, de sa perception de la réalité, etc. En avoir conscience permet d’en tirer meilleur parti au lieu de les ignorer (ce qui se révèle au contraire désastreux). Ainsi, le jour où la colère gronde, pourquoi ne pas entreprendre du rangement dans son bureau ?
Des compétences émotionnelles à un leadership plus performant et une meilleure qualité de vie au travail
Sans rentrer dans les différentes conceptions du leadership dans la littérature scientifique car elles sont trop nombreuses pour faire l’objet d’un article, l’éclairage de cette relation entre l’intelligence émotionnelle et le leadership renforcé est très bien mis en valeur par Jennifer M. George, Professeur Emérite de Management à la Jesse H. Jones Graduate School of Business (Rice University). Dans ses publications scientifiques qui s’inscrivent à la suite des travaux de P. Salovey et J.D. Mayer, cette universitaire souligne combien la gestion des émotions est essentielle dans les organisations et plus particulièrement pour avoir un leadership efficace.
En s’appuyant sur différentes recherches, elle affirme cette importance de la gestion des émotions au regard des principales caractéristiques que suppose un leadership efficace :
- le développement d’un sens collectif des buts et des objectifs à réaliser ainsi que de la manière d’y parvenir
- le fait d’inculquer aux autres des connaissances et une appréciation de l’importance des activités et des comportements professionnels
- la génération et le maintien de l’enthousiasme, de la confiance et de l’optimisme dans une organisation ainsi que la coopération et la confiance;
- la promotion de la flexibilité dans la prise de décision et le changement
- l’établissement et le maintien d’une identité forte pour une organisation
Par ses différentes publications, J. M. George arrive ainsi à la conclusion que l’efficacité des leaders est due à leur expression émotionnelle, à la régulation et à l’utilisation de leurs émotions ainsi qu’à l’emploi de leurs compétences émotionnelles. Cela interfère aussi positivement sur leur créativité et leur bien-être au travail.
Enfin, en complément de ces travaux, n’oublions pas que si un individu se sent traité avec respect et politesse dans son travail, s’il sent que son manager éprouve de l’empathie pour ses collaborateurs et sait montrer son soutien émotionnel, cela contribue à son sentiment de justice au travail. Or selon Thierry Nadisic, Professeur de comportement organisationnel à l’EM Lyon, ce sentiment de justice interpersonnelle au travail est essentiel au bien-être et à la qualité de vie au travail de chacun. Par conséquent les travaux scientifiques convergent : l’intelligence émotionnelle contribue à un leadership efficace et à la qualité de vie au travail de chacun. Son utilité n’est donc pas seulement individuelle mais aussi organisationnelle.
Pour conclure, je souhaite rappeler ces éléments : l’intelligence émotionnelle connaît une forte publicité dans la presse ou par les livres sur le développement personnel. Pourtant les formations pour les managers visant le développement du leadership ne s’occupent encore que rarement de cette dimension des compétences émotionnelles. De la même façon, les démarches de qualité de vie au travail préfèrent souvent s’attacher à l’amélioration des conditions de travail ou à la promotion des émotions traitées de façon superficielle (via par exemple les événements festifs) mais bien moins sur les questions du leadership ou de justice organisationnelle qui s’appuient pourtant sur des compétences émotionnelles. Ne serait-il donc pas temps de retourner aux fondamentaux du management, notamment au travers des questions des compétences et du leadership émotionnels, pour améliorer la performance et la qualité de vie au travail et cela y compris dans les établissements de santé ?
Article rédigé à partir d’une publication de mon blog managérial
Nous remercions vivement Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR, Harvard Business Review, classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde, pour partager son expertise professionnelle en proposant ses publications mensuelles, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteure
Docteur Sciences de Gestion – Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. [Blog Managérial : carpentierblogrh.wordpress.com ]. Créatrice de l’entreprise DR.RH&CO pour les dirigeants et leurs managers. Membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale HBR Harvard Business Review Membre des associations de recherche: – Institut International d’Audit Social (IAS) depuis 2004; Membre du Conseil Scientifique et du Bureau Elargi dès février 2009. – Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH) depuis 2004.
