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Que penser des mesures d’isolement et de contention des personnes âgées en cas de trouble psychique ? Anne-Laure FABAS aborde cette problématique (Partie 3/3)


N°4, Mars 2021


Cet article a été rédigé par notre nouvelle experte, Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN (PhD) qui est Docteure en Droit et Maître de Conférence à l’Université Toulouse Capitole. Elle est membre du Conseil d’Administration de l’association Géronto 82 et membre de l’Académie des Juristes Tarnais (le Cercle Fermat-Lapeyrouse). Elle a publié en 2015, un ouvrage issu de sa thèse doctorale intitulé « L’obligation de soins en droit privé » aux Editions de l’Institut Fédératif de Recherche.

Relire la 2ème partie de cet article.

La crise sanitaire a encore révélé la situation des personnes âgées placées en unités protégées. Ici encore les restrictions aux libertés sont importantes quoique justifiées par la nécessité de la mesure.

La nécessité de la mesure.

Si l’ensemble des résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ont été confinés en chambre, d’autres et notamment ceux atteints de maladies neurodégénératives, de troubles psychiatriques, ils ont été contraints d’être placés en unités protégées. Ici, les restrictions de liberté sont davantage marquées et ont justifié de mesures de protection qui seront effectives dès 2021. Du reste, si l’on s’en tient aux dispositions de l’article L. 1110-5 du CSP, « les actes de prévention, d’investigation, de traitements et de soins ne doivent pas (…) lui faire courir de risque disproportionné par rapport au bénéfice escompté ». Se pose ainsi la question de la proportionnalité de la mesure d’isolement et de contention. Pour tenter de démêler l’écheveau, il convient de revenir aux textes. A cet égard, le confinement en chambre pour soins psychiatriques doit toujours être commandé par un médecin psychiatre et, notamment, pour « prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui » conformément aux dispositions de l’article L. 3222-5-1 du CSP. En effet, selon le texte, l’isolement et la contention sont « des pratiques de dernier recours ». Pour cette raison, ces mesures d’isolement prévues par l’article L. 3222-5-1 du CSP tel qu’issu de la loi du 26 janvier 2016[1] doivent être prévues pour une durée limitée, être nécessaires en l’absence d’alternatives et prise sur décision d’un médecin psychiatre. Est-ce toujours le cas ?

La nécessité de motiver la mesure.

Dans le cadre des mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie, l’urgence a conduit à placer des personnes âgées à l’isolement sans que ne soit établi de certificat médical motivant expressément la nécessité de cette mesure. Du reste, ces mesures d’isolement et de contention échappent totalement au contrôle du juge des libertés et de la détention puisqu’il s’agit de soins. Quelques précisions doivent être apportées. En effet, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 7 novembre 2019[2] que le contrôle du juge judiciaire ne pouvait porter sur le bien-fondé d’une mesure d’isolement. A ce titre, il apparaît que le juge judiciaire doive se borner à apprécier la seule procédure et sa régularité. Le juge n’étant pas médecin, le caractère médical des mesures doit l’emporter. Toutefois, une telle conception revient à prendre, sans contrôle de l’autorité judiciaire gardienne des libertés, des mesures liberticides. Il s’ensuit que tant l’isolement que la contention réduisent à néant la possibilité d’action de la personne qui y est contrainte.

Une mesure contrôlée par le juge judiciaire.

Pour ces raisons, les mesures d’isolement et de contention ont récemment fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation. La question portait sur le point de savoir si cet article L. 3222-5 du CSP était conforme à la Constitution et notamment son article 66. Le Conseil constitutionnel[3] ainsi saisi, a jugé que les dispositions de l’article précité n’étaient pas conformes à la Constitution car elles avaient un caractère privatif de libertés. A cet égard, c’est tout le contenu du texte qui est censuré si bien que le texte a été abrogé au 31 décembre 2020. Les atteintes à la liberté d’aller et de venir n’échappent donc plus au contrôle du juge judiciaire dès lors qu’il est question de mesures d’isolement et de contention en cas de troubles psychiatriques. Pour s’en tenir aux mesures d’isolement et de contention, c’est le Conseil constitutionnel qui, à défaut de définition donnée par le législateur, a été amené à préciser ce qu’il convenait d’entendre. Il a ainsi précisé que « l’isolement consiste à placer la personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à l’immobiliser »[4]. Il convient de saluer le contrôle du juge judiciaire sur ces mesures qui a vraisemblablement été encouragé par la crise sanitaire.

Bouleversements et enseignements.

