Article rédigé par notre experte, Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD
Co-auteure de l’ouvrage « Santé & Management » (Juillet 2021), sous la direction de Jean-Michel HUET et d’Arlette PETITJEAN.
N°05, Avril 2023
Un nouveau profil de patient est apparu au cours du XXème siècle[1], comme acteur de sa santé et de son parcours de soin, évoluant progressivement au XXIème siècle comme auteur de ses soins ou ceux des autres ou dans le domaine de la recherche.
C’est ainsi que se sont développés des termes divers pour caractériser ce nouveau profil de patient : Usager citoyen, patient ressource, patient expert, patient partenaire, reflétant paradoxalement la difficulté à donner sens commun à cette nouvelle place du patient. D’où l’intérêt d’étudier les expériences vécues par le patient, ´le patient expert ou partenaire et le soignant
Pour autant, cette évolution qui fait encore débat n’appelle-t-elle pas à de nouveaux développements majeurs et encore latents
Expérience patient
Elle résulte de mon vécu en tant que patient atteint par des maladies chroniques, ainsi que de l’écoute d’autres patients et de mes lectures sur le sujet.
Le patient atteint de maladies chroniques est d’abord confronté au deuil de son ancienne vie soit qu’il pensait que prévention, bonne nutrition et sport suffisaient à le maintenir en bonne santé, soit que son bon état général ne faisait pas partie de ses préoccupations prioritaires.
Ensuite, il prend conscience que malgré l’attention que peuvent lui porter ses proches ou des soignants, c’est lui qui vit et qui ressent 24/24, le plus intimement, cette agression qui impacte son corps et son esprit. Il a donc le temps d’observer et de s’observer et ainsi de mieux comprendre les effets de la maladie et des traitements.
Commence alors l’entrée du patient dans un parcours de soins, pas toujours à la hauteur de ses attentes en termes de soins, d’accompagnement, d’écoute.
C’est d’abord le diagnostic qui se fait parfois tardif. Le patient, de ce fait, se retrouve affublé de maladies psychosomatiques ou pire d’être hypochondriaque. Il lutte ainsi entre culpabilité et angoisse, d’autant qu’il doit faire face à la segmentation de la prise en charge entre plusieurs spécialistes sans concertation entre eux y compris dans les établissements hospitaliers qui sont sensés disposer du dossier médical partagé.
La deuxième difficulté est celle du traitement, un traitement au long cours, le plus souvent qui nécessite parfois des dosages minutieux et dont il faut s’assurer l’accessibilité[2]. Il faut ajouter l’observance des traitements aux prises avec la lassitude, l’oubli, la peur d’exprimer son ressenti, au grand agacement du praticien qui y voit parfois de la remise cause. « Est-ce simplement mon imaginaire qui peut me pousser à écarter un traitement qui évite la dégradation de mon état ou une intuition qui peut répondre aux besoins de mon corps ? »[3].
Le vécu au quotidien professionnel, familial, social devient un challenge permanent et souvent solitaire, quel que soit l’attention portée par la famille ou les amis ou les soignants car on est seul à ressentir sa maladie, ses symptômes que l’on a parfois du mal à exprimer. On ne veut pas peser sur son entourage. Le soignant n’a pas toujours le temps nécessaire ni les mots trop scientifiques. Et parfois, il ne sait tout simplement pas répondre. Certaines maladies ou symptômes sont tabous dans notre société. On en ressent de la honte[4]. Enfin, la complexité des prises en charge juridiques, économiques vient alourdir ce quotidien.
Le rapport à son corps est également problématique. On n’est plus qu’un corps faible qui semble vous devenir hostile, qui plus est segmenté et manipulé comme une chose et non plus un être humain compris dans sa globalité a la fois sur le plan physique mais aussi mental et émotionnel.
Enfin, il faut souligner l’angoisse désormais de devoir aller à l’hôpital, source de contamination, source de stress en raison de l’information virale suivant laquelle l’hôpital « s’effondre », alors même qu’en pleine épidémie majeure, et sans l’apport de moyens déployés par ma santé 2022 et autres textes législatifs, nous étions sur les balcons en train de l’applaudir pour sa réactivité, sa compétence, sa compassion, bref « le fort » envers et contre tout.
