Article publié par notre expert en Neurosciences pour managersante.com, le Docteur Bernard ANSELEM, auteur de plusieurs ouvrages dont le dernier ouvrage co-publié le 5 Décembre 2019, « Les talents cachés de votre cerveau au travail« (aux Editions Eyrolles).
N°17, Novembre 2020
Les circonstances actuelles mettent nos nerfs à rude épreuve. Il nous faut gérer l’incertitude, l’anxiété sanitaire ou économique, pour soi et ses proches, les bouleversements administratifs incessants, les injonctions contradictoires, l’isolement pour les uns ou la cohabitation forcée pour les autres. Face à ces amoncellements d’émotions désagréables et d’anticipations incertaines, nous devons déployer des montagnes d’intelligence émotionnelle, de résistance aux difficultés et de capacités d’adaptation.
Une autre compétence peut nous apporter un bénéfice inestimable en période de crise : la qualité relationnelle, principale source de santé mentale et physique selon une multitude de travaux récents. Parmi les nombreuses pistes pour la cultiver, commençons par l’étape initiale incontournable, le rapport à soi. Impossible de s’ouvrir sereinement aux autres si nous ne sommes pas en paix avec nous-même. Une relation harmonieuse aux autres ne peut s’acquérir que par une force intérieure basée sur la connaissance et l’acceptation de soi. L’estime de soi et l’autocompassion nous apportent une aide salutaire.
NOTRE RELATION A L’AUTRE EST LE REFLET DE NOTRE RAPPORT A SOI
Voici quelques lignes rédigées en 2019 tirées de l’ouvrage « Les talents cachés de votre cerveau au travail » chapitre 5 « améliorer votre qualité relationnelle grâce au cerveau social », co-écrit avec Emmanuelle Joseph-Dailly
Comprendre notre cerveau social : un avantage de taille
Dans un monde fluctuant, hyperconnecté et incertain, ne négligeons pas le cerveau social !
À l’heure des tentations de repli sur soi, de l’envahissement par les réseaux « sociaux » et de l’isolement avec son smartphone, la connaissance des lois du cerveau social devient cruciale. Ces savoirs nous imposent de donner plus d’importance à notre rapport réel aux autres et de cultiver notre intelligence émotionnelle qui favorise le lien social. Il faut réintroduire ce lien parmi nos priorités.
Ces démarches ne sont pas antagonistes avec les valeurs individuelles d’efficacité, de compétence, d’engagement et d’ambition constructive. En revanche, elles peuvent équilibrer une tendance individualiste trop présente dans nos modes de vie, nos formations scolaires et nos représentations de la réussite.
Pour ceux qui ne sont pas naturellement doués pour le contact, les incantations à plus d’attention pour leur entourage, d’écoute, de gratitude et d’altruisme seront perdues, si elles ne sont pas accompagnées d’une appropriation du sens profond, d’une compréhension des mécanismes et d’une méthode utilisant des techniques validées et éprouvées. D’autre part, les inévitables tensions de la vie professionnelle feront, de manière bien légitime, vite oublier ces bonnes résolutions, si elles ne sont pas intégrées dans un plan volontaire de changement.
RECOMAND’ACTIONS
Améliorer ses relations à l’autre
- Cultiver son estime de soi, base de toute relation à autrui.
- Travailler son intelligence émotionnelle.
- Privilégier les rencontres physiques, non virtuelles.
- Apprendre à développer son écoute.
- Développer une affirmation de soi, respectueuse d’autrui.
- Se montrer empathique et reconnaissant.
- Accroitre ses capacités à repérer les événements positifs.
Cultiver une bonne estime de soi
La connaissance des interactions inconscientes avec autrui nous montre que l’on ne triche pas avec soi-même, ni avec la myriade de signaux que nous envoyons aux autres. Être bien dans sa peau, en accord avec sa personnalité et ses valeurs, est indispensable. Un moyen primordial pour y parvenir consiste à cultiver une bonne estime de soi.
L’estime de soi, selon les psychologues, reflète « l’évaluation personnelle de sa propre valeur ».
