Article rédigé par le Docteur Olivier BABINET (expert en transformation des organisations sanitaires et e-santé, il a dirigé et conseillé hôpitaux, cliniques, services d’hospitalisation à domicile et centres de santé), et le Professeur Corinne ISNARD BAGNIS (praticien hospitalier en néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeur de néphrologie à Sorbonne Université, elle est l’auteure du 1er MOOC européen sur les maladies rénales).
Ils ont co-écrit un premier ouvrage « La e-santé en question(s) » publié chez Hygée Editions (mars 2020)..
Cet article est proposé à l’occasion de la publication de leur nouvel ouvrage intitulé
« Les déserts médicaux en question(s) » publié chez Hygée Editions (mars 2021).
Partie 2 : DES DESERTS MEDICAUX PARTOUT !
Juin 2021
Dans l’imaginaire collectif, le désert médical, une étendue de terre inhabitée, c’est la ruralité à perte de vue, des villages dépeuplés, sans écoles, sans services publics et quelques habitants obligés de s’exiler pour être soignés…
Or, la réalité est tout autre : au-delà de territoires dépourvus d’offre sanitaire, les déserts médicaux sont partout, de la périnatalité à la dépendance, en santé mentale, dans les maladies rares, au cœur de la crise sanitaire…
La discordance entre besoin et offre en santé est ici retenue comme l’expression d’un désert médical.
Ce concept de « déserts médicaux » doit être absolument modernisé pour faciliter l’émergence de solutions. Trouveront-elles leur source dans les nouvelles technologies ? Dans la prévention, le digital ou l’humanisation des soins? Notre ouvrage « Les déserts médicaux en question(s) » se propose de revisiter totalement un thème éculé, pour lui donner l’opportunité de redevenir un sujet d’actualité, dont chacun, dans la santé, est responsable.
UNE CRISE SANITAIRE GENERE UN DESERT MEDICAL
Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés dans un immense désert médical : ruptures d’approvisionnements, tensions sur les capacités hospitalières et les équipes soignantes, dégâts collatéraux sur la prise en charge des autres malades, manque de vaccins et de traitement… Comme toutes les crises sanitaires, celle du Covid‑19 a été soudaine, aiguë et inattendue.
Les hôpitaux frappés de plein fouet par l’épidémie
Notre incurie à stopper l’épidémie en amont va avoir des conséquences dramatiques sur l’organisation des soins : interventions déprogrammées dans les hôpitaux, les unités de soins intensifs transformées pour le temps de la pandémie en salle de réanimation, hôpital militaire de campagne installé, patients transférés d’une région à l’autre, coopérations défaillantes (ville-hôpital, public-privé, Etat-associations de patients), tensions sur les approvisionnements d’équipements de protection individuelle (EPI), les respirateurs et une dizaine de molécules essentielles en réanimation (dont des hypnotiques et des curares), équipes soignantes mobilisées mais totalement désorganisées.
Le coronavirus, un broyeur de lien social
Les situations catastrophiques ont été révélées dans les EHPAD dont le personnel et les résidents étaient contaminés quand l’établissement, dans la situation d’incertitude profonde qui a caractérisé la crise, a réagi trop tardivement. De plus, n’isoler que les symptomatiques était une erreur.
Mais les EHPAD vont vivre un autre drame au cours du premier confinement : les visites sont interdites, sans qu’un contact familial, au moins virtuel, ne soit mis en place simultanément.
Dans les services de réanimation, à chaque marée montante du Covid‑19, il y a eu un effet « triage », par lequel l’intérêt collectif l’a emporté sur l’intérêt individuel. Il fallait garder des lits pour ne pas sombrer dans la saturation.
Des patients en fin de vie meurent du Covid‑19 sans autorisation de visite, sans enfants, sans petits‑ enfants. Une situation qui est sanitairement compréhensible mais humainement insupportable. Des fins de vie volées…
Le renoncement aux soins
Sidéré, non préparé et aveuglé par l’ampleur de l’épidémie, le système de santé a concentré ses efforts sur la Covid au détriment des autres pathologies, qui n’ont pas disparu pour autant.
