Nouvel Article pour notre plateforme média ManagerSante.com, rédigé par notre nouvelle experte-auteure, le Docteur Juliette HAZART, Médecin addictologue, nutritionniste, coach certifiée en cohérence cardiaque.
Consultante en santé. Formatrice DPC. Rédactrice santé. Elle est également responsable du programme de communication au service du management de projet (Université de Lorraine, Nancy).
N°4, Mars 2022
Les troubles cognitifs dans les conduites addictives :
La prévalence des troubles cognitifs est élevée chez les personnes vivant avec des addictions. Toutes les substances psychoactives (alcool, cannabis, héroïne…) y compris certains médicaments psychotropes comme les benzodiazépines sur une longue durée peuvent entraîner des troubles cognitifs.
En effet, parmi les personnes hospitalisées pour des troubles liés à l’usage du cannabis, plus de 70% souffrent de troubles cognitifs, en particulier de troubles des fonctions exécutives (prise de décision, inhibition de la réponse), de troubles de la mémoire et de l’attention1.
On estime que jusqu’à 80% des personnes vivant avec un trouble lié à l’usage d’alcool ont des troubles au cognitifs liés à cette consommation2. Les fonctions cognitives atteintes sont très variées : la mémoire en particulier la mémoire épisodique c’est-à-dire celle des évènements autobiographiques. L’atteinte des fonctions attentionnelles et exécutives se traduit par une altération des capacités de flexibilité mentale, de planification et d’inhibition. Or, le maintien de l’arrêt ou de la réduction des consommations implique d’inhiber quotidiennement des comportements automatiques de consommation excessive d’alcool en réponse au craving : « envie irrépressible de consommer une substance ou d’exécuter un comportement gratifiant alors qu’on ne le veut pas à ce moment-là »3. Les altérations de la cognition sociale nécessaires au bon déroulement des interactions sociales empêchent les patients d’évaluer leurs difficultés et de prendre en compte les remarques de leur entourage et des professionnels de santé. Cela s’explique par la difficulté à prévoir et à expliquer les comportements d’autrui (théorie de l’esprit) et par l’alexithymie c’est-à-dire une incapacité à identifier leurs propres émotions et celles d’autrui occasionnant des difficultés de gestion émotionnelle. La métacognition, faculté cognitive qui permet à l’individu de réfléchir sur comment il réfléchit est également atteinte.
La consommation d’héroïne conduit essentiellement à des troubles de la mémoire prospective c’est-à-dire la mémoire des intentions différées.
Ces déficits neuropsychologiques sont encore largement sous-diagnostiqués. En effet, le dépistage de la majorité des troubles n’est pas détectable par le simple interrogatoire et nous manquons de neuropsychologues au sein des structures spécialisées en addictologie en particulier dans le secteur ambulatoire médico-social. L’anosognosie fréquente du patient, c’est-à-dire l’absence de conscience des troubles cognitifs acquis, renforce cette problématique.
L'impact des troubles cognitifs sur la prise en soins en addictologie :
Pour s’engager dans une démarche de changement de comportement, les fonctions cognitives doivent être efficientes. Or, les troubles cognitifs liés à l’alcool constituent un frein aux processus motivationnels. Un jugement un peu hâtif peut conduire à considérer ces patients comme peu compliants au programme de soins. Pourtant, cela est en partie lié aux troubles cognitifs : oublis des rendez-vous, difficultés à se remémorer et à évaluer leurs habitudes de consommations, les conséquences négatives pour eux-mêmes et les autres, difficultés à cibler le contexte émotionnel des consommations ou encore à retenir et appliquer les stratégies proposées. La présence de troubles cognitifs est donc un frein à l’accès aux soins, au maintien de l’arrêt ou à la baisse des consommations et va ainsi constituer un facteur de risque de rechute.
La place de la remédiation cognitive en addictologie
À l’arrêt des consommations en particulier de l’alcool, la récupération cognitive peut être longue et partielle. Cette récupération spontanée pourrait être favorisée par des techniques de réhabilitation cognitive et psychosociale4. Il semblerait même que les troubles cognitifs puissent être présents avant le stade de l’addiction et favoriser le passage à l’addiction. La remédiation cognitive pourrait trouver un intérêt à tous ces stades. La réhabilitation cognitive (ou remédiation cognitive) a été définie en 2010 par le Cognitive Remediation Experts Workshop comme « un entraînement comportemental basé sur des techniques visant à améliorer des processus cognitifs (attention, mémoire, fonctions exécutives, cognition sociale ou métacognition) avec pour but un effet durable et généralisable/transférable ».
