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Déserts médicaux : tous concernés ? Olivier BABINET et Corinne ISNARD BAGNIS nous font partager leur vision (Partie 1/2)

Article rédigé par le Docteur Olivier BABINET (expert en transformation des organisations sanitaires et e-santé, il a dirigé et conseillé hôpitaux, cliniques, services d’hospitalisation à domicile et centres de santé), et le Professeur Corinne ISNARD BAGNIS (praticien hospitalier en néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeur de néphrologie à Sorbonne Université, elle est l’auteure du 1er MOOC européen sur les maladies rénales).

Ils ont co-écrit un premier ouvrage « La e-santé en question(s) » publié chez Hygée Editions (mars 2020).. 

Cet article est proposé à l’occasion de la publication de leur nouvel ouvrage intitulé

« Les déserts médicaux en question(s) » publié chez Hygée Editions (mars 2021).

Partie 1 : LES DESERTS MEDICAUX GEOGRAPHIQUES

Mai 2021

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Dans l’imaginaire collectif, le désert médical, une étendue de terre inhabitée, c’est la ruralité à perte de vue, des villages dépeuplés, sans écoles, sans services publics et quelques habitants obligés de s’exiler pour être soignés…

Or, la réalité est tout autre : au-delà de territoires dépourvus d’offre sanitaire, les déserts médicaux sont partout, de la périnatalité à la dépendance, en santé mentale, dans les maladies rares, au cœur de la crise sanitaire…

La discordance entre besoin et offre en santé est ici retenue comme l’expression d’un désert médical.

Ce concept de « déserts médicaux » doit être absolument modernisé pour faciliter l’émergence de solutions. Trouveront-elles leur source dans les nouvelles technologies ? Dans la prévention, le digital ou l’humanisation des soins ? Notre ouvrage « Les déserts médicaux en question(s) » se propose de revisiter totalement un thème éculé, pour lui donner l’opportunité de redevenir un sujet d’actualité, dont chacun, dans la santé, est responsable.

QU’EST‑CE QU’UN DESERT MEDICAL GEOGRAPHIQUE ?

Le désert médical géographique s’étend

 Faute de médecins, et plus largement de professionnels de santé, le « désert médical » n’en finit pas de s’étendre avec plus de 11 300 communes concernées, soit une commune sur trois[1]. En 2018, les territoires sous‑dotés en médecins généralistes concernaient près de 6 % de la population, soit environ 3,8 millions de Français[2].

L’Île-de-France, premier désert médical en France, après les territoires ultramarins

A rebours des idées reçues, dans la région la plus riche et la plus peuplée du pays, de nombreuses communes manquent de médecins. En moins de dix ans, l’Île-de-France est devenue le « premier désert médical de France », en perdant 19 % de ses médecins généralistes. Quand on sait que 48 % des médecins libéraux franciliens ont plus de 60 ans, les choses ne vont pas s’arranger à court terme…

Toutefois, si l’on élargit la zone géographique, les territoires ultramarins affichent des chiffres encore plus préoccupants : Mayotte est le plus grand désert médical français avec une densité médicale vingt fois plus faible que dans l’Hexagone, la présence de médecins généralistes dans trois des quatre départements et régions d’outre‑mer (DROM) – la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane – est très inférieure à la moyenne nationale.

Par ailleurs, des inégalités persistent à l’intérieur d’un même territoire en raison de son étendue ou de l’isolement, comme en Polynésie française avec ses 138 îles, en Nouvelle‑Calédonie, à Wallis‑et‑Futuna et à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon.

Une notion plus large que la ruralité

L’expression de « désert médical géographique » ne s’applique pas seulement à certaines zones rurales mais également à des quartiers urbains « sensibles », dits « quartiers prioritaires de la ville » (QPV).

L’expression de « désert médical », qui désigne un accès très difficile aux soins englobe l’ensemble des professionnels de santé et pas seulement les médecins. La répartition déséquilibrée des médecins conditionne effectivement, du fait de leur pouvoir de prescription, l’installation d’autres professionnels comme, par exemple, les infirmiers libéraux. C’est en réalité le parcours de soins dans son intégralité qui est dégradé.

Un indicateur clé : l’accessibilité potentielle localisée (APL)

L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL) désigne le nombre de consultations par an et par habitant et permet de rendre compte de l’accessibilité de la population aux médecins généralistes.