L’épidémie a eu un impact direct sur l’activité en médecine libérale, au ralenti et parfois à l’arrêt. Entre janvier et avril 2020, le nombre de consultations a chuté de 44 % chez les généralistes et même de 71 % chez les spécialistes.
Cette situation des « patients invisibles » a un impact catastrophique sur toutes les prises en charge : la mortalité des patients atteints de cancer bondit, les admissions pour infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral ont diminué, les interventions chirurgicales sont déprogrammées (dont les transplantations d’organes), les diagnostics de diabète de type 1 sont reportés avec plus de complications du fait du délai de prise en charge, la prise en charge de la douleur chronique est rendue difficile, le parcours de soins des femmes enceintes désorganisé, l’enfance handicapée s’est retrouvée sans solution,
Les masques
Quand, en période épidémique, un patient arrive en réanimation, on peut admettre que c’est un échec au stade de la prévention, avec son cortège d’éléments matériels et immatériels.
Le masque, en particulier pour la population et les professionnels de santé de ville, cache la petite histoire à l’intérieur de la grande histoire de l’épidémie de Covid‑19.
En France, dans un contexte d’incertitude profonde sur la maladie, une mauvaise gestion des stocks de masques a conduit notre pays à se désarmer face à un risque de pandémie.
Le triptyque « tester, tracer, isoler »
En plus de la carence en masques, l’insuffisance des capacités de tests virologiques a été la deuxième faille majeure dans la lutte contre la propagation de l’épidémie Covid‑19.
Malgré les recommandations de l’OMS, la France tarde à procéder à un dépistage massif : on manque de réactifs, d’écouvillons et de bras. Pour réduire les délais des tests, la liste des professionnels autorisés à tester est élargie, des priorités sont finalement définies et les autorités sanitaires donnent leur feu vert aux tests antigéniques rapides et aux tests salivaires, en complément des tests de référence RT‑PCR par prélèvement nasopharyngé pour diagnostiquer la Covid‑19. La France revient de loin…
Le contact tracing s’organise : si le test de dépistage de la Covid 19 s’avère positif, les « brigades de traçage » de l’Assurance maladie se mettent en marche. Mais l’engorgement à tous les niveaux va remettre en cause l’efficacité du système.
Enfin, l’isolement des Covid+, qui est clé dans la rupture de la chaine de contamination, restera parcellaire, exception faite de deux moments : au début de l’épidémie pour les personnes revenant de Wuhan en Chine et depuis le 25 avril 2021 pour celles revenant de quelques pays à forte incidence et source de variants complexes.
La campagne de vaccination
Les vaccins sont l’une des plus grandes réalisations de l’humanité. Alors que nous devrions vivre une sortie de crise enthousiasmante face à l’épidémie qui perdure avec plus de 2 millions de morts dans le monde, un désastre économique, social et psychologique, et que des variants du virus présentent un risque élevé, la campagne de vaccination, lancée le 27 décembre 2020, démarre bien plus lentement en France que dans les autres pays.
La France va finalement changer de braquet : accélération du calendrier de vaccination, simplification du consentement, création de plusieurs centaines de centres de vaccination, implication des professionnels de santé de ville et des élus locaux, augmentation des capacités de production de vaccins dans l’Union européenne… Un défi colossal et inédit !
LE MANQUE DE PREVENTION ET D’EDUCATION A LA SANTE
La prévention n’est pas qu’une affaire de moyens. La terrible crise sanitaire que nous traversons est un formidable révélateur du contraire : c’est infiniment plus un ethos, un mode de vie, une manière de se comporter, un état d’esprit, une culture, une dimension altruiste, une valeur éthique au sens premier du terme.
Eu égard à l’ampleur des approches possibles du sujet, nous avons fait le choix de centrer notre propos sur les structures de prévention de la petite enfance et la santé au travail, en passant par la santé scolaire. Toutes trois sont de vieilles dames, créées à la Libération, et jalonnent notre existence depuis plus de 75 ans ; elles ne dépendent pas du ministère de la santé, et font l’objet de problématiques particulièrement préoccupantes, à tel point qu’elles sont assimilables à des déserts médicaux en puissance.