Face à ces difficultés plusieurs profils de patient se dessinent de façon synthétique :
- Le patient passif qui préfère se laisser entièrement guider par le soignant par peur ou lassitude. En général il préfère ne pas trop en savoir sur sa maladie
- Le patient passif-agressif : c’est celui qui dit oui tout en pensant non. Difficile de savoir précisément ce qu’il comprend, le suivi de ses traitements.
- Le patient actif qui s’informe à la fois auprès du soignant mais aussi d’autres sources comme internet, parle de sa maladie et souhaite que le soignant prenne en compte ses observations. Il est prêt aussi à devenir personne ressource auprès des soignants ou de ses pairs.
On voit bien la difficulté d’adapter les soins et l’accompagnement à tous les profils, d’autant qu’un patient peut passer d’un profil à un autre au gré des fluctuations de son état de santé. Qui plus est chaque patient est unique quant à son parcours de vie, son éducation, sa capacité à s’informer, à prendre des décisions etc…
Dans ce contexte, que peut apporter le patient expert ou partenaire ? qui est-il ? Comment se positionne le médecin ?
Le patient expert
Éric BALEZ[5], patient expert, vice-président de l’Association AFA[6]. Gravement malade depuis l’âge de 14 ans, M. Balez a d’abord été un patient passif qui ne voulait rien entendre de sa maladie, puis un patient expert pour lui-même qui apprend à se prendre en charge pour améliorer son quotidien de malade à la fois sur le plan des soins, de la fatigue, de la douleur, la vie professionnelle, ses activités sportives, les réponses apportées par les professionnels soignant étant insuffisantes. Il est enfin devenu patient expert en 2008 lorsque l’AFA lui a demandé d’intervenir pour témoigner à l’occasion d’une journée nationale des MICI et qu’il a vérifié la force positive que pouvait avoir le vécu d’un patient auprès d’autres patients.
Il a fait partie des premiers patients experts en éducation thérapeutique[7]. A ce titre, il a bénéficié d’une formation à l’éducation thérapeutique de 40h suivie en commun par les professionnels de santé et les patients experts. Il est coordinateur national des programmes d’éducation thérapeutique dans les MICI, patient partenaire du CI3P[8]. Il est également responsable de la plateforme « MICI Connect » qui a pour objectifs d’informer de façon pédagogique, d’accompagner et d’apporter un soutien basé sur l’entraide et l’autosupport aux malades et leurs proches. La plateforme donne aussi la possibilité de participer à des recherches observationnelles.
Pour M. Balez, le patient expert a l’expertise du « vivre avec » qui est tout aussi importante que l’expertise du soignant. Il doit avoir pris du recul par rapport à sa maladie et son propre vécu. D’où l’importance d’avoir suivi au préalable une formation sur plusieurs jours afin de valider ses connaissances sur la maladie, d’approfondir sa capacité d’écoute et d’acquérir des techniques d’accueil et d’animation de groupe. Ce que propose l’AFA et le CI3P ; Il est très important que ces formations se fasse en binôme entre patient expert et professionnel de santé afin de mieux se comprendre mutuellement.
Les difficultés rencontrées dans cette fonction de patient d’expert, selon M. Balez portent sur plusieurs points :
- La difficulté pour les patients experts de participer à la co-construction des programmes de soins, les soignants exprimant notamment la gêne de parler devant des patients experts des difficultés qu’ils rencontrent, discréditant ainsi leur rôle qu’ils estiment devoir être « supérieur » à celui du patient.
- L’absence de formation des soignants sur l’expertise expérientielle.
- La confusion entre éducation à la santé et éducation thérapeutique qui nécessite une plus grande mise en responsabilité du patient
- Lors des ateliers d’éducation thérapeutique, les patients experts sont plutôt inscrits sur des problématiques sociales, alors qu’ils devraient plutôt pouvoir participer à tous les ateliers où ils peuvent être utiles.
- La prise en compte par le monde médical de certaines médecines complémentaires est encore très insuffisante. Celles-ci peuvent cependant soulager. Le patient aurait besoin d’être accompagné dans leur utilisation pour éviter les dérives.
