Article publié par notre expert, le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).
Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».
Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .
le Docteur Pierre SIMON est intervenu au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde, à l’occasion du 1er Colloque national annuel de ManagerSante.com, sur la thématique « Comment embarquer les acteurs du numérique en santé ? », le Mardi 29 Mars 2022 (replay bientôt disponible sur ManagerSante.com).
N°54, Juin 2022
Est-ce que l’organisation d’une surveillance à distance, à leur domicile, des patients atteints de maladies chroniques peut prévenir les hospitalisations en urgence ?
C’est la question que les autorités sanitaires de nombreux pays se posent depuis une quinzaine d’années. Jusqu’à présent la preuve d’un service médical rendu (SMR) n’était pas clairement démontré. Nous avons à plusieurs reprises traité ce sujet. Nous invitons le lecteur à relire les différents billets déjà consacrés à ce thème, en particulier aux études médico-économiques réalisées dans les années 2010 sur la télésurveillance médicale au domicile.
Les premières études n’étaient pas probantes en termes de réduction des hospitalisations en urgence.
Une équipe australienne, prenant acte de l’évolution des solutions numériques (TICs) au cours des dix dernières années, a cherché à faire un nouveau point sur cette pratique très prometteuse de la télémédecine. A-t-on progressé parce que les TICs sont plus fiables ou parce que les organisations professionnelles sont plus performantes, comme le suggère en France la HAS dans son dernier rapport ?
Les auteurs de cette nouvelle revue de la littérature partent du constat qu’en Australie près de 800 000 hospitalisations « en urgence » pourraient être évitées. Pour ce pays de 25,6 millions d’habitants, ces hospitalisations « évitables » touchent 3,1% de la population australienne (en 2019). On retrouve le même pourcentage en France quand on considère que 17% des 10,6 millions d’hospitalisations annuelles pourraient être évitées selon l’Assurance maladie, soit 2,8% de la population française.
Does remote patient monitoring reduce acute care use? A systematic review. Taylor ML, Thomas EE, Snoswell CL, Smith AC, Caffery LJ.BMJ Open. 2021 Mar 2;11(3):e040232. doi: 10.1136/bmjopen-2020-040232.PMID: 33653740.
Introduction :
Beaucoup d’usagers de la santé considèrent qu’il est difficile de gérer eux-mêmes leur propre maladie chronique et d’identifier les signes avant-coureurs d’une complication. Souvent, les professionnels de santé ne prennent conscience d’un déclin de l’état clinique d’une personne qu’une fois que les symptômes sont devenus suffisamment graves pour nécessiter une hospitalisation en urgence. Un tel scénario pourrait être évité si on organisait la surveillance à distance (TS) des patients atteints de maladies chroniques.
La télésurveillance (TS) fait référence à l’enregistrement et à la transmission de la biométrie du patient, des signes vitaux et/ou des données liées à la maladie à un professionnel de santé avec l’aide des technologies de l’information et des communications (TICs). Les données recueillies peuvent être spécifiques à la maladie, mais peuvent être aussi des mesures de signes vitaux telles que la pression artérielle, le poids, la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire, l’oxymétrie de pouls, la spirométrie, la température, la glycémie ou des symptômes spécifiques.
Les données de surveillance médicale peuvent être collectées automatiquement (un dispositif implanté ou porté) ou manuellement par le patient à l’aide de périphériques et d’un système de transmission. Les interventions de TS pour les maladies cardiovasculaires (MCV) peuvent être invasives ou non invasives.
Les interventions invasives impliquent la mesure directe de données biométriques, telles que la fréquence cardiaque et les pressions artérielles pulmonaires par un dispositif implanté, données qui sont ensuite transmises au professionnel de santé. Par exemple les dispositifs implantés sont les stimulateurs cardiaques utilisés pour réguler les rythmes anormaux, les défibrillateurs implantables (DCI) utilisés chez les patients à haut risque d’arrêt cardiaque (par tachycardie ou fibrillation ventriculaire).