Cet ensemble de techniques rééducatives s’appuie sur deux approches : l’approche restauratrice qui consiste à utiliser des exercices de complexité croissante, ciblés sur les fonctions cognitives altérées à entraîner afin de les améliorer et une approche réadaptative consistant à aider le patient à élaborer de nouvelles stratégies lui permettant d’exploiter au mieux les fonctions cognitives préservées.
L’objectif de la remédiation cognitive dans le traitement des addictions est d’améliorer la qualité de vie en améliorant les fonctions exécutives, l’efficacité des traitements pharmacologiques et psychothérapeutiques, en favorisant l’implication dans les soins et en diminuant le craving. Les troubles cognitifs renforcent l’incapacité de contrôle de la consommation d’une substance psychoactive. Au fur et à mesure du développement des troubles cognitifs, l’addiction devient sévère, cette aggravation étant elle-même à l’origine de l’aggravation des troubles cognitifs. Afin de casser ce cercle vicieux, la remédiation cognitive semble donc avoir toute sa place dans le cadre d’un accompagnement global et au long cours pour des bénéfices maintenus dans la durée.
Des études ont mis en évidence une certaine efficacité de la remédiation cognitive pour les patients souffrant de troubles cognitifs liés à l’alcool, notamment sur l’attention soutenue, l’inhibition, la mémoire de travail, les capacités de prise de décision, la planification et la flexibilité, la mémoire épisodique et les capacités visuoconstructives. La remédiation cognitive agit aussi sur des éléments non cognitifs comme l’amélioration de l’estime de soi et la réduction du craving. Par l’amélioration des troubles cognitifs, elle améliore l’adhésion au processus de soins4. Des méta-analyses sont nécessaires afin de confirmer leur efficacité dans le contexte des pathologies addictives tout comme cela est déjà le cas pour des pathologies psychiatriques comme la schizophrénie, le trouble bipolaire…
Des leviers à l'implantation pérenne de la remédiation cognitive assistée par ordinateur :
- Sensibiliser et former les acteurs de la santé au dépistage des troubles cognitifs liés aux conduites addictives.
Cela est indispensable afin de favoriser leur repérage précoce et d’organiser si besoin une évaluation neurocognitive. Ainsi, dans le cadre des soins de premier recours, les médecins généralistes pourraient être au cœur de ce dispositif. Par exemple dans le cadre du repérage d’une consommation d’alcool problématique et de ses conséquences socio-familiales et professionnelles, qui pourraient concerner jusqu’à 30 % de leur patientèle. Sensibiliser à cette question, c’est aussi changer le regard porté sur ces patients. Non, ces patients ne manquent pas de volonté. Non, ils ne sont pas forcément dans le déni. Oui, ils ne peuvent tout simplement pas changer, car ils ne disposent plus des moyens cognitifs nécessaires.
- Garantir une égalité de traitement entre les personnes.
Que chacun puisse disposer et se servir des outils du numérique s’inscrit dans la lutte contre le phénomène d’e-exclusion et d’illectronisme.
- Créer un environnement technique à distance favorable afin de d’assurer le maintien de l’alliance thérapeutique.
- Prendre en compte l’écologie du patient.
Dans le cadre de la remédiation cognitive assistée par ordinateur, il est important de rester vigilant à ce que l’espace de parole et de soin du patient soit préservé en évitant par exemple les stimulations par son entourage. Les sessions à distance ne doivent pas non plus être à mon sens plus énergivores sur le plan cognitif qu’une session en face à face, d’autant plus que l’on accompagne des patients vivant avec des troubles cognitifs.
Des études en cours sur des interventions non médicamenteuses menées à distance au domicile du patient semblent montrer des résultats prometteurs avec une amélioration de l’adhésion, de l’observance, du niveau d’empowerment et donc une efficacité qui semble améliorée dans le respect du contexte écologique du patient. On améliore certainement le fonctionnement dans la vie quotidienne en reproduisant des situations écologiques.
- miser sur la stratégie motivationnelle et la récompense immédiate.
En situation de remédiation, les dimensions d’implication personnelle et de motivation sont primordiales. Ainsi, les activités ludiques motivantes et revalorisantes dans un environnement graphique et interactif sont à privilégier.
- diversifier les outils.
Les outils devraient pouvoir cibler l’ensemble des fonctions cognitives afin de proposer une offre de soins diversifiée répondant aux différents besoins des patients. Le format informatisé des activités de remédiation est intéressant car il permet une mise en situation dynamique et plutôt réaliste des processus cognitifs. Dans le cadre de la coexistence d’objectifs et la nécessité de les séquentialiser, le patient est amené progressivement à effectuer des tâches cognitives complexes.