- L’absence de statut donné au patient expert et en particulier l’impérieuse nécessité de sa formation, laisse la voie libre à des titres de patient expert immérités. Par ailleurs, se pose aussi la question de la prise en charge des déplacements des patients experts. Ceux-ci sont rarement pris en charge par les établissements. Le poids des dépenses relatives au dispositif des patients experts pèse lourd dans le budget des associations
Les évolutions perceptibles par M. Balez sont les suivantes :
- Le patient expert évolue plutôt vers la notion de partenaire, à l’instar du modèle canadien[9]. Ce qui évite de froisser les médecins et correspond mieux à la démarche attendue de co-construction du parcours de soins entre professionnels et patients experts, mais aussi en matière de formation, de recherche.
- L’inscription dans les formations initiales des professionnels de santé de la démarche de co-construction en santé a commencé et devrait se développer (exemple des ECOS[10]). De même l’ouverture de ces formations sur le psychosocial serait une avancée.
Le praticien voit son monde se transformer profondément
Le colloque singulier est mis à mal par la collégialité croissante des décisions médicales[11], le développement d’Internet et des réseaux sociaux vient concurrencer le pouvoir d’information jusqu’alors détenu par le seul médecin.
Le rapport au corps[12] connait une nouvelle dynamique. La prépondérance du corps réel qui devient ainsi le lieu privilégié de l’épanouissement des désirs…Les limites sont repoussées à l’extrême et la mort ne fait plus partie de la vie…L’importance est donnée à des réponses immédiates et rapides, à des désirs assouvis, à des rêves à court terme et surtout …réalisés. L’exigence d’efficacité, d’actes posés et de résultats objectivés, devient la règle d’or et envahit tous les secteurs : médicaux, éducatifs, politiques ».
L’augmentation des maladies chroniques met plus l’accent sur le vécu du patient au quotidien, nécessitant la coordination des interventions entre soignants d’une part et soignants et non soignants d’autre part.
La judiciarisation de la relation thérapeutique, l’affirmation dans les textes législatifs des droits des patients[13] notamment à l’information, à l’évaluation des soins qui leur sont prodigues, fragilisent le praticien.
L’informatisation des cabinets, l’accroissement des normes imposées par l’assurance maladie alourdissent le travail du praticien. Le paiement à l’acte, socle du colloque singulier, incite à la productivité, n’est pas adapté à la prise en charge des maladies chroniques et de la prévention.[14] Tout ceci vient réduire le temps consacré au patient.
Viennent s’ajouter le développement exponentiel et rapide des connaissances dans le domaine médical ainsi que les nouveaux profils de patients, qui exigeraient une triple compétence biomédicale, psychologique et pédagogique qu’il faudrait en outre entretenir en permanence.
Il en résulte une situation très déstabilisante pour le praticien qui doit faire face à un changement de paradigme dans les pratiques médicales et les évolutions sociétales, remettant en cause non pas sa légitimité mais l’acceptabilité et la crédibilité de cette légitimité[15] .
En résumé
Le profil du patient change inéluctablement tant par le type de pathologie que par le comportement qu’il observe en tant que patient. Dans le même temps les professionnels de santé, surtout en établissement s’adaptent. Plus ou moins à ces nouveaux profils, tandis que le secteur libéral reste encore à la marge. Le système de santé tente par petites touches de prendre en compte ces évolutions. Les enjeux sont pourtant importants d’autant que d’ores et déjà se profilent des perspectives nouvelles.
C’est ce que nous verrons dans la 2ème partie de cet article.
Je remercie chaleureusement M. Balez pour son témoignage très riche en tant que patient expert et saluer son dévouement total au sein de l’AFA pour rendre accessible au plus grand nombre l’éducation thérapeutique.
C’est aussi l’occasion de souligner l’action majeure de toutes ces associations de patients dont l’AFA non seulement dans leur accompagnement et soutien mais aussi pour faire évoluer la qualité du système de santé.
Pour aller plus loin :
[1] Lié dans un premier temps aux mouvements féministes, de liberté pour l’avortement ou de lutte contre le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) qui ont contesté le pouvoir médical et le système de santé juge bourgeois et inégalitaire et défendu les droits des malades ou des femmes à plus d’autonomie et aussi à une exigence de maîtrise de son corps par rapport au pouvoir médical.