Il existe de nombreux modèles. Pour simplifier, disons que la part d’estime liée au jugement conscient détermine la confiance en soi. Elle dépend directement des événements extérieurs, elle varie donc en fonction des résultats (réussites, échecs, avis des autres, acquisition de compétences) et reste vulnérable aux difficultés, réelles ou imaginaires, ainsi qu’aux émotions négatives (craintes, anxiété culpabilité, etc.). Elle est instable et obéit aux montagnes russes de l’existence.
L’estime de soi dépend d’un autre facteur : la capacité à se juger digne d’affection, quelles que soient les circonstances. C’est « l’estime inconditionnelle de soi », une forme d’affection spontanée pour soi.
Schéma : les sources d’estime de soi
Cette estime inconditionnelle peut se travailler à travers l’auto-compassion[1]. L’enjeu n’est pas simplement théorique ; une bonne compréhension de ces automatismes de pensée peut transformer nos vies.
L’estime inconditionnelle provient d’une dimension affective profonde, la perception instinctive de soi (je me sens digne d’estime ou pas).
Celle-ci est liée au tempérament inné et aux expériences du passé : la stabilité des liens parentaux pendant la petite enfance, les premières expériences sociales d’enfance et d’adolescence, d’éventuelles carences affectives ou maltraitances physiques et mentales.
Ces événements forgent nos peurs. Avec l’âge, ces peurs se transforment en croyances automatiques et influencent profondément notre vision du monde, notre rapport aux difficultés et relations aux autres.
« La plupart du temps, je manque d’assurance parce que j’ai l’impression qu’on ne me reconnaît pas à ma juste valeur. J’ai toujours l’impression qu’on ne m’écoute pas parce que je ne m’exprime pas avec assez de conviction et que ce que je dis est sans intérêt. Je peux être en souffrance par rapport au fait de ne pas être entendu et je me sens vite envahi par les profils extravertis, qui ont toujours l’air tellement sûrs de ce qu’ils présentent. » (Bruno, chargé d’étude marketing tarifaire société de transport urbain)
Un manque d’estime inconditionnelle se traduira par des autocritiques et reproches permanents et rendra la personne complètement dépendante de ses résultats extérieurs. Elle deviendra alors exposée à une quête éternelle de performance.
Les inévitables imperfections et échecs seront alors jugés avec la plus grande sévérité, ils produiront un déluge d’autocritiques, puisque la responsabilité sera attribuée à soi. À l’inverse, l’absence de traumatisme et des liens affectifs stables pendant l’enfance auront tendance à produire une haute estime de soi, une « auto-compassion spontanée », une confiance en soi et envers les autres. L’adversité sera toujours aussi désagréable, mais sera affrontée pour ce qu’elle est, sans ajouter d’auto-flagellation.
Entre ces deux extrêmes, les profils à estime de soi variable seront vulnérables aux échecs et épreuves, mais retrouveront une estime élevée en période d’accalmie.
« Je travaillais dans les systèmes hydrauliques quand je suis arrivée dans le domaine du luxe. Un gros enjeu pour moi. Je quittais un monde archi-connu pour aller vers l’inconnu le plus complet. Avec une nouvelle période d’essai et à nouveau tout à prouver. En plus, je n’appartenais pas à cet univers. Mais le piment, peut-être aussi la taille de la montagne, m’ont poussé à aller de l’avant et à grimper sans limiter mes efforts. » (Indeza, responsable qualité dans la maroquinerie).
L’estime de soi est-elle sensible à l’autocompassion ?
Cette estime spontanée ne dépend pas de notre volonté, elle échappe également aux raisonnements. En revanche, elle est sensible à l’autocompassion qui intervient sur un registre plus émotionnel. Quels que soient nos résultats, nos actions, nos échecs, nous méritons notre affection inconditionnelle en tant qu’individu. Notre personnalité profonde vaut mieux que nos imperfections réelles ou supposées.
La bonne nouvelle est que des actions volontaires sont possibles[2] pour développer notre autocompassion.