Experte en management des ressources humaines conciliée depuis 1998 avec la sociologie, la psychologie et les avancées du marketing B2B et des technologies. Titulaire d’un DEA (Master Recherche) de gestion socio-économique des entreprises et organisations et diplômée d’une Ecole Supérieure de Commerce (Master 2).
Activité d’enseignante-chercheure dans différents établissements d’enseignement supérieur français: ESC Saint Etienne, IAE de Lyon, CNAM Saint Etienne et IRUP Saint-Etienne, Faculté de Droit (Université Lyon 3), ESDES (Université Catholique de Lyon) et EM Lyon.
Consultante RH (statut libéral / statut SAS) dans les entreprises privées (PME-PMI / grands groupes), les associations et les organisations publiques. Contribution à des projets scientifiques portant sur les questions de management de la santé et de la qualité de vie au travail.
[Intervention de Stéphanie CARPENTIER]
jeudi 7 octobre 2021, à partir de 18h30
Forum 104,
104 rue de Vaugirard, 75006 Paris
Ont collaboré à la rédaction de cet ouvrage :
Jérôme BALLARIN, Laurence BARANSKI, Stéphanie CARPENTIER, Laurent CHATEAU, Jean-Luc CHRISTIN, Marie DAVIENNE-KANNI, Muriel de FABRÈGUES, Miguel DELATTRE, Carole DRUCKER-GODARD, Hervé ESSA, Anne-Marguerite FERREIRA, Xavier GARCIA-WEIBEL, Éric GAUTIER, Mathilde GOLLETY, Marie HOLM, Ilda Ilse ILAMA, Sophie IZOARD-ALLAUX, Franck JAOTOMBO, Guila Clara KESSOUS, Laurent LEDOUX, Quentin LEFEBVRE, Bernard LEMAIRE, Mouloud MADOUN, Richard J. MAJOR, Mohamed MAKKAOUI, Patricia MARTIN, Elisabeth MARTINI, Patrick MATHIEU, Sandrine MEYFRET, Andrea MICHEAUX, Stefka MIHAYLOVA-MARBURGER , Pierre MONIZ-BARRETO, Patricia NIGLIS, Florent PASQUIER, Stéphane PRADINES, Nicolas PRAQUIN, Miora RANAIVOARINOSY, Damien RICHARD, Michaël ROUX, Michèlle SCHITTER, Omer TAKI, Faviola TAPOYO, Aymeric THON-ADJALIN.
Résumé de l’ouvrage
L’équipe d’auteurs, réunissant chercheurs, professionnels et praticiens œuvrant principalement au sein du Lab Management et Spiritualité, développe dans cet ouvrage des réflexions autour du leadership spirituel, dans le prolongement de l’ouvrage Diriger avec son âme : leadership et spiritualité, publié en 2014.
L’objectif est que la diffusion de leurs travaux de recherche auprès du public favorise le déploiement du management spirituel dans les entreprises et les organisations publiques.
Ce livre permet ainsi d’accéder à un certain nombre de pratiques pour tous ceux qui aspirent à développer leur leadership et contribuer positivement à un développement durable des organisations ainsi qu’à une mise en perspective théorique sur de nombreux sujets au niveau des individus, des groupes et des organisations. Il s’adresse tant à des dirigeants et managers qu’à des enseignants chercheurs et étudiants de niveau Master ou doctorants.
La conviction de tous les auteurs, même si elle est éclairée par une prudence indispensable étayée dans l’ouvrage, est que le leadership spirituel constitue la voie attendue et prometteuse, procurant de multiples bienfaits pour les individus, les équipes et les organisations.
Ouvrage de référence à paraître le 04 Octobre 2021 avec de nombreux experts-auteurs de ManagerSante.com
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.