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« La philosophie au secours du management » : est-ce possible ? Le Docteur Patrick ERRARD nous partage ses réflexions dans son ouvrage.

Nouvel article introductif  publié pour ManagerSante.com par le Docteur Patrick ERRARD, Médecin gastroentérologue diplômé et lauréat de la faculté de Médecine de Paris, auteur de l’essai publié aux éditions Odile Jacob intitulé « La philosophie au secours du management » (2019).

Il est également Directeur général chez Astellas France et co-président de la commission Innovation du MEDEF, Directeur général de la filiale française d’Astellas Pharma, deuxième groupe pharmaceutique japonais., membre du bureau et du conseil d’administration du Leem. Il a été Président du Leem de 2013 à 2018. , Président de l’Association des Laboratoires Japonais en France (LaJaPF).

Management…A vrai dire je n’aime pas beaucoup ce mot. Non pas que sa consonnance anglo-saxonne me gêne, mais je ne sais expliquer pour quelle raison sa déclinaison en verbe – « manager » -, ou en nom commun – le « manager » – sonne assez mal à l’oreille de qui goûte la langue française dans un monde où tout s’anglicise.

C’est au XVIème siècle que l’on trouve la racine du mot manager, terme d’équitation provenant de l’italien menaggiare, signifiant « tenir en main les rênes d’un cheval » (du latin manus : la main). Par extension, mesnager s’appliqua peu à peu à  tout ce qui avait trait à la « prise en main » d’une organisation, par exemple d’une fabrique, d’une exploitation agricole ou d’une administration. Si le mot est passé ensuite à l’anglais où il a donné to manage (et non l’inverse contrairement à ce que beaucoup d’entre nous nous pensent), puis le nom management, c’est pour désigner de façon plus large l’art de la gestion des affaires et des équipes travaillant à les faire fructifier. Il est amusant de noter qu’à la même époque, le verbe mesnager fut employé en français pour désigner « la conduite des affaires du ménage », autrement dit, conduire son bien, sa fortune et ses domestiques de façon judicieuse. Le terme prend alors une connotation économique évidente, dont l’étymologie grecque oikos-nomos, signifie elle-même que l’on s’intéresse aux « lois qui régissent la gestion domestique ».

Ainsi, au fil du temps, le terme de management s’est-il affiné pour concentrer sur la notion de savoir-faire, et je dirais même de savoir-être, tout ce qui se rapporte à l’organisation du travail collectif en vue de faire prospérer une structure économique, tandis que le terme de « gestion » désignait quant à lui les techniques de conduite des affaires en général. C’est pourquoi aujourd’hui le manager revêt une dimension plutôt qualitative, alors que le gestionnaire est celui qui s’affaire à rendre des comptes au sens quantitatif.

Il faudra attendre 2016 pour voir apparaître dans l’ouvrage Administration industrielle et générale d’Henri Fayol la notion de « management transversal » (qu’il nomme « fonction administrative ») réunissant à la fois la dimension qualitative du management et la dimension quantitative de la gestion. Dès le début du XXème siècle, le management recouvre dès lors cinq grandes fonctions :

  1. Les fonctions techniques : rechercher, développer, produire, fabriquer, transformer, packager…
  2. Les fonctions commerciales : acheter, vendre, promouvoir, échanger…
  3. La fonction financière : capitaliser, obtenir des bénéfices et les redistribuer
  4. La fonction de sécurité : protection des personnes et des biens.
  5. La fonction comptable : gérer les comptes, les paies, les statistiques de l’entreprise.

De même, Fayol précise que ceux qui sont en charge des affaires et qu’il nomme « administrateurs » doivent savoir « prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler » s’ils veulent être en mesure de s’inscrire pleinement dans le courant dynamique de « l’administration moderne ».

Ce point d’étymologie me semblait important à préciser, car il explique en grande partie la dimension « comptable » du management qui perdure encore aujourd’hui, même dans les Ressources humaines.