Selon Kristin Neff, chercheuse renommée dans le domaine de l’estime de soi, nous pouvons développer notre pratique d’autocompassion selon trois axes :
– notre bienveillance pour nous-mêmes;
– l’universalité de l’insatisfaction ;
– la prise de distance par rapport aux perceptions désagréables.
- Notre bienveillance pour nous-mêmes
Elle consiste à être bienveillant et compréhensif face à nos défauts et faiblesses, plutôt que pratiquer l’auto-flagellation ou à l’inverse le déni. Se traiter comme on aimerait l’être par un ami attentionné. Il ne s’agit pas de nier nos défauts, nos doutes et insuffisances, mais de les accepter comme faisant partie d’un tout à un moment donné. Ils seront pris comme des constats ou des points à améliorer si besoin. Pas de honte ou de culpabilité car personne n’est parfait et chacun porte son lot de faiblesses passagères. Passer son temps à se juger et se comparer est très destructeur. Il y aura toujours quelqu’un de plus brillant, plus malin ou plus séduisant dans votre entourage. Se comparer est une impasse.
Attention cependant à ne pas tomber dans l’excès inverse, l’autocomplaisance. Il ne s’agit pas de se permettre n’importe quoi, mais d’accepter un constat, pour ensuite progresser, en améliorant nos insuffisances ou en exploitant nos forces.
- L’universalité de l’insatisfaction
Personne ne peut être entièrement conforme à ses désirs. Il existe toujours des domaines d’insatisfaction. Le nier augmente inutilement les souffrances, les frustrations, l’anxiété et le stress. Les plus brillants comme les plus charismatiques ont connu des déceptions ou échecs sentimentaux et commis des erreurs. Ils ont su rebondir. De l’extérieur, nous percevons l’excellence de certaines personnes dans un domaine spécifique, mais il nous est plus difficile d’accéder aux montagnes d’efforts, de doutes, d’échecs ou de frustrations qu’elles ont dû affronter pour en arriver à la position enviable qu’elles occupent dans notre esprit. Albert Einstein insistait plus sur sa capacité de travail que sur sa créativité, il affrontait par ailleurs de graves troubles relationnels familiaux. Quant à Winston Churchill, qui apparaît comme un exemple de détermination, il était aussi de tempérament dépressif. Il serait ainsi possible de multiplier ces exemples à l’infini.
- Prise de distance par rapport aux perceptions désagréables
Une pensée n’est qu’une pensée, elle n’est pas notre identité. L’autocompassion nécessite d’accepter nos émotions négatives, sans les amplifier par des pensées inadaptées, ni pour autant les nier. De nombreuses personnes ne réalisent pas qu’elles souffrent, quand elles se critiquent avec rudesse.
« Je viens de m’inscrire dans une association de quartier et j’ai proposé mon aide à la conception d’un flyer de communication pour lequel des bénévoles étaient demandés. Mais quelques semaines plus tard, j’ai reçu le flyer sans même avoir été consulté. Ça m’a contrarié. Je me suis dit qu’ils n’avaient pas voulu de moi et je me suis senti rejeté. Puis, je suis entré dans une spirale de pensées négatives en me disant que je ne valais rien et que je n’étais même pas capable de faire un flyer de toute façon. » (Philibert, directeur de projets de développement).
Eveillez vos talents : pratiquez l’autocompassion quotidiennement
Commencez par repérer les pensées automatiques dévalorisantes :
- comment ai-je été aussi stupide pour faire/pour dire ça ?
- c’est trop dur pour moi ;
- je vais tout rater ;
- les gens ne m’aiment pas ;
- je ne suis pas doué pour ça ;
- je ne suis pas assez bien pour… etc.
À chacune de ces autocritiques, opposez deux phrases :
- une formule de bienveillance pour vous-même (par exemple : je mérite d’être traité aussi bien que les autres) ;
- un rappel sur le fait que nous ressentons tous des imperfections et des doutes (nous avons tous des défauts et ceux des autres peuvent être différents des miens, mais ils ne sont ni pires ni meilleurs).