La Protection maternelle et infantile (PMI) en souffrance
La contribution indiscutable de la PMI à la santé publique
Lors de sa création, la PMI, acteur de prévention sanitaire et sociale qui s’adresse aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 6 ans, avait pour objectif de lutter contre la mortalité infantile. Au fil des ans, les publics les plus vulnérables, qui, sans cela, n’auraient pas accès à une offre minimale de soins, en sont devenus les usagers principaux.
Les consultations préventives en PMI, réalisées par les médecins, sages‑femmes et infirmières puéricultrices qui officient dans un centre de PMI, dans un bus PMI itinérant, lors d’une visite à domicile, ou à l’occasion des bilans de santé en école maternelle, constituent leur cœur de métier.
La PMI en voie d’extinction dans dix ans ?
Quelle pourrait être la cause de l’extinction d’un tel service ? L’alourdissement des missions dévolues à la PMI au fil des ans, sans que ses moyens ne soient renforcés en conséquence : activités d’agrément et de contrôle des modes d’accueil de la petite enfance, réponses à une demande sociale croissante. Toutes ces missions consomment un temps considérable des professionnels de la PMI au détriment de l’activité sanitaire en direction des publics fragiles.
Que faire réellement face à ce désert médical annoncé de la petite enfance ?
En réalité, il semble nécessaire de ne pas attendre tout de l’État providence, comme le préconise un récent rapport parlementaire[1]. Le grand soir n’aura pas lieu !
En revanche, il est possible de généraliser des solutions rapides et efficaces que certains conseils départementaux ont déjà expérimentées : recentrer les missions PMI sur l’activité sanitaire, regrouper les centres, généraliser les bus PMI en rural, déléguer des actes aux infirmières puéricultrices (en particulier les vaccinations), déployer la télésanté.
Les difficultés endémiques de la santé scolaire
La vocation de la santé scolaire
La santé scolaire est, comme la PMI, un dispositif crucial en raison des objectifs de dépistage obligatoires qui concernent toute une génération, notamment lors de la sixième et la douzième année des enfants scolarisés.
Le constat est accablant
La santé scolaire n’est pas au rendez-vous : moins d’un enfant sur cinq bénéficie de la visite de la sixième année de l’enfant par les médecins scolaires, alors qu’elle est déterminante au début des apprentissages scolaires et qu’elle est en principe universelle (à savoir que chaque enfant y a droit). Le bilan infirmier de la douzième année a progressé mais n’est réalisé que pour 62 % de l’ensemble des élèves.
Pourquoi ? Au-delà de la litanie sur le manque de ressources, à contre‑courant du bon sens et de toutes les organisations sanitaires, le cloisonnement a été consacré comme un principe d’organisation de la politique de dépistage : depuis l’arrêté du 3 novembre 2015, la visite médicale de la sixième année relève du seul médecin tandis que les seuls infirmiers sont chargés du bilan de la douzième année.
Que faire face à ce désert endémique de la santé scolaire ?
Dans un récent rapport au vitriol[1], la Cour des comptes recommande avant tout d’unifier le service de médecine scolaire et de revoir les méthodes de travail.
Au-delà, il serait possible de mettre en place d’autres solutions rapides et efficaces immédiatement : déléguer aux conseils départementaux la suite de la prise en charge, en particulier pour la visite médicale de la sixième année, déléguer aux infirmières des actes aujourd’hui réalisés par des médecins, mettre en place la télésanté au sein des infirmeries des collèges et lycées avec ou non l’assistance d’une infirmière.
La médecine du travail au XXIe siècle
Une médecine de prévention en entreprise
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à investir dans la santé de leurs salariés, convaincues que des salariés en forme grâce à un investissement conséquent et réfléchi sur l’humain font une entreprise performante.