Les interventions non invasives impliquent la transmission de données, telles que le poids corporel, la pression artérielle ou l’oxymétrie de pouls, couramment utilisées chez les patients qui ont besoin d’un soutien au self management sur le long terme (par exemple, les patients atteints d’insuffisance cardiaque).
L’examen des données transmises peut être actif, ce qui se produit lorsqu’un professionnel de santé examine régulièrement les données transmises par les patients. Il peut être passif lorsque le professionnel de santé n’est alerté que si les données recueillies atteignent un seuil clinique prédéterminé. Les interventions résultant de données anormales ou de données indiquant une détérioration de l’état clinique peuvent s’accompagner d’un échange téléphonique, d’une téléconsultation ou de visites au domicile.
Les maladies chroniques sont associées à des taux élevés d’hospitalisations en urgence, plus encore lorsque le patient a des comorbidités. Cela représente un coût important pour le système de santé. Par exemple, en Australie, il y a plus de 748 000 hospitalisations par an potentiellement évitables, dont près de la moitié (46%) est due à des maladies chroniques telles que l’insuffisance cardiaque congestive, les complications du diabète, la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) et l’angine de poitrine.
La détection précoce et la prise en charge proactive des complications des maladies chroniques peuvent réduire le coût des dépenses hospitalières. Des études antérieures ont démontré que la TS peut alerter une équipe de soins d’un début de complication, ce qui permet de résoudre le problème en amont de l’hospitalisation, réduisant ainsi le besoin d’admissions urgentes à l’hôpital.
Les recherches cliniques actuelles montrent que pour que la TS soit rentable, cette pratique doit réduire les hospitalisations en urgence. Plusieurs études consacrées à la TS des maladies chroniques (comme l’insuffisance cardiaque et la MPOC) ont montré une réduction des hospitalisations en urgence, mais il s’agissait souvent d’un critère de jugement secondaire. De plus, ces études ont été publiées il y a plus de 5 ans. Il existe peu de preuves de l’effet de la TS avec des technologies plus récentes telles que les dispositifs implantés et autres dispositifs médicaux. Étant donné que le nombre de nouvelles technologies pour la TS augmente sans cesse dans les essais cliniques et sur le marché, des analyses plus régulières de la littérature scientifique sont justifiées.
L’objectif de notre étude est de fournir une synthèse actuelle des preuves qui montrent que les derniers outils de TS utilisés dans tous les types de maladies chroniques réduisent effectivement les hospitalisations en urgence.
Méthode :
Afin d’atteindre les objectifs de notre étude, nous avons conduit une revue systématique des publications des 5 dernières années (2015-2020). Selon les bases de données, 43 à 60% des études consacrées à la TS ont été publiées depuis 2015. Trois bases de données ont été consultées : PubMed (MEDLINE) (1966-2020), Embase (OvidSP) (1974-2020) et CINAHL (EBSCOhost) (1982-2020).
Critères d’inclusion/exclusion
Nous avons inclus des études primaires empiriques, des essais contrôlés randomisés (ECR), des études de cohorte et des études cas-témoins qui comparaient les hospitalisations en urgence des patients soumis à une TS au domicile à ceux qui n’avaient pas de TS. Dans notre revue de la littérature, l’hospitalisation en urgence incluait les premières admissions et les réadmissions. Les patients pouvaient être surveillés pour toute maladie à condition que les données surveillées soient envoyées à un clinicien pour avis (c’est-à-dire que l’autosurveillance était exclue) et que le patient soit surveillé à l’extérieur d’un milieu hospitalier.
Une variété de technologies de TS était éligible à l’inclusion : les dispositifs de mesure périphériques non invasifs, les dispositifs électroniques implantables cardiaques invasifs, la saisie manuelle de données à l’aide de tablettes, de smartphones ou de sites Web. Seuls les articles dont le texte intégral était disponible en anglais étaient inclus.
Les interventions qui n’impliquaient pas une maladie (par exemple, celles axées sur la surveillance de l’activité physique) ont été exclues. Les études utilisant des données simulées ou modélisées ont été exclues, tout comme les revues, les études non expérimentales, les résumés de conférences et les commentaires.