Préparez ces phrases à l’avance avec vos mots, ceux qui vous paraissent les plus convaincants et les plus adaptés à votre situation et réutilisez-les à chaque occasion.
Enfin, observez cette pensée dévalorisante en pleine conscience, avec distance et bienveillance : « Voyons ce que je pense, c’est ainsi, mais ce n’est qu’une pensée parmi d’autres. »
Nous constatons alors qu’il ne s’agit que de pensées subjectives, pas d’une réalité.
Mise en pratique opérationnelle
Reprenons l’exemple de Philibert, qui avait en vain proposé son aide à la conception d’un flyer :
- Bienveillance : je n’ai peut-être pas été assez visible, je ne voulais pas m’imposer bruyamment, les gens ne m’ont pas remarqué. Mais ce n’est pas insurmontable, je serai plus présent la prochaine fois, je sais le faire ;
- Universalité : les personnes qui m’ont ignoré ont d’autres soucis et d’autres préoccupations, je n’étais pas visé directement, il ne s’agit pas de moi ;
- Prise de distance : il est normal d’être frustré de n’être pas entendu, mais c’est un épisode passager, à moi de construire la suite.
Sans estime de soi, on ne peut pas estimer les autres.
Sans respect de soi, on ne peut pas respecter les autres.
Sans amour de soi, on ne peut pas aimer les autres.
L’apprentissage de la relation à soi est donc la condition
de l’apprentissage à la relation aux autres…
Frédéric Lenoir petit traité de vie intérieure
Pour aller plus loin :
[1] Neff, K. D (2007). “Self-compassion and adaptive psychol functioning”. J of Research in Personality 41 (2007) 139–154
[2] [2] Zhang, J. W (2016). “Self-Compassion Promotes Personal Improvement”. Pers Soc Psychol Bull 42. 2 244-258
Nous remercions vivement le Docteur Bernard ANSELEM, Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en Neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), titulaire d’un Certificat de « science of happiness » (Berkeley) et Formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Il est également Auteur de plusieurs ouvrages dont, « Je rumine, tu rumines, nous ruminons » (Editions Eyrolles, 2017) et « Ces émotions qui nous dirigent » (Alpen éditions) conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie,
Il propose de partager son expérience professionnelle en Neuropsychologie pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’Auteur :
Médecin spécialiste en imagerie médicale, master de recherche en neuropsychologie (Toulouse, Lyon, Grenoble), certificat de « science of happiness » (Berkeley) et formateur professionnel pour médecins ou entreprise. Auteur conférencier.
Membre du comité d’éthique de l’université de Savoie.
Thèmes de travail : émotions, motivation, anxiété, prise de décision et efficacité, IRM fonctionnelle. Il souhaite créer des ponts entre les avancées récentes des recherches sur le cerveau ou le bien-être, et les applications pratiques au quotidien, à l’intention des personnes ne disposant pas de temps pour aborder les ouvrages théoriques ou académiques.
WEBINAR [en REPLAY] DU Dr BERNARD ANSELEM
Adaptation et transformation : nous avons plus de pouvoir sur notre cerveau que nous le croyons.
« Comprendre les bases neurologiques, identifier les résistances et les forces du changement et les mettre en pratique »
L’explosion des connaissances, des incertitudes, l’accélération des rythmes, la succession des crises diverses imposent à notre organisme des efforts incessants.
Identifier les facteurs de résistance et les potentiels de notre cerveau nous aide à gérer cette déferlante d’innovation et de stress.
Quelques thématiques abordées :
- Exemple de biais et distorsions de raisonnement
- Identification des forces et talents, ainsi que des moteurs durables de la motivation.
- Savoir initier le changement chez les collaborateurs.
- Gérer son énergie dans la durée, tirer le meilleur de son cerveau en situation de stress
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OUVRAGES PUBLIES DE L’AUTEUR :
Présentation en Vidéo :
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19
initié par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
en tant que partenaire média digital
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