Au‑delà de l’enjeu économique, l’entreprise est aussi le plus sûr moyen de toucher de façon certaine et systématique les 15 millions de salariés français.
Les maux dont souffre la médecine du travail
Notre système de santé au travail est jugé décourageant, car il assimile santé au travail avec contrainte, voire sanction : sanction pour l’employeur qui n’a pas satisfait à l’obligation d’organiser une visite médicale ou n’a pas réalisé son évaluation des risques ; sanction aussi pour le salarié, lorsque l’inaptitude est prononcée, susceptible de l’exclure de l’emploi.
Le système pâtit essentiellement de son immobilisme. Son histoire s’arrête net en 1946. Pourtant, le monde du travail des années 2020 n’a plus rien à voir avec celui de l’après‑guerre !
Une nécessaire révolution
Un premier pas a été fait : la visite médicale d’embauche obligatoire a disparu depuis le 1er janvier 2017, remplacée par une « visite d’information et de prévention », dans les trois mois suivant la prise de poste. Avec plus de cinq ans de recul, on peut confirmer que cette piste a libéré du temps médical consacré au pré‑ alable à des visites majoritairement inutiles.
Une proposition de loi pour réformer la santé au travail a été déposée fin décembre 2020 pour examen par le Parlement au premier semestre 2021. Elle repose sur de grands principes issus de la perception de notre système de santé au travail par les acteurs de terrain : décloisonner santé publique et santé au travail, développer la télémédecine et de la télé‑expertise, recourir à des médecins praticiens correspondants…
DES FAILLES DANS LA PRISE EN CHARGE DE LA DEPENDANCE
Un accroissement significatif du nombre de personnes âgées dépendantes d’ici 2050
Du fait de la démographie, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie va inéluctablement s’accroître même si les progrès de la médecine, les efforts de prévention et l’amélioration des conditions de vie peuvent contribuer à faire diminuer les taux de prévalence.
Les seniors en perte d’autonomie, aujourd’hui près de 2,5 millions de personnes, vont augmenter de plus de 60 % d’ici une trentaine d’années. En 2050, la France pourrait compter 4 millions[3] de personnes de plus de 60 ans en perte de capacités physiques ou cognitives.
L’accompagnement à domicile pâtit d’un manque de coordination
La prévention de la perte d’autonomie implique d’agir au stade de la fragilité, lorsque la situation est réversible.
Or, la prévention de la perte d’autonomie en France est trop éloignée des gold standards internationaux ; l’offre de prévention n’est pas identifiée, alors que les Français plébiscitent le maintien à domicile, le système actuel génère trop souvent de dramatiques ruptures de prise en charge entre le domicile, la médecine de ville, l’hôpital et l’EHPAD.
La coordination des acteurs sociaux, sanitaires et médico‑sociaux autour de la personne est indispensable à la fluidité des parcours et à la simplification des démarches.
Repenser le modèle de l’EHPAD
L’EHPAD est un établissement dans lequel l’organisation de l’offre de soin actuelle n’est plus en lien avec le besoin des patients polypathologiques complexes.
Répondre aux exigences contemporaines suppose de repenser totalement le modèle de l’EHPAD. Il faut que les établissements pour personnes âgées s’ouvrent vers l’extérieur, offrent des services à la population de leur bassin de vie, s’intègrent mieux aux structures d’accompagnement et de soin à domicile, et aux établissements de santé.
Les ruptures de parcours de l’hospitalisation en établissement de santé
L’entrée par les urgences pour une personne âgée est toujours traumatisante. Au cœur de la logique « parcours » se situe le souci d’éviter l’hospitalisation et les passages par les urgences. La responsabilité relève en première intention des structures de soins primaires. Cette anticipation doit être co‑construite avec l’hôpital.
La télésanté – en particulier la téléconsultation et la télésurveillance, à domicile comme en institution – peut être d’un grand secours pour prévenir les hospitalisations et les passages aux urgences évitables.