Il faut se souvenir des travaux de Frédérick Taylor qui dès 1911, dans son livre La Direction scientifique des entreprises, proposait « one best way », c’est-à-dire des principes généraux de productivité destinés à décomposer et à organiser le travail de façon à gérer de façon rationalisée et chronométrée l’outil de production. C’est la notion de process qui va ainsi se greffer dans la définition du mot « management ». Cette idée n’était du reste pas nouvelle, puisque les philosophes grecs s’étaient déjà préoccupés de la chose : dans La République (Livre II, 369c), Platon soulignait le lien qui pouvait exister entre une société « bien organisée » et la « productivité » de celle-ci. [….]

C’est en fin dans les années 1920-1930 qu’émerge le facteur « humain » dans la conception même du management moderne. Mary Parker Follet, puis Elton Mayo introduisent alors les facteurs psychologiques dans l’analyse des comportements vertueux, susceptibles d’accompagner l’efficience des éléments organisationnels de l’entreprise. L’essor de la sociologie à la fin des années 1930 explique en grande partie ce courant « humaniste » lui-même promu par la philosophie moderne dont l’origine remonte, excusez du peu, au XVIIIème siècle, soit presque deux cent ans avant que le monde de l’entreprise ne s’y inscrive. C’est en effet à Rousseau, et en particulier à son Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes  que l’on doit d’avoir dépassé les distinctions classiques entre l’homme et l’animal portées par Descartes.

L’idée géniale de Rousseau réside dans une nouvelle approche identitaire de l’homme, intégrant non seulement l’intelligence (la raison pour Descartes), mais aussi une sensibilité, une faculté de communication et surtout la liberté, ou plutôt la perfectibilité de l’être. La faculté de se perfectionner tout au long de sa vie, là où l’animal est guidé par l’« instinct », introduit de facto une dimension sociale et humaniste dans l’interactivité propre à un groupe social. L’ère postmoderne du management en prendra pleinement conscience. En intégrant que l’homme est capable de s’arracher au programme de l’instinct naturel, la société cherchera à le « développer ». C’est ainsi que les années 1950 virent apparaître les grands courants de pensée basés sur la psychologie d’entreprise, puisant elle-même son inspiration dans la philosophie. L’école Palo Alto (du nom de la ville de Palo Alto en Californie) en est un bon exemple. Fortement influencé par les concepts de la « cybernétique », ce courant fondé entre autres par Grégory Bateson est notamment à l’origine de la thérapie familiale et de la thérapie brève. Ce qui fut tout à fait novateur dans l’école Palo Alto, c’est le principe d’« interactivité de l’individu avec son environnement » comme facteur déterminant de son « homéostasie », c’est-à-dire de sa capacité à se maintenir dans un équilibre sociétal et humain. Ce principe, qui fut largement appliqué au management et à l’entreprise, donne de l’eau au moulin de Rousseau : l’homme libre est non seulement perfectible, mais son chemin évolutif s’inscrit par essence dans ce qui le relie aux autres, c’est-à-dire au monde social.

On voit maintenant pourquoi le mot « management » qui puise ses origines dans la gestion des « affaires », même s’il porte indéniablement une dimension qualitative qui pourrait l’élever au rang d’« art », peut gêner dans sa faiblesse humaine et sociétale. De façon analogue, on se représente volontiers le costume du « manager » comme un complet bleu-cravate sombre si c’est un homme, ou un tailleur gris si c’est une femme. Si l’on reste un moment sur ces « clichés », on peut dire que le « manager » se valorise souvent plus dans la dimension « businessman », et donc par la responsabilité financière qu’il porte, que par l’attachement qu’il nourrit pour la dimension humaine. Enfin si vous branchez sur la composante humaine de son management, le réflexe le conduit sans vergogne à valoriser le nombre de personne qu’il « manage », plus que l’attention qu’il leur porte, et ce ne sont pas les cabinets de recrutement qui me diront le contraire !

