N°79 Juillet 2024
Nouvel Article écrit par Eric, DELASSUS, (Professeur agrégé Lycée Marguerite de Navarre de Bourges et Docteur en philosophie, Chercheur à la Chaire Bien être et Travail à Kedge Business School).
Il est co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses.
Il est également co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Octobre 2021 chez LEH Edition, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins
Expérience de pensée : imaginer que vous vous réveillez un matin et que vous ne ressentez plus aucun désir. Cet état s’appelle dépression. Preuve vivante que le désir est le moteur de la vie.
Qu’est-ce que le désir ?
L’ambivalence du désir
Aspect négatif : on désire toujours ce que l’on n’a pas, le désir se manifeste sous la forme du manque (Platon, Le Banquet).
Aspect positif : le désir est puissance, puissance d’être et d’agir. Il est le moteur de la vie et de l’action (Spinoza).
Même si Platon définit principalement le désir comme manque, il perçoit cette ambivalence dans le récit mythique de la naissance d’Éros (amour, mais aussi désir), fils de la déesse de la pauvreté Penia et du dieu de la ressource Poros. Il est donc toujours riche de ce qu’il n’a pas et animé par la quête du beau et du bien.
Lequel du manque ou de la puissance a la primauté ?
Selon Spinoza, le désir est d’abord puissance, il est l’expression de l’effort par lequel nous persévérons dans l’être (le conatus), il est puissance d’agir. C’est pourquoi il affirme que « le désir est l’essence de l’homme ». En d’autres termes, l’être humain est désir.
Nous percevons généralement le désir sous la forme du manque, car le plus souvent, notre désir, par absence de lucidité sur lui-même, se trompe d’objet et confond les fins et les moyens de se satisfaire. C’est donc lorsque le désir échoue que nous le percevons comme manque, mais il est originellement puissance d’agir.
Ex : celui qui s’imagine pouvoir se satisfaire par la seule possession de richesses matérielles ne sera jamais heu reux, car il s’imaginera toujours qu’il pourrait être plus heureux s’il possédait plus de richesses. Ce qui ne signifie pas qu’il faille mépriser les biens matériels, mais cela signifie que ces biens doivent être recherchés comme des moyens contribuant à la satisfaction du désir et non comme les fins ultimes de l’existence humaine.
Toute la question est donc ici de savoir ce que désire vraiment le désir.
Que désire le désir ?
Le désir et les désirs
De nombreux désirs traversent notre existence, des plus futiles au plus essentiels – désirer le dernier iPhone, une belle voiture ou fonder une famille et faire son bonheur, accomplir un projet professionnel, etc.
Les désirs sont donc des déclinaisons du désir dans ce qu’il a de plus fondamental. Toute la question est donc de savoir ce que nous désirons, lorsque nous visons ces objets et pourquoi l’obtention de certains d’entre eux nous déçoivent et pas d’autres.
En effet, la satisfaction que nous procure la réalisation de certains désirs est souvent de courte durée, le smartphone dernier cri ou la belle voiture ne nous satisfont que tant qu’il présente l’attrait de la nouveauté, mais très vite notre désir se fixe sur d’autres objets et le manque renaît. En revanche, la réalisation de désirs plus profonds nous procure
une plus grande satisfaction. Cette satisfaction entretient le désir, non sous la forme du manque, mais plutôt comme tendance à persévérer dans l’être et à maintenir et augmenter sa puissance d’agir.
Le désir est désir de puissance
La puissance n’est pas le pouvoir
Dire que le désir est désir de puissance (potentia), ce n’est pas dire qu’il est désir de pouvoir (potestas). Désirer la puissance consiste à désirer agir, c’est-à-dire produire des effets sur soi et hors de soi, réaliser un projet, créer une œuvre ou tout simplement bien faire son travail. Désirer le pouvoir consiste à désirer exercer une domination sur autrui principalement pour le contraindre et lui imposer de faire ce qu’il ne désire pas. Le goût du pouvoir est donc plus un signe d’impuissance que de puissance, dans la mesure où il consiste à chercher à se sentir fort, non pas en augmentant sa puissance, mais en diminuant celle de l’autre.
Ce qui ne signifie pas que le pouvoir ou l’autorité sont en eux-mêmes condamnables, mais ils ne sont légitimes et efficaces que s’ils sont considérés comme moyen et non comme fin. Le véritable leadership ne consiste pas à contrarier le désir de l’autre, mais au contraire à le susciter. Il ne s’agit pas de diminuer la puissance d’autrui, mais au contraire de faire en sorte de contribuer à son augmentation dans le cadre de la réalisation d’un projet collectif, d’une cause qui devient commune parce que chacun désire contribuer à son aboutissement.