L’APL est un indicateur d’adéquation territoriale entre l’offre et la demande de soins de ville. Il permet de mesurer à la fois la proximité et la disponibilité des professionnels de santé. Un APL < 2,5 indique une zone où l’offre de soins est insuffisante, un APL > 4 caractérise une zone bien dotée en offre de soins.

Ainsi, en 2018, les Français ont eu accès, en moyenne, à 3,93 consultations par an par habitant (C/an/hab.) chez un médecin généraliste, libéral ou salarié d’un centre de santé, exerçant dans une commune à moins de 20 minutes en voiture de leur lieu de résidence[3].

Impacts des déserts médicaux géographiques sur la prise en charge des patients

Les déserts médicaux géographiques créent de multiples situations critiques dans la prise en charge des patients : impossibilité de s’inscrire auprès d’un nouveau médecin traitant (un médecin traitant sur deux refuse de prendre de nouveaux patients[4] et 20 % des Français n’ont pas de médecin traitant), délais d’attente interminables pour obtenir un rendez-vous (en particulier dans des spécialités comme l’ophtalmologie, la dermatologie, la cardiologie, la rhumatologie et la gynécologie), un nombre de passages aux urgences qui explose,  un désert à la fois médical et médico-social à l’origine d’inégalités d’accès aux soins.

Pourquoi des déserts médicaux géographiques ?

Notre système de santé doit s’adapter à un effet ciseau : une demande de santé en hausse et une offre de soins en baisse.

Une demande de santé en hausse

La demande de santé est croissante en raison de plusieurs phénomènes sanitaires, sociaux et populationnels : des maladies chroniques liées au vieillissement et de nombreuses maladies dégénératives chroniques, des Français plus nombreux, plus âgés et polypathologiques, un mouvement d’urbanisation qui s’observe depuis la Seconde Guerre mondiale se poursuit (en contrepartie, de plus en plus de territoires seront délaissés).

Une offre de soins en baisse

Les variations de la démographie médicale sont en partie dépendantes de celles du numerus clausus à l’entrée des études médicales.

Mais, pour autant, y-a-t-il vraiment de moins en moins de médecins en France ? En 2018, près de 227 000 médecins sont en activité (45% de médecins généralistes et 55% de spécialistes), soit 10 000 de plus sur 5 ans. Toutefois, cette croissance du nombre de médecins sur la période est à nuancer. En effet, le nombre de spécialistes, qu’ils soient libéraux ou salariés, a effectivement augmenté (respectivement de + 2,4 % et + 13,9 %). Mais, dans le même temps, le nombre de généralistes libéraux a, lui, légèrement diminué (– 2 %)[5].

En fait, ce manque de médecins est principalement dû à des disparités entre territoires qui n’ont jamais été aussi fortes : les effectifs de médecins n’ont cessé de diminuer dans les territoires les moins pourvus et ont continué d’augmenter dans ceux dont la densité médicale dépassait déjà la moyenne nationale.

Cette disparité territoriale est liée en partie à de nouvelles tendances dans le mode d’exercice : un exercice groupé et salariat, une profession qui se féminise, une utilisation non optimale des ressources médicales rares,…

Enfin, l’attractivité d’un territoire et la qualité de vie sont des critères de choix importants pour les professionnels de santé, en particulier les jeunes médecins. Rares sont les métiers de sacerdoce ou de sacrifice qui résistent à ces transformations de la société dans laquelle la vie ne se résume plus à une activité professionnelle.

LES REPONSES DE L’ÉTAT AUX DESERTS MEDICAUX GEOGRAPHIQUES

Au‑delà des incitations financières aux résultats plus que mitigés, une multitude de dispositifs a porté sur l’amélioration de la démographie médicale, l’optimisation du temps médical et le renforcement du maillage de l’offre de santé dans le cadre des dernières mesures phares du plan « Ma santé 2022 » qui vont dans le bon sens pour pallier les déserts médicaux.

Amélioration de la démographie médicale

S’agissant de la démographie, le numerus clausus a été supprimé à la rentrée 2020. Dorénavant, le recrutement des étudiants se fait de façon progressive au cours du premier cycle et à partir de cursus diversifiés.

Sur le papier, cela devrait permettre un accroissement de 20 % des effectifs des médecins formés modulo quelques détails : les effets de cette hausse ne se manifesteront que dans une dizaine d’années, rien ne dit qu’elle profitera à la formation des généralistes, il n’est pas certain que l’augmentation prévue sera suffisante pour faire face à la fois à la demande de santé en hausse progressive et à la baisse du temps médical disponible. Enfin, compte tenu de la liberté d’installation et des différences d’attractivité entre territoires, l’augmentation du quota de médecins formés ne garantit pas nécessairement de nouvelles installations dans les zones sous‑denses.

