Nouvelle chronique littéraire rédigée pour ManagerSante.com par Alexis BATAILLE , Aide-Soignant militaire de réserve, depuis Septembre 2019, aujourd’hui étudiant en Soins Infirmiers au sein d’un Institut de Formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France.
Il est auteur de plusieurs ouvrages, notamment en 2022 avec « Les 50 outils indispensables de l’Aide-Soignant », (Février 2022) aux Editions Vuibert et « Je reste un soldat » (à paraître le 30 Mars 2022) chez City Edition.
Alexis BATAILLE interviendra également à l’occasion du 1er Colloque de ManagerSante.com, « Comment innover ensemble dans le secteur de la santé », qui aura lieu les Lundi 28 et Mardi 29 Mars 2022,
au Ministère des Solidarités et de la Santé
(Inscription gratuite pour suivre l’évènement en distanciel).
Mars 2022
La beauté est une expérience. Subjective par essence, elle toutefois universelle tant sa recherche admet d’être une quête partagée par la plupart des êtres vivants, et cela aux quatre coins du globe. Selon des normes de groupe ou des critères individuels, la recherche de la beauté ne se voit pas contrainte, ni par les époques, ni par les modes. Mouvante par la forme, elle reste cependant là, toujours bien ancrée par le fond. Aussi, à travers l’histoire, tout un chacun est à la recherche, par exemple, de la « belle parole », du « beau geste » ou bien encore de la « beauté intérieure ».
A tout âge, le beau nous obsède non pas pour ce qu’il est mais parce qu’il procure en soi. Tant est si bien qu’il devient souvent une fin d’être au Monde plutôt qu’un moyen d’y vivre. En effet, la beauté comme expérience vécue subjective est davantage entendue sous l’angle relationnel (plaire, attirer, être valorisé, reconnu…) qu’existentiel. Nous voulons d’abord être beau pour les autres, c’est parfois même une condition sine qua non du facteur humain que nous pourrions résumer simplement par cet axiome : Plaire ou ne pas être ? Telle est la question !
Or, s’il existe un endroit où cette expression du Soi est chamboulée dans le domaine du beau, c’est bien au cœur de l’expérience maladie. Un lieu où, semble-t-il, toute l’idéation de la beauté individuelle est remise en cause par la seule prédominance du « mal-être ». Aussi, sans surprise, pour illustrer cette idée, on dit rarement d’un cancer qu’il est magnifique ; ce n’est pas beau la maladie.
En tout cas, ça ne l’est plus dans nos sociétés modernes même si la souffrance, l’expérience de la douleur ou bien même encore la mutilation volontaire à visée thérapeutique fut, en son temps, reconnue par les êtres humains comme une expérience proche du mystique, extatique, permettant de se rapprocher du divin, donc du beau.
De nos jours, la beauté revient au centre des discussions de l’art de soigner et s’inscrit même ici dans une dimension supplémentaire de l’exercice des soins à travers la mobilisation d’un savoir bien particulier : le savoir esthétique.
En partie utilisée dans le cadre des soins infirmiers, le concept de savoir esthétique est plus que jamais renouvelé tant l’application portée par ces professionnels de santé à « faire du beau » devient, outre le fait de témoigner d’une application sans nulle autre pareille de ces derniers, un aspect indispensable de la réhabilitation, de la reconstruction, pour ainsi dire de la résilience de la personne soignée.
Véritable démarche intégrative d’adaptation des soins, le savoir esthétique apparaît dès lors comme un outil polymorphe dont la vocation est, non pas de guérir, mais de soigner.
De ce fait, à la rencontre de ce savoir au carrefour du corps et de l’esprit, réfléchissons un instant à cette seule interrogation : En quoi le savoir esthétique est-il un levier fondamental de l’alliance thérapeutique ?
Le savoir esthétique comme support :
L’art de soigner prend toute sa dimension brute et intégrale lorsque l’on évoque son caractère esthétique. L’idéation artistique du soin renvoie en effet, dès lors, au contrat moral de chaque professionnel : l’engagement avec l’autre.
Une intention dont la genèse se trouve dans l’envie et la motivation à regarder l’autre comme une matière brute à retravailler, à sublimer et à mettre en valeur, et ce quelque soit la base de travail. Aussi, dans la démarche artistique, qui devient celle de n’importe quel soignant prodiguant du soin, il y une intention, une volonté à « faire du beau ». Non pas entendu comme ce qu’il y a de meilleur mais plutôt convenu dans ce qu’il y a de mieux.
L’expression du savoir esthétique de chaque professionnel de santé devient donc soi le support de son art du soin et de sa capacité à mobiliser de nombreux outils techniques et théoriques afin de faire émerger la notion du beau dans certaines situations où tout un chacun a pu ainsi se surprendre à admettre divers états de fait tels que l’est un « beau pansement », une « belle prise en soin » ou un « beau travail d’équipe ».
