Article publié par notre expert, le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).
Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».
N°43, Juillet 2021
Nous abordons dans ce dernier billet l’évolution de la téléexpertise dans le nouveau cadre juridique de la télésanté.
Le décret du 3 juin 2021 relatif à la télésanté autorise une évolution importante des pratiques de téléexpertise. Réservée depuis le décret de télémédecine du 19 octobre 2010 aux seuls professionnels médicaux, tout professionnel de santé peut désormais requérir une téléexpertise auprès d’un professionnel médical.
Le 2ème paragraphe de l’article R.6316-1 du CSP est désormais écrit de la façon suivante:
2° La téléexpertise, qui a pour objet de permettre à un professionnel de santé de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations de santé liées à la prise en charge d’un patient ;
Une évolution attendue par les professionnels de santé et retenue par le Ségur de la santé.
En octobre 2017, les pharmaciens d’officine demandaient la réalisation de téléexpertises avec les professionnels médicaux, en particulier avec les médecins traitants
Presque 4 ans après la demande des pharmaciens d’officine lors de leur 70ème Congrès national qui s’est tenu les 21 et 22 octobre 2017 à l’Aréna de Montpellier, cette téléexpertise entre un pharmacien d’officine et un médecin traitant ou un médecin spécialiste est désormais autorisée.
Dans un article publié le 27 octobre 2017, nous écrivions :
La pratique de téléexpertises synchrones ou asynchrones régulières avec le médecin traitant est une autre proposition innovante. Ciblées sur les traitements des patients atteints de maladies chroniques, elles seraient certainement très utiles pour améliorer l’observance à ces traitements de longue durée. En effet, le pharmacien reçoit régulièrement les confidences des patients sur leur tolérance aux traitements et il leur conseille souvent d’en parler à leur médecin, sauf que l’accès immédiat au médecin traitant est quasi impossible. Les récents accidents sanitaires ont montré que si ce dialogue nécessaire entre le médecin traitant et le pharmacien sur les traitements était mieux reconnu, certains effets iatrogènes pourraient être plus rapidement prévenus ou du moins mieux gérés dans l’intérêt des patients.
Ce texte était juste et reste d’une grande actualité. A l’ère des maladies chroniques, le pharmacien d’officine est bien l’expert du bon usage du médicament. Néphrologue, l’auteur de cet article peut témoigner des fréquents appels des pharmaciens d’officine à des médecins prescripteurs pour que les posologies des médicaments (à excrétion rénale) soient adaptées, chez les personnes âgées, au débit de filtration glomérulaire (DFG) souvent diminué avec le vieillissement, pas toujours respecté ou connu du médecin prescripteur. Des accidents iatrogènes par surdosage de médicaments peuvent ainsi être évités.
Les infirmiers et infirmières impliqués dans le suivi des plaies chroniques réclamaient depuis quelques années la possibilité d’obtenir une téléexpertise directement auprès du médecin spécialiste des plaies chroniques.
Cette pratique désormais autorisée simplifiera le parcours de soin de ces patients souvent âgés, atteints de plusieurs comorbidités dont le diabète, résidant soit à leur domicile, soit en Ehpad.
Dans un article publié en octobre 2016, nous rapportions la très belle étude réalisée par le réseau CICAT de Languedoc-Roussillon (Occitanie aujourd’hui). Cette étude expérimentale mise en place en juillet 2014 et financée par l’ARS visait à évaluer le suivi des plaies complexes et/ou des retards de cicatrisation par une IDE experte en plaies et cicatrisation.
Le protocole prévoyait déjà l’accès direct, par téléexpertise, de l’IDE expert auprès d’un médecin spécialiste, chirurgien vasculaire, dermatologue ou autre médecin spécialisé dans le domaine des plaies chronique.
Les orthoptistes en activité libérale sont de plus en plus souvent en première ligne dans les bilans de la vision. Leur collaboration avec les ophtalmologistes et les médecins traitants par téléexpertise est devenue nécessaire.
Les orthoptistes sont déjà engagés depuis la pandémie de la Covid-19 dans des activités de télésoin. Les représentants de la profession, lorsqu’ils ont été audités par la HAS (SNAO, 4 octobre 2019), ont exprimé « le besoin d’étendre les requérants d’une télé-expertise aux auxiliaires médicaux, l’orthoptiste pouvant avoir besoin de solliciter le médecin généraliste ou l’ophtalmologiste. » (Page 110 du rapport HAS).
D’autres professions d’auxiliaire médical ont demandé l’accès à la téléexpertise lors des auditions organisées par la HAS sur le télésoin. Les pédicures-podologues et les orthophonistes ont demandé de pouvoir réaliser des téléexpertises avec les experts médicaux (médecins traitants, médecins spécialistes). Les orthophonistes ont cité l’expérimentation de l’Oncopole de Toulouse, organisant une expertise à distance entre l’orthophoniste du service d’oncologie, le chimiothérapeute et l’orthophoniste libéral en consultation directe sur place avec le patient). À cette occasion, l’expertise permet de réaliser des gestes techniques entre pairs, de dépister des anomalies de déglutition, d’intermédier un geste technique du chirurgien, etc.