Sélection des études
Les titres et résumés ont été examinés indépendamment par deux chercheurs (MLT et Maryama Bihi) qui ne connaissaient pas les sélections de l’autre. Le cas échéant, le texte intégral était utilisé pour déterminer l’admissibilité. Un troisième chercheur (CLS, EET ou LJC) décidait de l’inclusion lorsque le consensus des deux n’était pas obtenu.
Les données ont été extraites du texte intégral des articles et enregistrées dans un formulaire d’extraction de données. Un auteur (MLT) a extrait les données et un deuxième auteur (EET) a validé l’exactitude en vérifiant par une sélection aléatoire de 20% des données.
La qualité des études incluses a été évaluée à l’aide des listes de contrôle d’évaluation critique du Joanna Briggs Institute (JBI). Cette série de listes comporte des modèles individuels basés sur la conception de l’étude. Les listes de contrôle comportent différentes questions spécifiques. La liste de contrôle appropriée était choisie à l’aide d’un algorithme de classification de la conception de l’étude. Afin de permettre une comparaison entre les études, le nombre d’éléments de la liste de contrôle qui ont reçu un « oui » a été converti en proportion du nombre total de questions. Sur la base des proportions de « oui », les études ont été classées comme de qualité élevée (80% et plus), moyenne (60% à 79%) ou faible (<60%).
Analyse des articles
Les résultats des articles inclus dans l’étude ont été stratifiés selon l’utilisation des soins actifs (admissions directes, entrées par les services d’urgence ou la durée du séjour hospitalier). Les résultats ont été classés selon la conclusion de l’auteur sur l’augmentation, la diminution ou l’absence de changement dans l’utilisation de l’hospitalisation en urgence. Les changements d’utilisation qui n’étaient pas statistiquement significatifs ont été classés comme « aucun changement ». Une analyse de sous-groupe a été entreprise sur l’état de la maladie et les catégories technologiques de TS (c.-à-d. invasif vs non invasif).
En raison de l’hétérogénéité des groupes de population, les plans d’intervention et les résultats ont été synthétisés de manière narrative. Les résultats ont été présentés conformément aux recommandations PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses).
Résultats :
À partir de 2050 études identifiées dans les bases de données, 91 études ont été incluses dans notre revue. Les études incluses ont été principalement conduites en Europe (n = 52, 57%), suivie des États-Unis (n = 26, 29%). La plupart des études étaient contrôlées et randomisées (n = 45, 50%) ou des études de cohorte (n = 34, 37%), avec neuf études quasi expérimentales (10%) et trois études cas-témoins (3%).
La taille de l’échantillon de patients variait de 25 à 92 566, la majorité des études incluses (n = 68, 75%) ayant une taille d’échantillon supérieure à 100 participants (bras d’intervention et de contrôle combinés). Le temps de suivi était supérieur à 6 mois dans la majorité des études (n = 62, 68%), cependant, 12% (n = 11) avaient un temps de suivi de 3 mois ou moins. Trente-deux études (35 %) incluaient > 70 % d’hommes. Un biais de genre a été fréquemment observé dans de nombreux essais sur les MCV malgré un nombre similaire de décès dans les deux sexes.
Les populations de patients étaient principalement atteintes de maladies cardio-vasculaires (MCV) (n = 54, 59 %), de maladies pulmonaires obstructives chroniques (MPOC) (n = 18, 20 %) ou de MCV comorbides et de MPOC (n = 4, 4 %). Parmi ceux-ci, la TS invasive a été utilisée pour 22 études et la surveillance non-invasive utilisée dans 30 études. Les études restantes (n = 15, 17 %) avaient des populations variées : des résidents de maisons de soins infirmiers, des patients atteints de schizophrénie, des patients traités par dialyse péritonéale, des maladies inflammatoires de l’intestin et des patients sous ventilation à domicile.