Du beau pour ce qu’il est et non pas parce qu’il donne, le savoir esthétique du professionnel de la santé est une composante subjective de l’activité de soins qui donne toute sa valeur à la motivation intrinsèque à la réaliser en elle-même. Le beau est effectivement sujet d’envie parce qu’il procure une forme particulière de satisfaction que l’on enseigne dès le plus jeune âge : « Es-tu content de ce que tu as fait ? » Il souligne à plus forte raison le caractère transcendant de l’art de soigner qui est irriguée d’une forte dynamique émotionnelle, spirituelle, environnementale et identitaire.
Ainsi, tel un artiste dont l’évolution de l’œuvre nous permet de mesurer la transformation de sa pensée, de son humeur, de son envie, l’art de soigner à travers la volonté de « faire du beau » du professionnel nous permet d’être le support visuel de ses affects dans le cadre du travail. Ne dit-on pas, par exemple lorsqu’ils sont négatifs, que le travail en pareil cas est « bâclé », « ni fait, ni à faire » ou réalisé « sans goût ».
Auquel face à un soignant qui aurait perdu son regard artistique envers l’autre, dans le cadre de la mise en œuvre de sa pratique des soins, il semble essentiel de lui redonner les clés motivationnelles afin de le réassurer outre-mesure sur sa compétence fondamentale qui est une disposition essentielle de son art : le savoir-esthétique.
Le savoir esthétique comme médiation :
Somme toute, la mise en œuvre du savoir esthétique permet d’être une médiation indispensable dans le cadre d’une prise en soin. Même si le beau ne guérit pas, il conforte, réassure, valorise… En bref, le beau réactualise la personne soignée dans sa sensibilité profonde de sujet aux composantes affectives dont l’estime de soi en est la majeure partie prenante majeure.
Par ce fait, notamment en cancérologie et en chirurgie, le beau est le cœur de nombreux sujets de conversation entre le soigné et les soignants. La recherche du beau est permanente et la double expertise, patient et professionnels de santé, est mise à rude épreuve afin de servir ce but. Une quête dont l’objet est simple : la médiation. Être le liant entre ce que le patient fût, est et sera aux yeux du Monde. Une volonté de triomphe sur la mort-maladie dont on sublime les affres par un sursaut de vie à travers la beauté et pas seulement dans son aspect visible.
Attacher correctement la poche de colostomie pour une sortie du patient au restaurant et lui assurer ainsi qu’elle ne se décollera pas et y glisser à l’intérieur davantage de poudre désodorisante « au cas où », éliminer la blouse de l’hôpital et habiller Monsieur H. avec les vêtements de son choix, même si c’est plus laborieux, réaliser un pansement de moignon en collaboration avec l’I.D.E afin que ce soit plus simple, donc mieux pansé, prendre cinq précieuses minutes à parer Madame F. de ses bijoux avant le repas du dimanche en EHPAD parce que c’est son habitude ou bien s’assurer que Madame I. soit prévue au rendez-vous hebdomadaire de la coiffeuse…
Vous l’aurez compris, le savoir esthétique sert, d’abord et surtout une considération de l’individu dans sa dimension humaine où « se trouver beau », en toute simplicité et pas seulement physique, est une indubitable petite victoire en soi sur le champ de bataille, parfois rude, de la maladie ou de la sénescence…
Le savoir esthétique comme ambition :
En tout état de cause, le savoir esthétique doit être perçu comme un critère premier de la relation de soins. Il confirme et assure la permanence de l’alliance thérapeutique à travers le champ de la confiance.
En effet, la mobilisation d’un savoir-esthétique par le professionnel de santé sous-entend de mieux connaître et de faire participer pleinement la personne soignée dans l’intention de « faire du beau ».
Celle-ci n’est pas une toile vierge sur laquelle tout un chacun pourrait laisser s’exprimer sa volonté mais plutôt comme un objet à restaurer qui comporte donc ses propres attributs du beau avec une patine plus ou moins affirmée. De sorte que, le professionnel de santé placé en artisan du soin se retrouve in fine en position de restaurateur d’un beau préexistant.
Il lui faut cependant pour cela savoir mobiliser son intelligence émotionnelle (ex. écouter, ressentir, faire preuve d’intuition) afin de mieux appréhender les besoins exprimés et non exprimés de la personne qui donneront toute sa valeur à la démarche de soins esthétiques.
En outre, dans une logique d’intelligence collective synergique, la promesse de restauration s’engage selon une dynamique pluriprofessionnelle où les compétences individuelles en la matière configurent l’idée que l’on se fait du savoir-esthétique : une ambition.
Au service de la personne soignée, de l’amélioration des soins et de la dignité humaine. Trois piliers de l’art de soigner inscrit au contrat moral des professionnels de santé.
Pour aller plus loin :
- Apfeldorfer, Gérard. « Le Corps comme icône en souffrance », Corps, vol. 4, no. 1, 2008, pp. 71-78.
