Article proposé par notre nouvel expert, Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien« aux Editions Eyrolles)
N°1, Avril 2018
Avant-Propos : les articles de Dominique Bériot qui seront publiés sur www.managersante.com seront plus particulièrement centrés sur le management et le changement par l’approche systémique. Les premiers articles aborderont une vision globale afin de faciliter une meilleure compréhension de cette nouvelle logique. En effet, l’approche systémique s’applique quel que soit le type d’organisation, de métier, de contexte et donc tout aussi bien en milieu hospitalier.
Accéder à un système complexe oblige à passer d’une vision analytique à une vision systémique. Cette approche a quelque chose de révolutionnaire dans notre culture en ce sens qu’elle consiste, entre autres, à faire l’impasse sur la recherche des causes, à renoncer à l’interprétation des comportements et à éviter le recours à des modèles.
La complexité : une nébuleuse inaccessible
C’est un concept difficile à saisir. Les économistes, les spécialistes de la Bourse, les experts en épidémiologie ou en météorologie, les sondeurs et j’en passe, utilisent des outils d’analyse et de modélisation très sophistiqués pour tenter de faire des prévisions dans ces domaines complexes. Si leurs modèles et leurs résultats étaient fiables, cela se saurait !
J’affirme, sans trop de risque d’erreur, que la complexité est impossible à saisir et à maîtriser. Elle traduit l’état d’un système dans lequel circulent de nombreux flux diversifiés et multidirectionnels, dont les infinies combinaisons confèrent à ce système des profils différents dans le temps.
Par exemple, une équipe projet met en jeu un tel nombre de variables qu’elle dépasse nos capacités d’analyse et a fortiori de prévision comportementale. Et cela est d’autant plus évident qu’elle est dispersée et multiculturelle.
La complexité ne réside pas uniquement dans les caractéristiques des systèmes, elle existe également dans le regard porté par chacun sur une même situation.
Que l’on soit dirigeant, ingénieur, psychologue, technicien, commercial, cadre hospitalier ou même autodidacte, nous utilisons des automatismes issus de notre culture elle-même influencée par la logique que je qualifierai de psycho-analytique. Or, celle-ci s’avère de moins en moins adaptée pour résoudre des problèmes d’organisation et de relations impliquant divers acteurs.
Pour les gérer, les managers ont besoin de trouver une autre façon de penser et d’agir en rupture totale avec leurs modes habituels de raisonnement. C’est ce que propose la systémique.
Mais le plus fondamental dans ce choix tient au fait qu’elle s’appuie sur des lois universelles, contrairement à la pensée analytique qui repose sur des modèles.
Identifier leurs différences, sans les opposer puisqu’elles peuvent se compléter, devrait permettre de mieux s’approprier l’approche systémique.
Quelles sont les différences entre les logiques analytique et systémique ?
La logique psycho-analytique de pensée et d’action
Dans cette logique agir consiste d’abord à fouiller le passé pour rechercher les causes d’une problématique, à examiner l’histoire du système pour le comprendre, à se positionner ensuite comme si la résolution du problème était l’objectif à atteindre. L’hypothèse analytique postule que la prise de conscience des causes d’un dysfonctionnement permet de le résoudre. Or, cette logique incite à décortiquer le problème et à s’appesantir dessus.
Figure 1 : La logique psycho-analytique : « Le but est l’identification des causes »
La logique systémique, une révolution culturelle
A l’inverse, la logique systémique incite à se détacher du problème pour se consacrer prioritairement à ce que le système d’acteurs pourrait obtenir si le problème n’y faisait pas obstacle. Il s’agit d’abord de faire préciser l’objectif recherché avant d’apprécier, parmi les processus en cours, les leviers d’action pertinents sur lesquels fonder sa stratégie et ses actions.
Ainsi, elle postule que la recherche d’explications d’un dysfonctionnement entre des personnes ou des entités n’est pas nécessaire pour le résoudre. Les actions du présent se définissent à partir du futur souhaité.
Figure 2 : La logique systémique : » Le but est la clarification de l’objectif masqué par le problème «
Il est clair que face à une même situation, les comportements diffèrent selon la logique retenue. Ces deux figures montrent à l’évidence que les flèches se dirigent en sens contraires ! L’une retourne à la source du problème, l’autre oriente vers l’objectif à atteindre par une démarche volontariste.