LA MAUVAISE PRISE EN CHARGE SOMATIQUE DES MALADES MENTAUX
Surmortalité des personnes vivant avec des troubles psychiques
La surmortalité des personnes vivant avec des maladies psychiques a longtemps été ignorée, du fait de préjugés, de méconnaissance ou de difficultés de repérage.
Le constat est sans appel. Selon l’OMS, il y aurait 8 millions de morts prématurées dans le monde liées aux troubles psychiatriques. Des études ont montré que la première cause de mort des personnes vivant avec des troubles psychiques est naturelle, loin devant les suicides, les accidents et les homicides. Ainsi, par rapport à la population générale, l’espérance de vie des personnes vivant avec des troubles psychiques est écourtée de dix à vingt ans et leur taux de mortalité est trois à cinq fois supérieur (OMS, 2015)[4].
Quels sont les obstacles à l’accès aux soins somatiques ?
Les difficultés d’accès à une prise en charge somatique des personnes vivant avec des troubles psy‑ chiques s’expliquent par de nombreux facteurs, liés aux troubles psychiques eux‑mêmes, mais aussi et surtout à la stigmatisation des patients et à l’organisation du système de soins : des troubles psychiques qui cachent les troubles somatiques, des préjugés persistants chez les soignants, l’erreur d’appréciation inconsciente chez les soignants qui peut conduire à de mauvais diagnostics, la stigmatisation des patients engendrée par l’étiquette « malade psy », une coordination parfois difficile entre soins somatiques et psychiatriques, un manque d’information des proches, l’isolement induit par la sectorisation de la psychiatrie, une prévention insuffisante,…
Une évolution nécessaire de la prise en charge somatique des malades mentaux
Grâce à l’action conjuguée des associations de patients et de proches et des professionnels de santé (Fnapsy, Unafam, etc.), une prise de conscience de l’importance de prendre en compte la santé physique et la douleur des personnes vivant avec des troubles psychiques a été rendue possible.
Au-delà des décrets et recommandations de l’HAS sur l’évaluation (2015), il est surtout absolument nécessaire d’assurer une meilleure coordination du parcours de santé de la personne. Tout doit être mis en œuvre pour éviter la rupture de la continuité des soins somatiques et psychiques. Cela suppose de développer un travail en réseau avec tous les partenaires concernés.
LES MALADIES RARES, TELLEMENT RARES QU’ELLES SONT DANS UN DESERT ?
Les maladies rares ou maladies orphelines constituent une véritable nébuleuse de pathologies : myopathies, mucoviscidose, maladie des os de verre, sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot, syndrome de Lowe, etc.
La très grande majorité de ces maladies (au moins 80 %) a une origine génétique. Les autres sont plus rarement des maladies infectieuses ou des maladies auto‑immunes (traduisant une anomalie du système immunitaire). Enfin, l’origine de certaines maladies reste mystérieuse.
Une errance diagnostique préjudiciable
La méconnaissance des maladies rares est à l’origine même de l’errance diagnostique dont sont victimes des patients. En moyenne, 25 % des personnes atteintes d’une maladie rare attendent plus de cinq ans avant qu’un diagnostic ne soit posé[5].
Autant d’années d’incompréhension à ne pas savoir ce dont son enfant ou son proche souffre, à ne pas être bien orienté vers les professionnels compétents, à ne pas avoir accès à des soins adéquats, à une prise en charge et à une insertion sociale…
Vivre avec la maladie
Lors de l’annonce du diagnostic, il est souvent difficile de trouver des conseils ou de l’aide pour comprendre. Aujourd’hui il existe des bases d’information sur les maladies rares, notamment Orphanet. On y trouve non seulement les informations sur plus de 7 000 maladies rares, mais aussi les coordonnées des experts médicaux et plus de 220 associations de malades.
Il est important pour des parents d’accompagner leur enfant et de lui apprendre à vivre avec cette maladie. Mais, selon l’Observatoire des maladies rares, « les difficultés de coordination du parcours médicosocial sont principalement liées au manque de connaissance des maladies rares, à l’absence de dossier médical partagé (DMP) et à un manque de communication des spécialistes vers les autres professionnels ».
Depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la scolarisation dite « ordinaire », dans son établissement scolaire, est un droit pour tout enfant ou adolescent souffrant d’un handicap ou d’un trouble invalidant de la santé.
Des maladies orphelines de traitement dans 95 % des cas
Les maladies génétiques sont complexes et elles concernent souvent trop peu de personnes. Du fait de leur rareté, certaines maladies semblaient oubliées de la médecine et de la recherche.
C’est ainsi que l’Union européenne a mis en place des aides et des procédures pour favoriser la recherche sur ces maladies orphelines. Ainsi, d’importants progrès ont récemment été réalisés. Des avancées thérapeutiques (décodage du génome humain, thérapie génique, meilleur partage des connaissances…) et politiques ont ouvert de nouvelles perspectives de prise en charge des malades. Parallèlement, il faut saluer le travail quotidien des nombreuses associations de patients qui luttent pour mieux faire connaître la maladie auprès du grand public mais également des professionnels de santé, et faire avancer la recherche en participant aux essais thérapeutiques…
La structuration du champ des maladies rares : un exemple remarquable
Pour que les personnes concernées par une maladie rare puissent bénéficier de soins de qualité partout en France, le ministère de la santé a mis en place des centres de compétences, des centres de référence et des filières de maladies rares.
Cette structuration unique a aussi permis la concentration des données cliniques et biologiques indispensables pour la prise en charge, la prévention et la recherche. Elle a contribué à l’excellence nationale, dans les soins comme en recherche, et donné à la France un rôle de leader européen dans les maladies rares.
Le champ des maladies rares est ambivalent. D’un côté, c’est un exemple typique de désert médical, peu dépisté, objet d’errance diagnostique préjudiciable, et dont 95 % des malades n’ont pas de traitement curatif. D’un autre côté, sa structuration en centres de compétences, centres de références et filières de maladies rares est un modèle unique.
Ce concept imaginé pour les maladies rares pourrait être décliné à d’autres pathologies, qui touchent beaucoup plus de malades, mais sont totalement désorganisées laissant le malade isolé, et sans repère.
UN MELI‑MELO D’AUTRES DESERTS MEDICAUX
La thèse de la discordance entre besoin et offre en santé retenue dans notre ouvrage « Les déserts médicaux en question(s) » comme l’expression d’un désert médical ouvre le champ des possibles.
Au‑delà du désert médical géographique, nous avons découvert des déserts médicaux dans les crises sanitaires, la prévention, la dépendance, la santé mentale ou les maladies rares.
Si l’on prend un peu de recul, il y en a bien d’autres encore. Il y a bien sur le cas des expatriés et des personnes en situation géographique critique (le baroudeur, le professionnel sur une plateforme pétrolière, le « voileux », l’alpiniste, l’astronaute).
Mais il y a aussi l’inquiétante aggravation de pénurie de médicaments dits « d’intérêt thérapeutique majeur » (MITM), les temps d’attente aux urgences (en particulier pour les personnes âgées) qui doivent faire face à un nombre de passages (pour des soins primaires non programmés) qui explose depuis vingt ans, la non orientation d’un patient vers un service spécialisé où qu’il se trouve, les difficultés d’accès à l’offre en secteur 1, la déferlante de fake news en santé sur Internet…
La santé s’organise en France comme une multitude de parcours de soins dont certains sont à l’évidence moins efficaces que d’autres. S’assurer que tous, même en situation particulière, accèdent à des soins de qualité et adaptés à leurs besoins est une préoccupation qui vise à traquer ces multiples déserts médicaux.
Pour aller plus loin
[1] Michèle Peyron, Pour sauver la PMI, agissons maintenant !, rapport parlementaire, mars 2019.
[2] Cour des comptes, Les médecins et les personnels de santé scolaire, avril 2020.
[3] Etude de l’INSEE du 25 juillet 2019
[4] Feuille de route « Santé mentale et psychiatrie », 28 juin 2018.