Le plan Ma Santé 2022 prévoyait de recruter, à brève échéance, 400 médecins généralistes à exercice partagé ville‑hôpital dans des territoires fragiles, afin de pallier le manque de médecins dans ces déserts médicaux. Mais, contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, l’exercice mixte n’est pas forcément si attractif pour les médecins. Peu de candidats se sont manifestés.

Enfin, la liberté d’installation des médecins libéraux, est un sujet régulièrement invoqué dans le débat public mais systématiquement remis sous le boisseau…

Optimisation du temps médical

La principale piste crédible et rapide à mettre en œuvre pour compenser la présence insuffisante du corps des médecins sur un territoire est la délégation de compétences. Elle consiste à confier aux autres professionnels du soin – qui eux montrent une démographie positive – des tâches qui sont normalement dévolues aux seuls médecins.

Cette ouverture peut d’ores et déjà se prévaloir de belles réussites : le protocole de coopération entre ophtalmologistes et orthoptistes (voire opticiens), le suivi global de patients chroniques par les infirmières dans le cadre de l’Association de santé libérale en équipe (ASALEE), les infirmiers en pratique avancée (IPA), la délégation de compétences entre le radiologue et le manipulateur d’électroradiologie médicale ou encore le statut de « pharmacien correspondant » qui lui confie le suivi et l’ajustement du traitement de patients chroniques.

Il est également prévu la création de 4000 postes d’assistants médicaux qui devait libérer du temps médical pour les praticiens, en les déchargeant de tâches administratives et de coordination, mais aussi de certaines tâches « pré-médicales » : prise de tension, pesée, mesure de taille, mise à jour du dossier du patient concernant les dépistages, …

Un maillage renforcé

Le renforcement du maillage de l’offre de santé repose principalement sur le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dont l’enjeu est double : structurer l’offre de soins de proximité et favoriser des prises en charge coordonnées et pluriprofessionnelles sur les territoires. Il est prévu que 1 000 CPTS maillent le territoire national à l’horizon 2022…

Par ailleurs, en 2020, les premiers « hôpitaux de proximité » sont labellisés, avec l’objectif de reconnaître 500 à 600 établissements à terme. Ils assureront des missions hospitalières de proximité pour les soins du quotidien : médecine polyvalente, soins aux personnes âgées, soins de suite et de réadaptation, consultations de spécialités, consultations non pro‑ grammées, et devront disposer d’un plateau technique de biologie et d’imagerie, d’équipes mobiles et d’équipements en télémédecine. Les hôpitaux de proximité devraient accroître l’attractivité des territoires concernés.

LES REPONSES DES COLLECTIVITES AUX DESERTS MEDICAUX GEOGRAPHIQUES

Au même titre que la crise sanitaire qui a révélé le nécessaire et indispensable rôle de proximité et de coordination joué au quotidien par les élus locaux, qui ont montré bien plus d’agilité et de souplesse que l’État dans les réponses apportées, les déserts médicaux sont devenus un sujet de premier plan pour les collectivités territoriales (communes, départements et régions).

Des terrains de stage

Les multiples incitations financières auprès des étudiants en médecine se sont avérées totalement inefficaces aussi bien au niveau national qu’au niveau des territoires pour résorber les déserts médicaux. Ces aides n’ont fait que créer des effets d’aubaine ici ou là, auprès d’étudiants qui avaient de toute façon prévu de s’installer dans la région, avec ou sans cette aide.

Afin d’améliorer l’attractivité du territoire, de multiplier les stages de médecine générale, et donc à terme d’y favoriser l’installation de nouveaux médecins généralistes, des départements ont établi des conventions avec les universités permettant de financer la formation de maîtres de stage universitaire (MSU).

Enfin, une loi récente[6] offre un contexte favorable : les étudiants de 3e cycle des études de médecine générale et d’autres spécialités de premier recours doivent désormais effectuer un stage d’au moins six mois en ambulatoire dans une zone sous‑dotée.

Les maisons de santé pluriprofessionnelles

Les structures pluriprofessionnelles peuvent être les centres de santé, les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) de création plus récente ou les pôles de santé libéraux dans lesquels les professionnels travaillent en réseau.