- personnaliser les outils.
La remédiation cognitive requiert une connaissance fine de la situation psychologique, affective, familiale et professionnelle du patient. Elle doit pouvoir rester personnalisée et le thérapeute toujours en capacité d’adapter l’outil aux difficultés, aux besoins et aux objectifs du patient.
- Du côté des professionnels.
L’outil doit être pratique d’utilisation pour les thérapeutes avec une possibilité d’accès détaillée à la progression du patient tout au long du programme.
- Un moyen d’aller vers.
La remédiation cognitive assistée par ordinateur peut être un moyen d’aller vers. Aller vers des patients dans l’incapacité physique ou psychique de se déplacer apparaît comme une amélioration du service médical rendu. La remédiation cognitive ayant pour but ultime d’aider le patient à retrouver une autonomie, il semble essentiel que l’accompagnement proposé respecte cette valeur.
Perspectives :
La remédiation cognitive assistée par ordinateur me semble s’intégrer dans une hybridation des pratiques. Une première évaluation en présentiel si possible paraît importante. En effet, les premières minutes du premier échange sont déterminantes dans l’établissement de l’alliance thérapeutique. Le choix d’une solution numérique permettant des sessions de remédiation assistées à distance avec des professionnels qui l’effectuent grâce au télésoin me semble indispensable au maintien de la cette relation thérapeutique, facteur essentiel de réussite. En effet, le feed-back du professionnel est indispensable pour faire prendre conscience des difficultés et rassurer. Dans le cadre du télésoin, un critère de distance à l’écran me semble être le moyen de maintenir une partie de la communication non verbale. La remédiation cognitive ne peut se construire qu’en s’appuyant sur un renforcement de l’estime de soi du patient dans la cadre du maintien du lien entre autonomie de décision et appréciation de sa réussite ou de son échec. C’est là à mon sens qu’on peut entrevoir la possibilité d’un nouvel apprentissage, d’un véritable changement.
Pour aller plus loin
1 Alain Dervaux, Marie-Odile Krebs, Xavier Laqueille, Les troubles cognitifs et psychiatriques liés à la consommation de cannabis, Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, Volume 198, Issue 3, 2014, Pages 559-577
2 B. Angerville, A. Dufrasne, H. Houchi, W. Persyn, M. Naassila, A. Dervaux, Récupération cognitive précoce chez des patients alcoolo-dépendants au cours du sevrage, French Journal of Psychiatry, Volume 1, Supplement, 2018, Page S135
3 Le craving : marqueur diagnostique et pronostique des addictions ? Marc Auriacombe, Fuschia Serre, Mélina Fatséas Dans Traité d’addictologie (2016), pages 78 à 83
4 N. Cabé, A. Laniepce, L. Ritz, C. Lannuzel, C. Boudehent, F. Vabret, F. Eustache, H. Beaunieux, A.-L. Pitel, Troubles cognitifs dans l’alcoolodépendance : intérêt du dépistage dans l’optimisation des prises en charge, L’Encéphale, Volume 42, Issue 1, 2016, Pages 74-81
Nous remercions vivement
le Docteur Juliette HAZART, Médecin addictologue, nutritionniste, coach certifiée en cohérence cardiaque, consultante en santé, formatrice DPC, rédactrice santé, responsable du programme de communication au service du management de projet (Université de Lorraine, Nancy), pour partager son expertise médicale auprès de nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l'auteure :
Le Docteur Juliette HAZART est médecin addictologue, nutritionniste et coach certifiée en cohérence cardiaque.
Ancienne interne des hôpitaux, assistante spécialiste des hôpitaux en Santé publique et médecine sociale puis praticienne attachée au sein du Service de Nutrition clinique au CHU de Clermont-Ferrand, elle apporte son expertise en santé des populations, épidémiologie, prévention et promotion de la santé.
Le Dr Juliette HAZART est aujourd’hui spécialiste des addictions. Au sein d’un établissement médico-social, elle propose une approche dimensionnelle intégrative avec un accompagnement personnalisé intégrant la téléconsultation. La prévention, du primaire au tertiaire, est au cœur de son parcours professionnel et guide sa pratique au quotidien. Coach certifiée en cohérence cardiaque et animatrice d’ateliers de méditation de pleine conscience, elle étudie l’impact de ces pratiques sur les conduites addictives et la relation patient/soignant-soignant/patient. Enseignante à l’université de Lorraine, elle est responsable du programme de Communication au service du management de projet.
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initiées par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
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Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.