C’est donc probablement ce qui explique mon peu d’affection pour le mot « manager ». Ce qu’il véhicule au sens perceptuel pose problème, plus que ce qu’il incarne dans la réalité pour peu que nous nous soyons interrogés sur nous-mêmes et sur notre raison d’être.

Mais il faut bien reconnaître que la langue française ne dispose guère d’alternative qui puisse répondre de manière satisfaisant aux principes philosophiques édictés par Rousseau. On écarte aisément tout ce qui tourne autour de « gérer », car « gestion » et « humain », nous l’avons compris, ne font pas bon ménage. […].

Il est tout aussi amusant de constater qu’en France, le titre de « manager » est très souvent remplacé par celui de « directeur ». Arrêtons-nous un instant là-dessus. Le mot « directeur » vient du latin director qui signifie « conducteur, guide ». Si l’on voit bien la dimension « visionnaire » qui pourrait flatter ainsi le manager érigé au rang de directeur, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la notion de direction portée par une droite indéfectible dont on ne saurait se détourner. Il y a un côté  « directif » dans le mot « directeur, et reconnaissons-le, cela contraste quelque peu avec les théories participatives propres aux techniques de management moderne. Que dire de « l’homme libre » de Rousseau, contraint alors dans un schéma directeur dans lequel il aura le plus grand mal à se perdre pour retrouver le chemin de la perfectibilité. Pourtant, disons-le, « directeur », ça vous pose un homme. Pour peu que vous le fassiez précéder de « président » et suivre de « général », vous lui attribuez alors toutes les dimensions directives, militaires et de surcroît présidentielles, ces dernières étant plus réservées au prestige qu’à la qualité de la gouvernance. Le prestige du titre serait-il alors plus important que la fonction à laquelle il se rapporte ? Hélas oui ! Essayez, pour voir, de retirer à l’un de vos collaborateurs le titre de « directeur » pour le remplacer par celui de « manager », et vous m’en direz des nouvelles ! Quand bien même le périmètre resterait identique, la perception sociale de ce changement postural serait inéluctablement celle d’un déclassement, une perte de galons, un rabaissement social. Le titre, et donc la valeur de l’égo qu’il véhicule dans sa dimension philosophique, impacte considérablement la façon dont les collaborateurs perçoivent non seulement leurs rôles, mais aussi leurs places dans la société. […].

Pour l’heure, faute de mieux, nous nous contenterons de « manager » !

Biographie de l'auteur : 

Le Docteur Patrick ERRARD est Directeur général chez Astellas France et co-président de la commission Innovation du MEDEF
Il est directeur général de la filiale française d’Astellas Pharma, deuxième groupe pharmaceutique japonais.
Médecin gastroentérologue diplômé et lauréat de la faculté de Médecine de Paris, il a rejoint Fujisawa en 1995 et fut à l’origine de la création de l’entreprise en France, avant d’être nommé DG de Fujisawa et de Yamanouchi en 2004, en charge de la fusion des deux entités devenues Astellas Pharma. Avant de rentrer dans l’industrie pharmaceutique, il exerça son métier de médecin pendant quatre ans en tant que praticien hospitalier à l’Hôpital Delafontaine,  en région parisienne.
Administrateur au Leem en 2004, il fut secrétaire du bureau et président de la commission des Affaires Juridiques de l’organisation professionnelle en 2012. Il a été président du Leem de 2013 à 2018. Il est par ailleurs toujours président de l’Association des Laboratoires Japonais en France (LaJaPF), membre du bureau et du conseil d’administration du Leem.
Après avoir quitté ses fonctions à la présidence du Leem en septembre 2018, il a été nommé à la présidence de la commission Innovation du MEDEF, qu’il préside avec Anne Lauvergeon.
Il a publié deux essais, “La Philosophie au secours du management” en 2015 chez Odile Jacob et “Une belle promenade de santé” en 2019 aux Editions L’Harmattan.

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