[5] Conférence « International Rare Diseases Research Consortium » (IRDiRC), Paris, février 2017
Nous tenons à remercier chaleureusement le Docteur Olivier BABINET (expert en transformation des organisations sanitaires et e-santé, il a dirigé et conseillé hôpitaux, cliniques, services d’hospitalisation à domicile et centres de santé), et le Professeur Corinne ISNARD BAGNIS (praticien hospitalier en néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeur de néphrologie à Sorbonne Université, elle est l’auteure du 1er MOOC européen sur les maladies rénales) pour partager leur expertise pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie des auteurs :
Dr Olivier Babinet est expert en transformation des organisations sanitaires et en e-santé. Directeur de la santé du Conseil départemental des Yvelines, il a dirigé et conseillé hôpitaux, cliniques, services d’hospitalisation à domicile et centres de santé. Il a également piloté de nombreux projets de santé publique auprès des ministères de la santé en Afrique, Amérique latine et Asie pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et les bailleurs de fonds internationaux.
Pr Corinne Isnard Bagnis est praticien hospitalier en néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeur de néphrologie à Sorbonne Université. Elle a créé le 1er MOOC européen sur les maladies rénales. Elle a reçu le Prix IDS de l’Académie de Médecine pour ses programmes d’aide aux patients et est membre du groupe de travail bi-académique « Intelligence artificielle et santé » de l’Académie de Médecine.
Ils sont co-auteurs de deux ouvrages publiés aux éditions Hygée intitulés « La e-santé en question(s) » et « Les déserts médicaux en question(s) ».
Résumé de l'ouvrage :
Une vision inspirante des déserts médicaux
Près de 4 millions de Français concernés…
En 2018, les territoires sous‐dotés en médecins généralistes concernaient près de 6 % de la population, soit environ 3,8 millions de Français. Dans l’imaginaire collectif, le désert médical, une étendue de terre inhabitée, c’est la ruralité à perte de vue, des villages dépeuplés, sans écoles, sans services publics et quelques habitants obligés de s’exiler pour être soignés…
Une réalité toute autre
Mais, au-delà de territoires dépourvus d’offre sanitaire, les déserts médicaux sont partout, de la périnatalité à la dépendance, en santé mentale, dans les maladies rares, au cœur de la crise sanitaire…
La discordance entre besoin et offre en santé est ici retenue comme l’expression d’un désert médical.
Des solutions existantes mais difficiles à installer
Comment notre société peut-elle laisser s’installer, parfois à son insu, ces déserts médicaux ? Comment la pandémie a-t-elle pu aggraver encore la situation et quelles leçons en tirer ? Pourquoi les solutions, dont la e-santé, ont-elles tant de mal à émerger ?
En 10 questions simples et directes, ce livre propose un panorama et une nouvelle vision des déserts médicaux qui intéressera les collectivités, professionnels de santé et toute personne curieuse de la question des inégalités de santé.
Résumé de l'ouvrage :
Les promesses d’une révolution sanitaire et sociale
Une course à l’innovation
Télémédecine, dossier médical partagé, hôpital numérique, objets connectés, Big Data, intelligence artificielle… La e-santé ou santé numérique va bouleverser nos usages en santé au gré d’une course à l’innovation menée par les géants de la Tech et d’innombrables start-up.
Des espoirs et des inquiétudes
La révolution numérique fait espérer une médecine plus personnalisée, plus efficace, plus rapide, plus partagée, plus intégrative. Mais cette révolution annoncée soulève des questions : la relation soignant-patient risque-t-elle de se déshumaniser ? Quelles vont être les conséquences pour les métiers de la santé ? La numérisation des données patients menace-t-elle notre vie privée ? Sommes-nous à l’aube d’une ubérisation de la santé ?
Une synthèse de l’actualité de la e-santé
En 10 questions, cet ouvrage analyse l’actualité bouillonnante de la e-santé et permet de mieux comprendre toute la portée des initiatives et nouveautés dans ce domaine devenu priorité nationale.
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19 et est partenaire média des eJADES (ateliers gratuits)
initiées par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
en tant que partenaire média digital
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.