Depuis quelques années, les pouvoirs publics ont encouragé le développement des MSP, souvent considérées, à tort ou à raison, comme une solution à privilégier dans le cadre de la lutte contre les déserts médicaux. Les subventions mixtes des communes, conseils départementaux et ARS ont permis une croissance exponentielle des MSP : alors qu’elles n’étaient qu’une vingtaine en 2008, on en recense actuellement environ un millier.

En théorie, un réseau de MSP est un réel appui à l’installation de professionnels de santé dans les territoires ruraux et urbains présentant un déficit d’attractivité. Mais compte tenu des difficultés à attirer des professionnels de santé libéraux, la MSP ne survit pas toujours au départ à la retraite des praticiens qui étaient eux‑mêmes à l’origine du projet.

Une offre de santé itinérante

Dans les zones prioritaires qui manquent de structures de santé, l’option de l’itinérance a été développée par certaines collectivités territoriales avec un bus de la Protection maternelle et infantile (PMI) et un cabinet médical mobile.

En effet, il n’est objectivement pas réaliste de croire que nous pourrons créer des lieux de santé dans chaque commune de France.

Les autres réponses des collectivités

Face aux déserts médicaux, la politique innovante de soutien à l’offre de santé repose sur différentes initiatives des collectivités territoriales. Celles que l’on a décrit et d’autres encore comme le « Généraliste Dating » ou le recrutement de médecins titulaires d’un diplôme étranger.

Mais, de plus en plus, les territoires entrent en concurrence pour attirer les professionnels de santé, avec le risque d’aggraver les inégalités. En une sorte de course à la surenchère entre les territoires, c’est à qui déroulera le plus grand tapis rouge pour attirer des candidats…

Le destin de ces initiatives est variable. Certaines solutionnent en partie le manque de professionnels de santé, mais elles peuvent également échouer.

La télésanté, autre outil dont les collectivités peuvent s’emparer, peut alors venir compléter l’arsenal thérapeutique de cette maladie endémique : la désertification médicale.

LA TELESANTE, UNE REPONSE AUX DESERTS MEDICAUX GEOGRAPHIQUES

La télésanté suscite bien des espoirs, à commencer par celui d’apporter une part de la solution aux déserts médicaux géographiques qui progressent chaque année. Elle peut indiscutablement faciliter l’accès aux soins des patients en manque de médecin traitant ou autre professionnel de santé, réduire les délais pour un rendez‑vous chez un médecin généraliste ou un spécialiste, désengorger les urgences embolisées par les soins de santé primaires non programmés qui y viennent à tort.

Tous les feux sont au vert

Les principes fondamentaux qui guident la télémédecine, et plus largement la télésanté, sont décrits dans notre précédent ouvrage[7].

Mais nous pouvons rappeler, qu’en première lecture, tous les feux sont au vert pour la télésanté dans les déserts médicaux aussi bien du côté des patients qui plébiscitent ce mode de consultation que du côté des professionnels de santé : les praticiens s’ouvrent à la télémédecine ; les pharmaciens d’officine, infirmiers et autres professionnels de santé sont dans les starting-blocks pour assister les patients en difficulté, voire pratiquer le télésoin ; la technologie numérique permet de réaliser des téléconsultations de qualité et sécurisées, depuis le 15 septembre 2018, les téléconsultations sont prises en charge par l’Assurance maladie.

Les modèles de déploiement de la téléconsultation dans les déserts médicaux géographiques

Un modèle de déploiement d’une téléconsultation « simple »

Le modèle du patient autonome ayant besoin d’une téléconsultation simple médecin/patient ou Business to Consumer (BtoC) est le cas le plus simple : le patient réalise une téléconsultation avec un professionnel de santé, assis sur son canapé ou au bureau entre deux réunions. N’ayant besoin d’aucune assistance pour un relevé de constantes biologiques (tension, poids, température, etc.), pour une pathologie mineure ou un renouvellement d’ordonnance, il n’a pas à se rendre dans un lieu d’accueil particulier pour réaliser la téléconsultation.

Pour trouver un médecin, le patient n’a que l’embarras du choix parmi l’offre pléthorique de plateformes privées et publiques de téléconsultation BtoC qui lui sont proposées.

Un modèle de déploiement d’une téléconsultation « assistée »

Le deuxième cas est celui de la téléconsultation en ambulatoire nécessitant l’accueil du patient par un télé‑assistant pour une prise de constantes avec des dispositifs médicaux connectés (stéthoscope, tensiomètre, électrocardiogramme, oxymètre, otoscope, dermato‑ scope, etc.). Ce modèle médecin/télé‑assistant/patient ou Business to Business to Consumer (BtoBtoC) nécessite que la téléconsultation se réalise dans un lieu dédié du territoire sous‑dense où exerce le télé‑assistant (infirmier, pharmacien, orthoptiste…).