EX : différence entre le maître (dominus) dans la relation maître/esclave et le maître (magister) dans la relation maître/élève. Le premier cherche à diminuer l’autre, le second à le faire progresser.
Le désir se désire lui-même
Si le désir est puissance et que le désir est désir de puissance, cela signifie qu’ en un certain sens le désir se désire lui- même. Ce que nous désirons, c’est continuer à désirer, c’est-à-dire continuer à être anim é par cette puissance d’agir qui nous maintient dans l’être et qui anime notre existence. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre le désir et le besoin. Le besoin obéit à une nécessité d’ordre biologique et dès qu’il est satisfait, il s’apaise, il est essentiellement manque et lorsque le manque est comblé, il se tait jusqu’à ce que le manque réapparaisse. Ainsi en va-t-il de la faim et de la soif, un fois que j’ai mangé et bu, je n’ai plus faim ni soif. En revanche, le désir est insatiable, ce n’est pas parce qu’il est satisfait qu’il disparaît, bien au contraire, il continue de se faire sentir. Une fois un projet réalisé, je me lance à nouveau et peut-être avec d’autant plus de vigueur dans la réalisation d’un autre projet, car désirer, c’est désirer désirer. Désirer, c’est désirer se sentir exister et produire des preuves de son existence dans ce qu’on peut réaliser par l’action. Désirer, c’est désirer se reconnaître dans ce que l’on fait et dans le regard de l’autre.
Le désir est désir de reconnaissance
Reconnaissance : connaître une seconde fois (re-connaître). Chacun se connaît subjectivement, intérieurement, mais cette connaissance a besoin d’être confirmée par une preuve objective, c’est ce que Hegel nomme la prise de conscience pratique de soi, la prise de conscience de soi par l’action. Ainsi, lorsque je produis un objet par mon travail, dans la mesure où cet objet n’existerait pas si je n’existais pas, il est donc la preuve, le signe objectif de mon existence. Je me reconnais dans le fruit de mon travail.
Je me reconnais aussi dans le regard de l’autre qui me reconnaît dans les produits de mon action et qui me renvoie une image positive de moi-même.
Remise en cause de la théorie de Maslow
Si l’on se réfère à la pensée de Hegel, une théorie comme celle d’Abraham Maslow s’avère discutable dans la mesure où la satisfaction des besoins considérés comme inférieurs n’est pas nécessairement la condition de celle de besoins jugés supérieurs. En effet, le besoin de reconnaissance peut conduire un être humain à renoncer à ses besoins primaires pour parvenir à
se sentir réellement exister. C’est précisément parce que l’homme est un être de désir qu’il peut être conduit à renoncer à la satisfaction de ses besoins pour répondre à son désir et principalement à son désir de reconnaissance.
La distinction entre désir et besoin est floue. Il n’y a pas d’un côté les besoins qui relèvent du nécessaire et de l’autre les désirs qui seraient de l’ordre du superflu. Nous avons aussi besoin de désirer, il y a aussi une nécessité du désir. Les désirs ne seraient-ils pas des besoins propres aux êtres conscients ? des besoins de la conscience ? Mais, comme nous l’avons souligné précédemment, à la différence des besoins considérés comme primaires, ces besoins sont insatiables puisqu’ils se manifestent sous la forme du désir de désirer.
Le désir est producteur de sens
Les différentes acceptions du terme de sens
- Les cinq sens = = > lien avec le monde extérieur ;
- la direction = = > lien entre un point et un autre dans l’espace ;
- la signification = = > lien entre un signifiant et un signifié.
Ce qui réunit ces trois acceptions du terme de sens est la notion de relation. Le désir de reconnaissance est producteur de sens, car il nous met en relation avec le monde et avec autrui.
Lire la suite de cet article, le mois prochain.
En conclusion :
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Nous remercions vivement notre spécialiste, Eric, DELASSUS, Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges) et Docteur en philosophie, de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Philosophie & Management, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j’enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j’assure également un enseignement de culture de la communication auprès d’étudiants préparant un BTS Communication.
J’ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d’initiation à la psychologie auprès d’une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale.
J’interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L’IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges.
Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine de Tours.
Je suis membre du groupe d’aide à la décision éthique du CHR de Bourges.
Je participe également à des séminaires concernant les questions d’éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l’entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.
Sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob, il a publié plusieurs ouvrages :
– le 25 Septembre 2018 intitulé ” Ce que peut un corps”, aux Editions l’Harmattan.
– un ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses.
Il est également co-auteur d’un dernier ouvrage, sous la Direction de Jean-Luc STANISLAS, publié le 04 Octobre 2021 chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins.
DECOUVREZ LE NOUVEL OUVRAGE PHILOSOPHIQUE
du Professeur Eric DELASSUS qui vient de paraître en Avril 2019