CAS PRATIQUE : deux managers face à une même problématique
Deux managers responsables de projets semblables ne parviennent pas à obtenir de leurs collaborateurs qu’ils respectent leurs engagements sur les délais, et cela malgré plusieurs observations. Ils sont régulièrement mis devant le fait accompli : les tâches prévues ne sont pas réalisées à temps et les retards font systématiquement l’objet de justifications. Les deux chefs de projet décident d’y remédier.
- 1er manager :
Le premier fonctionne selon une logique analytique. Il fait réaliser des interviews pour recueillir, puis analyser, les difficultés de ses collaborateurs. L’analyse, le diagnostic et les recommandations font l’objet d’un rapport qui lui est transmis. Deux mois s’écoulent avant qu’il puisse réunir les membres de son équipe pour examiner le rapport et leur faire prendre conscience des raisons de leurs difficultés.
Au cours de la réunion, les échanges glissent subrepticement vers les acteurs responsables de la situation. Afin d’atteindre son objectif (respecter les délais), le chef de projet essaie de convaincre ses interlocuteurs de faire des efforts. Pour les aider, il tente également de réfléchir avec eux sur des actions à envisager. Mais ceux-ci se contentent de demander des moyens supplémentaires et insistent sur les demandes excessives voire incohérentes de leurs commanditaires.
Bilan : une absence d’amélioration de la situation, chacun ayant persisté dans son comportement.
- 2ème manager :
Le second suit une logique systémique. Il réunit les membres de son équipe. Après un rappel des faits, il leur donne la possibilité d’exprimer leurs difficultés et leurs émotions en se gardant bien d’analyser avec eux les informations recueillies.
Ensuite, il les oriente vers un futur proche, par cette question : » A quoi souhaitons-nous parvenir vis-à-vis de nos commanditaires ? « . Deux objectifs communs se dégagent : respecter les délais et adapter le fonctionnement de l’équipe.
Ils travaillent alors sur les actions à envisager. Trois mois plus tard, ils constatent une très nette amélioration.
Pour mieux distinguer ces deux logiques, j’ai choisi de présenter quelques-unes de leurs caractéristiques en termes de pensée et d’action (voir tableau ci-dessous) :
Tableau de comparaison entre les modes de pensée et d’action analytique et systémique
Ces différences se retrouvent bien entendu dans plusieurs situations professionnelles comme la résolution d’un problème, la négociation, la clarification d’une demande, le recrutement, l’entretien professionnel, la consultation d’un groupe, la présentation d’une problématique, la participation d’un groupe à une recherche d’amélioration…
Avec l’approche systémique, disparaît la notion de solution a priori ou de modèle idéal. Les types d’organisation ou les méthodes de management, ne sont en soi ni bons ni mauvais, ce ne sont que des moyens au service d’objectifs et d’enjeux individuels ou collectifs.
Loin de se positionner comme une discipline miracle, elle représente une alternative aux démarches traditionnelles même si elle dérange nos habitudes de pensée, menace nos certitudes et fait réagir les dogmatiques.
Pour conclure, chacune des deux logiques engendre un mode de relation très différent dans le contexte d’une démarche globale de changement ou dans la gestion de situations managériales du quotidien.
Ainsi, la posture systémique donne aux managers une nouvelle façon d’appréhender les situations complexes sans être noyés par la complexité et leur permet de s’assurer que leur bon sens va bien dans le bon sens.
Suivez les prochains articles de Dominique BERIOT sur managersante.com
Nous remercions vivement Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien« aux Editions Eyrolles), de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’auteur :
Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D’abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l’entreprise de conseil qu’il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l’approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l’approche systémique du changement, dont les plus récents : – « Guide systémique du manager d’équipe, 40 situations managériales du quotidien« , Eyrolles, 2018. – « Manager par l’approche systémique, s’approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité », Eyrolles, 2014. (préface Michel Crozier). – « Du microscope au macroscope, l’approche systémique du changement dans l’entreprise« , (préface de Joël de Rosnay) ESF, 1992. Il a publié de nombreux articles sur plusieurs sites et dans différentes revues spécialisées. Dans le champ de l’ingénierie pédagogique, il a réalisé des films et produit des CD pédagogiques sur le management. Il a également une expérience dans l’enseignement sur les relations sociales dans des Grandes Ecoles prestigieuses (HEC, CESA, ENST, ESCP…). Enfin, de 1987 à 1991, il a été Président du Comité d’Ethique de l’Institut Curie à Paris pour les essais thérapeutiques sur l’homme.
Une réponse
je souhaiterais lire un article sur la gestion des émotions.