Pour le déploiement de ce modèle dans des lieux d’accueil (étiquetés santé ou non) des territoires prioritaires, les collectivités territoriales – communes, départements et régions– ont un rôle majeur dans la structuration et le financement du dispositif de télé‑assistance. La prise en charge insuffisante de ces évolutions par l’Assurance maladie limite les candidats à la télésanté avec télé‑assistance, modèle pourtant abouti de la téléconsultation.

Pourquoi la téléconsultation n’émerge-t-elle pas dans les déserts médicaux géographiques ?

Le cas du patient qui dispose d’un médecin traitant alternant consultations en présentiel et téléconsultations

En théorie, c’est le cas le plus légitime : le médecin traitant du patient alterne consultations en présentiel (au cabinet, à domicile ou en établissement) et téléconsultations pour maintenir un lien étroit avec son patient.

Mais le bon sens invite à se questionner : s’il n’y a plus de médecin ou plus de médecin disponible pour des consultations en présentiel sur un territoire sous‑dense, comment des médecins traitants apparaîtraient‑ils par miracle sur ce même territoire ou seraient‑ils soudainement disponibles pour prendre en charge de nouveaux patients en téléconsultation qu’ils ne peuvent pas prendre en charge en présentiel ?

Le cas des patients ne disposant pas de médecin traitant

Dans cette hypothèse, le patient devra se rapprocher d’une organisation territoriale de soins. En clair, il faut que le médecin téléconsultant, qu’il soit médecin traitant ou non, travaille également à côté du lieu de vie du patient.

Le cas du médecin traitant ou non qui ne pratique pas la téléconsultation

Dans cette hypothèse, la téléconsultation dans le cadre du parcours de soins n’est pas d’un grand secours.

Le cas de la téléconsultation hors parcours de soins

Le dernier cas de figure est la téléconsultation programmée ou non, dite « ponctuelle » ou « hors parcours», qui suscite de plus en plus d’intérêt chez ceux de nos concitoyens qui sont habitués à vivre dans l’immédiateté.

Or, à ce jour, les textes s’opposent à ce qu’une téléconsultation soit réalisée par une plateforme nationale, estimant qu’il y aurait une rupture avec le médecin traitant, coordonnateur du parcours de soins.

Résultat : les plateformes de télémédecine s’organisent pour rentrer dans les clous. Cela les amène à créer des centres de santé dans les territoires cibles pour s’aligner sur la législation actuelle.

Même si tous les feux sont au vert, le déploiement de la télésanté risque de demeurer très balbutiant dans les déserts médicaux si on s’en tient, sans distinguo, au carcan réglementaire actuel.

L’épidémie de Covid-19 va-t-elle rebattre les cartes de la télésanté ?

Alors qu’elle avait du mal à décoller, la téléconsultation est soudain devenue une alternative incontournable en pleine crise sanitaire. On passe d’une situation chargée de multiples freins à un contexte riche de multiples opportunités, quitte à transgresser les normes actuelles jugées « intangibles».

Comme cela a été fait pendant la période d’urgence sanitaire, on peut espérer un assouplissement des règles qui limitent actuellement le développement de la téléconsultation dans les déserts médicaux.

A priori, les téléconsultations seront autorisées en dehors du territoire du patient pour des besoins de soins légitimes réalisés par des médecins spécialistes (hors médecine générale). Mais le remboursement des actes de téléconsultation et télé‑expertise par la CNAM devrait avoir un seuil maximal à hauteur de 20 % de l’activité annuelle par médecin. Et le médecin qui effectue la télé‑expertise (médecin requis) serait limité à deux actes par an et par patient.

Pourquoi fixer ces limites alors que nous venons de vivre une crise sanitaire sans précédent qui a vu enfin les professionnels de santé se lancer dans la télémédecine ? Pourquoi ces injonctions contradictoires ?

Même si chacun est en droit d’attendre de notre système de santé qu’il procure un accès simple et rapide à des soins de qualité, le chemin est encore long pour que la télémédecine prenne, en particulier pour les déserts médicaux, toute sa dimension étymologique : la télémédecine, c’est la pratique de la médecine à distance, à toute distance.