Les données biométriques les plus courantes qui ont été surveillées à distance étaient la fréquence cardiaque (n = 52, 57%), la pression artérielle (n = 49, 54%), le poids (n = 44, 48%) et la saturation en oxygène (n = 39, 43%). Les dispositifs électroniques implantables cardiaques (n = 22, 24%) peuvent permettre la transmission automatisée de données, surveiller le rythme cardiaque, alerter en cas d’épisode arythmique et vérifier le fonctionnement de l’appareil.
Les études furent jugées de qualité moyenne à élevée. La qualité des études contrôlées et randomisées était le plus souvent altérée par l’évaluation des résultats faite par une seule personne qui n’était pas en situation d’ ‘aveugle’ par rapport au groupe témoin ou d’intervention. Cependant, il peut être difficile d’avoir un évaluateur totalement « aveugle » de l’étude. Dans les études de cohorte, la qualité était altérée par un suivi incomplet (un tiers des études).
La TS pour toutes maladies réduisait les admissions hospitalières, la durée du séjour hospitalier et la fréquentation des services d’urgence, respectivement dans 49 % (n = 44/90), 49 % (n = 23/47) et 41 % (n = 13/32) des études éligibles. La plupart des études restantes (51%) n’ont rapporté aucune modification dans la fréquentation hospitalière ou des services d’urgence. Quatre études ont montré une augmentation de la fréquentation hospitalière sous TS. La TS de la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC) s’est avérée plus efficace pour réduire l’hospitalisation en urgence que la TS des autres maladies. De même, la TS invasive des maladies cardiovasculaires s’est avérée plus efficace pour réduire les admissions à l’hôpital par rapport aux autres maladies et à la surveillance cardio-vasculaire non invasive.
Conclusion :
La TS peut réduire l’utilisation de l’hospitalisation en urgence chez les patients atteints de maladies cardiovasculaires et de MPOC. Cependant, l’efficacité de la TS varie au sein des populations étudiées. L’effet de la TS sur d’autres pathologies chroniques n’est pas concluant en raison d’un nombre d’études encore limité. Une analyse plus approfondie est cependant nécessaire pour comprendre les mécanismes sous-jacents à l’origine de la variation des interventions en TS. Ces résultats doivent être pris en compte parallèlement à d’autres avantages de la TS, en particulier l’amélioration de la qualité de vie des patients.
Commentaires :
La télésurveillance médicale (TS) au domicile des patients atteints de maladies chroniques est certainement le grand enjeu des pratiques de télémédecine et de télésoin au cours de la prochaine décennie (image du billet). La France a franchi le pas en finançant cette pratique dans le droit commun de la sécurité sociale à partir de 2022. Les industriels de la e-santé peuvent s’en réjouir, mais la réussite de cette nouvelle organisation de soins ne repose pas uniquement sur le développement d’un marché des DM et IoT dédiés à la TS.
Cette revue de la littérature réalisée par une équipe australienne confirme l’analyse la littérature internationale faite par la HAS, dont le rapport fut publié en décembre 2020 pour éclairer la décision des autorités sanitaires lors de la LFSS 2022. C’est la TS des maladies cardio-vasculaires (MCV) qui a montré le meilleur impact sur le risque d’hospitalisation en urgence. Cette revue australienne ajoute la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC). Pour l’instant, la TS au domicile des autres maladies chroniques n’a pas apporté de résultats significatifs sur la diminution des hospitalisations et des venues aux urgences, en grande partie à cause d’un nombre insuffisant d’études publiées.
Avec plus de 100 000 patients inscrits dans l’expérimentation française ETAPES (qui se terminera en juillet 2022), la France dispose d’un nombre suffisant de patients pour évaluer l’impact de la TS de 2018 à 2022 sur la fréquence d’hospitalisations en urgence. Espérons que la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des statistiques) pourra s’emparer de ce sujet et éclairer les professionnels de santé français sur la bonne organisation de télémédecine et de télésoin (accompagnement thérapeutique) qui permettra d’avoir l’impact médico-économique souhaité par l’Assurance maladie et les autorités sanitaires. L’étude australienne confirme que la TS au domicile des patients atteints de maladies chroniques n’est « efficiente » que si elle diminue réellement les hospitalisations « évitables ».
Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
avril 2007, Gazette du Palais 2007
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