Chaque crise constitue un bouleversement de sorte que l’on en retire toujours des enseignements sociétaux majeurs. De par son ampleur, cette crise sanitaire ne fera surement pas exception. Au-delà des restrictions des libertés, la pandémie aura mis en lumière à la fois les difficultés du système hospitalier mais encore la situation des personnes âgées. Plus encore, elle interroge sur la place de ces dernières dans notre société. Si au lendemain de la canicule de 2003 différentes mesures ont vu le jour, qu’en sera-t-il au sortir de la crise actuelle ? Suite à la canicule, la population a pris conscience du sort des personnes âgées. Mais, en dépit de quelques initiatives[5], le manque de personnel dans les EHPAD, la difficile coordination des actions des acteurs du secteur et l’augmentation du nombre de résidents n’ont pas permis de résoudre les problèmes déjà soulevés il y a dix-sept ans. En 2018, quelques années après l’adoption de la loi du 28 décembre 2015 portant adaptation de la société au vieillissement, le rapport LIBAULT laisse de nouveau augurer un avenir paisible pour les personnes âgées.

Toutefois, la loi grand âge et autonomie dont le rapport précité constituait un préalable, a encore été reportée. Mais cela pourrait constituer une chance pour qui se voudrait optimiste ! En effet, l’isolement des personnes âgées que la crise a révélé ou exacerbé, sera surement désormais au cœur des préoccupations du législateur.


Pour aller plus loin :

[1] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

[2] Cass., 1ère civ., 7 novembre 2019, n°19-18262

[3] Cons. Constit., décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020.

[4] Considérant n° 4, Cons. Constit., décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020.

[5] Dispositif MONALISA : Mobilisation nationale de lutte contre l’isolement des âgés.


Nous remercions vivement Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN (PhD), Docteure en Droit et Maître de Conférence à l’Université Toulouse Capitole, membre du Conseil d’Administration de l’association Géronto 82 et membre de l’Académie des Juristes Tarnais (le Cercle Fermat-Lapeyrouse).

Elle propose de partager son expertise juridique pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com


Biographie de l’auteure : 

Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN (PhD) est Docteure en Droit et Maître de Conférence à l’Université Toulouse Capitole.Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN porte un intérêt croissant aux questions de santé, notamment celles relatives au vieillissement de la population et plus précisément à la prise en charge des personnes âgées. Elle a soutenu sa thèse en 2013 sur « L’obligation de soins en droit privé ».

Par ailleurs, Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN est membre du Conseil d’Administration de l’association Géronto 82 qui oeuvre au maintien à domicile des personnes âgées dépendantes. Elle est également membre de l’Académie des Juristes Tarnais (le Cercle Fermat-Lapeyrouse).

Elle a publié en 2015, un ouvrage issu de sa thèse doctorale intitulé L’obligation de soins en droit privé » aux Editions de l’Institut Fédératif de Recherche..Son engagement se traduit par des interventions lors des Colloques et propose régulièrement des publications d’articles juridiques et des commentaires d’arrêts.

Un projet de publication d’un nouvel ouvrage (en cours de rédaction) portera sur le thème du vieillissement autour du droit des séniors.Passionnée par le droit et l’enseignement, Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN rejoint le groupe d’experts de ManagerSante.com pour partager son expertise, à travers la publication d’articles.


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Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN (PhD)

Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN est Maître de Conférence à l'Institut Universitaire de Technologie de Rodez. Elle est Docteure en Droit privé et spécialisée sur le Droit des contrats, contrats spéciaux, le droit des personnes et de la famille, la responsabilité civile, le dommage corporel, le droit médical, l'éthique, et le droit des personnes vulnérables. Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN porte un intérêt croissant aux questions de santé, notamment celles relatives au vieillissement de la population et plus précisément à la prise en charge des personnes âgées. Elle a soutenu sa thèse en 2013 sur « L’obligation de soins en droit privé ». Par ailleurs, Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN est membre du Conseil d’Administration de l'association Géronto 82 qui oeuvre au maintien à domicile des personnes âgées dépendantes. Elle est également membre de l'Académie des Juristes Tarnais (le Cercle Fermat-Lapeyrouse). Elle a publié en 2015, un ouvrage issu de sa thèse doctorale intitulé "L'obligation de soins en droit privé" aux Editions de l'Institut Fédératif de Recherche. Son engagement se traduit par des interventions lors des Colloques et propose régulièrement des publications d'articles juridiques et des commentaires d'arrêts. Un projet de publication d'un nouvel ouvrage (en cours de rédaction) portera sur le thème du vieillissement autour du droit des séniors. Passionnée par le droit et l'enseignement, Anne-Laure FABAS-SERLOOTEN rejoint le groupe d'experts de ManagerSante.com pour partager son expertise, à travers la publication d'articles.

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