Pour aller plus loin

[1] Etude réalisée par le géographe de la santé Emmanuel Vigneron pour Le Monde : « La France des déserts médicaux », Le Monde, 30 mars 2017.

[2] Études & Résultats, n° 1144, février 2020

[3] Ibid

[4] Voir UFC‑Que Choisir, « Enquête auprès des médecins généralistes », 21 novembre 2019, www.quechoisir.org.

[5] Études & Résultats, n° 1061, mai 2018

[6] Loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (article 2).

[7] Olivier Babinet, Corinne Isnard Bagnis, La e-santé en question(s), Hygée Éditions, 2020

Nous tenons à remercier chaleureusement le Docteur Olivier BABINET (expert en transformation des organisations sanitaires et e-santé, il a dirigé et conseillé hôpitaux, cliniques, services d’hospitalisation à domicile et centres de santé), et le Professeur Corinne ISNARD BAGNIS (praticien hospitalier en néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeur de néphrologie à Sorbonne Université, elle est l’auteure du 1er MOOC européen sur les maladies rénales) pour partager leur expertise pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie des auteurs :

Dr Olivier Babinet est expert en transformation des organisations sanitaires et en e-santé. Directeur de la santé du Conseil départemental des Yvelines, il a dirigé et conseillé hôpitaux, cliniques, services d’hospitalisation à domicile et centres de santé. Il a également piloté de nombreux projets de santé publique auprès des ministères de la santé en Afrique, Amérique latine et Asie pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les bailleurs de fonds internationaux.
Pr Corinne Isnard Bagnis est praticien hospitalier en néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeur de néphrologie à Sorbonne Université. Elle a créé le 1er MOOC européen sur les maladies rénales. Elle a reçu le Prix IDS de l’Académie de Médecine pour ses programmes d’aide aux patients et est membre du groupe de travail bi-académique « Intelligence artificielle et santé » de l’Académie de Médecine.
Ils sont co-auteurs de deux ouvrages publiés aux éditions Hygée intitulés « La e-santé en question(s) » et « Les déserts médicaux en question(s) ».

[LEURS DERNIERES PUBLICATIONS]

Résumé de l'ouvrage :

Une vision inspirante des déserts médicaux
Près de 4 millions de Français concernés…
En 2018, les territoires sous‐dotés en médecins généralistes concernaient près de 6 % de la population, soit environ 3,8 millions de Français. Dans l’imaginaire collectif, le désert médical, une étendue de terre inhabitée, c’est la ruralité à perte de vue, des villages dépeuplés, sans écoles, sans services publics et quelques habitants obligés de s’exiler pour être soignés…
Une réalité toute autre
Mais, au-delà de territoires dépourvus d’offre sanitaire, les déserts médicaux sont partout, de la périnatalité à la dépendance, en santé mentale, dans les maladies rares, au cœur de la crise sanitaire…
La discordance entre besoin et offre en santé est ici retenue comme l’expression d’un désert médical.
Des solutions existantes mais difficiles à installer
Comment notre société peut-elle laisser s’installer, parfois à son insu, ces déserts médicaux ? Comment la pandémie a-t-elle pu aggraver encore la situation et quelles leçons en tirer ? Pourquoi les solutions, dont la e-santé, ont-elles tant de mal à émerger ?
En 10 questions simples et directes, ce livre propose un panorama et une nouvelle vision des déserts médicaux qui intéressera les collectivités, professionnels de santé et toute personne curieuse de la question des inégalités de santé.

Résumé de l'ouvrage :

Les promesses d’une révolution sanitaire et sociale
Une course à l’innovation
Télémédecine, dossier médical partagé, hôpital numérique, objets connectés, Big Data, intelligence artificielle… La e-santé ou santé numérique va bouleverser nos usages en santé au gré d’une course à l’innovation menée par les géants de la Tech et d’innombrables start-up.
Des espoirs et des inquiétudes
La révolution numérique fait espérer une médecine plus personnalisée, plus efficace, plus rapide, plus partagée, plus intégrative. Mais cette révolution annoncée soulève des questions : la relation soignant-patient risque-t-elle de se déshumaniser ? Quelles vont être les conséquences pour les métiers de la santé ? La numérisation des données patients menace-t-elle notre vie privée ? Sommes-nous à l’aube d’une ubérisation de la santé ?
Une synthèse de l’actualité de la e-santé
En 10 questions, cet ouvrage analyse l’actualité bouillonnante de la e-santé et permet de mieux comprendre toute la portée des initiatives et nouveautés dans ce domaine devenu priorité nationale.
 
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