- Beloucif, Sadek. « Soigner tout homme, soigner tout l’homme », Les Cahiers du Centre Georges Canguilhem, vol. 4, no. 1, 2010, pp. 215-229.
- Cochennec, Morgan. « Le soin des apparences. L’univers professionnel de l’esthétique-cosmétique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. no 154, no. 4, 2004, pp. 80-91.
- Scelles, Régine. « Le beau n’est pas en « plus », il est au fondement de l’humain », Simone Korff-Sausse éd., Art et handicap. Enjeux cliniques. Érès, 2012, pp. 193-205.
- Tarteaut, Marie-Hélène, et al. « Soins esthétiques aux personnes âgées dans la réhabilitation hospitalière », Recherche en soins infirmiers, vol. 94, no. 3, 2008, pp. 92-100.
Nous remercions vivement Alexis BATAILLE , Aide-Soignant et, depuis Septembre 2019, étudiant en Soins Infirmiers au sein d’un Institut de Formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France, pour avoir partager régulièrement ses réflexions, à travers ses chroniques passionnantes, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com.
Biographie de l'auteur :
Aide-soignant diplômé en 2013. Alexis Bataille rejoint le Service de Santé des Armées la même année et servira dans différents Hôpitaux d’Instruction des Armées jusqu’en 2019. Durant son parcours de soignant militaire, Alexis aura en plus l’occasion d’être projeté en opération extérieure mais aussi d’être membre du Conseil de la Fonction Militaire du Service de Santé des Armées.
Dorénavant aide-soignant militaire de réserve, depuis Septembre 2019, Alexis Bataille est étudiant en soins infirmiers au sein d’un institut de formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France.
En parallèle de son activité professionnelle et étudiante, Alexis Bataille est également membre du comité de rédaction du site infirmiers.com, membre du Cercle Galien et auteur d’un ouvrage intitulé « Vous avez mal où ? Chroniques d’un aide-soignant à l’hôpital » paru chez City Editions en 2019.
Article récent dans EHPADIA Magazine publié le Lundi 22 Mars 2021 :
Pasquelin A. « Nous ne sommes pas de simples exécutants » [Internet]. Ehpadia, le magazine des dirigeants d’EHPAD.
[OUVRAGE DE L'AUTEUR PUBLIE EN FEVRIER 2022]
Résumé de cet ouvrage :
Tous les outils indispensables pour réussir ses évaluations et ses stages !
Conçu pour répondre aux besoins des élèves et des professionnels, Les 5O outils indispensables de l’aide-soignant propose 50 fiches en couleurs, claires et illustrées, en adéquation avec le référentiel 2021 des études aides-soignantes. On y retrouve :
les normes, valeurs et échelles à connaître ;
les notions essentielles d’hygiène et de prévention et gestion des risques : lavage des mains, précautions standard et complémentaires, accident d’exposition au sang (AES), ergonomie et manutention, risques de violence, maltraitance, etc.
les soins techniques et relationnels : observation de patient, glycémie capillaire, évaluation de la douleur ou de l’autonomie, soins de nursing, communication avec le patient, etc.
des informations sur la profession AS et ses enjeux : rôle propre ou en collaboration, perspectives professionnelles, législation, etc.
des rappels de pharmacologie et d’anatomie générale.
Son petit format et son contenu pratique en font un outil à toujours avoir dans la poche, que l’on soit étudiant ou professionnel.
[DERNIERS OUVRAGES DE L'AUTEUR]
Dans ce guide pratique, Alexis Bataille répond avec humour et sans tabou à toutes les questions pratiques que l’aide-soignant (élève ou professionnel) se pose, à l’aube de la refonte du référentiel aide-soignant. Présentant toutes les questions fondamentales (mais pas que !), le livre aborde les trois thèmes essentiels à la profession :
le métier d’aide-soignant dans tous ses aspects : Les missions de l’AS varient-elles en fonction du lieu d’exercice ? Quelle est la différence existe-t-il entre un AS et un IDE ? Le diplôme français suffit-il pour travailler à l’étranger ?
la pratique au quotidien : Comment être un AS bien organisé ? Comment planifier ses repas quand on travaille de nuit ? Comment faire face au décès d’un patient ? Comment gérer un conflit au travail ? Est-ce difficile d’être un homme dan sce métier ?
les relations aux patients : Que faire si j’ai un enfant comme patient ? Comment préserver l’intimité ? Quelle attitude adopter face à la douleur ? Quelle place donner à la famille du patient ? Comment réagir face à une situation violente ?
Ce guide de survie facilitera la vie des aides-soignants jeunes diplômés et des moins jeunes, désireux d’être accompagnés au quotidien dans la bonne humeur !
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19 et est partenaire média des eJADES (ateliers gratuits)
initiées par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
en tant que partenaire média digital
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.