Dans le décret du 3 juin 2021, la téléexpertise entre pairs de professions non médicales n’a pas été retenue (pour l’instant) par les pouvoirs publics. Un professionnel de santé requérant (pharmacien, auxiliaire médical) doit solliciter l’avis d’un professionnel médical.
Une réalisation qui nécessite des organisations professionnelles innovantes et des solutions numériques agiles et sécurisées.
Cet élargissement de la sollicitation d’une téléexpertise médicale par tout professionnel de santé survient dans un contexte où la téléexpertise entre médecins n’a pas été couronnée du succès attendu, après son financement par l’assurance maladie (10 février 2019). Nous en avons fait l’analyse des possibles raisons dans plusieurs articles (réf1, réf2). Même pendant la période de la pandémie, la téléexpertise « modèle avenant 6 de la Convention médicale de 2016 » a peu progressé alors que les besoins étaient importants.
Cela ne veut pas dire que des téléexpertises ne sont pas réalisées. Une enquête récente évalue entre 40 et 60 millions le nombre d’appels téléphoniques réalisés chaque année par les médecins de premier recours vers les médecins spécialistes. Ces échanges d’expertise par téléphone ne sont pas (pour l’instant) identifiés par l’assurance maladie dans le secteur ambulatoire, ni par les managers dans les établissements de santé. Le temps professionnel passé dans ces échanges peut être important et générateur de recettes nouvelles tant pour les professionnels libéraux que pour les établissements de santé si ce temps était mieux identifié.
Le décret du 3 juin 2021 pourrait être mal interprété par les professionnels de santé après l’abrogation de l’ancien article R.6316-2 du CSP qui précisait au deuxième paragraphe qu’une personne pouvait s’opposer à un échange entre professionnels de santé sur la base de ses données personnelles de santé, c’est à dire réaliser une téléexpertise entre professionnels. Pour s’opposer, il faut d’abord être informé des motifs de cet échange et ensuite donner son consentement.
On pourrait alors croire que l’information et le recueil du consentement avant de pratiquer une téléexpertise ne seraient plus une obligation. Ce serait, selon nous, une fausse interprétation, car la téléexpertise vers un professionnel médical requis est un acte médical qui relève de l’obligation légale d’informer le patient et de recueillir son consentement comme cela est précisé aux articles L.1111-2 et L.1111-4 du CSP.
La pratique de la téléexpertise, en échec plus pour des raisons technologiques et organisationnelles que pour des raisons de niveaux de rémunération des professionnels doit évoluer.
L’organisation professionnelle doit correspondre aux attentes des professionnels de santé requérant. Pour certaines téléexpertises, l’avis sollicité peut être différé de quelques heures, voire de quelques jours, mais pour la majorité des professionnels de santé l’avis sollicité demande une réponse rapide. Nous sommes dans une société de l’immédiateté qui impacte indiscutablement beaucoup de secteurs professionnels dont celui de la santé.
Si les professionnels médicaux requérant utilisent depuis des décennies le téléphone pour obtenir l’avis immédiat d’un collègue spécialiste, ils n’adhérent pas à des téléexpertises avec réponses différées. Nous pensons que c’est une des causes de l’échec du modèle de téléexpertise voulu par l’avenant 6 de la Convention médicale pour les professionnels libéraux. Il faut cependant reconnaître que l’échec est moins net en milieu hospitalier, de nombreux GHT souhaitant développer des téléexpertises entre les différents établissements. Des initiatives intéressantes de téléexpertises entre les médecins traitants d’un territoire et les médecins spécialistes des établissements de santé commencent à émerger.
Nous avons dans un précédent article plaidé pour des solutions organisationnelles qui permettent aux médecins traitants libéraux de réaliser des téléexpertises rapides ou immédiates. Ce modèle organisationnel devra désormais inclure les professionnels de santé autorisés depuis le 3 juin 2021 à requérir une téléexpertise auprès de professionnels médicaux.
Les solutions technologiques de la téléexpertise rapide doivent être développées. Elles doivent être sécurisées et aussi agiles qu’un appel téléphonique. Cette téléexpertise rapide nécessite des agendas où apparaissent les disponibilités des spécialistes travaillant en réseau au sein d’un territoire de santé, voire d’une région ou d’une inter région pour certaines spécialités.
La téléexpertise rapide doit pouvoir être réalisée soit par audio, soit par Visio. Les mêmes solutions que celles dédiées à la téléconsultation peuvent être utilisées. La messagerie sécurisée (MSS) peut aussi être utilisée pour les téléexpertises différées qui bénéficient alors des organisations professionnelles innovantes de la téléexpertise rapide. La réussite passe par l’organisation d’une permanence professionnelle dans une spécialité donnée où les médecins spécialistes requis fournissent à la structure organisatrice de la téléexpertise (établissement de santé, structure privée) un agenda de temps disponible pour répondre à une demande.
Cette organisation innovante relève aussi de financements innovants, de type séquence de soins, qu’il importe d’évaluer dans des études expérimentales avec financement dérogatoire, comme celles relevant de l’article 51 de la LFSS 2018 ou de l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) lancé par les pouvoirs publics en mars 2021.
Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine, pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l'auteur :
Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
avril 2007, Gazette du Palais 2007
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