[2] En termes de coût (le dépassement d’honoraires est parfois conséquent et faiblement pris en charge par les mutuelles, certains médicaments sont très coûteux) et en termes d’approvisionnement dans les pharmacies : cf. l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé sur la disponibilité des produits de santé, ou encore l’affaire du Levothyrox
[3] Citation dont j’ai perdu l’auteur mais qui me parait tellement juste que j’ai souhaité la mentionner malgré tout. Si l’auteur se reconnait qu’il n’hésite pas à se faire connaître.
[4] Programme AFA sur les toilettes qui vise à faciliter l’accès aux toilettes dans les commerces et restaurants, lors de leurs déplacements.
[5] M. Balez a été ingénieur de production dans la chimie de l’eau. Il a écrit notamment un livre de témoignage en collaboration avec Hélène Bloch, Patient expert : mon témoignage face à la maladie chronique, éditions Odile jacob
[6] L’AFA Crohn RCH France est une « association nationale d’utilité publique, dédiée au soutien et à l’accompagnement des personnes malades de Crohn et de rectocolite (RCH) et leurs proches. Acteur majeur de la recherche sur les MICI (maladies inflammatoires chroniques de l’intestin)….l’AFA est engagée pour promouvoir et défendre les droits des malades auprès des décideurs politiques et de santé et sensibilise le grand public sur ces pathologies et leurs impacts au quotidien.
[7] La loi « Hôpital, Patient, santé et territoire » ( HPST) du 29 juillet 2009 a posé les cadres de l’éducation thérapeutique et a contribué à l’essor de ce profil de patient. l’article L.1161-1 qui stipule : « L’éducation thérapeutique s’inscrit dans le parcours de soins du patient. Elle a pour objectif de rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitements prescrits et en améliorant sa qualité́ de vie.
[8] Centre d’innovation du partenariat avec les patients et le public « créé fin 2019 au sein du département d’enseignement et de recherche de médecine générale à la faculté de médecine au sein de l’école universitaire de recherche écosystèmes des sciences de la santé de l’Université Côte d’azur. Sa mission est de participer au développement du partenariat de soin avec le patient selon une approche systémique : dans l’enseignement, les milieux de soin et la recherche avec la participation de patients et de proches, avec des citoyens, par la mobilisation de patients partenaires socialisant leurs savoirs de la vie avec la maladie. Une approche aujourd’hui totalement intégrée dans la politique de recherche de l’Université Côte d’Azur.
[9] Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public créé à l’initiative de l’Université de Montréal : « le partenariat est une relation de collaboration égalitaire entre les partenaires tels que les patients, les membres du public, les cliniciens, les chercheurs et les décideurs. Elle repose sur la reconnaissance mutuelle de la complémentarité des savoirs, qu’ils soient scientifiques ou expérientiels ».
[10] Les examens cliniques à objectif standardisé, résultant de la loi santé 2022 sont une nouvelle modalité d’évaluation des étudiants en médecine, à laquelle participent des patients partenaires. La faculté de médecine de l’Université de Côte d’Azur a mis en place ses premiers ECOS formatifs du 3 au 5 mai 2021
[11] Selon Louis Portes, alors président du Conseil national de l’Ordre des médecins, il constituait la rencontre d’une « confiance et d’une conscience ». dans le cadre d’une relation où le médecin est celui qui « sait » face à un patient qui lui fait confiance
[12] Denis Grabot, Le corps, reflet d’une société en changement, sous la direction de Catherine Potel Baranes, Être psychomotricien 2010
[13] Loi n°2002-303 du 4 mars 2002, loi n°2016-41du 26 janvier 2016 sur la modernisation de notre système de santé, loi n°2016_87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, loi n°2022-217 du 21 février 2022 etc..
[14] Rapport de la mission Arnaud remis le 29 janvier 2019, chargé de réfléchir à des modalités alternatives de rémunération des professionnels de santé et des établissements.
[15] L’émergence du patient expert : une perturbation innovante, fabienne Boudier, Faouzi Bensebaa, Adrienne Jablanczy dans innovations 2012/3 (n°39) page 20
N’hésitez pas à partager cet article
Nous remercions vivement Florence TANTIN, Directrice d’Hôpital honoraire, Auteure, Executive MBA, NEOMA Business School, Coach certifiée professionnelle et personnelle MHD, pour partager son expertise auprès de nos fidèles lecteurs de notre plateforme média digitale d’influence et de référence ManagerSante.com.